LETTRE X.
SI mes Lettres vous causent de l’ennui, Mademoiselle, c’est aujourd’hui pour la derniere fois que vous vous en plaindrez : je vous ai annoncé de nouvelles objections qu’il est nécessaire de resoudre, pour ne rien laisser à désirer d’essentiel sur cette matiere importante.
i°. Les Apologistes du Théâtre ont à m’opposer les pieces qui sont représentées par des Ecoliers sous la conduite de leurs Regens, qui sont ordinairement des Religieux ou des Ecclésiastiques : toutes sortes de personnes assistent à la représentation sans conséquence, le silence des Prélats vaut une approbation. Or, ou le Théâtre est mauvais de sa nature, ou non ; s’il est vicieux, pourquoi le souffrir dans les Colléges, & s’il est indifférent, d’où vient l’improuver dans les Comédiens ? La profession de ceux-ci est un pur accident qui n’ajoute rien à la chose.
Le Spectacle des Colléges est bien différent du vôtre, Mademoiselle, selon l’Ordonnance de Blois1 & la déclaration de la Faculté de Paris2, on a soin d’en retrancher toute espéce de saleté & le langage de la tendresse, les Regens qui en ont la direction, avant de mettre les Rolles entre les mains des Ecoliers, en ôtent tout ce qui pourroit souiller le cœur & blesser les oreilles : c’est un exercice que l’on croit utile à ceux qui se destinent à parler en public, & l’on ne se propose pas d’intéresser les Spectateurs, on a porté la réforme jusqu’à défendre par une nouvelle Ordonnance1 les danses dans les intermèdes ; quoiqu’un semblable amusement qui se passeroit entre les jeunes gens d’un même sexe, ne suppose aucune sorte de danger, mais une simple indécence.
Sur votre Théâtre, Mademoiselle, on représente les passions ; un Comédien s’efforce de le faire aussi naturellement qu’il est possible ; on ne peut réussir sans les exciter en soi, il faut se pénétrer d’une ardeur qui ne s’efface pas aisément, après la représentation. L’exercice d’un Acteur est donc celui du vice, & toute sa vie se passe en cet exercice, il n’a presque rien autre chose dans l’esprit. Or, comment allier cette profession avec la pureté de la Religion chrétienne ?
Les femmes autrefois ne paroissoient jamais sur le Théâtre, c’étoit des
hommes déguisés qui jouoient les rolles de femmes : ce déguisement est
condamné dans l’Ecriture, & Saint Cyprien fait l’application1 aux Comédiens de
cette condamnation générale. Toutefois l’inconvénient étoit moindre pour les
Spectateurs qui voyent aujourd’hui paroître sur la scéne des Actrices vêtues
avec une pompe & un art enchanteur, qui joignent toute la beauté &
toutes les
graces aux parures indécentes ; le
maintien, la demarche, le son de la voix, les regards passionnés, tout
parle, tout émeut en elles, dit S. Chrysostome1 : vous
vous persuadez, ajoute ce Pere2, qu’allant voir une
Comédienne jouer sur un Théâtre, votre ame n’en reçoive aucune blessure.
Etes-vous donc aussi dur que l’airain, aussi insensible que le marbre ? Ses
discours sont un enchantement, sa figure est une illusion la plus
séduisante, & malgré vos résolutions, elle vous attirera avec autant de
facilité qu’un agneau que l’on veut immoler ; c’est un insensé qui se
laisse enchaîner sans la moindre resistance.
Irretivit eum1 multis sermonibus & blanditiis labiorum
protrahit illum quasi bos ductus ad victimam, & agnus lasciviens
& ignorans quod ad vincula stultus rapiatur.
Je ne vous ai jamais vû, Mademoiselle, ni aucunes de vos compagnes, je n’en juge que par le bruit public ; toute la France rétentit du bruit de leurs exploits, les grands Seigneurs vont brûler leurs aisles dans vos coulisses, les Financiers y portent les dépouilles de tout le Royaume ; l’entretien d’une Comédienne excéde souvent le revenu d’une Province entiere. On méprise une femme aimable, pour courir après le rebut de la Cour & de la Ville, on achette aux dépens de toute sa fortune, les restes de la plus vile canaille, & l’on ne craint pas de ruiner cinq ou six cens respectables personnes, pour enrichir la plus méprisable de toutes les femmes. Ce n’est point sur vous en particulier que je fais cette sortie, Mademoiselle, votre talent suffisoit pour vous soutenir dans l’opulence, & vous n’avez eu, je crois, nul besoin d’y employer le commerce de vos bonnes graces ; mais vous devez rougir de votre confraternité. Si vous avez de l’honneur, ayez honte de vivre avec tant de personnes qui font gloire d’en manquer, & qui n’inspirent guères moins d’horreur aux personnes du monde, qu’à celles qui font une profession sincére de la Religion chrétienne.
II. Les Acteurs & Actrices ne sont pas les seuls objets séduisans que l’on doive craindre en courant aux Spectacles, les hommes & les femmes qui s’y rassemblent en foule, sont aussi, selon Saint Clement d’Alexandrie1 des piéges les uns pour les autres. On dira que ce nouveau danger est le même dans toutes les assemblées. On trouve dans les Eglises des femmes parées, comme sur un Théâtre, & dans les Loges des personnes qui s’y produisent dans la vue de plaire, & qui ne réussissent que trop. Il faut donc s’interdire l’entrée des Temples, si l’on condamne la Comedie en considération des rencontres & des entre-vûes périlleuses.
Pour répondre à cette objection il faut supposer, Mademoiselle, deux sortes de scandale : celui que l’on recherche & celui que l’on rencontre par hasard : celui-ci n’est pas un crime, dès que l’on use de son droit, & qu’on ne peut l’éviter, c’est assez de combattre & de s’armer de force & de courage au moment de la tentation. Quand donc on se transporte en une sainte assemblée, avec une intention pure, que l’on ne recherche pas industrieusement les Eglises les plus fréquentées, & la Messe où le beau monde se rassemble, c’est un cas fortuit, si l’on apperçoit un objet attrayant, il faut en détourner la vûe, & défendre son cœur & son esprit du vénin de la séduction ; les mouvemens indélibérés survenus dans l’ame & dans les sens, en conséquence du Spectacle qui s’est rencontré dans la Maison de Dieu, ne sont pour lors nullement imputables à celui qui les éprouve.
Il n’en est ainsi des piéges qui sont si fréquens à la Comédie, c’est une tentation que l’on recherche de gaieté de cœur ; au lieu de fuir le danger, on le suit, parce qu’on l’aime, & que l’on n’appréhende nullement d’y succomber. Je n’approuve pas ceux qui vont à l’Eglise à l’heure où ils sçavent qu’ils y trouveront les personnes qui sont pour eux une pierre de scandale : combien plus doit-on condamner la fréquentation des Spectacles, où l’assemblée est bien plus brillante que dans aucune Eglise, où l’on voit ce qu’il y a de plus libre & de plus vain dans la Capitale du Royaume ; grand nombre de personnes qui n’entrent jamais dans aucune Eglise, parce qu’elles vivent sans Religion : dans quelles dispositions de cœur ces sortes de personnes vont-elles se placer dans les Loges ? Elles sont versées dans l’art de plaire, & c’est à la Comédie ou bien à l’Opera qu’elles mettent toute leur science en exercice ; tout est étudié dans leurs gestes, dans leur attitude, elles paroissent dans une immodestie qui choque les libertins même : si leur rencontre n’est pas une espéce de scandale qu’on doive éviter, il faut jetter au feu les Ouvrages des SS. Peres, & l’Evangile même.
Demandez à Tertulien, Mademoiselle, ce que c’est qu’un Spectacle ? Il vous répondra : c’est1 le consistoire de l’impureté, un lieu où l’on approuve des libertés qu’on n’oseroit se promettre ailleurs ; où l’on voit des femmes se produire en public avec moins de honte qu’elles ne feroient dans le sécret de leur maison, & avec une contenance dont elles rougiroient en tout autre endroit que sur un Théâtre. Ah ! s’il est, dit S. Jean Chrysostome1, si dangereux de regarder une femme modeste, même dans les lieux saints ! quel danger pour la jeunesse en qui la convoitise est dans toute sa force, d’en contempler en ce cercle diabolique, qui n’ont rien d’étudié que l’immodestie, la dissolution & l’impudence.
III. Quelques-uns avoueront de bonne foi que tous les objets qu’on apperçoit dans un Spectacle, ne sont pas toujours fort décens ; c’est un sujet de tentation pour les jeunes gens & pour les personnes susceptibles ; mais nous sommes, disent-ils, d’un âge ou d’un tempéramment qui nous met à l’abri de la séduction : nous n’approuvons ni les maximes corrompues qui se débitent sur le Théâtre, ni les immodesties qui s’y produisent, c’est la compagnie qui nous entraîne, & nous avons pour nous autoriser plusieurs personnes qui vivent chrétiennement.
Ecoutons encore Tertulien, Mademoiselle, c’est lui qui s’est chargé de
répondre : quiconque jouit1 tranquillement du Spectacle, sans
s’écarter en apparence des Loix de la modestie, étant retenu par son âge ou
par sa dignité, ou par la sévérité de son caractère, n’est pas aussi
insensible au fond de l’ame, qu’il veut bien le supposer ; courroit-il à
l’Amphithéâtre avec tant d’empressement, s’il ne prenoit aucune satisfaction
à voir ce qui s’y passe : ce plaisir suppose
l’affection & le consentement de la volonté, le mal a des progrès
successifs, le poison ne fait pas son effet sur le champ, mais peu-à-peu,
c’est une sémence qui demeure quelque tems en terre, & qui produit à la
fin des fruits de mort,
ut fructificent
morti
1.
Ignorez-vous qu’il y a des dégrés dans la tentation ? Ici, l’on s’accoutume
à regarder le vice sans horreur, on le verra bientôt avec une sorte de
complaisance : celle-ci dispose le cœur qui se rend à la suite, l’avant-mur
de la Place étant renversé, entraîne la ruine du mur principal, & la
prise entiere de la Ville & de la Citadelle.
Luxit
antemurale & murus pariter dissipatus est
2. Quand même le crime
ne se produiroit point au dehors, ne suffit-il
pas que l’ame soit souillée ? C’est bien peu de chose que la chasteté
corporelle, sans la pureté du cœur & de l’esprit.
On n’est plus dans un âge qui donne prise à la tentation ; mais on autorise les autres par son exemple, ce sont des infirmes1 dont on accélere la chute ; la crainte de déplaire à Dieu les retenoit encore, un homme de poids qui assiste au Spectacle, suffit pour les rassurer, & dès-lors il attire sur soi les désordres où ceux-ci se laissent entraîner. Ce sont des vanités, dit Tertulien2, des voluptés étrangeres qui retombent sur celui qui les autorise.
On donne le même appui aux Comédiens qui ne monteroient pas sur le Théâtre, remarque Saint Jean Chrysostome1, si personne ne s’empressoit de les entendre, & s’ils n’étoient pas protégés : le mal qu’ils font eux-mêmes, ou qu’ils occasionnent dans les autres, réjaillit sur les Spectateurs qui y contribuent de leur présence ou de leurs éloges. O ! vous, ajoute ce Saint Pere2, qui siégez dans l’Amphithéâtre, vous contemplez ce qu’on ne sçauroit exécuter sans crime ! Si vous louez un Acteur ; d’où vient n’oseriez-vous embrasser sa profession ? Si vous la jugez deshonorante, pourquoi mérite-t-elle vos applaudissemens ? Vous ne comprenez pas que les louanges prodiguées à ceux qui l’exercent, sont une maniere d’imitation. S’il leur échappe, dit encore Saint Chrysostome1, une parole de blasphéme ou d’impureté, on leur applaudit, parce qu’elle a été prononcée avec grace, & l’on donne des signes d’aprobation à des personnes qui mériteroient souvent d’être lapidées ; & c’est là le sujet de ma douleur, de voir que l’on prétende justifier une conduite aussi criminelle ? On se replie sur l’exemple des personnes vertueuses ; si elles le sont en effet, ce n’est pas en tout point : il faut louer leur probité, leurs aumônes, sans toutefois approuver en elles la fréquentation des Spectacles, Tertulien rapporte en cette occasion le trait du Roi Prophéte : lorsque vous appercevez un Voleur1 vous vous empressez de le suivre : imitez les bons exemples des gens de bien, & détournez les yeux de dessus leurs foiblesses ; car, selon l’Ecriture2, on ne doit point entrer dans la foule de ceux qui font le mal, ni marcher sur leurs traces. Considérant avec Saint Cyprien3, les pratiques autorisées par la coutume, dès-qu’elles s’écartent des bornes de la vérité, comme des vieilles erreurs, moins propres à exciter l’émulation qu’à causer de l’horreur à toute personne sincérement vertueuse.
IV. Les Partisans de la Comédie ont encore un retranchement, Mademoiselle ; ils avouent que cet exercice n’est point fait pour tout le monde, on ne doit le permettre qu’aux esprits bien faits, aux cœurs aguerris, ; mais ils ne voyent pas, dès qu’on les supposent en cette heureuse disposition, qu’on puisse leur en faire un crime : il faut des amusemens dans la vie pour se délasser, sans quoi l’on perdroit les forces & le courage, & c’est là, disent-ils, l’état precisément à quoi les faux zélés voudroient nous réduire, en nous interdisant les Spectacles.
Saint Clement d’Alexandrie resoud cette difficulté, Mademoiselle, il est,
dit-il1, très-permis
de se délasser,
pourvû qu’on y fasse servir des recréations honnêtes ; or, on ne peut mettre
en cette classe les amusemens du Théâtre. Envain auroit-on embrassé la foi
chrétienne, si l’on prétend sécouer le joug qu’elle impose, si l’on court
après les voluptés, dont elle interdit l’usage ! Cette sorte de délassement
n’est ordinairement recherché que par les personnes désœuvrées, qui n’ont
aucun besoin de recréation, n’étant épuisées par aucun travail ni de corps
ni d’esprit, qui ne cherchent dans l’Amphithéâtre qu’un changement de
plaisir, un moyen de passer le tems ; elles consument en ce vain exercice un
tems précieux, dit Saint Jean Chrysostome1, mais dont leur
vie frivole
est toujours fort embarrassée. Supposé qu’après des occupations penibles, on
soit fondé à se divertir pour un moment, c’est sous la condition que l’on
s’y prendra d’une maniere innocente : lorsqu’il est permis de manger,
faut-il s’empoisonner par des alimens corrompus ? Quintilien parlant des
Comédies d’Aristophane, croit la recréation qu’elles procurent d’un trop
grand prix, dès qu’on ne sçauroit les entendre qu’aux dépens de l’intégrité
des mœurs.
Nimium risus pretium est1, si probitatis impendio
constat.
Tertulien & Saint Cyprien nous invitent à des Spectacles bien différens des vôtres, Mademoiselle, ils introduisent l’homme raisonnable & chrétien dans le Sanctuaire de la Religion & de la nature, pour charmer tour-à-tour sa raison & sa foi. Le premier objet est celui qui tombe sous les sens ; on est frappé d’étonnement dès que l’on ouvre un œil sur la beauté de l’Univers1.
Quoi de plus magnifique que le Soleil, lorsqu’en quittant le sein des ondes, ou perçant le sommet des montagnes, il s’éleve sur l’horison, chassant devant lui la frayeur & les ombres ! Son retour rend la vie à toute la nature ; les êtres étoient plongés pendant la nuit dans une espéce de néant d’où cet Astre les tire ; il répand ses rayons sur l’Hémisphére, comme une source abondante ; mais ses forces diminuent dès qu’il a fourni les deux tiers de sa carriere ; un nuage aussi beau que l’Aurore, l’accompagne jusqu’au bord de l’Océan, & se confond enfin avec les ténébres qui remplacent le jour. Bientôt la Lune ouvre les portes de l’Orient, elle conduit son char dans un profond silence : son emploi est de mettre par ses Phases un certain ordre dans la révolution des tems, elle domine sur les Etoiles, quoique moins brillante. Celles-ci sont au Firmament, comme autant de flambeaux que la main du Créateur a placés dans une distance respective, qui ne change point, pour marquer son immutabilité ; ces globes mobiles rendent un perpétuel témoignage à sa puissance, par leur immensité, puis à sa grandeur par leur élevation.
Si l’on abaisse ses regards vers la Terre, on la voit entremêlée de Plaines, de Vallons & de Montagnes ; celles-ci ont dans leurs entrailles profondes des réservoirs sécrets que les cataractes du Ciel entretiennent. Les Nuages y déchargent leurs eaux condensées, après en avoir abreuvé la Terre ; c’est là que les Fontaines ont pratiqué leurs sources, pour fertiliser ses Campagnes, & former par leur réunion les grandes Rivieres qui se précipitent dans la Mer. Cette vaste étendue d’eau pousse ses vagues sur le Rivage ; on diroit qu’elle va nous engloutir ; celui qui l’a créée a mis un terme qu’elle ne dépasse jamais. Quelle merveille ! Dans la succession réguliere du jour & de la nuit, celle des saisons ; la Pluie, les Nuages, le Tonnerre & les Ouragans, la légereté de l’Air, les Oiseaux qui le traversent avec tant de rapidité, les Poissons qui fendent les ondes, cette multitude innombrable d’Animaux qui vivent sur la terre, l’Homme enfin, ce Chef-d’œuvre des mains de Dieu, la seule Créature terrestre faite à son image & pour sa gloire. Ces différens objets font un groupe qu’on ne sçauroit assez admirer ; les plus beaux Théâtres du monde n’ont rien de comparable au Spectacle de la nature ; l’Or dont la main des hommes les a décorés, s’éclipse devant les feux célestes, il ne brille plus que de leur clarté refléchie.
Si des choses ravissantes que l’Univers étale à nos yeux, l’on passe aux objets que la Religion nous présente, quoi de plus auguste1 & de plus sublime ! Là, c’est un Dieu qui commande au néant, une seule de ses paroles suffit pour créer le monde ; ici, c’est l’homme rébelle, chassé du Paradis, déchu de sa gloire primitive, les ténébres de l’ignorance ont inondé son esprit, la corruption s’est glissée dans son cœur ; la plus excellente Créature qui vive sur la terre, est dominée par les êtres inférieurs qui sont chargés de le punir ; on lui promet un Redempteur dont la grace anticipée est accordée à tous les hommes, on assure un prix immortel à la vertu, & l’on ménace les impies d’une peine qui n’aura point de fin.
Cependant les passions se débordent, comme un fleuve empoisonné, & les vérités les plus consolantes & les plus terribles ne sont point capables d’en arrêter le cours : Dieu se répent d’avoir créé l’homme, il est forcé d’en noyer l’espéce dans les eaux du déluge ; une seule Famille est jugée digne de vivre, & de perpétuer sur la terre la race infortunée des Mortels. Tandis que l’ambition allume par-tout le feu de la guerre, qu’elle forme les Conquérans, établit les Empires sur les ruines de la liberté ; le Chef de la Nation sainte attiré des bords de l’Euphrate aux rives du Jourdain, en parcourt les Déserts montueux, logeant sous des tentes : Dieu lui découvre sa nombreuse postérité dans la sombre succession des tems à venir ; au fond de ce divin miroir, Abraham apperçoit le Libérateur promis, ses enfans passent en Egypte, pour s’y former en corps de Nation ; la plus dure servitude n’empêche pas leur population miraculeuse.
Mais quel Spectacle nouveau étonne & confond ma raison1 ! Moïse que les Israëlites auront pour Législateur, voit l’Eternel en un buisson ardent qui brûle sans se consumer ; il jette sa baguette devant Pharaon, laquelle est changée en Serpent, ce monstre disparoît aussi-tot sous la forme d’une baguette. Les Egyptiens trouvent l’eau du Fleuve changée en sang, à la priere du Prophéte le sang se retire, & les eaux récouvrent leur pureté. L’Armée Egyptienne environne les Hébreux au bord de la Mer rouge ; Moïse étendant la main écarte les eaux qui s’élevent de chaque côté, comme un mur de cristal ; le Peuple de Dieu au milieu des ondes, rencontre un chemin solide. Les Flots du Jourdain se retirent pareillement pour lui donner passage, lorsqu’il veut entrer en la terre promise ; le Fleuve remonte vers sa source : la Puissance divine qui repousse les eaux, les fait sortir à gros bouillons du milieu d’un Rocher, pour étancher la soif des Israelites ; on voit une pierre dure parmi les sables brûlans de l’Arabie, que les rosées du Ciel n’arrosent jamais, vomir tout-à-coup une Riviere miraculeuse. Les eaux de Mara perdent leur amertume, Moïse ayant jetté un bois mystérieux, le bitume dont la vase étoit pénétrée, se dissipe ou du moins il retire ses influences désagréables, pour rendre aux eaux leur douceur naturelle. Le fer de la Coignée échappé des mains d’un Prophéte, tombe dans le Jourdain, Elizée ayant prié, présente le manche ; aussi-tôt le fer nageant sur les Flots, vient de lui-même occuper sa premiere place.
Parcourez les Miracles du Conquérant de la Palestine, il ordonne au Soleil de s’arrêter, il fait tomber les murs de Jericho au son des Trompettes. Le Peuple cessant d’être fidéle, devient l’Esclave des Philistins ; les enfans de Loth établis aux environs de la Mer morte, accourent en foule pour enlever ses moissons & pour faire ses vendanges. A peine rentre-t-il dans le devoir, Dieu suscite des Juges qui le délivrent de l’oppression. Il est gouverné par des Rois, & depuis Samuel, la succession des Prophétes n’est pas interrompue ; les hommes remplis de l’esprit de Dieu, & dévorés par le zéle, ne cessent d’exhorter ce Peuple indocile, de le ménacer de la part du très-Haut qui fait venir enfin contre lui toutes les forces de l’Assirie & de la Chaldèe. Israël est puni d’une double captivité, qui met fin à son idolâtrie. Un nouveau Temple s’éleve sur les ruines de l’ancien après le retour des Juifs ; la pureté du culte se soutient, malgré la persécution d’un des Successeurs d’Alexandre : les Machabées chassent ce tyran, reprennent le Sceptre, qu’ils conservent jusqu’à l’usurpation d’Hérode. C’est sous son Regne que Jesus-Christ vient au monde. Contemplons les merveilles de sa Naissance & de sa vie, les circonstances édifiantes de sa Mort, la gloire de sa Résurrection, la Mission & le zéle de ses Disciples, leurs succès prodigieux ; sans lettres, sans crédit, ils établissent jusqu’aux extrémités du monde, la Religion d’un Dieu crucifié.
Admirons encore1 la reconciliation du genre humain, avec Dieu le Pere, par la médiation de son Fils, le triomphe de la vérité sur les nuages de l’erreur & de l’imposture, celui de la mortification sur la volupté, de l’humilité sur la gloire du monde, le mépris de la vie & des Richesses que la Religion nous inspire : nous foulons aux pieds les Dieux des Nations, nous chassons bien loin les Anges des ténébres ; ces victoires ne sont-elles pas bien plus flateuses que celles que l’on remportoit autrefois dans le Cirque ? Considérons le cours des années & des siécles, le tems qui s’envole ; Ecoutons le son de la Trompette qui va bientôt nous appeller, la voix de l’Ange qui se fait entendre pour nous animer au combat ; les Martyrs nous tendent les mains & nous présentent leurs Couronnes. Si nous aimons la saine doctrine, le Spectacle qu’elle nous offre est bien au-dessus des Lettres humaines : combien de Sentences profondes, de sublimes Cantiques dans les Livres saints ! Ce ne sont pas des fables qu’ils contiennent, la vérité s’y rencontre toute pure ; ce ne sont pas des strophes brillantes, où l’on ne cherche qu’à plaire à l’esprit ; c’est votre cœur que l’on prétend charmer. Quels combats plus nobles que ceux de nos Atlhétes ! Ils font voir la luxure abbattue sous les pieds de la continence, la perfidie vaincue par la fidélité, la cruauté par la douceur, la miséricorde triomphante de la vengeance, & la modestie de l’orgueil.
Le dernier avenement du Fils de Dieu est un nouveau Spectacle que Tertulien
n’a pas oublié1, il
met sous nos yeux la joie des esprits célestes,
la gloire des Saints, la rage des Démons, la confusion des réprouvés. Alors
commencera le Royaume éternel des Justes où les pauvres Lazares seront
reçus, d’où les Riches impies seront écartés. Jupiter & les Divinités du
Paganisme seront précipités dans les Enfers, & ces fameux scelerats dont
un amour insensé, une flatterie ridicule avoient fait l’apothéose : ceux qui
les ont adorés seront témoins de leur ignominie. Avec eux descendront dans
l’abîme, les sages, selon le monde, la vanité ayant corrompu leurs vertus ;
puis les Philosophes orgueilleux qui contestent au Tout-Puissant l’Ouvrage
de la Création ; qui blasphément contre la Providence, assurant que les
choses d’ici-bas ne dépendent point de Dieu, & que le monde est venu par
hazard, & s’en retournera de même. Les Poëtes
seront traînés, non pour être jugés par Minos ou Radamante, mais devant le
Tribunal d’un Juge qu’ils ont méconnu, qu’ils ont méprisé ; ils trembleront
de frayeur en sa présence. Il interrogera les Histrions & les Auteurs
dramatiques,
Tragædi & Histriones audiendi in
calamitate propriâ eloquentes
. Ceux-ci se reconnoîtront
coupables, non-seulement de leurs propres excès, mais encore d’une multitude
innombrable de crimes auxquels ils ont donné lieu : avec quelle éloquence
raconteront-ils leur infortune, exprimeront-ils leurs regrets & leur
désespoir ? Trouveront-ils au milieu de tant d’accusations des Avocats pour
les défendre, ou des Consuls pour les proteger, pour les dérober aux
supplices qu’on leur prépare.
Quis tibi Prætor aut
Consul præstabit ?
Ce Spectacle mûrement examiné apportera la réforme dans les mœurs que le Théâtre a corrompus, il inspirera du dégoût pour les amusemens profanes. Vous en serez touchée, Mademoiselle, surtout en le rapprochant des principes que je viens d’établir. Vous avez dû sentir tout le vice & le danger de votre état ; c’est un scandale perpétuel que la vie d’un Comédien ; quand on supposeroit en lui la probité, la bienseance, toutes les vertus qui plaisent dans le monde, elles composent un édifice sans fondement. Hors le sein de l’Eglise il n’est aucun sentier pour atteindre à la perfection, on ne rencontre que des voies où l’on s’égare, & quoiqu’on y coure à pas de Géans, les demarches que l’on fait sont inutiles.
Vous vous parez de titres de Chrétienne & de Citoyenne ; ces qualités font le mérite essentiel de l’homme ; on vit par elles devant Dieu & dans la société civile. Cette double vie est tout ce que nous avons de plus précieux, le reste est un accessoire dont on pourroit absolument se passer ; cependant la profession que vous exercez vous fait perdre l’une & l’autre ; l’Excommunication est une mort spirituelle que vous ne pouvez éviter, la peine d’infamie vous fait mourir aux yeux des hommes, malgré les applaudissemens dont on vous berce, & la sorte de gloire qui vous couvre de ses aisles. C’est une gloire impuissante, qui n’est nullement capable de vous garantir ; elle fuit devant le double glaive qui vous frappe d’une maniere aussi funeste que deshonorante. Vos Adorateurs sont peut-être ce qu’il y a de plus brillant dans le Royaume ; mais aussi tout ce que la Religion & l’Etat ont de moins solide, la partie la moins saine & la moins utile en tout genre ; ce sont des génies frivoles à qui la passion fascine les yeux, & qui ne voyent aucun objet en son vrai point de vûe. Quelques-uns sentent bien, quoiqu’ils assurent le contraire, qu’il n’est pas possible de vous justifier, dès que l’on écoute la raison & la foi. Fermez l’oreille à ces imposteurs qui vous annoncent la paix où elle ne se rencontre pas : cherchez-la plutôt dans la doctrine des Saints ; la sécheresse du stile ne doit pas vous rebuter, sous cette écorce désagréable vous trouverez une onction parfaite, & la douceur du miel cachée sous des feuilles d’Absinthe. Je suis, Mademoiselle, &c.