Comédie.
Dans l’usage ordinaire, on prend le nom de Comédie pour toute sorte de poème dramatique ; c’est-à-dire, pour tous les ouvrages qu’on destine au Théâtre, soit Comédie, Tragédie, Tragi-comédie ou Pastorale. Mais proprement la Tragédie est une représentation grave et sérieuse d’une action funeste qui s’est passée entre des personnes que leur grand mérite relève au-dessus du commun des hommes ; et le plus souvent c’est entre des Princes et des Rois. La Tragi-comédie nous met devant les yeux de nobles aventures entre des personnes menacées de quelque grande infortune, qui se trouve suivie d’un heureux événement. La Comédie est une représentation naïve et enjouée d’un événement agréable entre des personnes communes, à quoi l’on ajoute souvent une douce satire pour la correction des mœurs. La Pastorale n’a pour objet qu’une aventure amoureuse de Bergers et de Bergères, et tire son origine de l’Eglogue. C’est une sorte de poème dramatique qui a été inconnu aux Anciens, et qu’on croit avoir été inventé par le Tasse l’an 1573.
Quant à l’origine de la Comédie, quelques-uns croient qu’elle est un effet de la sagesse des Grecs, qui dans la politique aussi bien que dans les sciences, ont été les maîtres des Romains et des Gaulois, et qui ont porté les belles lettres à Rome et à Marseille. Leurs Législateurs qui travaillaient sérieusement à instruire les hommes, et à leur enseigner la politesse et la vertu par toutes sortes de moyens, s’avisèrent de donner au peuple des spectacles publics, entre lesquels la Comédie était des premiers ; tant pour ôter à ceux qui vivaient dans l’oisiveté, la pensée et le temps de former des cabales contre l’Etat, que pour instruire le peuple et le porter par des exemples qu’on lui donnait, à la haine du vice et à l’amour de la vertu. C’est d’où procède l’artifice de ces pères, qui pour donner de l’horreur de l’ivrognerie à leurs enfants, faisaient boire par excès leurs domestiques, et les produisaient devant eux en cet état où ils faisaient des postures ridicules. Sur quoi l’on a fait cette observation, que les Rois qui sont les pères des peuples, ont trouvé de même à propos qu’il y eût des gens dévoués au service public, pour nous représenter naïvement un avare, un ambitieux, un vindicatif, et nous donner de l’aversion pour les défauts. Les Romains ne jugèrent pas la Comédie moins utile que les Grecs : ce que Cicéron témoigne dans la cause du Comédien Roscius qu’il défendit avec ardeur. Mais quoiqu’elle soit introduite à présent dans toute l’Europe, et que les Espagnols et les Italiens en fassent un des ornements de la solennité des plus grands jours, néanmoins les Docteurs les plus habiles en blâment généralement l’usage ; il y a plusieurs traités excellents qui ont été publiés sur ce sujet, et c’est cette question qui fait la matière des Cas suivants proposés à Messieurs de Sorbonne.
Comme il est parlé dans le Cas qui suit d’un Arrêt du Parlement de Paris du 9. Décembre 1541. qui défendit aux Maîtres de la Confrérie de la Passion établie à l’Hôtel de Bourgogne, de jouer leurs Pièces, quoique saintes, jusqu’à ce que le Roi en eût autrement ordonné : Il est à propos de rapporter ici quel fut l’origine de la Comédie en France. Elle vient d’une Confrérie de la Passion qui fut fondée avant l’année 1402. en l’Eglise de la Trinité à Paris, rue Saint Denis. Les Confrères représentaient en certains jours dans des lieux particuliers les Mystères de la Passion et de la Résurrection de Notre-Seigneur, et les martyres de quelques Saints ou Saintes. Ils en avaient fait quelques représentations devant le Roi Charles VI. qui leur permit de les continuer publiquement, en y appelant quelques-uns de ses Officiers. Et parce que c’étaient les Confrères qui en ce temps-là jouaient eux-mêmes, il leur fut encore permis par des Lettres Patentes de 1402. d’aller et de venir par la Ville, habillés suivant le sujet et la qualité des Mystères qu’ils devaient représenter. Après cette permission ils eurent une salle à la Trinité, qui fut appelée la salle de la Passion, où ils firent les représentations de leurs Pièces jusqu’en 1541. que le Parlement leur défendit de jouer, jusqu’à ce que le Roi en eût autrement ordonné, parce que suivant le Plaidoyer de M. le Maître, pour lors Avocat Général, l’on mêlait dans ces Comédies de piété des farces et des discours lascifs au commencement et à la fin pour attirer ou divertir le peuple.
En 1545. la salle de la Passion fut ôtée aux Confrères ; et il fut ordonné par un Arrêt du Parlement qu’elle servirait à loger des pauvres. Alors ces Confrères de la Passion choisirent un autre lieu ; et en 1548. ils achetèrent la place et les masures de l’Hôtel de Bourgogne, où ils firent bâtir les édifices qu’on y voit encore à présent. Le Parlement leur permit d’y continuer leurs représentations, à la réserve du Mystère de la Passion, et des autres Mystères sacrés, (ce sont les termes de l’Arrêt de 1548.) avec défenses à tous autres de jouer ou représenter aucune histoire, sinon sous le nom et au profit de cette Confrérie. Ainsi l’on ne vit plus ces représentations dévotes qu’une pieuse simplicité de ce temps-là avait introduites et tolérées. Comme la direction des spectacles et du théâtre ne s’accordait pas avec cet Institut des Confrères de la Passion, il est à croire que cette permission et ce privilège ne leur fut donné que dans la vue d’abolir peu à peu cet exercice. En effet ils louèrent cet Hôtel aux Comédiens Italiens et Français, qui furent obligés de se servir de ce lieu, sans pouvoir jouer ailleurs ; et se contentèrent d’y réserver une loge pour eux en 1676. Le revenu de cette Confrérie fut uni à l’Hôpital.
Vers la fin du mois de Décembre de l’année 1693. quelques difficultés s’étant formées dans une Paroisse de Paris touchant la Comédie, on jugea à propos de consulter en Sorbonne quelques Docteurs, pour les prier d’en dire leur Sentiment. Ces Messieurs crurent qu’on ne pouvait les résoudre sans en venir au fond, et sans examiner la question principale, qui est celle de la Comédie même ; ce qu’ils firent dans le cas suivant, en appuyant leur résolution par les raisons les plus solides. Ce qui y donna occasion fut la lettre d’un Théologien, qui fut imprimée à la tête des Œuvres de M. Boursault, pour justifier la Comédiea. Ce Théologien sur le bruit que fit cette lettre dans le public, la désavoua dans une autre lettre qu’il écrivit à M. de Harlay pour lors Archevêque de Paris : et c’est ce qui produisit tous ces Ouvrages qui parurent alors sur cette matière.
Questions concernant la Comédie.
CAS I.
I. La Comédie comme une chose de soi indifférente, qui n’est ni bonne ni mauvaise, doit être condamnée dans son usage et avec ses circonstances.II. Si la Comédie est mauvaise, tous ceux qui y coopèrent d’une manière prochaine et déterminée, pèchent grièvement, et particulièrement ceux qui composent pour le Théâtre.
III. L’Opéra est d’autant plus dangereux, que l’âme y est plus susceptible des passions qu’on y veut exciter à la faveur de la musique.
IV. On n’y doit pas aller par une simple complaisance pour ses parents.
Demande.
Messieurs les Docteurs de Sorbonne sont priés de donner leurs avis sur les quatre demandes qui suivent. 1°. Ce que l’on doit dire des Comédiens, et de ceux qui assistent à la Comédie ?
2°. Des Auteurs qui composent les Pièces pour le Théâtre, et généralement de tous ceux qui coopèrent à la Comédie ?
3°. Si l’on doit dire la même chose de l’Opéra ?
4°. Si une personne peut aller à la Comédie par une simple complaisance pour ses parents ?
Les raisons de douter, sont que les spectateurs de la Comédie sont comme en possession de jouir d’un divertissement qu’ils trouvent déjà établi. Leur possession est certaine ; il faut donc des raisons certaines pour les en déposséder : or il ne se trouve rien de certain et d’incontestable jusqu’à présent, qui puisse les faire déchoir de ce droit.
En troisième lieu, l’on peut regarder la représentation d’une Comédie comme celle d’un tableau ; plus il est animé, plus on le regarde avec plaisir ; on admire l’art du peintre, sans se laisser toucher des choses qu’il représente. Voilà justement ce qui se passe dans la Comédie pour l’ordinaire : la vue et l’imagination se satisfont de cette représentation vive et naturelle que fait le Comédien, sans y intéresser le cœur ; on loue l’Acteur et son action, sans approuver la chose qu’il représente.
Si l’on appréhende que ces passions dont nous parlons ne fassent impression sur les faibles, il faut leur défendre d’aller à la Comédie, et non point aux autres ; ou bien l’on peut insérer dans la Comédie quelques traits forts et vifs qui donnent le dessus à la vertu en condamnant le vice, à l’imitation de Virgile, qui ayant dépeint Neptune dans l’impétuosité de sa colère, lui fait prendre ensuite le parti de la douceur : cela se pratique dans beaucoup de Comédies d’à présent ; ou si l’Auteur de la Comédie ne le fait point, le spectateur le peut faire lui-même. Jamais personne n’a pris pour règle de conduite ce qu’il a vu représenter sur un Théâtre et dans une Comédie. On regarde cela comme une histoire ou une aventure représentée au naturel, dont la représentation et l’idée disparaît entièrement dans le même moment que le rideau est tiré. Enfin si l’on condamne la Comédie, on doit condamner pareillement les Tragédies de Collège.
A l’égard des Ouvriers qui travaillent pour la Comédie, on ne peut point les condamner. Ils ne prétendent coopérer qu’à une chose bonne en elle-même, et qui ne devient mauvaise que par la malice de ceux qui l’exercent : Ils voient cette Comédie publiquement exercée et tolérée. Etant Ouvriers, ils ne songent qu’à gagner leur vie en exerçant un métier et une fonction que d’autres feraient : ainsi on pourrait dire à ces Ouvriers de se tenir en repos, et de rejeter la faute sur ceux qui abuseraient de leur Profession. La source de la damnation, dit Tertullien en parlant des Comédiens, est le mauvais usage de sa condition ; et au pis aller on pourrait ce semble les réduire à en juger de même que d’un valet dont le maître prête quelquefois à usure, ou d’un Marchand qui vend des cartes à des personnes qu’on soupçonne tromper quelquefois au jeu.
Reponse.
Le Conseil de Conscience soussigné estime, que les demandes de l’exposé dépendent d’une principale, qui est de savoir si la Comédie est une chose permise ou non ?
D’où vient que Saint Chrysostome dit que la vue de ces spectacles rend les personnes impudiques et effrontées.» L’on voit tant par la fin que se propose Saint Thomas, que par les paroles qu’il rapporte de Saint Chrysostome, qu’il parle de la Comédie dans la pratique, et comme elle se représentait de son temps. L’on montrera encore ceci davantage, lorsque dans la suite on parlera de Saint Louis, qui chassa les Comédiens de son Royaume, et sous le règne duquel vivait Saint Thomas.
Il est vrai que ce Saint Docteur dans le lieu cité de la question 168. marque de certaines conditions qui pourraient rendre l’usage de la Comédie licite, si elles étaient observées ; mais d’ordinaire elles ne le sont pas. On ne peut donc rien conclure de la doctrine de Saint Thomas en faveur de la Comédie, sinon qu’elle n’est point de soi mauvaise ; mais dans son usage, elle a toujours été condamnée par les Saints Pères et par les Canons de l’Eglise.
On ne peut pas dire de la Comédie ce que l’on dit de certaines choses indifférentes, comme par exemple, de l’or, de l’argent, du fer, etc. Quand on s’en sert mal, cela vient de la mauvaise disposition de ceux qui s’en servent, souvent on fait un bon usage de ces choses, souvent on en fait aussi un mauvais : c’est pourquoi quand Tertullien et les autres Pères ont comparé le désir déréglé de l’or et de l’argent avec le plaisir de la Comédie, et qu’ils ont condamné l’un et l’autre, ils n’ont pas supposé pour cela, que comme on peut faire un bon usage de l’or, de l’argent, on peut faire de même de la Comédie dans la pratique.
Les Pères ont condamné les Comédies, soit à cause de l’idolâtrie ou de l’impureté dont elles étaient remplies, soit par la raison générale qu’elles portent ordinairement à la corruption des bonnes mœurs, comme à exciter et à enflammer notablement les passions, quelque soin que l’on ait apporté de temps en temps pour en réformer les abus. Ce qui marque la vérité de la proposition avancée, que la Comédie moralement parlant et dans son usage ordinaire, est mauvaise ; ce qui fait que jusqu’à présent on l’a toujours défendue aux fidèles. Que l’idolâtrie ait été une des raisons pour laquelle on a condamné la Comédie dans les premiers siècles, c’est une proposition dont on demeure d’accord ; mais les Saints Pères l’ont encore condamnée par les autres raisons rapportées plus haut, et encore par celle-ci qui est générale, qu’ordinairement la Comédie corrompt les bonnes mœurs, soit par rapport aux sujets qui y sont représentés, soit par rapport aux circonstances mauvaises qui en sont inséparables dans la pratique. Il n’est donc pas vrai, comme on va le prouver, que les Pères des premiers siècles en condamnant les spectacles, n’ont eu en vue que l’idolâtrie dont leurs siècles étaient souillés ; ou qu’ils ont supposé qu’elle ne méritait d’être condamnée, que parce qu’il y avait toujours beaucoup d’impuretés et de dissolutions.
Tertullien dans son Livre des Spectacles la condamne en plusieurs endroits par des raisons si précises, qu’on peut s’en servir tant pour condamner les Comédies du temps présent, que pour répondre aux raisons de ceux qui en entreprendraient la défense.
Laissons là, dit-il, tout ce qui s’appelle idolâtrie, quoique néanmoins cela devrait suffire pour abolir entièrement les spectacles, examinons-en la question par d’autres raisons, comme de surcroît.» Et sur ce que quelques-uns prétendaient que l’Ecriture ne parlait point de spectacles, et par conséquent qu’ils ne devaient point être défendus, Tertullien montre que l’Ecriture les défend, lorsqu’elle condamne la concupiscence du siècle : «
Comme si, dit-il, les spectacles n’y étaient pas assez condamnés dans la condamnation qui se trouve dans l’Ecriture sainte des concupiscences du siècle.» Tertullien prouve par d’autres raisons dans les chapitres suivants, que les spectacles sont défendus.
Car, dit-il, l’esprit de l’homme n’est pas assez insensible pour n’être point agité de quelque passion secrète, même dans l’usage le meilleur et le plus modéré des spectacles. Personne, continue-t-il, ne veut jouir du plaisir qui s’y trouve sans quelque passion, et cette passion ne se fait point ressentir sans quelques chutes.» Enfin il conclut, en disant que ceux qui en sont spectateurs, et qui y prennent plaisir, se rendent coupables des crimes qui y sont représentés. «
Pour ce qui est , dit-il, de nous autres Chrétiens, il ne nous suffit point de nous exempter de faire de telles choses, si en même temps nous ne prenons garde à ne point consentir à ceux qui les font.»
Peut-onb , dit-il, un aveu plus fort de la méchanceté de ces spectacles, que la note d’infamie qui est attachée à ceux qui les font, quelques plaisants et agréables qu’ils soient d’ailleurs» : D’où il infère que si les hommes les traitent de cette manière, Dieu punira ces Acteurs bien autrement.
Le refus , dit-il, qu’un homme fait d’aller aux spectacles, est la marque par laquelle les Païens reconnaissent qu’il est devenu Chrétien, pour nous marquer que l’instinct de la Religion Chrétienne doit éloigner du Théâtre ceux qui en font profession.» En effet, comme remarque ce même Auteur, un Chrétien doit toujours en avoir les sentiments dans le cœur, ce qu’il ne peut pas lorsqu’il assiste à ces sortes de divertissements ; pourra-t-on penser à Dieu dans un temps et dans un lieu où il n’y a rien qui ait rapport à lui ?
Supposé, dit encore Tertullien, qu’il y ait dans les spectacles quelque chose d’honnête, de généreux, etc. les Chrétiens ne les doivent regarder que comme un miel envenimé dont ils ne peuvent goûter, sans courir le péril de se donner la mort.» «
Je veux, dit-il, que dans ces spectacles tout y soit honnête et généreux ; néanmoins ne laissez pas de considérer ce qui s’y passe comme des rayons de miel tirés d’un vase envenimé, et que l’amour du plaisir n’ait pas tant de pouvoir sur vous, que la crainte qu’il y a dans sa douceur.»
Chaque chose, dit-il, a ses différents états ; maintenant les Païens se réjouissent, tandis que nous autres Chrétiens nous sommes dans le combat. Les gens du siècle, dit l’Ecriture, se réjouiront, et vous vous serez tristes : Demeurons donc dans la tristesse, pendant que les Païens se réjouissent, afin que lorsqu’ils commenceront à pleurer, nous commencions à nous réjouir, et de crainte qu’en nous réjouissant avec eux, nous ne pleurions un jour avec eux-mêmes. L’esprit du Christianisme consiste encore à obtenir le pardon de ses péchés, il consiste dans la connaissance de la vérité, et dans le mépris même des plaisirs. Y a-t-il rien, dit encore le même Tertullien, de plus agréable que d’être réconcilié avec Dieu, d’avoir une parfaite connaissance de la vérité, que de reconnaître ses erreurs, et d’avoir la rémission de ses péchés passés.» Quel plus grand plaisir peut-on avoir, que celui que l’on trouve dans le dégoût du plaisir même ? C’est dans le 29. chapitre du même traité des spectacles.
Quand ces spectacles, dit ce Père, ne seraient point dédiés aux idoles, les Chrétiens ne devraient point pour cela les fréquenter et y assister : car quoiqu’ils n’eussent rien de criminel, ils contiennent toujours une vanité très grande et peu convenable à des Chrétiens.» L’on ne peut pas dire que ce Père suppose en cet endroit que les Comédies soient sans péché, ou qu’elles ne soient opposées qu’à la perfection chrétienne ; car il montre ensuite, que l’homme fidèle doit fuir tous les spectacles, à cause du penchant qu’il a au mal ; il les regarde comme une occasion prochaine de tomber : «
Car, dit-il, l’esprit de l’homme ayant une pente naturelle vers le mal, que deviendra-t-il s’il a devant les yeux des exemples d’une nature fragile ? que fera en lui cette nature qui d’elle-même n’est capable que de tomber, si elle vient à être poussée ? on doit retirer son esprit de ces sortes de choses ; le Chrétien peut, s’il le veut, trouver des spectacles plus solides et meilleurs.»
Jetez , dit-il, les yeux sur les différents endroits contagieux des spectacles, voyez si vous pourrez rien trouver sur le Théâtre qui ne puisse en même temps exciter en vous la douleur et blesser la pudeur.»
C’est dans ces assemblées, dit-il, où les personnes de différent sexe se trouvent, et où les hommes et les femmes s’accoutumant à se regarder trop librement, donnent lieu à des mouvements et à des désirs qui ne servent qu’à irriter davantage la concupiscence : le loisir qu’ils prennent pour se donner un divertissement qui leur doit servir de relâche, est une occasion qui augmente en eux le feu des passions.» Il conclut que ces spectacles doivent être défendus, dans lesquels on ne voit que des choses malhonnêtes, où l’on n’entend que des paroles bouffonnes et vaines, où les représentations sont contre la pudeur, où les Comédiens et les Farceurs disent des paroles très libres pour faire rire.
Ils vont, dit il, avec tant d’ardeur, écouter certaines chansons qui ne respirent que la mollesse, qui ne tendent qu’à corrompre les mœurs, et qui font naître dans l’esprit des Auditeurs, déjà assez effrénés d’eux-mêmes, toutes sortes d’impudicités, de telle manière qu’il ne peuvent jamais se rassasier de ces chansons.» Il ajoute ensuite, que ces spectacles sont des écoles publiques d’impureté. «
Je crois, dit-il, qu’ils ne savent pas que l’orchestre où tous les spectateurs se voient fréquemment, est comme une école publique d’incontinence pour tous ceux qui y vont avec tant d’empressement.» Et dans l’Homélie 24. touchant la lecture des livres des Païens vers la fin, il dit : que pour conserver la pureté de son âme, il faut éviter le plaisir des sens, qu’il faut fuir à cette fin les spectacles et la musique que l’on y chante, qui n’est propre qu’à corrompre l’âme, et à irriter les passions. «
Il ne faut point, dit-il, être curieux de voir ces spectacles, et les vaines représentations de ces Charlatans ; il ne faut point non plus prêter l’oreille à ces airs qui ne tendent qu’à corrompre l’âme : car cette espèce de musique ne porte point ordinairement d’autre fruit que l’esclavage et la dégradation de l’âme, outre cela elle irrite les passions. Et il conclut en disant : Nous avons une autre musique bien meilleure que celle-là, et qui nous porte à nous attacher à des choses bien plus excellentes.»
Dans les Théâtres , dit-il, il n’y a que des ris dissolus, des choses honteuses, qu’une pompe diabolique, qu’une dissipation d’esprit, qu’une perte de temps, que des projets d’adultère : ce n’est qu’une Académie d’impureté, et une école d’intempérance. C’est pourquoi, dit ce Père, les Théâtres causent dans les Villes de grands maux, que l’on ne comprend pas.» Dans l’Homélie 3. de Saul et David, le même Saint Docteur expliquant ces paroles du chap. 5. de Saint Matthieu, Celui qui voyant une femme concevra un mauvais désir envers elle, a déjà commis le péché dans son cœur ; ce Père parle du danger qu’il y a d’assister à la Comédie, par rapport aux femmes qui paraissent sur le Théâtre. «
Si une femme négligemment parée, dit-il, qui passe par hasard dans la place publique, blesse souvent par la seule vue de son visage celui qui la regarde avec trop de curiosité ; ceux qui vont aux spectacles, et non par hasard, mais de propos délibéré et avec tant d’ardeur, qu’ils passent un temps considérable à regarder des femmes infâmes, auront-ils l’impudence de dire qu’ils ne les voient pas pour les désirer, lorsque leurs paroles dissolues et lascives, leurs voix et leurs chants impudiques, les portent à la volupté ?» C’est pourquoi ce même Saint dit que les spectateurs des Comédies ont tort de se plaindre de ce qu’on leur a interdit l’entrée de l’Eglise, et de participer à la Communion de cette sainte Assemblée. «
Comment ces gens-là, dit ce Père, pourront-ils prétendre d’approcher des lieux saints, et participer aux biens de cette illustre Assemblée, sans avoir auparavant fait pénitence ? Il conclut en disant : J’exhorte, je prie ceux qui vont aux spectacles, de se purifier par la Confession et par la pénitence, et par tous les autres remèdes salutaires, des péchés qu’ils y ont contractés, afin qu’ils puissent être admis à entendre la parole de Dieu ; car ces péchés ne sont pas médiocres.» Dans l’Homélie 38. sur le même chap. 5. de Saint Matthieu vers la fin, il dit que les Acteurs des Comédies ont été déclarés infâmes par les lois des Anciens.
Alors, dit-il, lorsque je fréquentais le Théâtre, je me réjouissais avec les amants, lorsqu’ils accomplissaient leurs mauvais désirs ; ce qu’il condamne ; et il ne faut pas en être surpris, parce que j’étais, dit-il, une brebis malheureuse et égarée de votre troupeau, parce que je ne pouvais souffrir d’être sous votre conduite, Seigneur.» Dans le 2. chap. de la Cité de Dieu, chap. 9. ce même Saint Docteur, parlant encore des Comédies en général, rapporte ce qui avait été dit autrefois par un Ancien, que jamais on ne les eût approuvées, ni les crimes qu’elles représentent, si les mœurs des hommes qui étaient souillées des mêmes vices ne les eussent souffertes.
Les autres péchés, dit-il, ne corrompent ordinairement qu’une portion de notre âme ; mais celui que l’on commet, lorsqu’on assiste aux spectacles, souille et infecte toutes les puissances de l’âme, le cœur par les concupiscences, les oreilles par les choses qu’on y entend, et les yeux par celles qu’on y voit.» Il ajoute, que dans les Théâtres on représente les pompes du diable auxquelles un Chrétien a renoncé dans le Baptême ; de sorte que, dit-il, «
c’est une espèce d’apostasie que d’aller aux spectacles, et une prévarication mortelle.» Or dans la pensée d’un ancien Auteur parmi les ouvrages de Saint Augustin, par les pompes du diable, on doit entendre les vanités du siècle, et tout ce qui peut exciter au-dedans de l’homme l’ambition et les mauvais désirs de la chair. «
Les pompes du démon , dit cet Auteur, sont les désirs de la chair, les désirs des yeux, et les ambitions du siècle.»
Si l’on examine quel a été l’esprit de l’Eglise dans les Conciles, l’on verra qu’il n’a pas été différent de celui des Pères, et qu’ils ont condamné les spectacles et les Comédies par les mêmes raisons tant particulières que générales.
Si un Comédien veut embrasser la foi, il doit auparavant quitter son exercice : Que si nonobstant cet interdit et cette défense il voulait exercer sa Profession, qu’il soit chassé hors de l’Eglise.» Et dans le Canon 67. «
On défend aux femmes fidèles et catéchumènes d’épouser des Comédiens : celle qui le fera, dit le Canon, qu’elle soit privée de la Communion.»
Pour ce qui est des Joueurs de Théâtre, Nous voulons qu’ils soient privés de la Communion, tant qu’ils en feront profession.»
Toutes personnes, dit ce Canon, qui ont quelque tache d’infamie, c’est-à-dire, les Comédiens, et autres gens de profession honteuse, ne seront point reçus à former aucune accusation.» Il est vrai que dans le Canon 61. de l’Eglise d’Afrique, on demande aux Empereurs Théodose et Valentinien, qu’ils défendent les spectacles aux jours de Dimanches et autres grandes Fêtes de la Religion Chrétienne : mais cela ne prouve pas que l’Eglise ait cru qu’ils fussent permis les autres jours, puisqu’il est marqué dans ce Canon que ces spectacles sont contraires aux Commandements de Dieu. «
Qu’il ne soit pas permis, dit le Canon, de forcer aucun Chrétien à aller à ces spectacles qui sont contre les Commandements de Dieu.» L’Eglise en usa avec cette modération pour lors, parce que l’attachement du peuple pour ces spectacles était trop grand pour les défendre tout à fait.
Si quelque Ecclésiastique, dit-il, contrevient à ce Décret, qu’il soit déposé, dit le Concile ; et s’il est Laïc, qu’il soit excommunié.»
Les Ecclésiastiques doivent s’abstenir de tous les attraits qui flattent les oreilles et les yeux, et qui en les flattant amollissent la vigueur de l’âme ; ce que l’on peut ressentir dans de certains airs de musique, et dans quelques autres choses ; et ils doivent s’en abstenir, parce que par les charmes des oreilles et des yeux, le vice entre dans l’âme.»
Que l’on chasse, dit ce Manuel, toutes les personnes infâmes, comme sont les voleurs, les femmes débauchées, les Comédiens, les Bateleurs … et tous ceux qui ont une fort mauvaise réputation dans le public, avec qui l’Apôtre nous défend de demeurer et de manger.» Dans le même Manuel au titre des dispositions pour recevoir les Ordres, on lit ces mots : «
Que l’on prenne garde que ceux qui se présentent à l’Ordination ne soient souillés d’aucuns de ces crimes, dont doivent être exempts ceux que les saints Canons veulent que l’on ordonne ; par exemple, si un Comédien se présentait, un bouffon, un hérétique.»
c’est un jeu non d’enfant, mais un jeu qui est une occupation sérieuse, et digne d’attirer les regards des esprits célestes ; que ce n’est pas un jeu qui ressemble à celui des Théâtres, qui n’est propre qu’à irriter les passions par la représentation des intrigues des femmes et des choses impures.» Il ne s’ensuit donc pas que Saint Bernard, pour n’avoir pas souhaité plus de mal à ceux qui assistent aux Comédies, qu’une soif ardente de courir toujours après, n’y ait trouvé qu’une simple vanité, comme les défenseurs de la Comédie le prétendent.
Dans le siècle où nous vivons, dit ce savant Evêque, où l’on est fort adonné à tout ce qui ressent la fable et la bagatelle, on ne se contente pas de prostituer ses oreilles et son cœur à la vanité ; mais on est encore ravi de charmer sa paresse par le plaisir des oreilles et des yeux, on est ravi d’enflammer la luxure, en cherchant à fomenter le vice. La paresse est à fuir comme un écueil dangereux ; mais les Comédiens entretiennent les hommes dans cette paresse : car des esprits sans occupation s’ennuyeraient bientôt, et auraient peine à se souffrir eux-mêmes, s’ils n’étaient flattés dans leur oisiveté par le ressentiment de quelque plaisir. C’est donc pour cela que les spectacles ont été introduits, avec mille autres apprentissages de vanité, dans lesquels on trouve une espèce d’occupation bien plus pernicieuse qu’une entière oisiveté : il valait bien mieux demeurer oisif, que de s’occuper d’une manière honteuse.»
Dupleix au chap. 1. de la vie de Philippe Auguste qui vivait au XII. siècle, le même dans lequel vivait aussi Saint Bernard, rapporte que ce Prince consacra les prémices de sa Royauté à la gloire de Dieu, en chassant de sa Cour les Comédiens, comme gens qui ne servent qu’à efféminer les hommes et à les exciter à la volupté par des mouvements, des discours et des actions sales et lascives.
On peut dire en cet endroit, pour fortifier davantage ce qui a été remarqué ci-devant de la doctrine de Saint Thomas touchant la Comédie, qu’il n’y a guère d’apparence que ce saint Docteur eût voulu parler dans ses écrits de la Comédie selon l’usage commun et ordinaire dont on la représentait de son temps, et la justifier : pendant que Saint Louis qui estimait sa doctrine, qui prenait autant qu’il pouvait ses avis, et les suivait toujours, chassait les Comédiens de son Royaume, Il est donc constant que quand Saint Thomas a dit que l’exercice des Comédiens et de la Comédie était licite, il n’a jamais voulu parler que de cet exercice, considéré en lui-même, et non de la manière dont on le pratique ordinairement.
Mais lorsque les Comédiens , dit cet Auteur, se servent de leur profession pour représenter des choses déshonnêtes, pour blâmer ou pour se moquer des personnes consacrées à Dieu, c’est un péché ; et l’on doit quitter cet exercice comme étant illicite. C’est pareillement un péché de regarder ces représentations ; ainsi que Saint Augustin le déclare dans ses Commentaires sur Saint Jean et sur le Psaume 102. d’où l’on tire le Canon Donare, dist. 86.»
Et de regarder volontairement, dit-il, ces sortes de choses, c’est un péché mortel, tant parce que c’est prendre plaisir à des choses sales, que parce que le spectateur s’expose de plein gré au péril de la tentation. Il n’est pas nécessaire qu’une chose soit beaucoup déshonnête pour être une occasion de tentation, il suffit qu’elle soit déshonnête.» Saint Antonin appelle des choses beaucoup déshonnêtes, par rapport à celles qui ne le sont que légèrement : autrement il s’ensuivrait qu’on ne pècherait point à représenter des choses déshonnêtes et à les voir ; ce qui est contre le sentiment des Pères et celui des Théologiens : on doit expliquer ce qu’a dit Sylvestre sur le mot Ludus, §. 8. dans le même sens. En effet cet Auteur parlant ailleurs de la profession des Comédiens, dit que si les représentations sont de choses déshonnêtes, c’est un péché mortel pour ceux qui les font ou qui y assistent. «
C’est, dit-il, un péché mortel, si ces représentations se font par exemple avec des paroles sales, ou avec des actions déshonnêtes, ou avec des enchantements, parce qu’à ces sortes de gens on leur refuse la participation du Corps de Jésus-Christ, comme il est rapporté dans le chap. Pro dilectione, dist. 2. de Consecratione ; et par le chap. Qui venatoribus ; dist. 86. où S. Augustin dit que c’est un grand péché de donner de l’argent à ces sortes de personnes, il veut dire aux Comédiens, pour leur peine, parce qu’on les entretient dans leur crime : et c’est un péché qui paraît mortel, parce que par là on coopère à une action qui est péché mortel.»
L’on pourra peut-être croire qu’en approchant plus près du siècle présent, les Théâtres se sont purifiés et ont beaucoup changé ; mais on en peut juger par ce qui s’est passé du temps de S. Charles, et depuis lui jusqu’à notre temps.
Ils prendront garde, dit S. Charles, de ne point assister à toutes ces représentations fabuleuses, aux Comédies, à certains exercices d’armes, aux autres spectacles vains et profanes, de crainte que leurs oreilles et leurs yeux qui sont consacrés aux divins Offices, ne soient souillés par ces actions et par ces paroles bouffonnes et impures.» De la manière dont ce Saint parle de la Comédie, on ne peut pas dire qu’elle ne soit défendue qu’aux Clercs : de même quand il dit au titre de la Célébration des Fêtes, nomb. 11. et 12. du III. Concile de Milan, que la Comédie doit être défendue aux jours de Fêtes, du moins aux heures du Service divin ; on ne peut pas conclure légitimement qu’elle soit permise aux autres jours ; car Saint Charles apporte des raisons générales qui prouvent qu’elle est défendue à toutes sortes de personnes et en tout temps : elle doit néanmoins être plus défendue aux Ecclésiastiques, qui sont des personnes attachées à l’Eglise, qu’aux Séculiers ; et elle doit être plus défendue aux heures du Service qu’en tout autre temps.
Nous avons, dit-il, jugé à propos qu’il était bon de remontrer aux Princes, et d’avertir les Magistrats qu’il fallait chasser hors de leurs terres les Comédiens, les Farceurs, les Bateleurs, et tous ces hommes perdus qui sont de ce genre.» Après cela on ne sait pas comment on peut avancer, comme on a fait, que S. Charles n’a jamais condamné la Comédie et les Comédiens, que l’on la représente aux jours de Fêtes et aux heures du Service.
Ils leur représenteront continuellement, dit ce saint Cardinal, combien les spectacles, les jeux et les divertissements semblables qui tirent leur origine du Paganisme, sont contraires à la discipline de l’Eglise. Chaque Prédicateur en donnera de l’horreur, les détestera, et montrera combien ils attirent de maux sur le peuple Chrétien.» Saint Charles ordonne ensuite que chaque Prédicateur, pour persuader plus efficacement le peuple de tous les maux que produit la Comédie, il emploiera les preuves dont se sont servis ces grands personnages ; savoir, Tertullien, Saint Cyprien Martyr, Salvien, et Saint Chrysostome. Pour comprendre la force de ce passage, et les conséquences que l’on en peut tirer, il faut faire trois réflexions.
La première est, qu’il n’est pas vrai, comme le prétendent ceux qui prennent la défense de la Comédie, que les Pères des premiers siècles n’aient condamné la Comédie, que par la raison seule de l’idolâtrie ; ils l’ont encore condamnée par d’autres raisons, puisque l’on ne peut pas présumer que l’idolâtrie fût du temps de S. Charles dans son Diocèse.
La seconde est, qu’on ne peut pas dire non plus que Saint Charles ait défendu les Comédies de son temps, par rapport seulement aux grandes impuretés dont elles étaient remplies, puisque ceux qui entreprennent la défense de la Comédie, et qui veulent la justifier, prétendent que ce grand Prélat ne la condamne que pour les Fêtes et les heures du Service divin, et qu’il l’a cru permise les autres jours. Il faut donc supposer que ces grandes impuretés et ces grandes dissolutions n’étaient pas dans ces Comédies ; car autrement ce serait ne les avoir pas cru permises les autres jours. Mais la vérité est que S. Charles, suivant l’exemple et l’esprit des Pères de l’Eglise, a condamné la Comédie par des raisons particulières prises du côté des choses fort sales ou impies qui y étaient représentées, et encore par une raison générale tirée des circonstances qui dans la pratique en sont inséparables ; c’est à savoir, qu’elle porte à la corruption des mœurs.
Je ne sais, dit-il, s’il se peut trouver une plus grande corruption que celle qui se rencontre dans les Comédies ; car il y est fait mention de violemment de vierges, et d’amours de femmes débauchées ; et plus l’éloquence des Auteurs de ces fictions de crimes est forte, et plus les auditeurs en sont touchés et persuadés par la beauté du style ; leur mémoire retient plus facilement ces vers d’une belle cadence ; les histoires tragiques qui y sont représentées, leur mettent devant les yeux des parricides, des incestes, et d’autres crimes qui sont les sujet des Tragédies.» Il les avait condamnés auparavant en général, quand dans le même endroit il avait dit : «
Ces spectacles publics doivent être abolis, parce qu’ils irritent beaucoup les vices, et qu’ils sont très propres à corrompre les esprits ; et bien loin de contribuer à nous faire mériter la vie bienheureuse, ils y nuisent beaucoup.» Cette raison générale est donc que les Comédies par les sujets qu’elles représentent, ou par les circonstances qui les accompagnent, excitent et enflamment les passions.
Le Prédicateur, dit-il, montrera fortement les maux qui en proviennent, et qui se répandent sur le peuple.» Ce que l’on ne peut point appliquer à ce qui n’est qu’une simple vanité, ou qui ne fait qu’éloigner de la perfection chrétienne.
Afin, dit ce Statut, d’ôter toute occasion qui pourrait détourner les écoliers de l’étude, ou les porter au mal, Nous voulons que tous les Comédiens soient chassés hors du territoire de l’Université, et au-delà des Ponts.»
Lorsqu’il fallut entériner les Lettres Patentes des Comédiens qui étaient venus
d’Italie sous le Règne d’Henri III. dans l’année 1577. au rapport de Mezeray, jamais le
Parlement de Paris ne le voulut faire : « Au contraire, dit
cet Auteur, il rebuta lesdites Lettres, comme étant en faveur de personnes que
les bonnes mœurs, les saints Canons, les Pères de l’Eglise, et nos Rois ont toujours
réputés infâmes.
» Ce sont les paroles de cet Historien. Le Parlement leur fit
défense de ne plus jouer, ni d’obtenir de pareilles Lettres, sous peine d’être condamnés
à dix mille livres d’amende. Il est vrai que cet Historien ajoute que les Comédiens ne
laissèrent pas de jouer au petit Bourbon, lorsque la Cour fut de retour de Poitiers : ce
qui ne montre que trop évidemment, dit Mezeray, la dissolution où la Cour était plongée
pour lors.
En l’année 1584. le même Parlement par un Arrêt de la Chambre des Vacations donné sur la Requête de M. le Procureur Général, fit défense aux Comédiens qui étaient pour lors à l’Hôtel de Cluny proche les Mathurins, de jouer leurs Comédies, et de faire aucune assemblée en quelque lieu et faubourg que ce fût ; et au Collège de les recevoir, à peine de mille livres d’amende.
Dans l’année 1588. sur la remontrance faite par M. Antoine Séguier Avocat du Roi, parlant au lieu du Procureur Général, et ayant égard aux conclusions par lui prises, le Parlement de Paris fit défenses à tous Comédiens, tant Italiens que François, de jouer aucune Comédie, soit aux jours de Fêtes ou ouvrables, à peine d’amende arbitraire, et de punition corporelle, s’il y échoit, quelques permissions qu’ils eussent impétrées et obtenues.
En effet, si l’on considère les sujets ordinaires des Comédies, et les circonstances qui les accompagnent, elles méritent d’être condamnées par l’une ou par l’autre de ces raisons.
Premièrement, les choses que l’on représente dans la Comédie sont pour l’ordinaire des intrigues d’amour et des sujets de quelque violente passion, comme d’amour, de vengeance, d’ambition, de jalousie, etc. Il faut que les passions qu’on y représente aient quelque chose de fort, de vif et de touchant, afin qu’elles puissent exciter dans l’âme l’effet que l’on prétend : afin que les sujets que l’on choisit puissent plaire, ils doivent être conformes à la disposition de la plupart des spectateurs, qui sont des personnes du monde, qui en ont les maximes et l’esprit. Si ce sont, par exemple, des sujets de haine, d’amour, de colère, d’orgueil, il faut qu’un Acteur pour exprimer ces passions le plus naturellement et le plus vivement qu’il lui est possible, il faut, dis-je, qu’il excite en lui les mêmes mouvements. De sorte qu’au lieu que le devoir d’un Chrétien, selon l’esprit de l’Evangile, est de mortifier en soi les passions et de les détruire ; au contraire, l’exercice ordinaire d’un Comédien est de les exciter en soi et dans les autres ; et pour faire aimer ces mouvements déréglés du cœur, et les rendre agréables, on les colore du nom de vertu, comme l’ambition et la vengeance de grandeur d’âme, le désespoir et l’opiniâtreté de constance invincible, ainsi du reste.
Les Comédies les plus honnêtes sont toujours mêlées de quelques transports de passion, de quelques artifices ou intrigues mauvaises pour y réussir ; et l’on montre par là le chemin aux personnes qui peuvent être un jour possédées de pareilles passions, de se servir des mêmes adresses pour obtenir l’accomplissement de leurs mauvais désirs. L’on détruit souvent ce qu’il y a d’honnête dans ce qui fait la matière de la Comédie, par des discours profanes pleins de dogmes et de maximes païennes ; et bien loin de purifier le Théâtre par des sujets honnêtes qu’on y représente, on profane au contraire l’honnêteté des sujets par des fictions d’amour, par des paroles lascives ou trop libres qu’on y mêle.
Ce fut pour cette raison que le Parlement de Paris, par son Arrêt du 9. Décembre 1541. défendit aux Maîtres de la Confrérie de la Passion établie à l’Hôtel de Bourgogne, de jouer leurs pièces quoique saintes, jusqu’à ce que Sa Majesté en eût ordonné autrement. M. le Maître Avocat du Roi pour lors, et qui fut depuis Premier Président, parlant dans cette occasion pour M. le Procureur Général, à la Requête duquel l’Arrêt fut rendu, remarque entre autres choses que l’on mêlait dans ces Comédies de piété des farces et des discours lascifs au commencement ou à la fin pour attirer et divertir le peuple, qui ne demande, dit-il, que ces sortes de folies et de voluptés.
Secondement, si l’on regarde les circonstances qui accompagnent les Comédies, elles sont ordinairement mauvaises, quelque honnête qu’en soit le sujet ; l’on n’y voit que des femmes parées qui ne s’étudient qu’à plaire à ceux aux yeux desquels elles s’exposent, qui dans leurs ajustements, dans leurs gestes, dans leurs actions, dans leurs regards, dans leurs paroles, n’ont rien qui ne blesse la modestie de leur sexe, qui ne respire que la vanité et l’esprit du monde. Si la chaussure de Judith fut capable de ravir les yeux et le cœur d’un homme guerrier, que fera le visage, la taille, la bonne grâce, la danse, le chant d’une femme qui n’a point d’autre dessein que de paraître belle, et de plaire pour attirer plus de monde à la Comédie.
Ce que l’on vient de dire de la Comédie, ne peut s’appliquer aux Tragédies qui se jouent dans les Collèges, selon les Lois Académiques, qui sont plutôt des exercices pour ceux qui en sont les Acteurs, que des divertissements pour les personnes qui y assistent : les sujets en sont bien plus purs, la modestie du Théâtre est bien plus grande, les passions en sont moins vives et moins violentes, les circonstances enfin du lieu, du temps auquel les Tragédies se jouent, et encore des personnes qui s’y trouvent, fournissent bien moins d’occasions d’offenser Dieu ; par conséquent elles sont beaucoup moins dangereuses, et on n’en doit faire aucune comparaison avec les Comédies dont il s’agit. En tout cas, s’il y avait quelque chose contre l’honnêteté dans ces exercices publics qui se font dans les Collèges, on en devrait blâmer l’usage, comme celui des Comédies.
Ceux qui prétendent excuser les personnes qui vont à la Comédie, disent trois choses.
La première, qu’il faut faire une grande différence entre les choses sales et malhonnêtes qui sont représentées dans une Comédie, et la manière de les représenter. A l’égard des Comédies où l’on représente des choses mauvaises, il y a péché d’y assister, quand le plaisir a pour objet les choses déshonnêtes : mais il n’y en a point, disent-ils, quand le plaisir vient de la manière ingénieuse et spirituelle qui se trouve dans l’invention et dans la représentation, par exemple, par rapport à l’Acteur qui représente bien son personnage ; quelques Auteurs sont de ce sentiment.
La seconde, quand il y aurait quelque chose de libre dans le corps de la Pièce ou dans ce qui la finit, cela ne pourrait rendre la Comédie mauvaise, que par rapport à ceux à qui elle serait une occasion prochaine de péché ; et non pas à l’égard de ceux qui vont à la Comédie sans en recevoir aucune impression, ni sans en remporter aucune mauvaise idée, et qui par conséquent sont hors de danger de péché.
La troisième, les Comédies ne sont plus aujourd’hui comme elles étaient par le passé : le Théâtre est bien plus pur qu’il n’était ; l’on n’y représente rien qui soit opposé à l’honnêteté et à la pureté des mœurs.
L’on peut dire pour réponse générale à ces trois moyens, que comme il n’y a point de divertissement plus agréable aux yeux du monde que la Comédie, il leur était fort important de chercher les moyens pour s’en assurer une jouissance douce et tranquille, et de faire en sorte que la conscience s’accommodant avec la passion, elle ne la vint point troubler par ces remords. Mais ces moyens que l’on propose, et que le relâchement de la morale n’a inventé que pour cacher à ceux qui vont à la Comédie le mal qu’ils font en y assistant, ne les exempte point de péché devant Dieu.
On répond donc, 1°. Que la distinction que l’on fait de la chose représentée d’avec la manière de la représenter, ou de l’habileté de l’Acteur qui fait bien son personnage, d’avec ce qu’il représente, est l’effet d’un raisonnement spéculatif et trop subtil, dont l’application ne peut avoir lieu dans la pratique, en matière d’impureté. Si l’homme n’avait point été corrompu par le péché, et qu’il fût demeuré parfaitement le maître des mouvements de son cœur, on pourrait croire qu’en voyant la représentation d’une chose malhonnête, il laisserait le mauvais plaisir que la chose est capable d’inspirer, pour se rendre seulement sensible à la manière de la représentation : mais dans l’état de la nature corrompue, ces deux plaisirs sont trop voisins pour pouvoir, moralement parlant, prendre l’un et laisser l’autre. Il s’ensuit donc que le plaisir de la représentation, particulièrement en fait d’impureté, est une occasion prochaine de consentir à l’autre.
De plus, si ce sentiment ou cette distinction avait lieu, on aurait facilement éludé la force du raisonnement des Pères de l’Eglise contre les spectacles, et contre ceux qui les fréquentaient ; et tout leur zèle serait demeuré sans effet, parce que se servant d’une subtilité pareille, ceux qu’ils condamnaient pouvaient répondre qu’ils ne prenaient de plaisir que par rapport à la manière dont on avait inventé les choses, et qu’on les représentait, et non aux choses mêmes. Enfin il s’ensuit qu’il n’y a point de mal d’aller à la Comédie, quelque malhonnête et sale qu’elle soit ; parce que séparant le plaisir que la vue de la chose représentée peut produire, d’avec celui de la représentation, une personne peut répondre que ce dernier la touche, et non pas le premier.
L’on ne croit pas aussi que les Auteurs dont on a parlé dans l’objection, demeurassent d’accord de cette conséquence. En effet, quand les Théologiens ont dit qu’on pouvait prendre du plaisir dans la manière de représenter des choses déshonnêtes, sans en prendre de la chose représentée ; ils n’ont considéré la Comédie qu’en général, d’une manière spéculative, et non pas moralement ou dans la pratique ; car dans la vérité ces deux plaisirs sont différents, et peuvent être dans la spéculation l’un sans l’autre.
2°. Il suffit que la Comédie soit mauvaise par rapport aux sujets qui y sont représentés, ou que par les mauvaises circonstances qui l’accompagnent ordinairement, elle produise de mauvais effets dans l’âme de ceux qui y vont, afin qu’on puisse dire qu’elle est défendue à toutes sortes de personnes : car un Chrétien doit éviter tout ce qui est communément une occasion de péché ; et quoique selon sa pensée il soit persuadé qu’il n’y tombera pas, néanmoins la connaissance qu’il a de la faiblesse humaine doit le porter à se défier de soi-même, et à ne point s’exposer dans une occasion qui est mauvaise, et dans laquelle on offense Dieu ordinairement. Il doit craindre que cette occasion ne l’engage au péché, et ne l’y porte insensiblement ; ou que peut-être ce ne soit un effet de son endurcissement et de l’abandon de Dieu, s’il ne sent pas les mauvaises impressions que cette occasion fait dans les autres.
Car quoique, dit Saint Jean Chrysostome, par la force de votre esprit, vous vous soyez garantis de toutes sortes de souillures, néanmoins à cause que par votre exemple vous avez inspiré de l’amour pour ces spectacles à d’autres plus faibles ; comment pouvez-vous dire que vous n’êtes pas coupable, vous qui avez donné aux autres le moyen de se rendre coupables.» Ce Père conclut de la sorte. «
C’est pourquoi, bien que votre grande modération vous ait mis à couvert de tout ce qui vous aurait pu nuire, ce que je ne crois pas possible : néanmoins parce que plusieurs personnes ont beaucoup péché à l’occasion de ces divertissements, vous en serez grièvement puni. Et dans l’Homélie 7. il dit, en regardant ces choses peut-être ne vous rendrez-vous coupable d’aucune faute ; néanmoins vous êtes responsable du scandale que vous avez causé.»
Que les curieux, dit Saint Jean Chrysostome, qui ont pour les spectacles un empressement qui va jusqu’à la folie ; qui disent, nous la regardons à la vérité, mais nous n’en recevons aucun dommage, soient attentifs à ce que je leur dis.» La Comédie peut produire d’une manière insensible, et même sans qu’on s’en aperçoive, une disposition dans l’âme, qui étant venue à un certain point, peut être la cause de la chute d’une personne. Les vices se glissent facilement dans notre âme, quand c’est à la faveur du plaisir : car il est moralement certain que l’on apprend à faire ce que l’on s’accoutume de voir, comme le remarque Saint Cyprien dans son Livre des Spectacles. C’était à peu près ce qu’avait dit Tertullien dans son Livre touchant la même matière, ch. 15. «
Car quand bien même, dit-il, quelque personne assisterait à ces spectacles d’une manière honnête et modeste, eu égard à son rang et, conformément à son âge, et à la disposition de son tempérament, elle ne peut néanmoins s’exempter d’être émue, et elle ne peut y être sans quelque passion secrète qui s’élève dans son cœur.»
Dès le moment, dit-il, que vous avez regardé l’iniquité du Théâtre, vous êtes coupable.» Il est toujours certain que la Comédie amollit et attendrit le cœur, et le rend non seulement moins fort pour résister aux impressions des plaisirs défendus, mais encore elle éloigne l’homme Chrétien de la pratique de la pénitence qu’il est obligé de faire depuis le péché, et qui consiste dans une vie laborieuse et dure à soi-même. «
Qui est-ce, dit Cassiodore, qui a jamais exigé la gravité des mœurs dans les spectacles ? les Caton, c’est-à-dire, les Sages ne se rencontrent point dans le Cirque.» Saint Chrysostome dans son Homélie 38. sur le chap. 11. de Saint Matthieu vers la fin, parlant en particulier de la chasteté et de la vie mortifiée qu’il faut mener pour la conserver, dit ces paroles pour éloigner de la Comédie, et de celle particulièrement où l’on chante des airs de musique : «
Comment, dit ce Père, pourrez-vous supporter la peine qu’il y a à conserver la chasteté, vous qui vous laissez aller éperdument à la joie, et qui prenez tant de goût à des chansons lascives ; car si celui qui en est éloigné a beaucoup de peine à embrasser cette vertu, comment se pourra-t-il faire qu’en jouissant de ces plaisirs, on puisse vivre chastement ? Ignore-t-on que nous avons un très grand penchant au vice ? si nous mettons toute notre étude et tous nos soins à courir après ces choses, comment pourrons-nous éviter les flammes éternelles.»
Je veux, dit-il, qu’il y ait des choses honnêtes dans les spectacles, mais c’est un artifice du démon. Personne n’a jamais mêlé le poison avec le fiel et l’hellébore ; mais on le met dans des mets bien assaisonnés et agréables au goût : c’est ainsi que le démon mêle ce qu’il y a de plus doux et de plus agréable avec le poison mortel qu’il nous présente.»
Si l’on n’avait rien retranché dans les Comédies, et qu’elles fussent aussi mauvaises qu’elles l’ont été, il n’y aurait que les libertins qui iraient ; les personnes de qualité et de vertu en auraient de l’horreur : au lieu que l’état présent de la Comédie ne faisant, ce semble, aucune peine à la pudeur, on ne se défend pas d’un poison qui est d’autant plus dangereux qu’il est caché, qu’on l’avale sans le connaître, et qu’on l’aime lors même qu’il tue.
L’on ne demeure point d’accord que la plupart des Comédies soient réformées à un point qu’elles n’impriment ou qu’elles ne laissent point de mauvaises idées capables de corrompre la pureté des mœurs d’un Chrétien. Que s’il n’y a rien de trop libre dans le corps de la Pièce, il y a des farces à la fin qui ne sont jamais bien pures. On ne peut point appeler des ouvrages tout à fait honnêtes, dans lesquels on voit des intrigues d’amour, de vengeance, d’ambition, que l’on commence, que l’on continue, que l’on achève avec beaucoup d’artifice et d’adresse d’esprit, que l’on accompagne de belles paroles, que l’on représente avec des actions vives et avec une prononciation agréable, ce qui imprime plus facilement et plus fortement le mouvement de ces passions dans le cœur des spectateurs.
La manière dont parle l’Eglise contre les Comédiens dans ses Rituels, ou dans les instructions que les Evêques y donnent, est une marque infaillible que les Comédies d’à présent ne sont point purifiées de ce qu’elles avoient autrefois de mauvais, et qu’il reste encore un retranchement considérable à y faire.
On ordonne que le Curé fera connaître au peuple les empêchements, dont une personne étant liée, ne peut et ne doit point recevoir le Sacrement de l’Ordre : Il marquera quelquefois, et s’il est nécessaire il expliquera ces empêchements : Ceux qui ont ces empêchements sont les personnes suspectes d’hérésie, les usuriers, les Bouffons, les Bateleurs, les Comédiens.»
Le Rituel d’Orléans de l’an 1642. page 340. exclut des saints Ordres les Comédiens, Bateleurs, etc.
Dans les Instructions Synodales de M. Godeau Evêque de Vence, de l’an 1644. ch. 4.
tit. 9. du Sacrement de l’Ordre, n. 5. « Il y a plusieurs personnes, dit ce grand
Prélat, qui ne doivent point se présenter aux Ordres, et qui pèchent en les recevant,
et tombent dans l’irrégularité : ce sont les usuriers, les Comédiens, et tous ceux qui
montent sur le Théâtre.
»
Le Rituel de Châlons-sur-Marne de l’an 1649. page 12. défend de recevoir pour Parrains au Baptême les personnes publiques ou les personnes infâmes, comme les femmes de mauvaise vie, les Concubinaires, les Comédiens, etc. Et page 139. il prive de la Communion ces derniers, comme pécheurs publics. Page 224. en parlant de ceux qui sont exclus des Ordres, il met ceux qui servent aux Théâtres, savoir, les Bouffons, les Bateleurs, les Comédiens, et les Farceurs.
Dans le Rituel de Paris imprimé en 1645. pag. 108. il est ordonné qu’on rejettera de la Communion ceux qui en sont publiquement indignes : tels que sont ceux qui sont notoirement excommuniés, les interdits, et ceux qui sont manifestement infâmes : comme sont les femmes débauchées, les concubinaires, les Comédiens, etc. Et à la pag. 291. on exclut des saints Ordres les Bouffons, les Bateleurs, les Comédiens et les Farceurs.
Cet Archevêque, dit le Synode de l’Eglise de Paris, fit des Statuts très saints, et particulièrement de ne point recevoir à la participation des Sacrements, et de priver de la sépulture Ecclésiastique les Comédiens qui n’auraient pas voulu renoncer à leur Profession infâme et indigne d’un Chrétien.» Ce Synodicon a été imprimé par ordre de M. l’Archevêque en 1674.
L’on ne peut pas dire que le Rituel doive s’entendre des Comédies qui se jouent aux heures du Service Divin, les Fêtes et Dimanches, à cause qu’il est porté dans l’endroit du Prône, que l’on excommunie tous ceux qui vaquent aux spectacles des Farceurs et Bateleurs auxdits jours et heures. Car outre que les paroles du Synodicon ci-dessus sont trop générales et précises contre les Comédiens pour souffrir cette interprétation, puisqu’elles condamnent l’exercice des Comédiens sans distinction, et indépendamment du temps et de l’heure ; c’est qu’il n’est parlé en cet endroit du Rituel que de ceux qui assistent aux spectacles, et non de ceux qui les représentent. Et quand il en serait question, cela ne prouverait pas que la Comédie fût permise les autres jours, mais seulement que c’est un plus grand péché d’y assister et de la représenter aux jours et heures particulièrement consacrés par l’Eglise pour honorer Dieu, qu’en un autre temps ; et c’est pour cette raison particulière qu’ils sont plutôt excommuniés.
Le Rituel de Sens au titre de la Communion des Malades, page 90. parle des Comédiens en
ces termes : « Mais il faut prendre garde surtout de ne la pas donner à des
indignes, ce qui ne se peut faire sans scandale, tels que sont des usuriers publics,
des Comédiens et des Farceurs,
des concubinaires, et des gens notoirement
criminels.
»
Le Rituel d’Alet de l’année 1667. pag. 74. rejette de la Communion ceux que l’on sait publiquement en être indignes, comme sont les excommuniés, les interdits, les infâmes : par exemple, les Comédiens, les Farceurs et Bateleurs, jusqu’à ce qu’ils aient fait pénitence et réparé le scandale.
Le Rituel de Langres page 73. exclut aussi de la Communion ceux qui sont manifestement infâmes, comme les Comédiens.
Celui de Senez de l’année 1678. page 372. « Nous déclarons pour excommuniés ceux
qui vaquent aux jeux des spectacles, et Farceurs.
»
Il faut prendre garde, dit ce Rituel, de ne point porter la sainte Eucharistie aux indignes, ce qui ne serait point sans scandale : ces indignes sont les usuriers publics, les Comédiens, ceux qui sont notoirement criminels, et les excommuniés nommément.» Et au titre du Sacrement de l’Ordre pag. 343 et 344. voici quels sont ceux qui ont des empêchements pour recevoir les Ordres : Les usuriers publics, les Farceurs, Bateleurs, Comédiens, les infâmes, etc.
Le Rituel de Bayeux de l’année 1687. page 251. compte parmi les pécheurs publics et infâmes ceux qui s’appellent Comédiens et Bateleurs.
Le Rituel de Reims page 119. met entre ceux à qui il faut refuser la Communion, les pécheurs publics, les Bateleurs, les Farceurs ; et à la page 619. il les prive de la sépulture Ecclésiastique.
Le Catéchisme de Montpellier de l’an 1687. page 230. met entre les choses qu’il faut éviter pour conserver la chasteté, les divertissements malhonnêtes, les excès de bouche, les bals, les Comédies, les mauvais livres, etc.
Le Catéchisme de Bourges de l’an 1693. page 437. sur le sixième Commandement, marque les choses qui font tomber dans l’impureté : le bal, la danse, la Comédie, les Romans.
La Morale de Grenoble tome 3. page 175. déclare infâmes et incapables d’être Parrains, et page 290. incapables de la sainte Communion les Farceurs, les Bateleurs, et les Comédiens.
L’on apporte ordinairement sur cette matière l’autorité de Saint François de Sales, qui dans quelques endroits de son Introduction à la vie dévote, semble favoriser la Comédie.
L’on répond que Saint François de Sales considère la Comédie en elle-même spéculativement, et quant à sa substance, comme il parle première partie chap. 23. de son Introduction. « Il dit que les Comédies même honnêtes sont dangereuses et nuisibles à la dévotion. » Et quand il parle part. 3. chap. 33. « Il dit que c’est une chose dangereuse, et selon l’ordinaire façon avec laquelle cet exercice se fait, il est fort penchant et incliné du côté du mal, et par conséquent plein de danger et de péril. » Ce sont les paroles de ce saint Evêque, que l’on peut appliquer à plus forte raison à la Comédie. Ainsi comme on est obligé d’éviter le péril du péché, et particulièrement celui où l’on offense Dieu ordinairement, on ne peut point aller à la Comédie. Enfin Saint François de Sales dans cet endroit de la troisième partie, met tant de conditions pour assister à ces sortes de divertissements, qu’il est plus facile de n’y point aller que d’y assister avec tant de restrictions.
L’on objecte encore une Déclaration du Roi du 16. d’Avril 1641. enregistrée au Parlement le 24. du même mois, par laquelle il paraît que les Comédiens ont toujours été notés d’infamie jusqu’en ladite année 1641. Mais ils en sont relevés pour l’avenir sous cette condition, que dans les Comédies qu’ils joueront, il n’y ait rien qui blesse l’honnêteté publique par une parole même à double entente : ce sont les termes de la déclaration ; d’où l’on peut inférer qu’on a cru en ce temps-là qu’on pouvait jouer la Comédie sans péché.
Mais bien loin que cette Déclaration soit favorable aux Comédiens, elle renferme au contraire de quoi les condamner. Car on demande où est la Comédie dans laquelle il n’y a point de parole même à double entente, et où l’honnêteté ne soit point blessée ? Cette Déclaration montre évidemment la vérité de la proposition qu’il a avancée au commencement, que la Comédie est mauvaise moralement parlant et dans la pratique, soit par rapport aux sujets qu’on y représente, soit par rapport aux circonstances qui l’accompagnent, et qu’il est très difficile, et presque impossible dans l’usage, de retrancher tout ce qu’il y a de vicieux, puisque les Comédiens, quelque soin qu’ils aient semblé avoir voulu apporter, n’ont point satisfait à la condition qui leur a été marquée par la Déclaration de 1641. C’est pourquoi on ne les a pas considérés moins infâmes ; ils sont exclus, comme auparavant, des charges publiques, ils sont excommuniés, on leur refuse l’absolution s’ils ne promettent de quitter : de sorte que l’on peut dire en cet endroit qu’il est plus facile de défendre tout à fait de jouer les Comédies, que d’entreprendre de les réformer entièrement.
Que les Comédiens n’ont jamais dessein de rendre meilleurs ceux qui vont à la Comédie ; et quand ils le voudraient, ils ne le pourraient pas, parce que leur Profession ne tend et n’est propre qu’à nuire. » Il avait dit une ligne auparavant : « De sorte que si ceux qui vaquent à ces bouffonneries deviennent meilleurs, la Profession des Comédiens s’anéantira.»
S’il n’est pas permis d’aller à la Comédie, au moins quelquefois, dira-t-on, il ne reste presque plus de divertissement dans une grande Ville comme Paris, où il y a beaucoup de gens qui sont occupés à des travaux purement d’esprit. Le spectacle est un des divertissements qui les délasse davantage. De plus, il semble qu’après l’exemple de tant de personnes distinguées par leur caractère et leur Profession qui y vont, il n’y a plus tant de péché à y aller pour les séculiers. Si l’on veut enfin que les Comédies soient mauvaises, les Magistrats ne devraient point les souffrir.
Lorsque vous voudrez, dit-il, vous relâcher l’esprit, vous pourrez prendre beaucoup d’autres divertissements que ceux des spectacles : vous pourrez vous aller promener dans des jardins, ou sur le bord des ruisseaux et des rivières, vous pourrez réjouir votre vue par la beauté de la campagne, vos oreilles par le chant des oiseaux ; vous pourrez visiter les Temples : tout cela contribuera à votre santé ; et ce qui servira à vous divertir agréablement, vous sera un grand avantage pour l’âme : car vous ne souffrirez aucun dommage, vous n’en aurez aucun chagrin ni aucune tristesse. N’avez-vous point votre femme ? n’avez vous point vos enfants ? n’avez-vous pas un grand nombre d’amis ? tout cela porte ordinairement à la douceur de l’amitié, à l’honnêteté, et même souvent il en revient de grands émoluments et de grands profits.»
Peut-on, dit l’Empereur Justinien, appeler des jeux ce qui est la source des crimes ?» «
Il ne nous suffit point s’écrie Salvien au livre cité, de nous réjouir, il faut encore que notre divertissement soit un crime ; ce qui est manifestement condamné dans l’Ecriture, dit cet Auteur.»
Quant à l’exemple que donnent ceux qui vont à la Comédie, on répond qu’il ne peut rendre légitime ce que l’Eglise a toujours condamné, et condamne encore aujourd’hui. Ce Jugement que l’Eglise a porté contre la Comédie, a paru si certain dans la Tradition, que les hérétiques mêmes l’ont reconnu, et en ont fait un point de discipline, dans le Livre de la Discipline des Eglises réformées en France, imprimé en l’année 1675. chap. 14. des Règlements, n. 28. « Il ne sera permis aux fidèles d’assister aux Comédies, vu que de tout temps cela a été défendu entre les Chrétiens, comme apportant corruption de bonnes mœurs. » Ce sont les paroles de ce Livre.
On répond à la seconde question, ou demande de l’exposé ; que si la Comédie est mauvaise, comme on l’a prouvé, et que par cette raison tant les Acteurs que les spectateurs pèchent grièvement, quoique différemment ; tous ceux qui coopèrent à la Comédie d’une manière prochaine et déterminée pèchent pareillement, et particulièrement ceux qui composent pour le Théâtre des Pièces que l’on y représente ordinairement, parce que leur action tend d’une manière déterminée à une chose mauvaise.
Il y a, dit ce Père, une si grande différence entre une musique honnête et celle qui ne l’est pas, que cela vous doit exciter à fuir celle qui est maintenant en usage avec autant de précaution, que vous fuiriez une chose très honteuse.»
elle regardait, dit-il, comme une chose honteuse et tout à fait indécente, de gâter un esprit bien élevé, et encore tendre par toutes ces histoires tragiques de femmes dont les Poètes sont remplis, ou par les saletés qui se trouvent dans les Comédies.»
Il s’ensuit de tout ce qui a été exposé ci-dessus, que de la manière dont les Pères et les Canons de l’Eglise ont parlé de la Comédie et des Comédiens, que les Evêques se sont expliqués dans leurs Rituels, et s’expliquent encore aujourd’hui ; on doit être persuadé que la Comédie, comme elle se joue par les Comédiens, a toujours été reconnue jusqu’à présent pour une chose mauvaise, qui excite les passions, et tend à corrompre les bonnes mœurs, soit par la représentation, soit par les différentes circonstances qui l’accompagnent.
Ainsi l’on doit conclure que les Comédiens par leur Profession, comme elle s’exerce, sont en état de péché mortel ; c’est pourquoi on ne doit point les absoudre, s’ils ne promettent de quitter leur Profession.
A l’égard de ceux qui coopèrent à la Comédie d’une manière prochaine et déterminée, ou qui y assistent de leur plein gré, quoiqu’ils ne soient pas si coupables que les Comédiens ; néanmoins c’est un péché qu’ils commettent en matière importante. De sorte qu’on doit leur refuser l’absolution, si les uns et les autres ne veulent point se corriger et changer de conduite, après avoir été suffisamment avertis.
Délibéré en Sorbonne ce 20. Mars 1694.
G. Fromageau. J. Lhuilier. Th. Durieux. Ph. de la Coste. de Blanger. Boilnet.