CHAPITRE II.
SECTION PREMIERE
In Actores et Spectatores Comœdiarum Parænesis. Autore Franciso
Maria del Monacho Siculo et c. Patavii 1630
On trouve dans la Bibliothèque du Roi cet Ouvrage Latin, dont le titre signifie en Français, Avertissement aux Acteurs et aux Spectateurs des Comédies, composéb par François Marie del Monaco Sicilien de la Ville de Drapanoc, Docteur en Théologie, de la Congrégation des Clercs Réguliers, imprimé à Padoue en 1630. Il est divisé en trois parties, dont la première contient sept Classes.
La première Classe, est un petit Abrégé des autorités de l’Ecriture Sainte, sans
réflexions. Il cite entre autres les paroles de l’Ecclésiastique chapitre 9. v. 4.
« Ne vous trouvez pas souvent avec une femme qui danse, et ne l’écoutez pas,
de peur que vous ne périssiez par la force de ses charmes.
» Et les passages
de saint Mathieu chapitre 14. et de saint Marc chap.
6. où il
est marqué que le martyre de saint Jean-Baptiste a été la récompense de la Danse.
La seconde Classe, est un Recueil des Conciles contre les Spectacles : mais comme il est court, nous en donnerons und plus étendu dans le chapitre suivant.
La troisième Classe, est une longue Tradition des saints Pères. Il la finit par le B. Laurent Justinien Patriarche de Venise, qui dit dans son Livre de la chaste alliance du Verbe et de l’âme e, Chapitre 4. que ceux qui vont aux Spectacles, seront tourmentés par le feu de l’enfer.
La quatrième Classe, est un Abrégé des Théologiens qui ont écrit contre les Spectacles. Il commence par saint Thomas, dont il cite trois passages qu’il soutient être autant de condamnations des Théâtres ; je les rapporterai dans le Chapitre 4 Sect. 7. parce qu’ils y seront fort éclaircis. Il cite ensuite le Cardinal Cajétanf, saint Antonin Archevêque de Florenceg, Paludanush, Durandusi, Silvesterj, qui ont tous censuré les Comédies.
Des Auteurs Thomistes, il passe aux Jésuites, et il cite Sanchezk, Livre 9.e
disp. 46. n. 42. Mendozal quest. 9. Scholas. 6. 11. Reginaldm Livre 22 chap. 1. sect. 4. Tous ces
Jésuites soutiennent que les Comédies de ce siècle sont dangereuses pour la pureté.
Les Franciscains ne sont pas oubliés : Gabriel Bieln, savant Cordelier, in 4. dist. 15. q. 13. art. 3. dubio 3.
s’explique en ces termes : « Quisquis delectatur in peccato mortali, peccat
mortaliter præsertim in illis quæ sunt mala, non quia prohibita, sed quia
essentialiter includunt turpitudinem, quales sunt omnina Comediæ nostri temporis ;
ex Apost. ad Rom. 1. Non solum facientes sed et facientibus consentientes digni sunt
morte.
» « Quiconque se réjouit d’une action qui est péché mortel,
pèche mortellement ; particulièrement dans les choses qui sont mauvaises par
elles-mêmes, et non pas parce qu’elles sont défendues ; telles sont les Comédies de
notre siècle, car selon l’Apôtre Rom 1. non seulement ceux qui font le mal sont
dignes de mort, mais ceux qui approuvent ceux qui le font.
» Or c’est
approuver la Comédie que d’y assister, et d’en faire son plaisir. Alexandre de
Halèso 2. p.q. 149 memb. 3. et Angelus de Clavasio p, in summa V. Ludus n. 3. ces deux savants Cordeliers
décident aussi qu’il y a péché mortel pour ceux qui vont à la
Comédie.
Marcel Mégal Clerc Régulier Théatin, dans l’Abrégé de son Institutionq. n. 16 p. 166 de l’édition de Modène.
« Mortaliter peccat, qui in Comœdiis aut alibi verba dixerit ad lasciviam et
fornicationem incitantia, licet ludicre et tantum ob animi relaxationem. Mortalis
etiam criminis rei sunt, qui voluntarie ea audiunt, quamvis ea audiant absque
sensuali delectatione et tantum animi gratia.
» On voit par ces paroles,
que Marcel Megal un des Religieux Théatins les plus éclairés, décide que c’est un
péché mortel, de dire dans les Comédies ou ailleurs, des paroles qui portent à
l’impureté et à la fornication, quoiqu’on les dise pour rire et pour relâcher
l’esprit ; et que ceux qui les écoutent pèchent mortellement, quoiqu’ils les entendent
sans sentir un plaisir sensuel et seulement par récréation.
La cinquième Classe, est une Exposition des sentiments des Jurisconsultes, qui comparent les Comédiens à des chasseurs dangereux par leurs pièges, puisqu’ils tuent les âmes par leurs discours tendres, comme les chasseurs tuent les bêtes à la chasse ; ils sont aussi de l’avis que la Comédie est défendue, et que d’y assister est un péché mortel.
La sixième Classe, contient les sentiments des savants Païens, savoir, de Platon, d’Aristote, de Sénèque, de Valère-Maxime, de Suétone, de Corneille Tacite, qui ont tous déclamé contre les Spectacles, et ont fait voir qu’il étaient contraires à l’honnêteté des mœurs.
La septième Classe, est un Récit des punitions tragiques que Dieu a fait sentir à ceux qui assistaient aux Spectacles. Elles sont tirées de Tertullien, des Dialogues de saint Grégoire le grand, et de plusieurs autres Auteurs. Nous en dirons quelque chose dans le Chapitre 3. Sect. 4.
La seconde partie de cet Avertissement de François del Monaco, est employée à examiner trois propositions. Dans la première, l’Auteur examine si les Comédies de ce siècle peuvent passer pour honnêtes. Il commence par la définition des Comédies déshonnêtes : Ce sont celles, dit-il, où les hommes et les femmes s’entretiennent des intrigues d’amour, dansent au son des chansons les plus tendres, et donnent publiquement des leçons d’un crime qu’on n’ose commettre qu’en secret, tant ce crime est honteux : les entretiens n’en peuvent donc pas passer pour honnêtes ; et quoique la corruption du siècle les tolère, ils n’en sont pas moins criminels. C’est pour cela que les saints Pères ont tant déclamé contre les Spectacles, comme on voit dans leurs passages, rapportés dans le Chapitre précédent.
La seconde proposition regarde les Comédiens, s’ils pèchent mortellement en jouant la Comédie. Del Monaco assure que tous les Auteurs qu’il a lus sur ce sujet sont du sentiment qu’il y a péché mortel pour les Comédiens, parce qu’ils disent des paroles équivoques, et se servent d’expressions tendres ; parce que les femmes jouent avec les hommes sur le Théâtre ; parce qu’on y traite des intrigues d’amour ; parce que quoiqu’on les dise réformées on les rend agréables, et ainsi opposées à la pureté du cœur, commandée aux Chrétiens. Peut-on accorder la pureté avec ces idées sales ? Est-ce là se faire violence pour ravir le Ciel ?
Il autorise cette proposition par Richard de saint Victorr, qui prouve qu’il y a péché mortel dans une action, lorsque Dieu est offensé grièvement, lorsqu’on fait tort au prochain et à soi-même : Or les Comédiens font ces trois maux, ils choisissent les plus belles Comédiennes qu’ils peuvent trouver, ils les parent magnifiquement avec le fard et l’artifice ; leurs paroles, leurs postures, leurs danses et leurs chansons portent à l’impureté. Là les jeunes gens se corrompent, les filles se familiarisent avec l’amour profane, dont ils entendent si agréablement parler. Enfin les Conciles les ont excommuniés : or on n’excommunie pas pour un péché véniel, mais seulement pour un péché mortel considérable et scandaleux.
La troisième proposition que cet Auteur s’applique à bien examiner, est conçue en ces termes : Si ceux qui assistent aux Spectacles pèchent mortellement. Il prouve l’affirmative à cause du scandale, à cause du danger du péché, à cause de leurs participation aux paroles des Comédiens qu’ils écoutent avec plaisir, qu’ils approuvent, qu’ils admirent, qu’ils soutiennent par leur autorité, par leur argent, par leur présence ; car les Comédiens péchant mortellement en jouant la Comédie, on ne peut être témoin, approbateur, protecteur de cette action criminelle sans être complice. L’Auteur se sert de la raison des excommunications fulminées par les Papes contre les duellistes et leurs témoins, parce qu’ils sont approbateurs du duel, qui est un péché mortel et scandaleux. La justice des hommes punissent les témoins d’un vol, et d’un assassinat, qui ont loué et qui n’ont pas dénoncé le criminel.
Del Monaco répond ensuite à l’excuse ridicule de ceux qui disent : Quand je n’irais
pas à la Comédie, on ne laisserait pas de la jouer. Un voleur serait-il absous par la
même excuse ? N’est-ce pas y contribuer autant qu’il est en soi, que d’assister aux
Comédies : Car donner son argent aux Comédiens, c’est pratiquer ce que le Saint Esprit
condamne par ces paroles du Ps. 49. « Vous mettiez votre bien avec les
adultères.
» Donner aux Comédiens c’est un grand crime, selon saint
Augustin ; c’est une espèce d’idolâtrie selon saint Jérôme. Aussi l’Auteur rapporte un
endroit de Lampridius, qui loue l’Empereur Sévère de n’avoir rien donne aux Comédiens
de son temps. Il ajoute que si l’argent
que les spectateurs
donnent aux Comédiens les rend coupables, le scandale que leur mauvais exemple cause,
sert à rendre leur assistance plus criminelle ; c’est ce qu’il prouve par un passage
de saint Jean Chrysostome, cité dans le Chapitre précèdent.
Del Monaco n’oublie pas le danger où s’expose les Spectateurs des Comédies : il prétend que la Comédie est une occasion prochaine de péché mortel ; son raisonnement est solide, le voici. Toute action qui fait souvent tomber dans le péché mortel le plus grand nombre de personnes qui la pratiquent, est une occasion prochaine de péché mortel. Or il est certain que la Comédie excite des désirs, et fait tenir des discours criminels à presque tous les jeunes gens spectateurs des Comédies, et qui en iont le plus grand nombre. Donc c’est une occasion prochaine de péché mortel ; or saint Charles veut qu’on refuse l’absolution à ceux qui ne veulent pas quitter l’occasion prochaine, et qu’on la diffère à ceux que ne peuvent pas la quitter.
Il appuie toute cette Doctrine sur les paroles de David : « Heureux est celui
qui
ne se laisse point aller au conseil des impies, qui ne
marche point dans la voie des pécheurs, et qui ne s’assied point dans la chaire des
moqueurs.
» Tertullien se sert de ce verset du premier Psaume pour vérifier
que l’Ecriture sainte défend d’aller aux Spectacles, comme elle défend l’homicide,
l’adultère et le vol. Mariana Jésuite, au livre 3 De Rege et Regis
institutione, Cap. de Spectaculis, dit qu’on approuve les choses qui nous
réjouissent, et que nous nous laissons entraîner par le poids de notre misère, à faire
pis que nous n’avons vu. Ce Jésuite conclut : « Censeo ergo licentiam Theatri
afferre certissimam pestem moribus Christianis
s. » J’estime
donc que la liberté qu’on se donne d’assister aux Spectacles du Théâtre, est
assurément une peste pour les mœurs des Chrétiens. Comitolust aussi Jésuite, lib. 5. Resp. Moral. q. 11. raisonne
ainsi : « C’est commettre un péché mortel, que de prendre plaisir à une action
qui est péché mortel, ou qui ne se peut faire sans péché mortel ; or les Comédies ne
peuvent se représenter sans péché mortel.
»
La troisième partie de l’Ouvrage de del Monaco, propose les raisons apparentes des mondains pour défendre la Comédie, et dont il faut voir le fort et le faible. La première est, que les Spectacles ne sont pas défendus dans le Décalogue. Il répond. 1°. Par l’explication de Tertullien sur le 1. Ps. cite ci-devant. 2°. Par les vœux du Baptême, par lesquels nous avons renoncé au démon, au monde, et à ses pompes que les Théâtres étalent. 3°. Par saint Jean Chrysostome, qui soutient que le commandement du décalogue, Non concupiscens, renferme la défense des Spectacles qui réveillent et qui excitent la Concupiscence.
La second raison tirée de l’infamie des spectacles anciens, qui avait porté les saints Pères à les condamner, est réfutée par les saints Pères mêmes qui les ont condamnés pour des raisons qui subsistent encore, comme on l’a fait voir.
La troisième est, qu’il n’y a pas plus de mal à voir représenter des Comédies qu’à les lire. 1°. Il est dangereux de les lire, et l’on doit s’en abstenir. 2°. Il y a bien de la différence selon Cicéron et Quintilien, entre l’impression que fait la lecture d’un discours, et celle de la prononciation du même discours accompagné du son de la voix et des gestes. La Comédie représentée est encore accompagnée de la pompe du Théâtre, de la vue des Comédiens, de la magnificence des habits, des danses, des instruments de musique ; ce qui la rend aussi dissemblable de la lecture, qu’un corps vivant est différent d’un corps mort qui a des yeux sans feu, des pieds sans mouvement, des membres sans action. Telle est la Comédie sur le papier : on y voit le corps des passions sans âme mais il y a beaucoup de personnes d’un tempérament si tendre, que la lecture des Comédies et des Romans les enflamme facilement : c’est pourquoi ces lectures sont défendues.
La 4eme raison est une idée de correction des mœurs que les Comédiens ont voulu donner, pour justifier les Comédies. Mais il répond qu’on n’a jamais vu de conversion par la Comédie ; Jésus-Christ ne nous a pas donné de tels maîtres de la vertu. 2°. Ces Comédies divertissent les personnes dont elle critiquent les passions. L’on verra encore une autre réponse bien judicieuse dans la Section 8. du 4me. Chapitre suivant.
La cinquième, est une ignorance prétendue de la condamnation de la
Comédie. Mais il répond. 1°. avec Sanchez, qu’il n’y a que l’ignorance
invincible qui pourrait excuser : or il n’y a personne qui n’ait ouï parler qu’il y a
des gens qui condamnent la Comédie. 2°. Il suffit d’avoir lu l’Evangile, pour être
convaincu que la Comédie ne peut pas s’accorder avec les maximes de ce Livre divin.
3°. Si on a trouvé des Docteurs favorables à la Comédie, c’est un malheur dont le
Sauveur a menacé, en disant : « Si un aveugle en conduit un autre, ils
tomberont tous deux dans la fosse
», Matt. 15. v. 14. Del Monaco fait ici
une belle morale aux Chrétiens qui aiment et qui cherchent des Confesseurs faciles et
complaisants ; c’est la source des désordres du siècle. Il conclut avec saint
Ambroise, qu’il faut que les Prédicateurs prêchent, que les Confesseurs disent, et que
les Auteurs écrivent contre les passions, quoiqu’ils connaissent l’opiniâtreté des
hommes.
La quatrième et dernière partie de l’Ouvrage de del Monaco, se réduit à trois remèdes qu’il propose contre les maux causés par la Comédie. Le premier serait de purger les Pièces du Théâtre ; ce qui sera impossible, dit-il, tant que les hommes et les femmes y parleront d’amour.
Le second remède et le plus sûr, serait de chasser les Comédiens : il appuie cet avis par celui de Menochiusu, qui porte que les Princes et les Magistrats sont obligés de faire leurs diligences pour les chasser des Villes ; et par celui de saint Charles Borromée, qui dit la même chose en son 1. Concile de Milan, partie 2.
Le troisième remède, est de Mariana Jésuite, au livre 3 de Rege et Regis institutione, Cap. de Spectaculis, qui croit qu’on doit publier la Doctrine contre la Comédie, parce qu’il y aura toujours quelqu’un qui en pourra profiter, et qui préférera son salut à un plaisir si dangereux.
SECTION SECONDE.
Ouvrages Italiens du Père Ottonelli Jésuite.
Il y a aussi dans la Bibliothèque du Roi trois Volumes in 4°. contre la Comédie, écrits en Italien par le R. P. Jean Dominique Ottonelliv Jésuite de la Ville de Tagnane en Italie.
Le premier volume, est un Ouvrage séparé des deux autres, intitulé, De la modération Chrétienne du Théâtre, imprimé à Florence en 1645w. Le Père Ottonelli y répond à l’Ouvrage d’un fameux Comédien Italien, appelé Nicolo Barbieri surnommé Beltramex, et à deux autres écrits de deux Comédiens Italiens, nommés Cecchinoy et Andreinoz, surnommé Lelio. L’Ouvrage de ce Jésuite est divisé en deux parties. La première Partie contient quatre Chapitres, et chaque Chapitre plusieurs questions. Dans le 1. Chapitre il expose les raisons justificatives de la Comédie, rapportées par Beltrame, et il les combat par les Saints Pères, par les Théologiens, par les Casuistes, et par de forts raisonnements. Je ne les rapporterai pas, parce que ce sont les mêmes principes et preuves que celle de del Monaco, auxquelles il a donné un tour très délicat et très agréable. Das le 2. il propose les preuves du Comédien, pour autoriser l’usage de faire monter les femmes sur le Théâtre, et les y faire parler d’amour ; il met en poudre ces preuves, et établit solidement que cet usage est très criminel et très dangereux ; ce qu’il continue de faire dans le Chapitre 3. où il estime ce point décisif contre la Comédie. C’est pourquoi dans le Chapitre 4. il fait voir que cet usage est opposé à la pudeur du sexe, très dangereux pour les jeunes gens qui y assistent, et la source de beaucoup de désordres.
Dans la seconde Partie, il parle des Comédies peu modestes, et il les condamne. Il prouve que celles de ce siècle sont de ce caractère, parce que les femmes s’y entretiennent d’amour avec les hommes, ce que les saints Pères ont fait voir être très mauvais et très dangereux ; et que plusieurs endroits des saints Pères sont autant les censures des Comédies de notre siècle, que de celles de leur temps.
Le second Ouvrage du Père Ottonelli Jésuite, qu’il a aussi intitulé, De la modération Chrétienne du Théâtre, est aussi imprimé à Florence en 1652. et il l’a partagé en deux Volumes.
Le premier Volume contient trois Traités. Le premier regarde les Comédiens mercenaires, qui gagnent leur vie à jouer sur le Théâtre des pièces d’amour avec des femmes, d’une manière peu modeste ; ce qu’il accuse être une profanation du Christianisme, et un métier injuste pour gagner de l’argent. Il faut remarquer que les Italiens ont deux sortes de Comédiens, savoir des mercenaires dont je viens de parler ; et des domestiques, dont les Acteurs sont des personnes de famille qui ne gagnent pas d’argent à jouer. Ce Jésuite soutient que s’ils jouent avec des femmes des Pièces d’amour, ils ne peuvent pas être excusés, puisque c’est le principe de la condamnation des Comédiens mercenaires.
Dans le second Traité, il étend les réponses qu’il avait déjà faites à Beltrame. Dans le troisième, il donne des avis aux Charlatans, qui sont de ne pas tromper en vendant leurs Drogues. Il rapporte en détail leurs artifices, il leur défend de dire des paroles bouffonnes et malhonnêtes pour attirer le peuple, et corrompre les jeunes gens qui les entendent.
Le second Volume est divise en quatre Chapitres. Dans le premier il examine les motifs qui doivent porter les Prédicateurs et les Confesseurs, à faire des instances pour obtenir la modération du Théâtre ; ces motifs sont le zèle pour le salut des âmes, et les désordres que les Théâtres causent. Dans le second Chapitre, il continue la nécessité de ces instances auprès des Supérieurs. Dans le troisième Chapitre, il nomme les Supérieurs auxquels il faut s’adresser, savoir les Papes, les Prélats et les Princes ; il conclut qu’il serait et plus sûr, et plus utile de défendre absolument les Spectacles, que d’entreprendre de les modérer : car pour modérer et purifier les Spectacles, il faut bannir les expressions tendres, et les sujets qui regardent l’amour des femmes.
La coutume du pays où il écrit, lui fait sentir la difficulté de faire recevoir la vérité de ces maximes ; il montre ces vérités Chrétiennes qu’il a découvertes dans les bonnes sources, par l’organe des Auteurs et des passages pleins d’érudition.
Il fait parler en sa place le Père Adam Contzenaa en ces termes : « Affectum
amantis numquam verbis aut gestibus exprimant, ne eo quidem fine, ut calamitosus
exitus impudicitiæ ostendatur, quia moribus libidinosis contagionis minima aura
transfunditur : alienas libidines improvidæ mentes secura non audiunt : nulla scenam
mulier
ingrediatur, absit a Theatro etiam habitus illus
sexus.
» Le Comédien ne doit jamais exprimer la tendresse d’un amant, ni par
paroles ni par gestes, non pas même pour faire voir le sort infortuné de l’impureté ;
le moindre haleine se communique, les esprits dissipés n’entendent pas en sûreté
l’histoire des passions d’autrui : qu’aucune femme ne monte sur le Théâtre, que son
habit même n’y paraisse pas. Beltrame dit, en vain qu’on parle d’amour dans les
Comédies, afin d’en découvrir les effets : car il est certain, dit le Père Ottonelli,
qu’on y parle longtemps et avec plaisir de cette passion, et qu’on y parle très peu du
remède, et toujours inutilement. Puis il cite en cet endroit les paroles de
Tertullien, si dignes d’un Chrétien des premiers siècles, et dont nous ne sentons plus
la vérité, parce qu’en nous éloignant de ces temps heureux, nous avons toujours
dégénéré de la vertu de nos Pères.
Voici les paroles de Tertullien au Chap 25. de son Traité des
Spectacles : « In omni Spectaculo nullum magis scandalum occurrit, quam
ille ipse mulierum et virorum accuratior cultus ; ipsa consensio,
ipsa in favoribus aut conspiratio aut dissensio inter se de
commercio scintillas libidinum conflabellant. Nemo denique in Spectaculo ineundo
prius cogitat nisi videri et videre.
» Il n’y a rien de plus scandaleux dans
tous les Spectacles, que de voir avec quel soin et quel agrément les hommes et les
femmes y sont parées : les expressions même de leurs sentiments conformes ou
différents pour approuver ou désapprouver les choses dont ils s’entretiennent, ne
servent qu’à exciter dans leurs cœurs des passions déréglées. Enfin nul ne va à la
Comédie qu’à dessein d’y voir, ou d’y être vu.
Il confirme son sentiment en plusieurs endroits par celui de del Monaco : il loue l’Ouvrage de ce savant Sicilien, et la solidité de ses sentiments qui sont d’autant plus à suivre, qu’il avait écrit depuis peu contre la Comédie du siècle, en connaissant les mauvais effets dans la plupart de ceux qui y vont.
Le Père Ottonelli cite ces paroles de la page 30. de l’Avertissement de del Monaco : « Honesti ludi ii sunt in quibus nulla
omnino mulier, nulla lascivies, amor nullus.
» Ces jeux-là seulement peuvent
passer pour honnêtes, dans lesquels on
ne voit pas paraître
de femmes, où il n’y a rien qui puisse donner de mauvaises pensées, ni réveiller ou
exciter un amour déréglé. D’où il conclut que les Comédies de ce siècle ne se jouant
jamais sans femmes, sans expressions tendres, capables de donner de mauvaises pensées,
et qui excitent souvent un amour déréglé ; il faut dire que les Comédies ne sont pas
des jeux honnêtes, mais très criminels et très dangereux.
SECTION TROISIEME.
Traité de la Comédie ; du troisième Volume des Essais de Morale. A
Paris, en 1659.
L’Auteur des Essais de Morale se plaint d’abord de la corruption de son siècle, qui est venue jusqu’à l’excès de vouloir allier la piété Chrétienne avec l’esprit du monde, par l’entreprise de vouloir justifier la Comédie. Peut-être qu’il veut parler d’Hédelin qui avait écrit en 1657. pour la Comédie, comme je l’ai dit dans la Préface. Pour combattre une entreprise si téméraire, il examine la vie des Comédiens, la matière et le but des Comédies, les effets qu’elles produisent d’ordinaire dans l’esprit de ceux qui les représentent, ou qui les voient représenter ; et il compare ensuite tout cela avec la vie, les sentiments et les devoirs d’un véritable Chrétien.
Il attaque d’abord les Pièces des Poètes qui introduisent les Saints et les Saintes sur le Théâtre, et qui pour les rendre agréables, ont représenté la dévotion de ces Saints de Théâtre toujours un peu galante. On remarque que la disposition au martyre n’empêche pas la Théodore de Mr. Corneille de parler en ces termes :
« Si mon âme à mes sens était abandonnée,Et se laissait conduire à ces impressionsQue forment en naissant les belles passions. »
Et l’humilité de Théâtre souffre aussi qu’elle réponde de cette sorte en un autre endroit :
« Cette haute puissance à ses vertus rendue,Et si Rome et le temps m’en ont ôté le rang,Il m’en demeure encore le courage et le sang,Dans mon sort ravalé je sais vivre en PrincesseJe fuis l’ambition, mais je hais la faiblesse. »
Il fait voir ensuite que les passions qui ne pourraient causer que de l’horreur, si elles étaient représentées telles qu’elles sont, deviennent aimables par la manière dont elles sont exprimées. Il rapporte pour exemple les vers suivants, où la rage de la sœur d’Horace est représentée.
« Oui je lui ferai voir par d’infaillibles marques,Qu’un véritable amour brave la main des Parques,Et ne prend point de loi de ces cruels tyrans,Qu’un sort injurieux nous donne pour parents.Tu blâmes ma douleur, tu l’osez nommer lâche,Je l’aime d’autant plus, que plus elle te fâche. »
Enfin l’Auteur dit qu’on trouve dans presque toutes les Comédies et dans tous les Romans, les passions vicieuses ainsi embellies et colorées d’un certain fard, qui les rend agréables : d’où il conclut que s’il n’est pas permis d’aimer les vices, on ne peut pas prendre plaisir aux choses qui ont pour but de les rendre aimables. Je n’en dirai pas davantage, parce que ce Livre est entre les mains de tout le monde.