Chapitre IX.
Les spectacles nuisent au bonheur et à la stabilité des
gouvernements.
« La volupté nous séduit,Son poison abrutit l’âmeDe l’insensé qui la suit ;Les provinces ravagéesEt les villes saccagéesDoivent leurs maux à ses traits. »Parnasse Chrétien, tom. II.
On voit que dans les grandes villes, qui sont communément des sentines infectées par le vice, les usages et les institutions humaines, loin de rendre les citoyens plus sages et plus heureux, contribuent très souvent à les rendre insensés et misérables. Leurs folies et leurs maux sont encore aggravés et multipliés par le luxe, la vanité, la passion du plaisir. La contagion du vice les environne de toutes parts. Tout les invite à la débauche et à la dépravation. Les spectacles sont pour eux des écoles de vice, des lieux privilégiés destinés à irriter leurs passions, des écueils où leur innocence, attaquée par leurs yeux, par leurs oreilles, séduite par les maximes d’une morale lubrique et par des danses lascives, s’expose à des naufrages continuels. N’est-il pas à craindre que la nation où l’usage des spectacles s’est établi ait le même sort que les Grecs et les Romains, qui ne furent détruits que pour s’être livrés à la mollesse ?
« Tant que les Grecs furent sobres, ennemis du luxe, partisans de la vertu, ils
vainquirent les Perses, ils firent échouer les projets de leurs ennemis ; mais,
lorsqu’après la bataille de Marathon et de Salamine, ils commencèrent à aimer
l’oisiveté, et que l’amour pour les spectacles les leur rendit nécessaires, leur gloire
et leur liberté s’évanouirent bientôt. Aristophane, Eschyle, Sophocle, Euripide
préparèrent à Philippe, qui vint peu d’années après eux, la conquête de la Grèce et la
servitude d’Athènes. Les citoyens de cette ville, autrefois si formidable à ses ennemis,
étaient plus occupés des spectacles et des fêtes que des projets de Philippe. Pour en
être convaincu, il n’y a qu’à lire les Oraisons de Démosthène, qui reprochait sans cesse
à ses concitoyens leur oisiveté et leur amour outré pour les spectacles.
« Les Romains eurent le même sort que les Grecs : ils durent toute leur gloire à
l’éducation de leurs premiers ancêtres et à la vie laborieuse qu’ils menaient. Mais
après qu’ils eurent vaincu les Carthaginois et qu’ils se furent enrichis des dépouilles
de la Grèce, ils vécurent dans le luxe ; ils perdirent également le courage de l’âme et
la force du corps,
ils se divisèrent bientôt en différentes
parties pour trouver de quoi contenter leurs passions. Le peuple suivit l’exemple des
grands, et la fin des troubles de la république fut celle de la liberté. Alors les
empereurs enchérirent encore sur les chefs des guerres civiles, qui, pour gagner
l’amitié du peuple, lui avaient donné des fêtes et l’avaient accoutumé aux spectacles
les plus superbes. Les Romains, soumis aux maîtres que leur nommaient des soldats
séditieux, ne voulurent plus que des théâtres. Ils devinrent si peu attachés à la gloire
de leur patrie, que les barbares ruinèrent l’Empire et le détruisirent avec autant de
facilité que les Romains en avaient eu, dans le temps de leur grandeur, à conquérir les
Etats de plusieurs souverains asiatiques, plongés dans le luxe et la mollesse.
« Après l’empire d’Occident, celui d’Orient commença à dépérir par les mêmes
raisons qui avaient causé la perte du premierap. »
Ce fut au théâtre que
prirent naissance les deux factions qui partagèrent l’Empire sous Justinien.
Les Français furent heureux tant qu’ils furent unis, tant qu’ils eurent du respect pour la religion et les lois, tant qu’ils aimèrent leur Dieu et leur roi ; mais, dès que les théâtres retentirent des maximes impies et libertines, leur bonheur disparut avec leurs vertus. L’impiété qu’on y professait ouvertement fit éclore et fortifia en eux des passions fougueuses qui portèrent le trouble et la désolation dans l’Etat, et qui finirent par détruire le trône sur les débris de l’autel.
La plaie que les théâtres ont faite à la France n’est point encore fermée ; elle s’entretient et s’agrandit chaque jour par les leçons d’indépendance et d’insubordination qu’y reçoivent des hommes qui ne sont déjà que trop disposés à secouer le joug de l’obéissance.
La vue des conspirateurs qui paraissent sur le théâtre avec honneur, qui y sont applaudis et récompensés, diminue l’horreur qu’on a pour la révolte, la fait même regarder comme un devoir sacré, et enhardit à réaliser ce qu’on ne voit qu’en peinture.
Je sais que les gouvernements qui tolèrent les spectacles le font par politique, les regardant comme un mal nécessaire, se persuadant que le peuple qui s’en amuse est moins porté aux séditions, moins occupé d’intrigues et de cabales. Mais, en supposant que les gouvernements ne puissent pas sans danger supprimer les théâtres, ni en diminuer le nombre, chose qui ne paraît pas croyable, ne courent-ils pas des dangers infiniment plus grands en s’exposant aux atteintes mortelles que leur portent chaque jour des pièces vraiment immorales, qui, à la faveur du plaisir qu’elles procurent, font couler dans l’âme des spectateurs le poison des plus désolantes doctrines, et qui, par des allusions perfides et adroitement ménagées auxquelles l’art des acteurs ajoute encore un merveilleux relief, ne sont propres qu’à nourrir et à fortifier cet esprit d’insubordination qui de nos jours a fait tant de ravages, et qui est encore bien éloigné d’être entièrement anéanti ? Ne peut-on pas dire avec justice que dans ce cas le remède devient pire que le mal, que loin de le guérir il lui donne un nouveau degré de malignité et le rend souvent incurable ?
Quand même ces pièces de théâtre ne contiendraient rien de formellement séditieux, ne suffit-il pas, pour nuire au bonheur et à la stabilité des gouvernements, qu’elles aient une teinte irréligieuse et libertine, et qu’elles insinuent dans les cœurs la mollesse et la volupté ? S’il est vrai, comme on ne peut en douter, que tout ce qui concourt à l’abolition des principes religieux et moraux, concourt également à la destruction des empires, ne s’ensuit-il pas évidemment que ces pièces de théâtre, en établissant le règne des sens sur les débris de la morale, minent et corrodent les fondements de l’édifice social, lui creusent un abîme profond vers lequel elles le poussent insensiblement, et qui finira par l’engloutir, si la main puissante de Dieu ne vient à son secours ?
On dira peut-être que nous nous alarmons de ce qui ne devrait nous donner aucune inquiétude. Mais ne nous est-il pas permis d’avoir des craintes sur le sort de notre patrie, lorsque nous voyons s’élever à grands frais, jusque dans les plus petites villes, des théâtres dont la structure riche et élégante, dont les décorations magnifiques et somptueuses qui, en formant un affreux contraste avec la misère et le dénuement des églises en ruines, n’attestent que trop l’affaiblissement de la foi et la décadence de la religion, qui est la base et l’appui du trône. Des chrétiens zélés pourraient-ils voir sans douleur, d’un côté les temples du Seigneur abandonnés et déserts, et de l’autre les théâtres, ces temples élevés au démon, regorger continuellement d’adorateurs qui vont en foule offrir à cet esprit de ténèbres leur encens et leurs hommages, qui témoignent un mépris dédaigneux pour les solennités religieuses, qui ne connaissent les jours spécialement consacrés au Seigneur que pour les profaner en se livrant à des divertissements souvent criminels et toujours dangereux ?
Ne peut-on pas dire que cette multitude a oublié et apostasié son Dieu ? Mais quand on a oublié et abandonné son Dieu, on n’est pas éloigné d’oublier et d’abandonner son roi qui en est le représentant. Quelque solidement affermi que soit un trône, peut-il rester debout sur le passage d’un torrent dévastateur qui a déjà renversé les autels du Tout-Puissant, et qui en entraîne dans son cours rapide les débris épars ?