(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE XIII et dernier. De l’utilité de l’art théâtral, et des dangers attachés à la profession de Comédien, sous le rapport des mœurs. » pp. 223-228
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE XIII et dernier. De l’utilité de l’art théâtral, et des dangers attachés à la profession de Comédien, sous le rapport des mœurs. » pp. 223-228

CHAPITRE XIII et dernier.
De l’utilité de l’art théâtral, et des dangers attachés à la profession de Comédien, sous le rapport des mœurs.

L’utilité de l’art théâtral dans l’ordre social, et les dangers attachés à la profession de comédien, sous le rapport des mœurs, offriraient la matière d’une discussion importante, qui mériterait d’être traitée avec une certaine étendue : mais ce sujet est entièrement hors de la question que je me suis proposé d’éclaircir. Je n’ai voulu prouver autre chose, sinon que les prêtres ne sont plus en droit d’anathématiser ni les comédiens, ni leur profession ; et que vis-à-vis de l’église, un acteur doit être considéré à l’égal des autres citoyens, puis qu’il est citoyen lui-même et qu’il jouit de tous les droits civils sous la protection des lois.

Tous les citoyens, en effet, qu’ils soient comédiens ou non, lorsqu’ils professent la religion chrétienne, n’ont droit aux prières de l’église et aux honneurs sacrés, qu’autant qu’ils se soumettraient aux pratiques religieuses et aux commandements de la morale divine.

Je ne m’étendrai donc pas sur les deux sujets indiqués dans le titre du présent chapitre ; mais je crois devoir faire sentir ici, que les dangers de la profession de comédien, ne peuvent justifier les rigueurs de certains prêtres fanatiques, qui par ignorance des lois ecclésiastiques, et au mépris des lois séculières, prétendraient avoir le droit d’anathématiser la profession théâtrale, et refuser aux acteurs, les prières de l’église, et la sépulture en terre sainte.

Je suis bien éloigné de pallier la vérité, au sujet des dangers de la profession de comédien, sous le rapport des mœurs ; mais je dirai que, d’un côté, le souverain, par ses ordonnances, et en confiant à ses agents, la surveillance des théâtres, a suffisamment pourvu aux mesures nécessaires, pour prévenir les abus qui pourraient naître de l’exercice de l’art théâtral. Que d’un autre côté, c’est aux prêtres à redoubler de zèle, pour exhorter les comédiens à se bien conduire, et pour leur faire envisager les périls imminents dont ils sont continuellement environnés.

La profession de comédien, n’est pas réellement contraire à la religion. Le Père Bouhours, jésuite que nous avons déjà cité à la page 136 du Chapitre VII, qui précède, a dit que « la comédie purgée de la turpitude des spectacles licencieux, et rectifiée sur le plan d’Aristote, est un amusement agréable, qui n’a rien de pernicieux ». — M. Boursault (Edme), né en 1638, mort en 1701, homme de lettres distingué, protégé par Louis XIV, et qui fut honoré de l’amitié de Thomas Corneille, disait : « Dans ce siècle corrompu, la comédie est un divertissement, et un spectacle qui peut s’allier avec la dévotion ». Le célèbre abbé Nicole (Pierre), né en 1625, mort en 1675, auteur des Essais de morale, qui jouissent d’une haute réputation, rapporte que « Saint-Augustin (évêque d’Hippone, en Afrique, en 395), s’accusait de s’être laissé attendrir à la comédie. Donc ce saint évêque, père de l’église, l’un des plus savants docteurs de son temps, allait à la comédie : mais Nicole disait aussi que le danger de la comédie, est qu’on y fait paraître bien souvent le vice aussi aimable que la vertu.

La comédie a toujours été regardée comme le délassement le plus digne de charmer les nobles loisirs des souverains, et des grands hommes : elle est encore le divertissement des hommes d’état, des grands seigneurs, des gens polis, et l’amusement du peuple ; elle est propre à rectifier les mœurs, en employant le plaisant et le ridicule ; elle a pour but de faire rire et d’instruire le spectateur.

Si la comédie a trouvé des protecteurs parmi d’illustres et de savants ecclésiastiques, elle a aussi rencontré des détracteurs implacables, parmi les mauvais prêtres, hypocrites ou tartufes. Il n’est pas surprenant qu’il s’en trouve toujours quelques-uns, assez fanatiques pour se croire en droit d’anathématiser la profession de comédien, la raison en est simple ; la comédie a souvent contribuée à démasquer l’hypocrisie, et la tartuferie des gens d’église. On ne doit donc pas s’étonner, si de nos jours encore, le nom seul de Molière, est si odieux aux hypocrites de la présente époque. Ils ne pardonneront jamais à cet auteur, d’avoir fait un chef-d’œuvre qui offense si vivement les tartufes anciens et modernes. En effet, leur ressemblance est parfaite avec le tableau qu’en a tracé cet auteur célèbre, le père de la comédie.

Quant à l’art théâtral, je n’en dirai que peu de mots. Les célèbres acteurs et actrices qui l’ont honoré dans tous les temps, en font l’éloge. Ils s’y montrèrent sublimes dans toutes les grandes expressions, dans ces tableaux frappants des infortunes humaines, dans ces actions terribles et déchirantes qui arrachent le cœur, ainsi que dans la représentation des sentiments les plus tendres, que nos actrices expriment avec une perfection et un charme, dont on peut à peine se faire une idée.

Je ne dois pas non plus oublier ceux qui se dévouent au culte de la musique et de la danse, et qui sur le théâtre, nous délassent et nous ravissent. Si la danse occupa les loisirs d’un des sept sages de la Grèce, de Socrate, auquel la belle Aspasie apprit à danser, et si, longtemps auparavant, le roi David ne dédaigna pas de danser devant l’arche, la musique aussi a droit à nos hommages : cette science sublime dans sa théorie, et délicieuse dans la pratique, est, au dire des poètes, un présent des dieux ; elle suspend nos ennuis, et adoucit nos chagrins.

Que de fameux acteurs dans l’art musical, et que de charmants danseurs et danseuses dans nos opéras, illustrèrent la scène, et l’embellissent encore aujourd’hui !

Nous pouvons donc nous vanter de posséder de nos jours, des sujets du premier mérite dans tous les genres. Je voudrais en inscrire ici les noms ; pour en décorer mon écrit. De les nommer seulement, serait pour eux, un éloge complet.

Je me permettrai seulement de proclamer le grand Talma, les Mars, les Duchesnois, les Bourgouin, etc., etc., en regrettant de taire le nom de tant d’autres non moins illustres. Ils méritent notre admiration, car tout mortel qui excelle dans un art aussi difficile, est appelé à jouir de la célébrité.