(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE VII. De l’inconséquence de quelques prêtres ignorants envers les Comédiens, et de leur fanatisme mis en opposition avec l’autorité du pape et avec la conduite éclairée du haut clergé et des ecclésiastiques sensés en France. » pp. 134-140
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « CHAPITRE VII. De l’inconséquence de quelques prêtres ignorants envers les Comédiens, et de leur fanatisme mis en opposition avec l’autorité du pape et avec la conduite éclairée du haut clergé et des ecclésiastiques sensés en France. » pp. 134-140

CHAPITRE VII.
De l’inconséquence de quelques prêtres ignorants envers les Comédiens, et de leur fanatisme mis en opposition avec l’autorité du pape et avec la conduite éclairée du haut clergé et des ecclésiastiques sensés en France.

Puisque des prêtres ont rempli eux-mêmes des rôles de comédien et qu’ils ont aidé à la propagation de cette profession, n’est-il pas inconséquent à eux de frapper d’anathème ce qu’ils ont fait naître, ce qu’ils ont voulu, ce qu’ils ont en quelque sorte créé ?

Non, il n’est pas possible que l’église ferme les yeux sur la conduite de quelques prêtres fanatiques et ignorants ; elle ne peut pas autoriser ce rigorisme injuste envers les comédiens. Elle s’exposerait au reproche d’agir à cet égard avec deux poids et deux mesures. Les faits sont là pour s’en convaincre.

Nous intervertirons ici l’ordre chronologique pour un fait seulement, et nous rappellerons qu’en 1820 un jeune acteur du théâtre de la Gaîté se suicida. L’évêque de Versailles le reçut dans le sein de l’église, et fit faire pour lui les dernières prières. Ce fait authentique est consigné dans les gazettes du temps, et il est cité à la page 163 du supplément de la grande Biographie dramatique, 1 volume in-16 ; Paris, 1825, à la librairie française et étrangère, Palais-Royal, Galerie de Bois, n° 233.

Mais remontons au temps de Molière dont le cadavre éprouve le refus de sépulture en terre sainte de la part du curé de Saint-Eustache, tandis que le curé de Saint-Joseph la lui accorde.

Molière, le plus parfait de nos poètes comiques, et l’un des plus célèbres comédiens qui aient honoré la scène, était coupable d’un crime irrémissible aux yeux du fanatisme, il a fait Tartuffe, et les hypocrites, présents et futurs, ne le lui pardonneront jamais. Son corps en effet fut repoussé de l’église, tandis que cinq acteurs de réputation furent enterrés sans opposition en l’église Saint-Sauveur, à Paris. Trois autres comédiens non moins fameux furent inhumés en l’église des Grands Augustins, et plusieurs d’entre eux avaient exercé leur profession pendant plus de cinquante années. Si on veut apprendre le nom de ces acteurs on les trouvera aux pages 161 et 162 du livre des Comédiens et du Clergé.

Molière est persécuté et proscrit par des prêtres et des jésuites, et ce sont des jésuites et des prêtres et des évêques qui lui font les plus belles épitaphes pour le venger des injustices qu’il éprouve.

J’ai rapporté dans le livre précité, page 162, l’épitaphe de Molière par le père Bouhours 8, l’un des jésuites les plus savants de son temps. Il est auteur de la vie de deux autres fameux jésuites saint Ignace de Loyola, fondateur de son ordre, et saint François-Xavier son successeur. On doit remarquer que c’est l’historien du grand saint Ignace qui a proclamé le mérite de Molière, en disant : « Les Français rougiront un jour de leur ingratitude envers cet auteur et ce comédien célèbre. »

Le vénérable évêque d’Avranches, M. Huet 9, sous-précepteur du dauphin, crut aussi devoir payer un juste tribut d’éloge à la mémoire du père de la comédie française.

Louis XIV, en parlant de Molière, l’appelle le législateur des bienséances du monde, et le censeur le plus utile des ridicules de ses sujets.

Des prêtres proscrivent les théâtres et les comédiens, et c’est le cardinal le Moine, prince de l’église, légat du pape, qui acheta l’hôtel de Bourgogne, à Paris, pour le donner aux premiers comédiens qui parurent en ce royaume.

C’est le cardinal de Richelieu, ce célèbre ministre d’état, prince de l’église apostolique et romaine, qui, en accueillant la troupe de bouffons qui venait se fixer à Paris, fit, aux comédiens qui voulaient s’y opposer, cette belle réponse, qu’il ne fallait jamais condamner personne sans l’entendre ; et il usa de son autorité pour faire recevoir cette troupe de bouffons à l’hôtel de Bourgogne.

Nous voyons encore l’abbé Perrin devenir directeur de l’Opéra, à Paris, en 1669 jusqu’en 1672. Voilà donc un ecclésiastique directeur des acteurs, des actrices et des danseuses de l’Opéra. Cependant le clergé de France n’y trouvait pas de scandale sans doute, puisqu’il n’a point lancé des anathèmes contre un de ses membres qu’il ne trouvait pas coupable ; et il voudrait encore aujourd’hui frapper des hommes qui n’exercent la profession de comédien que par la volonté du prince, et en vertu des arrêts de nos parlements !

Notre clergé emploierait donc, dans l’action de ses lois pénales, deux poids et deux mesures.

Si le clergé de France persiste à vouloir excommunier les gens de théâtre, et si des prêtres leur refusent les prières et la sépulture en terre sainte, ils se trouvent, ainsi que nous l’avons déjà dit, en contradiction manifeste avec le souverain pontife à Rome, qui protège les comédiens sans les excommunier, et dont les prédécesseurs eux-mêmes ont fait élever à grands frais des théâtres qui font l’amusement de la capitale du monde chrétien.

On compte à Rome au moins huit théâtres, où l’on rencontre journellement des ecclésiastiques, des moines et des prélats qui assistent aux représentations théâtrales.

Le souverain pontife tolère donc, non seulement les spectacles, mais il les institue, mais il les protège ; mais les prêtres, les prélats et toute la population de la cité en remplissent les salles, et les acteurs ne sont point excommuniés.

Quant à la défense qui empêche les actrices à Rome de monter sur le théâtre, et veut qu’elles soient remplacées par de jeunes castrats, habillés en femmes, ce reproche est plus sérieux. Il n’est pas nécessaire de m’en occuper. Ce reproche sort de la question que je me suis proposée, et je n’en ai dit que quelques mots à la page 170 du livre des Comédiens et du Clergé. J’y renvoie le lecteur ; chacun pourra y juger par lui-même, s’il ne vaudrait pas mieux réformer cette coutume, qui est un opprobre pour l’humanité et un deuil pour la nature.