CHAPITRE V.
De la protection spéciale sanctionnée par le Pape, accordée aux Comédiens du troisième âge, par l’autorité spirituelle, et par l’autorité temporelle.
Nous avons démontré que la puissance séculière, d’accord avec l’autorité spirituelle, se montrèrent également sévères contre les histrions, les cochers de cirque et les bateleurs.
Nous voyons encore Charlemagne, à l’instar des empereurs romains ses prédécesseurs, rendre une ordonnance, en l’année 789, qui rangeait au nombre des personnes infâmes cette espèce de comédiens histrions auxquels il n’était pas permis de tester, ni de former des accusations en justice.
Une autre ordonnance de l’an 813, du même empereur, d’accord avec les conciles, défendait aux évêques et à tous les autres ecclésiastiques d’assister à ces spectacles licencieux et à ces jeux sales et honteux des histrions.
Malheureusement le clergé catholique, dans ces temps d’ignorance et de fanatisme, se compromettait en exerçant la profession d’acteur, ou, si on veut, l’art du comédien : et cet art se trouvait avili même par les pèlerins et les confrères de la passion, qui, indépendamment de leurs comédies pieuses, y joignaient des farces obscènes. On voyait en effet des prêtres, malgré leur caractère sacré et respectable, partager le blâme attaché à ceux qui jouaient des comédies licencieuses. On avait de plus à reprocher à ces derniers, des processions profanes, mêlées de danses indécentes, et d’autant plus condamnables qu’elles se faisaient en présence du saint-sacrement.
On observera cependant qu’à l’époque à laquelle les pèlerins et les confrères de la Passion s’emparèrent de la scène théâtrale, de concert, pour ainsi dire, avec des ecclésiastiques, les comédiens cessèrent véritablement d’être anathématisés, et par conséquent c’est de cette époque que les acteurs n’encouraient plus l’excommunication à raison de leur profession.
On doit faire attention à ces différentes manières dont les comédiens sont considérés dans les canons et décrets des saints conciles déjà cités. Les uns, il est vrai, et ce sont les plus anciens, frappent d’excommunication les cochers de cirque, les bateleurs, les histrions et autres gens infâmes, tandis que les autres conciles plus modernes défendent aux prêtres de jouer la comédie, ainsi que nous l’avons déjà dit ; et ils leur interdisent même d’y assister. Or, on trouve ici la preuve, s’il était nécessaire, qu’il y avait des prêtres comédiens, et de l’autre, que les pèlerins et les confrères de la Passion, malgré les abus qu’ils introduisirent dans leurs comédies, ne pouvaient pas être excommuniés ; en effet, ils étaient trop bien protégés par le clergé lui-même : mais d’un autre côté, ils devaient être réformés et régularisés dans leur conduite, et c’est ce qui a été effectivement opéré par les gouvernements et sanctionné par le pape.
L’autorité séculière, en protégeant les comédiens d’une façon spéciale, ne devait jamais être exposée à une résistance anarchique de la part du clergé, puisque le clergé autrefois avait également protégé les gens de théâtre, mais d’une manière moins éclairée et moins régulière. En effet, les gouvernements agirent premièrement de concert avec les saints canons, qui défendaient aux prêtres de jouer la comédie, et ensuite ils s’appliquèrent à épurer la scène, et nos souverains transférèrent les théâtres hors des églises, et ils soumirent les comédiens français à de sages règlements de police ; ils firent construire de magnifiques salles de comédie, ils créèrent des comédiens qui furent salariés et pensionnés, ils les comblèrent de bienfaits, ils en honorèrent la profession et instituèrent une administration royale pour la régir, en portant toutes ces dépenses publiques dans le budget de l’état. Les théâtres moins considérables furent également améliorés, protégés, autorisés et salariés, et ils reçurent aussi des règlements qui, en les plaçant sous la direction de la police, y maintinrent le bon ordre.
Le pape, en sa double qualité de souverain temporel et spirituel, adopta de pareilles mesures dans ses domaines. Il est évidemment résulté de ce nouvel ordre des choses, que la protection spéciale de l’autorité séculière en faveur des comédiens a reçu la sanction de l’autorité du souverain pontife.
Il est en effet incontestable qu’à Rome, et dans tous les états d’Italie, l’art théâtral y est autorisé, protégé, salarié et honoré. Les prêtres n’y exigent point des acteurs l’abjuration de la profession de comédien pour les faire participer aux sacrements et aux prières de l’église, et pour les admettre aux honneurs de la sépulture en terre sainte.
Le clergé italien n’admet donc point le rigorisme injuste et non fondé qu’on est en droit de reprocher à quelques prêtres fanatiques et ignorants, qui, en France, tourmentés par le désir de dominer, et pour se faire valoir, pour en imposer, et pour se faire craindre, abusent impunément du crédit qu’ils ont usurpé, pour faire éprouver de temps en temps, aux comédiens français, des affronts non mérités. Ces avanies affligent les familles, et, en ameutant le peuple, causent des troubles toujours dangereux dans l’ordre social.
Il est donc urgent que le pouvoir administratif, d’accord avec le clergé, adopte et prenne des mesures fixes et efficaces pour servir à empêcher qu’à l’avenir, des prêtres, animés d’un zèle indiscret, ne puissent, de leur autorité privée, renouveler le scandale de pareilles scènes. Il faut enfin l’avouer franchement, ce scandale est également injurieux envers le gouvernement.
Ces odieuses vexations, faites au nom d’une religion toute de paix et de charité, seraient d’autant plus accablantes, qu’elles obtiendraient l’assentiment, l’approbation même, des gouvernements. Les principaux agents de l’autorité souveraine doivent craindre sans doute, de servir d’instrument inquisitorial pour protéger les prétentions de ce parti ambitieux, qui sait en imposer aux rois, les tromper et les effrayer.
Ce parti formidable, qui se déguise mal et siège à Montrouge, etc., etc., a adopté pour principe invariable que l’autorité des rois est sur terre, inférieure à l’autorité sacerdotale, et que cette autorité ecclésiastique peut, dans l’intérêt de la religion, et pour la gloire de Dieu, disposer ici-bas des trônes et de la vie des souverains.
Pour appuyer des prétentions aussi excessives, cette secte impie et régicide, accorde encore aux prêtres le droit d’employer des anathèmes et des excommunications dont les effets sont civils, politiques ou matériels dès ce bas monde, et peuvent susciter des guerres de religion ; ils se croient autorisés à employer enfin tous les moyens, même les plus criminels et les plus inhumains, pour parvenir à leurs fins.
Cette prétention odieuse, impie et hérétique, qui sur terre place la tiare au-dessus de la couronne, et dont les conséquences sont abominables, est directement contradictoire avec le précepte de Jésus-Christ, qui a dit formellement, mon royaume n’est pas de ce monde. Cette prétention dis-je, sert de base à la doctrine des régicides.
Les fanatiques, sous le règne de l’inquisition, ne cessèrent de prêcher cette doctrine horrible, et les jésuites qui se sont constitués les héritiers directs et fidèles de toutes les opinions séditieuses, anarchiques et régicides de l’infâme inquisition si abusivement appelée saint-office, ont également adopté, prêché et pratiqué obstinément cette doctrine diabolique du régicide, qui, aujourd’hui même, exerce ses terreurs en Espagne. Le souverain légitime de la péninsule en recueille présentement les fruits amers. C’est le fanatisme du clergé espagnol, de concert avec le monachisme et le jésuitisme ultramontain, qui les y ont fait éclore et mûrir, en foulant à leurs pieds, non seulement la morale chrétienne et évangélique, mais encore les droits les plus sacrés de la légitimité.
Les mesures fixes que je réclame en faveur des comédiens français, ne sont point contraires au principe de la liberté des cultes. Cette liberté reconnaît sans doute une espèce d’intolérance, mais seulement en matière de dogme, de mystères et de croyances : elle autorise les prêtres de chaque religion à refuser, s’ils le jugent à propos, leurs prières et l’administration des sacrements aux religionnaires de leur croyance, qui ne se conformeraient pas aux devoirs religieux qui leur sont imposés. C’est ce que j’ai bien expliqué dans le courant de cet écrit, d’une manière assez claire et assez précise, en parlant de notre religion.
La question concernant la cause des comédiens, se trouve réduite à un seul point facile à comprendre. Il ne faut que de la bonne foi pour saisir cette question, afin de prononcer si les acteurs de comédie, eu égard à la religion, doivent être considérés à l’égal des autres citoyens et comme ayant, aux mêmes conditions, les mêmes droits aux prières et aux honneurs de l’église.
On doit encore considérer que le prêtre qui exige d’un acteur l’abjuration de la profession de comédien, témoigne par là même qu’il blâme tout à la fois les gouvernements séculiers, et le gouvernement papal, d’avoir constitué et honoré cette profession et lui avoir enfin donné une existence légale. Il faut donc en conclure, que la cause des acteurs est enfin gagnée, tant auprès du gouvernement qu’auprès des membres du haut clergé de France, qui, se distinguant aujourd’hui par leurs lumières et leur équité, se convaincront que les comédiens et la comédie ont été transférés d’une manière honorable sur nos théâtres publics par la volonté de nos rois, par les arrêts de nos parlements, et enfin par l’approbation des souverains pontifes à Rome, chefs de l’église chrétienne, catholique, apostolique et romaine. Leurs suffrages et leur autorité doivent fixer à jamais, sur ce sujet, toutes les opinions et éteindre toutes les dissensions en matière de discipline civile et ecclésiastique.