(1825) Encore des comédiens et du clergé « NOTICE SUR LE MINISTERE FRANÇAIS EN 1825. » pp. 87-100
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(1825) Encore des comédiens et du clergé « NOTICE SUR LE MINISTERE FRANÇAIS EN 1825. » pp. 87-100

NOTICE SUR LE MINISTERE FRANÇAIS EN 1825.

Lorsque dans le présent chapitre 2 (pag. 63), j’ai parlé des affreux désordres de la faction anarchique des moines, des prêtres et des jésuites régicides, ultramontains, qui opprime le souverain légitime de la malheureuse Espagne, mon intention, je le répète, n’est pas d’en accuser le ministère français. Je suis en effet persuadé qu’il est subjugué par l’influence jésuitique sans cesse croissante en France. Il est donc impuissant pour empêcher le mal qu’il désapprouve, comme pour opérer le bien qu’il voudrait faire.

Je projetais un écrit, afin de prouver ce que je viens d’avancer ; mais, faute de temps, je dois l’ajourner, et peut-être indéfiniment. J’attendrai d’abord l’heureuse issue du procès intenté contre les deux journaux, dont tout le crime est de publier des vérités utiles à la vraie religion, aux souverains, aux gouvernements et aux peuples. Je veux ensuite juger si, à la rentrée des chambres, le système des lois de tendance doit prévaloir et si l’imprimerie et la librairie vont être entièrement envahies. Déjà la terreur s’empare de presque tous les imprimeurs, on ne trouve que très difficilement à publier des ouvrages favorables à l’opposition. Cette terreur s’étend aux libraires et aux bouquinistes, et se propage jusqu’aux relieurs et aux brocheuses. Désormais cette opposition si salutaire, sera frappée par des vexations et des condamnations multipliées. Elle sera, enfin, obligée de laisser le champ libre à la faction jésuitique, qui aspire à être aussi puissante en France, comme elle l’est déjà dans la péninsule.

Je dois donc déclarer que si j’ai dit des vérités incontestables, je suis bien éloigné d’approuver, et encore moins de partager, cet acharnement aveugle de tous les partis, sans en excepter aucun. Tous voudraient renverser le ministère actuel.

Parmi les hommes les plus aigris contre les ministres, on en remarque dans les rangs des congréganistes et des ultra-monarchiques de toutes les couleurs, particulièrement parmi les compétiteurs du fauteuil ministériel, entre lesquels on aperçoit d’anciens hommes d’état, qui jadis s’étaient attelés au char de la sainte alliance.

Il n’est pas jusqu’aux libéraux, qui demandent imprudemment d’autres ministres, sans réfléchir s’ils en obtiendraient de meilleurs.

Que tous les partis continuent à signaler les abus, les excès et les désordres ; mais il est bien inutile de demander un changement dans le personnel des ministres, tant que nous serons opprimés sous l’empire de l’influence des Pères de la foi.

Pourquoi donc tant d’animosité contre les personnes ? nous avons assez à gémir sur les choses. N’est-il pas visible que cette influence pestilentielle que nous avons rapportée d’Espagne, en violant nous-mêmes notre cordon sanitaire, pèse plus particulièrement sur les principaux agents des gouvernements, que sur aucun autre employé subalterne ? Réfléchissons donc que les hommes d’état à la tête du gouvernement, ne sont pas plus libres aujourd’hui sur le fauteuil ministériel, que Ferdinand VII ne l’est sur son trône.

Tous les ministres sont comprimés par le jésuitisme anarchique, et on doit plutôt leur savoir gré du bien qu’ils font quelquefois réellement comme à la dérobée ; et les excuser, en quelque sorte, du mal qu’ils ne peuvent empêcher.

Ce bien et ce mal dont je veux parler, exigeraient ici de grands détails qui seraient curieux et dans lesquels j’entrerais par la suite et probablement jamais, puisque l’opposition va être muselée par de nouvelles ordonnances et règlements.

La responsabilité ministérielle n’est-elle pas nulle ? Elle doit l’être en effet, par la nature même de notre position théocratique.

Il faut sans doute poursuivre les abus et les désordres, les dénoncer, s’il est permis, à l’opinion publique, dût-on succomber sous le poids des réquisitoires menaçants. Mais, je le répète, c’est une petitesse de s’en prendre aux personnes plutôt qu’aux choses, quand il est bien prouvé qu’on ne peut rien gagner au changement.

A coup sûr, aucun nouveau ministre ne parviendra au fauteuil ministériel s’il n’est congréganiste ou jésuite de robe courte. Il sera ennemi secret de la charte, il donnera au souverain le perfide conseil de s’emparer d’un pouvoir absolu et de gouverner ses sujets par la contrainte et par la terreur. Il est donc inutile d’avoir de nouveaux ministres, tant qu’il y aura des jacobinières jésuitiques et des clubs théocratiques, qui, à l’instar des affreux clubs jacobins de la révolution, neutralisaient et maîtrisaient despotiquement l’autorité légitime du gouvernement.

Je veux bien encore supposer une autre hypothèse, mais je serais toujours de l’avis de conserver tous nos ministres tels qu’ils sont, … même,… même,… etc., etc. Cependant, à l’exception d’un seul, s’il était possible, et uniquement parce qu’il est dans une fausse position. C’est ce que j’expliquerais d’une manière incontestable dans mon écrit projeté, mais qui n’existe que dans le futur contingent.

C’est à mon avis une calamité, dans un état, de changer souvent de ministres. De pareils changements sont des symptômes de faiblesse, de troubles et de désordres. Ils annoncent qu’un gouvernement est en proie aux différents partis qui successivement triomphent les uns des autres.

Cette hypothèse que je viens de supposer, est celle au moyen de laquelle on serait parvenu à détruire tous les clubs des disciples de Loyola, à en disperser les membres, à les faire rentrer dans l’ordre social sans qu’ils puissent y nuire, à établir au plutôt une manufacture dans la belle maison de plaisance de Montrouge, dans cette trop fameuse jacobinière jésuitique, où résident les matadors dépositaires, en France, d’une portion de la souveraineté universelle du terrible Monarque des solipses qui pèse sur le globe terrestre.

Une fois délivrés du joug honteux des jésuites, les ministres d’état, libres alors de faire le bien, et en suivant chacun sa propre impulsion, se distingueront par une noble émulation, pour profiter des avis et des réflexions que tous les partis également comprimés, sans qu’aucun ait la préférence, s’empresseront à l’envi de leur offrir.

Les ministres, livrés à eux-mêmes, seront bientôt connus par un public pénétrant. On jugera avec certitude de leurs inclinations, de leurs opinions et de leurs talents personnels. Chacun alors pourra sur de justes raisons motiver le désir qu’il aurait de voir le changement de tel ou tel ministre, ou l’admission de tel ou tel personnage pour remplacer celui-là.

Gardons tous nos ministres tels qu’ils sont, et jusqu’à nouvel ordre ; c’est la manière dont je pense, c’est mon vœu, mais continuons toujours de leur adresser la vérité, c’est à eux de réformer eux-mêmes les abus que nous leur dénoncerons au moyen de la liberté de la presse : toute autre voie serait anarchique. L’esclavage de la presse en ménageant des triomphes aux jésuites, pourrait exciter l’anarchie, et les ministres doivent craindre et prévenir également, l’anarchie populaire, ainsi que l’anarchie religieuse.

Qu’avons-nous à reprocher à nos ministres, sinon de se trouver dans une position des plus délicates et des plus difficiles ? Je voudrais y voir le plus ultra ou le plus libéral, à coup sûr s’il voulait rester en place, il ferait comme ceux qui se maintiennent aujourd’hui dans le ministère, ou bien il serait chassé dans les vingt-quatre heures.

Les hommes d’état généralement parlant, furent de tout temps des hommes choisis et remarquables par leur génie, leurs talents, leur habileté et leur dextérité à manier les affaires politiques. C’est par le mérite et la réputation d’hommes d’esprit, qu’ils parviennent ordinairement au poste élevé et si important de ministres, qui fait l’objet des désirs de tant d’ambitieux. En effet, indépendamment des préjugés qui leur sont propres et auxquels ils ne sont que trop souvent asservis, ils doivent encore caresser ceux des différents partis qu’ils ont promis de servir et auxquels ils doivent leur élévation ; ils sont de plus obligés de respecter, jusqu’à l’adulation même, les opinions du prince qui leur accorde sa confiance et qui seul a droit de les nommer et de les renvoyer selon son bon plaisir. Tels sont les écueils qui environnent perpétuellement la carrière si épineuse des ministres d’Etat. Ce poste est d’autant plus glissant qu’un gouvernement qui ne devrait jamais être d’aucun parti, se livre au contraire exclusivement à la merci d’un seul, et se soumet honteusement au joug et à l’influence de ce parti.

Les ministres, ainsi que les gouvernements, font une grande faute de se livrer à un parti ; ils doivent au contraire les comprimer et profiter du conflit des opinions pour les diriger tous et s’en éclairer.

Quant un parti dominant est parvenu à asservir un gouvernement, toutes les places sans exception sont aux enchères au profit de ce parti, et ceux-là seulement qui lui sont le plus dévoués obtiennent la préférence. Alors les opinions de ce parti prévalent sur les opinions et la conscience d’un chacun ; c’est de là qu’est née la corruption, l’hypocrisie et l’infâme morale des intérêts, dont les jésuites de tout temps et aujourd’hui les pères de la foi, profitèrent avec un si grand avantage.

Lorsqu’un gouvernement est asservi par une faction, par une secte, il cesse d’être libre, et par conséquent les ministres d’Etat en perdent également leur liberté. Dans cet état de choses, on le demande, la responsabilité ministérielle est-elle admissible ? non sans doute, elle serait même injuste. Cependant elle est d’une nécessité absolue dans un gouvernement bien réglé et surtout dans un gouvernement représentatif ; mais aujourd’hui le jésuitisme n’aime pas plus le gouvernement représentatif que la Charte : il n’aime que le gouvernement absolu.

Il n’est pas possible, cependant, de se passer de la responsabilité ministérielle. Comment serait-il possible de poursuivre les prévarications des agents de l’autorité ? Ne voit-on pas, en effet, les plus grands abus se renouveler, se perpétuer, faute de mettre en vigueur la responsabilité ministérielle ? Combien de dilapidations excessives, combien de dépenses scandaleuses n’ont-elles pas été faites sous le couvert de l’autorité ministérielle, et avant d’être votées par les chambres ? Les pouvoirs qui ont consenti malgré elles à ces dépenses, croient s’être acquittés envers la nation, par des réclamations impuissantes : mais toujours ils finissent par donner un assentiment, en quelque sorte stupide, à des guerres injustes ou du moins sans un résultat heureux, telles que la guerre d’Espagne ; ainsi qu’à des dilapidations criminelles et ruineuses pour l’Etat. Le vol cependant est constant, les voleurs sont connus, mais leur nombre est trop grand, et parmi eux il en est de trop puissants qui ont abusé de la confiance de plus puissants encore. L’impunité leur est acquise, les mesures répressives ne sont pas même proposées pour punir le vol fait à la chose publique ; des procès insignifiants sont intentés pour la forme, ils s’éteignent avec le temps, et se terminent pour ainsi dire à l’amiable, tandis que les grands complices du brigandage se partagent tranquillement les dépouilles du peuple.

Tels sont les effets de l’influence pestilentielle jésuitique, qui a envahi, qui a aveuglé les pouvoirs législatifs et fait taire la surveillance des ministres. Est-il difficile maintenant de deviner comment les ministres d’Etat éludent, avec tant de facilité, la responsabilité ministérielle qu’on voudrait faire peser sur eux ? Si on y réfléchit, ils ont raison ; car, diraient-ils s’ils l’osaient, où est notre point d’appui dans un gouvernement qui a une tendance continuelle à devenir absolu ? N’ont-ils pas pour excuse la dépendance dans laquelle ils se trouvent asservis ? Ne sont-ils pas obligés d’obéir à cette puissance occulte qui semble ne siéger nulle part et domine partout, à cette secte jésuitique et ultramontaine des pères de la foi, qui intime des ordres impératifs auxquels tous les ministres d’Etat doivent déférer, sous peine d’être renvoyés ?

Les ministres peuvent donc conclure qu’il est d’une indispensable nécessité de leur laisser partager avec le prince, l’irresponsabilité, qui cependant ne devrait être que l’attribut de la souveraineté.

En considérant la position actuelle du ministère en France, et les qualités personnelles des ministres, c’est bien en vain qu’on leur saurait mauvais gré d’avoir obtenu leur existence ministérielle à des conditions qui leur répugnent à eux-mêmes. Après tout, ils savaient bien qu’ils ne pouvaient y parvenir qu’au prix de leur liberté. Du reste, qui oserait avec justice leur reprocher de manquer de génie ? Tous sont hommes d’esprit, grands orateurs et remplis de talents. Mais bientôt ils se lasseront de jouer le rôle de créatures serviles de l’infâme société des jésuites régicides ultramontains, ennemis implacables des libertés de l’église gallicane. Ils savent bien que cette secte orgueilleuse et intolérante, ne balancerait pas à sacrifier un ministre qui oserait broncher ; et quoique fils adoptif, congréganiste ou jésuite de robe courte, elle le sacrifierait à l’instant tel : Saturne qui dévorait ses enfants.

Nos hommes d’Etat doivent donc avoir un vif regret d’être forcés d’abandonner l’Espagne à ses horreurs, sans y porter un remède efficace. Ils sont également obligés de ne jouer qu’un rôle équivoque dans l’importante révolution de la Grèce, qui doit amener de si grands résultats dans la politique de l’Europe. Il en est de même du grand mouvement de l’Amérique, auquel nos ministres semblent craindre de prendre une part active et utile pour notre commerce. Ils se laissent enfin accuser d’impéritie, parce qu’en effet les apparences sont contre eux. Je suis, en cela, bien éloigné d’être du nombre de leurs accusateurs. Haïti témoigne en leur faveur, et décèle les principes d’une saine politique ; et ces principes restent comme enfouis, et sont encore comprimés par le jésuitisme.

Qui sait ? nous possédons peut-être un Canning, et nous l’ignorons. Tous les ministres les plus habiles de l’Europe, s’ils pouvaient être appelés au ministère français, viendraient y échouer devant la jacobinière des hypocrites de Montrouge.

Les injustes interprètes des réflexions franches que j’expose dans le présent écrit, m’accuseront peut-être d’avoir pris un ton ironique ; mais j’en appelle aux hommes les plus pénétrants, ils sauront apprécier la pureté de mes intentions.

Si j’ai salué notre premier ministre du nom de Canning, l’un des plus grands hommes d’état de nos jours, l’éloge, quoique prématuré, n’est point dérisoire de ma part. Celui-là, depuis la restauration, surpasse, par la force de son génie et par la générosité de son caractère, tous les ministres qui l’ont précédé. Je ne puis m’empêcher d’admirer sa grandeur d’âme ; car il n’a encore répondu que par un noble silence, au torrent d’injures grossières qui a débordé de toute part sur son ministère. La vengeance, si facile à l’homme puissant, semble n’être jamais entrée dans son cœur, car elle n’est l’apanage que de la petitesse et de la méchanceté. A-t-il jamais poursuivi un seul de ces nombreux écrivains qui l’accablèrent de tant de brochures, de tant de pamphlets et de satires rimées ? Il fait bien voir que ce n’est pas lui, ni le ministère, qui réclament des mesures inquisitoriales ; mais c’est, au contraire, le parti fanatique ignacien qui voudrait envahir l’imprimerie et la librairie, et poursuivre avec fureur les prétendus crimes de la presse. Ce que je dis ici le déjouerait sans doute plus que les reproches de ses détracteurs ; mais la vérité, je l’espère, triomphera. D’ailleurs pourrait-il jamais être tel qu’il doit être, tant qu’il aura à lutter contre cette faction orgueilleuse et anarchique des pères de la foi ?

A la tribune, le premier ministre ne s’y montra jamais embarrassé, toujours il y conserva cette présence d’esprit et cette éloquence qui le rendirent constamment imperturbable dans les discussions les plus chaudes et les plus épineuses. Peut-on lui reprocher de certaines expressions irréfléchies, que des ministres, à d’autres époques, ont dû bien regretter d’avoir laissé échapper, tels les mots, jamais, et arbitraire ?

En politique, personne, ce me semble, n’a encore deviné le premier ministre comme étant destiné, par la force de son génie, à replacer la France au premier rang qui lui est dû, et dont elle est véritablement déchue. Il est enfin capable d’égaler le grand homme d’Etat qui est à la tête du cabinet britannique, et en devenir l’émule et non l’antagoniste.

En finance, je veux bien m’exposer à passer pour un esprit paradoxal, en assurant qu’aucun écrivain, que je sache, pour ou contre les opérations financières du premier ministre, n’a encore compris le véritable but de son système, qui n’est qu’apparent. C’est ce que je m’engage à démontrer d’une manière qui étonnera peut-être. L’écrit dans lequel je voudrais m’expliquer à ce sujet, n’est pas encore commencé, et probablement je ne m’en occuperai jamais, car, ainsi que je l’ai annoncé au commencement de la présente Notice, je ne me mettrai à l’œuvre qu’après l’heureuse issue, si elle a lieu, du procès intenté contre le Constitutionnel et le Courrier.