Outre plus si tu veux détourner ta vue pour contempler les villes et cités, tu les trouveras bien peuplées, mais c’est chose plus triste, que si elles étaient désertes. On y aindresse un jeu de Gladiateurs et escrimeurs, pour donner récréation et du passetemps au peuple, en répandant le sang humain. On nourrit le corps du Gladiateur de fortes viandes, on engraisse de saindoux ses bras et membres charnus, ses gros moignons de chair et ses muscles, afin qu’étant ainsi bien engraissé et refait, il périsse et meure plus chèrement. Pour donner du passetemps à l’homme, l’homme est mis à mort : et pouvoir occire une personne, c’est science, c’est art, c’est usage et expérience. On ne se contente pas de commettre telle méchanceté, si on ne l’enseigne quant et quanta. Saurait-on parler de chose plus inhumaine, ou plus cruelle que celle-là ? Pouvoir tuer un homme, c’est un art et science, l’avoir tué et massacré c’est gloire et honneur. Et je te prie, que diras-tu, de ce que plusieurs s’exposent aux bêtes sauvages, sans qu’ils y aient été condamnés ? Voire gens qui sont en la fleur de leur âge, d’assez honnête et excellente beauté, vêtus somptueusement, se parent pour tomber en une mort volontaire ? Et les misérables qu’ils sont, encore se glorifient-ils en leurs maux. Ils bataillent avec les bêtes, non pas pour crimes qu’ils aient commis, mais par fureur qui les stimule. Les pères contemplent leur fils, le frère est au fond et au bas du Théâtre, la sœur semblablement est présente : et est loisible d’enrichir et amplifier le Théâtre de dons et présents, afin que la mère soit présente, pour recevoir la tristesse et angoisse de la mort de son fils. O mon Dieu ! la mère
rachète cela en ces spectacles tant impies et cruels : et néanmoins telles mères ne s’estiment être parricides, et cause de la mort de leurs enfants, en les contemplant ainsi mourir. Détourne ta vue maintenant, pour considérer les divers spectacles, non moins détestables, que ce que nous venons de dire : tu verras ès Théâtres, ce qui te causera grande douleur, et te fera rougir de honte. Il y a une sorte de Tragédie, par laquelle on a de coutume de raconter par carmesb les offenses, qu’on a commises. C’est horreur d’y voir représenter les parricides et les incestueux exprimés et dépeints au vif par personnages : de peur que ce qui a été une fois commis et perpétré, ne se puisse oublier. Et par ainsi on montre à toute personne en oyantc ces choses, que ce qui s’est fait une fois, peut être fait derechef. Jamais les vices ne meurent par vieillesse, jamais le crime ne s’efface par le temps, jamais une méchanceté ne s’oublie. On propose pour exemples, ce qui a jàd cessé d’être méchanceté. Voilà comme on prend passetemps d’entendre par les déshonnêtes et vilains gestes des bateleurs, ou d’entendre ce qui se fait au logis, ou d’ouïr ce qui s’y peut faire. On apprend à paillarder, en le voyant, et est-on pour le jourd’huy tant accoutumé à ses plaisirs et désirs, que par aventure telle dame était allée aux jeux publics et spectacles chaste, et pudique, laquelle en retourne impudique. Outre aussi quelle corruption de mœurs est-ce, quels embrassements de contenances des joueurs de farces ? de voir contre toute
alliance et droit de naîtree, une personne qui endure qu’elle soit dépucelée ? Les mâles sont efféminés : tout l’honneur et vigueur du sexe masculin est corrompu par un tel déguisement : et qui peut mieux enerver et efféminer un homme, il est le plus vaillant, et le mieux venu. Il est louangé pour ce crime-là, et d’autant qu’il est plus vilain et plus déshonnête, d’autant est-il plus savant en son art : on le regarde, mon Dieu ! voire volontiers. Y a-t-il chose qu’un tel ne puisse persuader ? Il émeut les sens, il adoucit les affections, et chasse une forte et ferme conscience d’un bon cœur et entendement. Et sif un tel galant n’a pas faute d’autorité de quelque crime attrayant et alléchant, pour plus facilement apporter aux hommes quelque dommage. Ils représentent Vénus impudique, Mars adultère, et leur Jupiter, non moins prince de vices, que du royaume, qui brûle d’amour des humains, avec ses foudres : maintenant blanc comme un cygne, maintenant descendant du ciel en forme de pluie d’or : maintenant par le ministère des oiseaux se lançant pour s’amouracher de
jeunes enfants et les ravir. Demande maintenant, si celui qui regarde tous ces beaux spectacles, peut être entierg, ou pudique. Ils invitent leurs dieux, lesquels ils adorent : et encore leur attribuent-ils tels délits, comme choses pieuses, les misérables qu’ils sont. O si tu étais sur cette haute sentinelleh, et que tu pusses pénétrer les secrets, et ouvrir les serrures fermées des cabinets et chambrettes, et parvenir jusqu’à la
conscience, et à la plus secrète et occulte pensée des humains ! Tu verrais que les impudiques font des casi, que nulle personne pudique ne pourrait regarder. Tu verrais que c’est même mal fait de les contempler : tu verrais qu’il y a de si méchants et si endurcis en leurs forfaits, qu’ils nieront avoir commis, ce qu’ils se hâtent de commettre derechef. Et tout est tant débordé, que les mâles s’amourachent des mâles. On commet des crimes, qui déplaisent même à ceux qui les font. Je veux être réputé menteur, si celui qui est tel, ne blâme et ne reprend les autres. Un putierj diffame les autres, putiers, et quoiqu’il sache bien, qu’il est coupable aussi bien que les autres, si est-ce qu’il s’estime net et pur, comme si sa conscience ne suffisait pas pour l’accuser lui-même. En public ils accusent les autres, et en leurs consciences ils sont coupables : ils sont contre eux-mêmes et censeurs, et forfaiteurs. Ils condamnent dehors ce qu’ils commettent dedans. Ils font volontiers des choses, lesquelles quand ils ont faites, ils les blâment. On offense tout pleinement et tout hardiment : et avec cek impudence et lubricité ne manquentl point aux impudiques. Je ne veux pas que tu t’émerveilles de ce qu’ils disent de leur bouche impudique. C’est le moindre forfait ce qui sort de leur bouche.
(1574)
Second livre. Seconde épître. Cécile Cyprien à Donat [extrait]
« letter »
pp. 40-41