(1715) La critique du théâtre anglais « CHAPITRE III. L’insolence du Théâtre Anglais à l’égard du Clergé. » pp. 169-239
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(1715) La critique du théâtre anglais « CHAPITRE III. L’insolence du Théâtre Anglais à l’égard du Clergé. » pp. 169-239

CHAPITRE III.
L’insolence du Théâtre Anglais à l’égard du Clergé.

Nos Dramatiques traitent les gens d’Eglise d’une manière bien étrange ! ils n’attaquent en toute autre rencontre que quelque défaut extérieur ou purement naturel et borné à un certain nombre de personnes : mais ils ne connaissent ici ni règles ni bornes. Ce n’est pas seulement le ridicule que peut avoir l’homme qu’ils se contentent de découvrir ; c’est surtout le caractère dont il est revêtu qu’ils s’efforcent de diffamer. Aussi leurs Satires ne tombent-elles pas tellement sur quelques particuliers, qu’elles n’enveloppent en même temps sans réserve le corps entier dont ils sont membres.

Il est vrai que le Clergé, soit Séculier ou Régulier, n’est pas un léger obstacle aux prétentions des Poètes : par le ministère sacré la Religion se conserve, les vérités éternelles se perpétuent et la vertu se soutient. Non, le vice n’aura point un empire sans limites, et les consciences n’y éprouveront point une sécurité sans interruption ; tandis que les Ministres de l’Evangile s’acquitteront de leur devoir : tandis que ces Ministres seront regardés comme les Envoyés du Seigneur et les colonnes du Christianisme ; tandis qu’ils seront en possession d’être écoutés et respectés pour leur caractère, le sujet de la douleur des Poètes subsistera toujours ; le Théâtre sera toujours traversé, l’Athéisme combattu, et le libertinage réprimé. Que faire donc ? Afin que la licence des spectacles n’ait plus de frein, et que les principes qu’on y avance passent après cela d’une commune voix, il faut entreprendre l’Etat Ecclésiastique et le faire tomber dans le décri.

Deux choses sont nécessaires pour introduire des personnages sur la Scène sans préjudice de leur réputation ; l’une, qu’ils n’y soient point décriés par autrui, et l’autre qu’ils ne s’y décrient pas eux-mêmes : cette dernière voie de flétrir les gens est la pire ; parce qu’il semble alors qu’un homme soit de son propre fonds ce qu’on le fait paraître. Or nos Poètes observent au regard du Clergé les deux choses directement opposées à celles que je viens de dire ; et pour y réussir à souhait, ces esprits ulcérés s’épuisent dans la recherche de tous les lieux communs de la plus noire et la plus insolente malice.

Dans Le Moine Espagnol ; Dominique a le soin de chercher des prostituées pour Lorenzo : ce Religieux est nommé, « bedaine sainte et bénite, où il y a de la place à mettre toutes les cloches du Couvent ». Il est accablé d’éloges de cette espèce, où l’on glisse quelque trait contre l’Eglise en général pour les colorer d’une apparence qui les rende croyables : « Quelles sont les ressources infaillibles de l’Eglise ? C’est de mentir impudemment et de se parjurer dévotement. »
Un peu avant ceci ; Dominique feint d’être malade, se retire et laisse Elvire avec Lorenzo. Alors Lorenzo fait ces commentaires impertinents sur l’intrigue nouée en sa faveur par Dominique. « Vous voyez, Madame, que l’intérêt gouverne tout. Cet homme prêche contre le péché, pourquoi ? parce qu’il gagne à parler contre : il n’en dit rien, pourquoi ? parce qu’il gagne à n’en rien dire en telle circonstance. Il ne s’agit que d’accorder à un homme le prix qu’il demande ; et on se rédime aussi aisément des droits de l’Eglise que de ceux de l’Etat. Personne ne veut être fripon gratis ; il est juste qu’il y ait en tout de la compensation : tant d’argent pour tant de probité. Ainsi le Prêtre vous vendra-t-il à beaux deniers les lois de l’Eglise, et ira du noir au blanc et du blanc au noir, sans se soucier si le passage alternatif d’une extrémité à l’autre est permis ou non. »

Enfin Dominique est déclaré infâme, chassé honteusement du Théâtre, et poursuivi par les huées de la canaille. Belle justice ! Le Poète prend à tâche de travestir ce Religieux en scélérat ; afin d’avoir occasion de faire un exemple sur lui. M. Dryden pèse-t-il les choses dans une juste balance ? Vu que Lorenzo, tout débauché qu’il est, s’en retourne triomphant : ce n’est point le vice, mais précisément le Prêtre qu’il corrige. Que M. Dryden suit rarement les règles de l’équité dans ses Comédies ! C’est presque son ordinaire de laisser au laïque tout le fruit d’une mauvaise action, et d’en réserver la honte pour l’Ecclésiastique.

Horner entre ses réflexions sur le genre humain compte celle-ci pour une vérité constante : « Les gens d’Eglise sont les plus grands Athées. » Dans cette même Pièce ; Hancourt est en habit de Théologien ; Alithée ne le croit point ce qu’il paraît ; mais Dameret voudrait lui ôter son soupçon : « Je vous dis, moi que c’est là Hancourt de Cambridge ; vous voyez bien qu’il a toute la faquine encolure de l’Ecolead. » Ensuite, Dameret et Lucy noircissent à merveille dans Hancourt la qualité de Théologien ; mais Hancourt le fait encore mieux lui-même. Il dit dans un à parte, qu’il doit mesurer son style à son habit ; et en conséquence de cet axiome il prend le langage d’un impertinent et d’un fat.
Chamont jeune soldat appelle un Aumônier d’armée, le Chevalier de Gravité, et le traite de tu et toi. L’Aumônier oubliant son caractère respecte et flatte l’insolence de Chamont : le jeune homme devenu plus fier par la basse complaisance du Chapelain redouble d’audace et porte l’insulte au dernier excès. « N’y a-t-il donc pas dans toute ta Tribu un seul honnête homme, dit-il ? L’orgueil de vos Supérieurs vous fait tous des esclaves : vous vivez tous dans un état de gêne, de bassesse, de servitude…. Vous n’avez point assez de cœur pour pratiquer hautement la vertu ; encore que vous vous ingériez de la prêcher aux autres. »
Le soldat respire un moment ; et après cette courte suspension il revient à la charge, de plus belle : « Si tu veux que je ne méprise point tes fonctions, ni ton caractère, conviens avec moi que tous tes confrères sont des scélérats, que ton métier n’est qu’imposture, et que tu es en ce point le plus habile Profès de tout l’Ordre ; avoue-le moi : car je te dis, Prêtre, que je veux le savoir. » Le reste de la page est d’une éloquence digne de la plus furibonde harengère : « Prends-tu donc tant d’intérêt à tout ceci ? Maudite soit la face toujours hypocrite du vilain ! Voilà justement comme les Ministres de la débauche sont faits : on dit que ces infâmes ne laissent pas de prier Dieu quelquefois, de parler du paradis, de rouler la prunelle vers le Ciel et d’invectiver contre le vice ; de tromper aussi, de mentir et de prêcher la vérité comme tout Prêtre fait. N’es-tu point de ces Ministres-là ? »
Le Vieux Bachelier n’oublie pas de lancer aussi son trait contre le Clergé. On prépare un équipage de Ministre à Melbourne pour suborner Letitie ; sur quoi celui-là demande « si on a pourvu à tout ; et on lui répond : A tout, Monsieur, à tout ; au large chapeau de saint homme, au petit rabat de Docteur sévère, au long manteau de Père en Dieu ; sans oublier l’emplâtre que j’ai ouï dire que le Tartuffe Filetexte porte sur l’œil pour toute marque de pénitence des iniquités de sa jeunesse, etc. »
L’entretien que Bienmasqué et Rend-grâce ont ensemble dans Le Fourbe est digne de remarque. Bienmasqué projette d’enlever à Mellifont sa Maîtresse ; et il engage dans cette entreprise le Chapelain Rend-grâce ; « Car il faut bien qu’un Lévite y ait part, vu que si pas-un d’eux ne s’en mêlait, aucune intrigue soit publique soit particulière n’irait son chemin. » Bienmasqué crie donc à la porte du Chapelain : « Mr. Rend-grâce, Mr. Rend-grâce ! » celui-ci répond : « Mon cher Mr. je n’ai plus que le dernier vers d’un acrostiche à faire, et je suis à vous dans l’espace d’une Oraison jaculatoire, dans un Amen. » « Mon bon Mr. Rend-grâce, ne tardez pas », repart Bienmasqué. « Je me rends, dit le Chapelain, je cesserais au milieu d’un Sermon pour vous faire plaisir. » Vous ne pourriez m’en faire un plus grand, réplique Bienmasqué ; excepté celui que je viens vous demander. Avez-vous pensé à un habit pour Mellifont ? » « J’y ai pensé, répond le Chapelain. Ce qui suit est trop énorme pour ne le pas omettre.

L’Auteur de Don Sébastien porte des coups aux Evêques à l’aide du Musti, et badine sur le nom de Chrétien à l’abri du nom de Turc. Il sait que l’esprit va naturellement d’une idée qu’on lui présente à une autre qui a quelque ressemblance avec elle ; qu’il est aisé de faire l’application d’une Religion à l’autre, et que les spectateurs ne sont que trop disposés à la faire. De crainte néanmoins qu’on ne soit pas assez au fait, le Poète est attentif à y mettre les moins clairvoyants : car selon lui, « Les Prêtres de toutes les Religions sont de même acabit. » Mais afin que l’on entre encore mieux dans sa pensée ; il change de style et use, sans allégoriser, des termes propres du Christianisme. C’est Benducar qui parle.

« Quoique les gens d’Eglise aient la démangeaison de gouverner tout, ce sont des politiques bien pitoyables, bien sots et bien malhabiles. Ils ne font le mal qu’à demi. » Je le veux bien ; c’est une preuve que du moins ils ne sont pas aguerris à mal faire. Les paroles suivantes relèvent la noblesse des premières par une comparaison tirée de la profession de Tailleur : « Leurs finesses ne sont pas bien cousues, ni fort cachées ; ce sont des coutures grossières et qui crèvent les yeux. » Ce Benducar-là est un éloquent personnage pour un premier Ministre ! il eût été beaucoup plus propre à faire Jean de Leyden.
Au quatrième Acte ; le Musti est déposé et le Capitaine Thomas lui fait en partant une mercuriale que je passe sous silence. Ensuite Mustapha menace son grand Patriarche de l’appliquer à la question ; le Musti répond à cette menace avec beaucoup de gravité et de courage : « J’espère que vous ne serez pas assez barbare pour me condamner à ce supplice ; nous pouvons bien prêcher aux autres la souffrance, mais hélas ! notre chair est trop innocente et trop choyée pour pouvoir endurer le martyre. » En chemin faisant ; si l’horreur de la souffrance est une marque d’une chair innocente, notre Poète est certes de la complexion des plus grands saints ; témoin son épître dédicatoire du Roi Arthur où il paraît qu’il n’aime pas les coups.

Dans Cléomène ; Cassandre à l’Autel, et au milieu d’un grande solennité s’écrie : « Maudits soyez-vous ô Dieux ! qui moissonnez ce qu’il y a de meilleur sur la terre. Maudit soit votre temple ! Encore plus maudits soient vos Prêtres ! » Elle continue dans son emportement et accuse les Dieux et leurs Ministres de cabale et d’imposture. Ces fureurs sont très mal supposées dans l’Alexandrie : il n’est guère de peuples plus superstitieux que les Egyptiens, ni qui eussent plus vivement ressenti ces outrages faits à la Religion. Ainsi les impiétés de Cassandre n’ont nullement l’air de la vraisemblance ; elles sont tout à fait contraires aux mœurs du pays. Mais il n’importe ; cela peut être chez nous d’usage par induction et y avoir son succès ; c’est une sorte de compliment agréable aux libertins et aux Athées.

L’Œdipe a de pareilles boutades contre les Prêtres : « A quoi bon te demander la vérité ? les caresses des Courtisans, les larmes des coquettes, les serments d’un artisan, et l’affliction d’un riche héritier sont des vérités au prix de ce que nos Prêtres disent. Oh ! oh ! leur Sacerdoce est-il donc un privilège pour mentir et être crus avec cela ? » Notre Poète s’est abandonné ici à son beau feu, mais le bon sens n’y perdra-t-il rien ? Egeon apporte la nouvelle de la mort du Roi Polybe ; et Œdipe en est étrangement surpris : « O vous Puissances réunies toutes ensemble, est-il possible ? Quoi ? il est mort ? » Et pourquoi non ? Etait-ce un homme invulnérable, impassible, immortel ? Rien moins que cela ; il n’avait pour toute assurance de vie que son âge qui était de quatre-vingt-dix ans ; et si nous en croyons le Poète lui-même, « Polybe est mort comme un fruit d’automne qui tombe après avoir longtemps mûri sur l’arbre, et que l’on admire qu’il ne soit pas tombé plus tôt. »

Il y a plus ; c’est qu’Œdipe ne saurait ignorer l’âge de Polybe ; vu qu’il a très longtemps vécu avec ce Prince à Corinthe. En un mot, le fond de la chose roule sur cette circonstance ; savoir que Polybe âgé de quatre-vingt-dix ans est mort, et qu’on s’étonne qu’il ne soit pas mort plus tôt. Pourquoi donc de si grandes exclamations à ce sujet ? Pourquoi en appeler à toutes les Puissances du Ciel et de la terre, afin de rendre une telle mort croyable ? Ce tas de figures eût eu plus de fondement sur ce que Polybe se serait encore trouvé en vie ; car c’eût été de l’aveu du Poète même une chose plus surprenante.

Quoiqu’il en soit ; Œdipe est presque hors de lui-même à la nouvelle de cette mort, et désire avec impatience d’en apprendre chaque particularité : « Afin que la tempête de sa joie croisse par degrés et s’élève enfin jusqu’aux étoiles. D’où vient cette extase poétique ? d’un cerveau creux : elle n’a pour garants ni la nature ni l’exemple : Sophocle ne peint point Œdipe dans une tempête de joie ; il ne le guinde point aux étoiles.

Encore un autre essor d’imagination, au sujet de la mort d’Œdipe : il n’est pas d’abord si sublime et ne débute que modestement par un, A tous ceux qui ces présentes Lettres verront. Vous diriez qu’Œdipe va passer une obligation chez le Notaire. « Que cela soit notoire jusqu’aux extrémités de la terre. Bien plus, que cela passe au-delà même de la voûte azurée, et du Palais des Dieux ; et que le fracas de ma bruyante joie les rende sourds. » Ce Phébus me rappelle un endroit de je ne sais quel Rimeur, qui est à peu près d’une égale beauté pour la pensée : « Qu’arriverait-il si une faible abeille venait à heurter contre l’extrémité du pôle antarctique ? » Je ne dissimulerai pas que M. Dryden dans sa défense du Duc de Guise se disculpe fort de ce cambizésae ; mais pourquoi le passait-il donc à son ami ? ces verves sans règle sont d’un Ecolier et non d’un Maître.
Pour revenir à mon sujet. Le Chevalier Jean Brute paraît en habit Ecclésiastique, contrefait l’homme ivre, se bat contre un Commissaire de Quartier, qui le terrasse et qui l’arrête. Sur cela Jean Brute peste, jure et lance à quiconque des imprécations accompagnées des plus grandes infamies : les Officiers de la Justice le bernent et le donnent en spectacle comme un fidèle portrait de tout l’ordre Ecclésiastique.
Ce plaisir-là n’est guère digne d’un Protestant et ne fait pas beaucoup d’honneur à la Réformation. L’Eglise Anglicane (j’entends ceux qui la composent) est peut-être la seule communion dans le monde qui tolère de telles insolences : l’Auteur du Relaps se signale par-dessus tous les autres en ce métier. Le Chapelain Bulle fait à de nouveaux mariés des compliments et des souhaits dont le papier, pour le dire ainsi, rougirait d’être dépositaire.
Le Jeune La Mode dans la page suivante prie Bulle de se hâter d’aller trouver le Chevalier Ventre-de-tonne ; le Chapelain répond d’une manière peu conforme à son état : « Je fends les airs, je vole pour m’y rendre. » A la fin de cet Acte ; Bulle parle de la bigamie, et résout ainsi le cas. « J’avoue que d’épouser deux maris pour sa satisfaction, c’est commettre un énorme péché d’incontinence ; mais de le faire pour la paix de l’esprit, ce n’est pas plus que de s’enivrer par forme de remède. D’ailleurs, aller au-devant de la colère d’un père, c’est éviter le péché de désobéissance ; car lorsque le père est fâché, c’est à dire que la fille lui est rebelle. » La conclusion renferme la plus insolente profanation ; je n’en dirai rien davantage.
Au reste, l’Auteur du Relaps n’est ici qu’un gueux revêtu de la dépouille de Ben Jonson ; à cela près que le plagiaire porte plus haut l’impiété que l’original, et transfère la chose des rendez-vous publics au Sanctuaire. Tout ce qui appartient en propre à l’auteur du Relaps, c’est le Père fâché et la Fille rebelle. Le Chapelain Bulle dit au Jeune La Mode :  »La piété de Vôtre Grandeur est inexprimable : cependant il y a une chose qui me paraît une matière de scrupule pour vous ; car la conscience est tendre, tendre ! c’est un enfant à la mamelle.

Je remarque que quand l’imagination de nos Poètes se lasse, et qu’ils commencent à radoter, ils se jettent communément sur quelque homme d’Eglise pour le faire servir d’organe à leurs rêveries. Avec cet expédient, ils sauvent leur stupidité sous un air de verve Comique ; et leur malice y trouve son compte aussi bien que leur paresse.

Coupler instruit La Mode des moyens de s’acquérir le Chapelain Bulle et lui dit : « Sur le pied qu’un Chapelain est aujourd’hui, il faut le gagner par de gros présents ; il a besoin d’argent, de bénéfices, de vin, etc. Procurez-lui tout cela, et je vous réponds qu’il dira la vérité comme un oracle. » Quelques lignes auparavant ce sont des grossièretés encore plus crûes et semées de quelques sales bassesses : assaisonnement ordinaire de la Comédie.
Coupler avec sa politesse accoutumée apprend au Jeune La Mode, que « la nuit dernière le diable a emporté le Ministre qui ne se nourrissait que d’oies bien grasses et bien dodues ». Ensuite on outrage Bulle en vrai langage des halles ; on le fait paraître un hébété, un misérable, un impie.

J’aurais ici à parler de beaucoup d’autres Comédies ; mais c’en est assez de celles-ci pour faire connaître les dispositions du Théâtre Anglais à l’égard de l’Etat Ecclésiastique. On voit sous combien de formes la malice industrieuse de nos Poètes se travestit pour diffamer le Sacerdoce dans toutes les diverses créances. Ni Juif, ni Gentil, ni Turc, ni Chrétien, ni Genève, ni Rome ne se dérobent à leurs traits. Ne semblent-ils pas appréhender qu’il ne reste dans l’univers quelque réduit où le Souverain Etre soit adoré, la vertu pratiquée et le vice craint ? Les effets, il est vrai, ne répondent pas tout à fait à la noirceur de leur volonté ; ils sont trop outrés dans la poursuite du projet pour être heureux dans l’exécution : et leurs Satires ont je ne sais quoi de grossier où l’on ne voit ni éducation ni esprit.

Du reste, ils ne s’en tiennent pas à des paroles seulement : ils traduisent l’habit comme le ministère en ridicule : la farce se joue sous des dehors religieux et symboliques de chaque fonction sacrée : l’abus frappe par là davantage, le mépris de la Religion s’insinue avec plus de facilité, et la basse idée qu’on inspire du Sacerdoce revient naturellement à l’esprit, si tôt qu’un Prêtre s’offre à nos yeux.

Mais sur quelles autorités notre Théâtre appuie-t-il son indigne conduite ? Le Sacerdoce fut-il jamais regardé comme un vain titre ? Les Poètes anciens n’en ont-ils point fait plus de cas que nos modernes ? C’est ce qu’il faut maintenant examiner ; et je vais parcourir ce que les plus célèbres d’entre eux ont dit sur ce point. Homère ouvrira la Scène, vu qu’il est le premier en date pour l’ordre du mérite aussi bien que pour celui des temps. Quoique ce Poète n’ait point écrit de Comédies, nous pouvons néanmoins l’admettre pour Juge au regard de l’usage et de l’opinion générale de son siècle touchant le Sacerdoce. Et sur quel pied les Prêtres sont-ils dans ses Poèmes ?

Chrysès Prêtre d’Apollon paraît dans un conseil de guerre la couronne sur la tête et le sceptre en main : il offre une grosse rançon pour sa fille, et insiste fort sur l’honneur qu’il a d’être consacré à Apollon. Toute l’armée opine à accepter ses offres par considération pour son caractère, hors le seul Agamemnon : ce superbe Prince refuse de rendre la fille de Chrysès, et renvoie le père avec mépris. Apollon se trouve offensé lui-même dans la personne de son Ministre, et venge l’injure par une peste.
Adrastus et Amphius fils de Merops Prophète étaient Maîtres d’une vaste étendue de pays dans la Troade, et envoyèrent un corps d’armée au secours de Priam. Ennomus l’Augure commandait les troupes de la Mysie pour les assiégés. Phégeus et Idœus fils de Darès Prêtre de Vulcain sont en équipage de gens de qualité, et se battent contre Diomède, l’un des héros du parti des Grecs : Vulcain tire d’intrigue Idœus après un mauvais succès dans le combat. Dolopion était Prêtre du Scamandre et respecté comme le Dieu à qui il appartenait.
Ulysse au retour de Troie prit Ismare d’assaut, et pilla toute la ville excepté Maron et sa famille. Maron était Prêtre d’Apollon, et fut épargné par respect pour son ministère : il fit des présents en or en argent et en vin à Ulysse, lequel parle avec éloge de Maron ; de sa naissance, de sa vertu et de sa sagesse. Voilà tous les Prêtres dont Homère fait mention : quels égards n’a-t-il point pour eux, conformément à la haute idée que son siècle en concevait ? Je joins à ce témoignage celui de Virgile, lequel est un Poète du premier mérite dans le même genre qu’Homère.

Virgile est sans doute recommandable par la beauté du génie, par la profondeur du savoir et par l’harmonie et la majesté du style : mais on peut dire toutefois que l’ascendant qui le distingue par-dessus tout autre, c’est la justesse d’esprit et de bon sens. Un discernement exquis et sûr qui saisit les choses du côté de la nature, et de l’usage, ne l’abandonne jamais : une force de raison soutenue et une vivacité d’imagination modérée, règnent également dans ses ouvrages : son bel esprit ne s’évapore point en idées vaines et chimériques, et sa fureur poétique ne l’entraîne jamais au-delà des règles. Virgile en un mot sait conserver tout ensemble et ce grand sens et ce beau feu qui font les génies supérieurs. Or, ce maître de l’art, cet homme si judicieux et si sensé ne parle d’aucun Prêtre sans le revêtir de quelque marque d’honneur. En voici des exemples.

Lorsque les Troyens délibèrent sur ce que l’on fera du cheval de bois, et que quelques-uns veulent qu’il soit placé dans les enceintes de la ville ; Laocoon à la tête d’un parti nombreux se déclare contre cet avis : il harangue avec beaucoup de jugement et de résolution ; et d’un coup de lance il sonde la trompeuse machine. Enfin il pénètre si avant dans le stratagème des Grecs et donne de si sages conseils, que si ses compatriotes n’eussent point été infatués de leurs folles visions il aurait infailliblement sauvé la patrie.

Trojaque nunc stares, Priamique arx alta maneres.
Ce Laocoon était Prêtre de Neptune et fils de Priam ou frère d’Anchise qui était de la maison Royale ; suivant la remarque du R. Père de la Rue Jésuite.

Celui qui suit Laocoon, c’est Penthée Prêtre d’Apollon. Il est appelé Penthée Otryade, ce qui est une preuve que son Père était fort connu. Sa familiarité avec Ænée, chez qui il amenait son petit-fils, montre que c’était un homme de condition. Penthée donc après un court récit de la situation des affaires se joint à la petite troupe d’Ænée, charge avec lui l’ennemi et meurt glorieusement dans l’action.

Le troisième est Anius Roi de Délos. Ænée banni de sa patrie et cherchant à s’en acquérir une nouvelle, mouille l’ancre à Délos : Anius dans son plus magnifique appareil de Prêtre vient au-devant de lui, l’aborde gracieusement et lui prédit des choses avantageuses. En ce même Livre, nous voyons encore un autre Prêtre d’Apollon ; c’est Hélénus fils de Priam et Roi de Caonie. Il reçoit Ænée avec beaucoup de tendresse et de magnificence ; il l’instruit sur des points très importants à son dessein, et lui fait à son départ un riche présent. Je crois que nous pouvons rapprocher de l’exemple d’Hélénus celui d’une Princesse que Virgile nomme, Regina Sacerdos. C’est Rhée Sylvie, fille de Numitor Roi d’Albe et mere de Romulus et de Remus.
Ænée a pour guide la fameuse Sibylle de Cumes, lorsqu’il entreprend d’aller au séjour des Ombres : il trouve au terme, entre autres personnes de sa connaissance Polybœte Prêtre de Cérès. Ce Polybœte est cité de compagnie avec les trois fils d’Antenor, avec Glaucus et avec Thersilocus qui commandait en chef les troupes auxiliaires pour Troie : de sorte qu’on peut juger de la qualité de Polybœte par le rang des personnes avec qui Virgile le place. Ænée avance, et aperçoit dans les Champs Elysées Orphée que le Poète appelle le Prêtre de la Thrace. Nous ne nous étendrons point ici sur Orphée, si connu par son habileté dans la poésie, dans la musique et dans toutes les cérémonies de la Religion : c’était un des héros de l’antiquité et l’un des principaux chefs dans l’expédition de la Toison d’or.

Au septième de l’Æneïde, Virgile nous donne comme une liste des Princes et Officiers généraux qui vinrent au secours de Turnus, et il dit entre autres :

 « Quin et Marrubia venit de gente Sacerdos
Archippi Regis missu fortissimus Vmbro. »

Le Poète loue ce Prêtre et pour son courage, et pour ses belles connaissances : Umbro avait le secret de calmer les passions, et d’empêcher les effets du poison par le moyen des plantes dont il connaissait parfaitement la vertu : sa mort laissa de grands regrets à sa patrie qui lui fit de pompeuses funérailles.

Les Poticiens et les Pinariens dont parle Virgile, étaient au rapport de Tite-Live des hommes choisis de la meilleure Noblesse du pays ; et le Sacerdoce était héréditaire dans leur famille. Æmonide et Chlorée brillent dans le champ de Mars par l’éclat de leurs armes et par la richesse de leurs habits. Virgile ne glisse que deux mots sur la parure du premier : mais il appuie sur celle de Chlorée qu’il se plaît à décrire avec toute la magnificence dont il est capable. Macrobe, autant que je puis m’en souvenir, est enchanté de cette description qu’il estime être un des chef-d’œuvres de Virgile. Chlorée n’est qu’or, qu’écarlate et que broderie ; il est aussi magnifique dans tout son équipage que la nature et l’art peuvent le faire.
J’ajouterai encore Rhamnès, Asylas et Tolumnius, tous trois distingués par leur naissance et par leurs emplois considérables dans l’armée. Peut-être qu’ils n’étaient pas Prêtres, à proprement parler, mais seulement Augures : c’était eux qui interprétaient les résolutions des Dieux par le chant des oiseaux, par l’inspection des entrailles des bêtes immolées, et par les observations du tonnerre. Mais, ces fonctions ne consacraient-elles pas leurs personnes en leur donnant un rapport particulier avec les Dieux ? Aussi les Romains les mettaient-ils au même degré que les Prêtres.

Il est donc certain qu’Homère et Virgile, ces deux grands personnages respectent toujours les Prêtres, et les représentent avec toutes les qualités qui peuvent les rendre aux autres respectables. Dira-t-on que ces exemples sont des noms feints et des hommes qui n’existent que dans l’imagination du Poète ? Mais il ne m’importe nullement que ce soit ici fiction ou bien réalité : ce qu’il y a de sûr, c’est que si les Prêtres eussent été des gens aussi méprisables que notre Théâtre s’efforce de nous les rendre, Homère et Virgile auraient dû les peindre bien différemment de ce que nous les venons de voir ; ou plutôt, ils les auraient rejetés comme de trop bas personnages pour jouer les premiers rôles dans le Poème Epique.

Mais Homère et Virgile pensaient autrement que nos Poètes au sujet des Prêtres : ils suivaient pour règles et la nature et l’usage établi ; ils savaient que le Sacerdoce est en soi un ministère considérable, et qu’on en avait toujours eu cette idée. Ils auraient donc renoncé de sang froid à la gloire d’hommes savants et sages s’ils eussent maltraité les Prêtres ; ils auraient foulé aux pieds la Religion, et l’usage de tous les pays. Mais ce n’était pas le dessein de ces Poètes de se donner à la postérité pour des prévaricateurs et pour des sibilotsaf, uniquement afin de goûter le plaisir de mal faire.

Je viens aux Tragiques de la Grèce. Eschyle n’emploie que dans deux de ses Pièces les Ministres des Dieux : l’un est les Euménides, où la Prêtresse d’Apollon ouvre le Théâtre, et ne paraît plus après cela ; l’autre est le siège de Thèbes. Dans ce Poème le Devin Amphiaraus est un des sept Chefs de l’armée qui assiège la ville : il y a le caractère d’un sage et vaillant Capitaine, et d’un homme qui cherche plus à se signaler par de hauts faits que par une vaine montre de bravoure.

Dans l’Œdipe de Sophocle, le Prêtre de Jupiter a peu de part à ce qui se passe. Il paraît portant la parole au Tyran par l’ordre du Roi : Œdipe dans le feu de la colère traite durement Tirésias ; celui-ci réplique avec résolution et avec liberté, et dit nettement à Œdipe qu’il est un des serviteurs d’Apollon et non l’un des siens. Il est à remarquer que les duretés d’Œdipe se terminent à la personne seule de Tirésias, et ne tombent point sur son ministère en général au lieu que l’Œdipe Anglais fait du Sacerdoce même un métier de Tartufe. Dans Antigone, Créon accuse Tirésias de haute trahison, et d’avoir formé le dessein de vendre son Prince à prix d’argent : le Prêtre soutient alors sa dignité, répond d’un air grave et majestueux à l’injuste accusation, appelle le Roi, son Fils ; et lui annonce son infortune prochaine.
Euripide charge Tirésias d’une fâcheuse réponse de l’Oracle. Tirésias déclare à Créon l’alternative de la mort de son fils, ou de la perte de la ville : Créon se possède de et n’éclate point en ces cruelles circonstances : après même que son fils s’est tué, il ne fait ni des plaintes aux Dieux, ni des reproches à leurs Ministres.
Cadmus use de paroles respectueuses envers Tirésias : Penthée au contraire le menace, et est puni pour son impiété. Iphigénie fille d’Agamemnon est choisie pour être Prêtresse de Diane ; et son père s’estime honoré d’un tel choix.
Pour recueillir ensemble tous les anciens Tragiques ; Sénèque se conforme assez à Euripide, et met Tirésias à couvert d’outrages : Œdipe conjure seulement Tirésias, mais sans lui perdre le respect, de révéler la réponse de l’oracle et la personne coupable ; celui-ci s’en excuse d’abord, et enfin le fort de la plainte des Dieux retombe sur Créon. Si Calchas n’était pas Prêtre en toute rigueur, il était pour le moins Augure et avait des relations aux Dieux : C’est pour cela qu’Agamemnon reconnaît en lui un caractère respectable, et qu’il l’appelle, pour lui faire honneur, du nom glorieux d’Interprète des Destins.
Passons aux Poètes Comiques. Aristophane est un Athée si déterminé qu’il ne vaut pas la peine qu’on parle de lui. Il dit peu de choses sur la matière présente, et dans le peu qu’il en dit, les Prêtres ne sont pas plus ménagés que les Dieux. Pour Térence, il ne produit point de Prêtres sur le Théâtre ; il ne fait pas même mention d’eux dans ses Comédies. Chrysale dans Plaute définit Thestime, Prêtre de Diane, un homme d’honneur et de distinction. Ce Poète introduit une Prêtresse dans Le Rudens, qui est le seul exemple que je sache en ce genre dans ses ouvrages. Cette Prêtresse retire chez elle deux femmes sauvées d’un naufrage et reçoit de grands éloges au sujet de son amour pour l’hospitalité. Le débauché Labrax menace de forcer le temple, et commence en effet de le faire : Demade, homme de condition est surpris de cette violence, et promet d’en punir l’auteur : le bruit de cet attentat inouï le fait s’écrier : « Quis homo est tanta confidentia qui Sacerdotem audeat violare ? » On voit qu’en ces temps-là c’était une insolence extrême que d’insulter au Sacerdoce, et aux dépositaires de la Religion.

Telle était donc la conduite des anciens Dramatiques : les Prêtres paraissaient rarement dans leurs Poèmes ; et quand cela arrivait, c’était pour quelque affaire d’importance : on les considérait toujours comme des personnes de marque : ils se comportaient toujours d’une manière qui répondait à leur dignité, sans se démentir en quoi que ce fût ; loin de se dégrader par des bassesses ou par des infamies.

A l’égard des Poètes modernes, le célèbre Corneille et l’inimitable Molière n’emploient point de Prêtres dans leurs ouvrages. Le premier exclut Tirésias même de son Œdipe ; quoique le retranchement de ce personnage estropie la fable et se trouve bien à dire dans sa Tragédie. Et quel autre motif que le respect pour la Religion aurait pu l’empêcher d’user d’une liberté fondée sur la pratique de ses prédécesseurs ? J’apprends que la même retenue s’observe en Espagne et en Italie, et qu’il n’y a dans l’Europe que le Théâtre Anglais qui se fasse un amusement d’exposer des Prêtres sur la Scène.

Au reste, il vaudrait toujours mieux qu’on retranchât tout Prêtre de la poésie Dramatique : cette suppression ne pourrait que contribuer beaucoup à conserver l’honneur qui est dû aux dehors mêmes de la piété. Le Sacerdoce est un trop saint et trop auguste ministère pour paraître assez décemment sur un Théâtre. La Religion n’est point une matière aux divertissements du siècle. Ni le lieu des spectacles profanes, ni les Acteurs, ni toutes les autres circonstances ne compatissent avec des choses sacrées. Représenter l’Eglise dans une Comédie, c’est le moyen de tourner en Comédie cette Eglise même, de convertir en Roman le Christianisme, et de persuader au vulgaire ignorant que les objets les plus sérieux ne sont que des plaisanteries et des visions.

Les Tragédies à Athènes étaient une manière de discours moraux, destinés à l’instruction des peuples : et c’est pour cela qu’elles sont si chastes, si religieuses et si remplies de sentences. Plaute nous assure que les Poètes Comiques avaient aussi coutume de prêcher la morale au peuple. Ainsi, il est moins étonnant qu’il y eût quelquefois des Prêtres sur le Théâtre de ces Païens : le sujet de la pièce était grave alors ; et d’ailleurs l’esprit du Paganisme rend cet usage plus tolérable.

Mais nos Poètes se guident sur une autre boussole que les anciens : leur but, c’est de détruire la Religion ; leur maxime c’est de renverser la morale ; et leur grande affaire, c’est à tout le moins de faire rire. Quoiqu’il en soit, que l’on arrange les choses comme on voudra, que l’on manie le caractère sacré avec toutes les précautions imaginables et toutes les bienséances possibles ; après tout, aucun Prêtre chrétien ne doit être mis sur le Théâtre. Puisqu’une telle représentation est un abus accordé par force à la dureté du siècle, et que le lieu où elle se fait est un lieu profane, elle ne saurait être excusable, quelques mesures que l’on prenne.

Racine est une exception de ce que j’ai avancé touchant le Théâtre Français. Le Grand Prêtre Joad est l’un des premiers rôles de son Athalie : le Poète a égard à la dignité du personnage, il le fait un homme de probité et de valeur, et lui conserve jusqu’à la fin un caractère éclatant. Mathan autre Prêtre de cette Tragédie devient idolâtre et quitte le Dieu d’Israël pour Baal. Il est vrai que ce Mathan est un très méchant homme : mais non un homme de néant ; c’est un des principaux chefs de la faction d’Athalie. Et quant aux iniquités de sa vie, elles ne rejaillissent que sur lui et ne déshonorent que sa personne. En un mot, toute cette pièce est très édifiante : on n’y donne que des leçons de piété, on n’y chante que de saints cantiques ; et on ne la joue point sur un Théâtre public.

Disons quelque chose de nos Poètes jusques à Charles II. Shakespeare se donne la liberté de faire entrer des gens d’Eglise dans plusieurs de ses pièces : mais il en soutient d’ordinaire la dignité, et ne leur attribue rien qui ne soit dans les règles. J’avouerai pourtant qu’il s’oublie bien en quelques rencontres. Le Prêtre Evans, par exemple, a des manières trop mondaines et trop enjouées : du reste il tient assez son rang et se comporte en honnête homme. Mais dans une autre de ses Comédies intitulée, Beaucoup de peine pour rien, le Curé fait le personnage d’un fou, et le Poète n’y paraît pas plus sage que le Curé : car cette pièce n’est qu’un tissu d’impertinences cousues ensemble.
Dans l’histoire du Chevalier de Château-vieux ; Messire Jean Ministre de Wrotham jure, joue, boit, est un Chevalier d’industrie, un libertin, un voleur de grand chemin. Certainement rien n’est plus blâmable ni plus ressemblant à l’Auteur du Relaps ; à cela près que ce Messire Jean a quelques bonnes qualités ; enfin c’est un homme de cœur, un brave qui fait prisonniers plusieurs rebelles : le Roi le récompense de cette action de vigueur ; et les Juges au milieu de ses autres mauvaises affaires ne laissent pas de lui marquer de la considération et de l’estime. En un mot, si Messire Jean est coupable de bien des crimes, il n’est du moins ni un hypocrite ni un lâche aux yeux des hommes ; et de plus, ses crimes ne sont point imputés à son état, mais uniquement à sa personne. Le Relaps au contraire a pour fin de flétrir le Sacerdoce, et d’en anéantir le caractère autant qu’il est en son pouvoir : de façon que le tout pour le tout, il s’en faut bien que Shakespeare soit aussi criminel que lui.
Ben Jonson introduit un Ecclésiastique et un Jurisconsulte dans La Femme Taciturne. Mais il prévient sur cela les Spectateurs et leur demande grâce ; parce que ce ne sont que des personnages comme détachés du corps de la pièce. Et puis, il est attentif à sauver l’honneur de l’un et de l’autre caractère. Il y a encore au troisième Acte un Prêtre que Cutber et Morose maltraitent ; mais l’injustice de ce procédé est bientôt reprochée avec indignation. Dans Le conte de peau d’âne, dans Le Berger affligé etc. les gens d’Eglise ne sont pas trop ménagés. Aussi ces Comédies sont-elles les productions d’une Muse expirante que M. Dryden appelle les rêveries de Ben Jonson.

Beaumont et Fletcher dans La Bergère fidèle, dans Le Chevalier de Malte etc. ah ont des Prêtres et des Prélats d’un caractère assorti à leur dignité, et d’une réputation hors d’atteintes. Dans La Femme dédaigneuse et dans Le Curé Espagnol ai deux Prêtres sont outragés ; l’un est un insensé, et l’autre un fripon : il semble en vérité qu’on ne les emploie tous deux que pour ravaler la Religion. Il est donc vrai que le Théâtre Anglais s’est toujours déchaîné contre l’état Ecclésiastique : et cependant il ne le fut jamais autant qu’il l’est aujourd’hui.

Je laisse les Poètes pour entrer dans les preuves tirées de la raison et de l’histoire. Je veux montrer en peu de mots combien il est juste que les Ministres de la Religion soient respectés ; et cela fondé sur ces trois choses : sur leur dévouement spécial au Seigneur, sur l’importance de leur ministère, et sur la vénération non interrompue où ils ont été dans tous les pays du monde.

Premièrement. Le Sacerdoce est tout consacré au culte divin ; et un Prêtre a spécialement l’honneur de n’appartenir point à un moindre Maître que le Très-haut. Or la gloire du serviteur croît à proportion de la qualité du Maître qu’il sert : il est plus honorable, par exemple, d’être attaché au service d’un Prince qu’à celui d’un simple particulier. Faisons et l’analyse et l’application de ce raisonnement. Les Prêtres du Christianisme sont les principaux Ministres du Royaume de Dieu ; ils représentent ici bas ce souverain Dominateur ; ils sont les défenseurs de sa Loi ; les sources de sa divine grâce leur sont confiées ; c’est eux qui président aux hommages publics qui lui sont dus. Se moquer donc d’un Prêtre, et encore plus de son caractère, quel crime n’est-ce point ? C’est se moquer de Dieu même. Les injures faites à un Ambassadeur sont réputées faites à son Maître et sont vengées comme telles.

Outrager les Envoyés du Seigneur, c’est au fond ne le reconnaître point lui-même ; c’est regarder les saints Livres comme des fables, et les vérités de l’autre vie comme des impostures inventées par les Prêtres : c’est s’être dit à soi-même, je suis désormais résolu de ne point épargner la profession de ces imposteurs. Mais se jouer de ce que l’on sait être d’institution divine, ne faire point de cas de ceux qu’on croit les Ministres du Seigneur, et rendre par là son autorité méprisable autant qu’on le peut, ce n’est guère moins que de sommer Dieu et de le défier de montrer sa Toute-puissance, de faire éclater son courroux et de tirer raison de sa souveraineté méprisée.

Si l’on s’avisait dans un Royaume de se rire des fonctions de la Magistrature, de vouloir abolir la profession de Courtisan, et de ne tenir aucun compte des Officiers de la Couronne ; cette conduite avertirait suffisamment le Prince de prendre garde à soi : il n’aurait que trop sujet de croire que sa personne est méprisée, qu’on traite son autorité de fantôme ; et que ses peuples sont prêts de se choisir un autre Maître, ou de se gouverner à leur fantaisie.

La conservation de la Religion dépend beaucoup de la haute idée qu’on a de celui qui en est l’Auteur ; aussi bien que la conservation d’un Etat dépend fort de l’estime qu’on a pour celui qui en est le Chef. Il est vrai qu’on ne détrône pas le Tout-puissant, ainsi qu’un Monarque de la terre, et que le bonheur de l’Eternel subsiste indépendamment de nos hommages. Mais, comme Dieu n’use pas de son pouvoir absolu pour nous réduire, et qu’il laisse aux hommes l’usage de leur liberté ; il est sûr que la reconnaissance et l’obéissance qui lui sont dues se perdent à mesure qu’on affaiblit son autorité par le mépris de ceux à qui elle est commise en ce monde. Et il est facile de s’imaginer combien un attentat de cette nature doit irriter sa colère.

Secondement. Les vérités et les pratiques de la Religion influent beaucoup sur la société civile. La félicité de cette vie ne tient pas peu à la créance d’une autre. Ainsi, quand par une supposition chimérique nos espérances ni nos craintes ne s’étendraient pas au-delà de ce qui frappe les sens ; l’intérêt commun, le bien public, la prudence purement humaine devraient nous porter à ménager le Sacerdoce. Car les Prêtres et la Religion sont comme deux choses l’une de l’autre inséparables : la Religion se conserve si on maintient les Prêtres, et elle tombe s’ils viennent à manquer.

Oui, la Religion est la base du Gouvernement même politique : sans elle, l’homme est un mauvais sujet, un fâcheux citoyen ; ou plutôt, ce n’est pas un homme. Dès qu’il n’y a plus de conscience, il n’y a plus ni sujétion, ni bonne foi, ni humanité. L’Athée qui se borne à soi-même, et qui ne se soucie pas d’un avenir qu’il ne croit point, n’a d’autre attention qu’à tirer tous les avantages possibles du présent : son intérêt et son plaisir sont ses Dieux, auxquels il n’hésitera pas de sacrifier tout.

Troisièmement. Le Sacerdoce doit être considéré dans le monde ; parce que c’est un privilège dont il a joui jusqu’à présent sans prescription. Cette vérité est si constante que tous les siècles et toutes les nations semblent fournir à l’envi des témoignages pour l’attester. Un discours d’une juste étendue sur ce sujet ferait un ample volume ; mais je ne ferai que le toucher comme en passant.

A l’égard des Juifs premièrement. Nous lisons dans l’histoire écrite par Joseph, que la race d’Aaron était l’une des plus illustres, et que les Prêtres en général étaient comptés parmi la principale Noblesse.
L’ancien Testament nous apprend que le Grand Prêtre était la seconde personne du Royaume. Le corps de cet ordre avait une juridiction civile : et les Prêtres faisaient encore partie de la Magistrature au temps de Jésus-Christ. Le Grand Prêtre Joïada fut jugé une alliance digne de la famille Royale ; il épousa la fille du Roi : son crédit et son pouvoir allaient si loin qu’il mit fin à l’usurpation d’Athalie : il fut lui-même à la tête du rétablissement du légitime Monarque. Dans la race Assamonéenne, ils étaient Prêtres et Rois.
La Monarchie d’Egypte était une des plus anciennes et en même temps des plus polies du monde, si nous en croyons l’histoire. Là, les sciences et les arts qui perfectionnent l’esprit et qui en font la gloire, prirent naissance. Là, Platon et la plupart des fameux Philosophes se rendaient pour s’enrichir l’esprit de connaissances nouvelles et satisfaire leur avidité de savoir. Or, dans cette Monarchie si célèbre par tant de beaux endroits, les Prêtres n’étaient point confondus avec le vulgaire. C’était eux qui composaient conjointement avec les gens d’épée, le corps de la Noblesse. Outre les fonctions religieuses qui les séparaient du commun, les Archives et les Actes les plus importants de l’Etat étaient confiés à leur garde. Plusieurs d’entre eux étaient nourris dans les Cours des Rois, employés à l’éducation des jeunes Princes et admis au Conseil d’Etat.

Joseph Vice roi d’Egypte et au plus haut point de sa grandeur et de son crédit fut marié à la fille de Potiphar, Prêtre d’Héliopolis. Le Texte sacré dit que Pharaon la lui fit épouser : ce qui prouve que ce mariage était un choix et une distinction de la part du Roi envers Joseph, et non une disproportion de rang ou une inclination de la part de Joseph pour la fille de Potiphar.

Les Mages de la Perse et les Druides de la Gaule occupés au culte des Dieux, étaient dans une extrême vénération, et possédaient les premières Charges de l’Etat.

Les Indiens, au rapport de Diodore de Sicile, sont divisés en sept corps ; dont le premier est la Caste des Brahmanesaj qui sont les Prêtres et les Philosophes du pays. « Cette Caste est la plus petite pour le nombre, mais la plus considérable pour la qualité : ceux qui ont l’honneur d’en être ont des privilèges extraordinaires. Ils sont exempts de toutes taxes et vivent dans une indépendance absolue des Puissances séculières. Ils sont seuls appelés pour offrir les sacrifices et pour faire la cérémonie des funérailles. Ils sont estimés les favoris des Dieux, et les seuls instruits des choses de l’autre vie. C’est pour cela qu’on les révère et qu’on leur fait quantité de présents. »

On avait pour les Prêtresses d’Argos une telle considération que l’on datait les Epoques, de leur nom et de leur temps ; et que dans la Chronologie elles tenaient lieu d’Empire, de Règne etc.

Polybius loue extrêmement les Romains de leur piété à l’égard des Dieux, et de tout ce qui leur était consacré : aussi en donnaient-ils de grandes marques ; car lorsque leurs premiers Magistrats et leurs Consuls mêmes rencontraient quelqu’une des Vestales, ils ne manquaient point de baisser leurs faisceaux par respect. Le Sacerdoce fut chez eux restreint pendant quelque temps à l’ordre de Patriceak, c’est-à-dire de la plus haute noblesse. Ensuite, les Empereurs eux-mêmes furent communément Grands-Prêtres. Ces peuples recherchèrent dans leurs malheurs l’amitié de Coriolis qu’ils avaient banni ; et lui envoyèrent à ce sujet de solennelles ambassades. La célébrité de ces ambassades et les remarques que fait sur cela un Historien montrent assez que le corps des Prêtres dont quelques-uns avaient part à la cérémonie, passait alors pour n’être inférieur à aucun autre corps de l’Etat. Encore un témoignage, c’est celui de Cicéron dans sa harangue aux Pontifes. « Cum multa divinitus, Pontifices, a Majoribus inventa atque instituta sunt ; tum nihil præclarius quam quod vos eosdem, et religionibus Deorum Immortalium et summæ Reipublicæ præesse voluerunt. »

Nous voyons en quel rang le Sacerdoce était parmi les Juifs ; et jusqu’où la raison toute seule apprenait aux Païens à le révérer. Ce caractère serait-il déchu du droit qu’il eut autrefois à l’estime des hommes ? Le Christianisme est-il devenu un préjudice au Sacerdoce ? La dignité d’une Religion en dégrade-t-elle les fonctions ? On ne saurait comparer sans crime les Ministres du vrai Dieu avec les Prêtres des Idoles. Ce serait faire affront à notre créance que de balancer ici un instant les respects que méritent les premiers avec ceux que le paganisme rendait aux autres.

Il est vrai que le Sacerdoce des Juifs était d’institution divine : mais tout ce qui est d’institution divine n’est pas d’une égale considération : les réalités sont quelque chose de plus que les figures et les ombres ; et comme dit l’Apôtre des Gentils, l’ordre de Melchisedech est plus parfait que celui d’Aaron. L’Auteur immédiat de la Religion Chrétienne, les pouvoirs, les fonctions, la fin du Sacerdoce de ses Ministres, tout cela est bien plus relevé qu’il ne l’était dans le Judaïsme. Car Jésus-Christ n’est-il pas plus grand que Moïse ? Le Ciel que les Prêtres ouvrent aux Chrétiens, ne vaut-il pas mieux que la terre de Canaan ? L’Eucharistie n’est-elle pas infiniment préférable à tous les sacrifices de l’ancienne alliance ? Ainsi, dans le Christianisme le Sacerdoce pris en lui-même exige une vénération qu’aucun raisonnement ne peut lui disputer.

Pour ce qui est du fait sur ce point : le monde Chrétien ne balança jamais à le reconnaître et à l’honorer. Dès que les Grands de la terre furent convertis à la Foi de Jésus-Christ, ils ne donnèrent pas au Sacerdoce une médiocre part dans les choses mêmes temporelles, témoin Constantin, ses Successeurs, etc. Mais je viens à des temps et à des pays plus connus.

La France est partagée en trois Corps, dont le premier est celui du Clergé. En conséquence de cette prérogative, c’est à un des membres de ce Corps qu’il est accordé de haranguer le Roi, le premier à l’Assemblée des Etats.
En Hongrie, les Evêques sont très considérés, et quelques-uns d’eux remplissent les postes les plus importants. En Pologne, ils sont Sénateurs, c’est-à-dire, partie de la haute Noblesse. En Moscovie, ils sont encore plus distingués ; et le Tsar d’aujourd’hui est de la race Patriarcale. Il n’est pas besoin, je crois, que je parle de l’Italie. En Espagne, les Evêques sont communément plus riches que partout ailleurs ; et les richesses attirent de la considération : les Prélats y jouissent de leurs terres avec les mêmes droits que les gens de qualité qui sont au service, et sont dispensés de toute comparution personnelle. En France, ils sont Ducs, Pairs, Comtes ; en Allemagne, Princes Souverains ; en Angleterre, Lords du Parlement : et la loi y distingue positivement la Chambre haute entre la Noblesse Ecclésiastique et la Noblesse Séculière. Plusieurs de nos Statuts appellent les Evêques, Nobles, précisément parce qu’ils sont Evêques. Enfin ils portent dans leurs Armoiries, et la Jarretière et les Pierres ; ce que personne au-dessous de la Noblesse n’ose s’attribuer.

Il y a eu en Angleterre des personnes du premier rang dans les Ordres sacrés. Odo frère de Guillaume le Conquérant était Evêque de Bayeux et Comte de Kent. Le frère du Roi Etienne était Evêque de Winchester. Nevill Archevêque de York était frère du fameux Comte de Warwick : et le Cardinal Pool était de la maison Royale. Si nous nous rapprochons des derniers temps, nous compterons dans les Ordres sacrés un nombre presque infini de personnes de qualité : témoin les Berkeleysal, les Comptons, les Montages etc. Pour ce qui est des simples Gentilshommes, il est très peu de familles en Angleterre qui n’aient ou qui n’aient eu quelqu’un dans l’Eglise.

En un mot, le Sacerdoce est un état noble. Le nom de Prêtre, malgré l’ignorance orgueilleuse de quelques petits esprits, est un nom honorable, eu égard à la Religion et au monde même qui lui donne avec justice de la considération. La qualité de Clerc est pour le moins égale à celle de Gentilhomme : autrement elle pourrait paraître en plusieurs rencontres une sorte de tache. Mais la loi est bien éloignée de faire d’un Ordre sacré une dégradation ignominieuse : la gloire d’une famille continue dans l’Etat Ecclésiastique aussi bien que dans l’Etat Séculier ; l’écusson en est également conservé dans l’un et dans l’autre : lors même que l’on quitte celui-ci pour embrasser le premier, le nom de Clerc et non celui de Gentilhomme devient la signature ordinaire. Cet usage montre assez qu’on ne perd rien au change, que le caractère spirituel vaut bien l’autre, et pour m’exprimer ici modestement, que si la Cléricature n’efface point, elle couvre au moins le titre de Gentilhomme. Enfin qu’un homme de la première qualité soit dans le Sacerdoce ou n’y soit pas, le style est toujours le même en son endroit, quant aux titres d’honneur ; il signe pareillement : Baron de etc. Duc de etc. s’il est l’un ou l’autre.

Certainement, nous ne pouvons croire qu’un homme soit déchu de la gloire de sa famille, dès là qu’il est homme d’Eglise ; sans faire outrage à notre patrie ; sans supposer que nous avons pour Monarque un Julien, et que les lois de l’Antechrist sont les règles que nous suivons. Dégrader de Noblesse les Ministres de l’Evangile à cause de leurs saintes fonctions, ce serait comme imposer des lois pénales à l’Evangile même et mépriser souverainement l’Auteur de la Religion chrétienne. Car telle est la parole de Jésus-Christ à ses Disciples : « Qui vous méprise, me méprise : et qui me méprise, méprise celui qui m’a envoyé. »

Je me flatte qu’on ne trouvera pas mauvais le peu que je viens de dire à la louange du Clergé : il n’y a pas de vanité à reprocher lorsqu’il s’agit nécessairement de se défendre : c’est pure justice que de se laver des taches dont on est noirci, et de rappeler les choses de l’erreur à la vérité. D’ailleurs, quand il y va de la gloire de Dieu et du bien public, on est indispensablement obligé de parler. Celui, par exemple, à qui le Prince donne une Charge, peut-il ne s’en pas acquitter par je ne sais quelle timidité qui l’arrête ? ce serait trahir la cause du Prince. Ce n’est point une honnête retenue, c’est bassesse que de n’agir pas en ces occasions : la modestie la plus humble ne demande jamais qu’un homme prévarique sur ce qu’on lui confie, ni qu’il se dépose du pouvoir dont il est revêtu pour oublier son devoir. Hé ! quoi ? l’autorité que l’on reçoit de Jésus-Christ pour la défense de son nom, est-elle inférieure à celle que prêtent les Rois de la terre pour le soutien de leurs intérêts ; Les Royaumes de ce monde sont-ils de plus grande importance que le Royaume du Ciel ? Les affaires du temps présent sont-elles plus pressantes que celles de l’éternité ? Non sans doute. Par conséquent c’était une obligation essentielle de ne se pas taire sur les outrages faits aux Ministres du Seigneur.

Du reste, il me paraît que les mauvais procédés de notre Théâtre sont maintenant assez visibles ; et que le Sacerdoce ne mérite aucun des traitements indignes, dont on l’accable. J’avoue que je ne sais pas de profession dans le monde qui ait été plus considérée que l’état Ecclésiastique, et qui ait pour cela des privilèges mieux établis ; et de meilleures raisons pour les maintenir. La conscience à part : où est le bon sens de se déchaîner contre le Clergé ? Quelle bévue de ne représenter les choses nullement au naturel ? de les peindre sous des traits qui n’y ont pas le moindre rapport ? avec des couleurs qui leur sont si étrangères qu’on les prend uniquement pour ce qu’elles ne sont pas ? Il faut être bien aveugle et bien ignorant pour fouler ainsi aux pieds et la raison et les règles de l’art.

D’un autre côté, quelle espèce de plaisir découvre-t-on dans ce composé de mauvais sens et d’abus ? Est-ce celui de la Religion burlesquement traitée par l’Athéisme, et des choses les plus respectables, jouées par des bouffons ? Quel divertissement pour des Chrétiens ! pour des personnes mêmes de bon goût !

Mais le Clergé n’est pas toujours dans la règle ? et il faut bien qu’il soit averti de ses fautes. Les Poètes sont-ils les Supérieurs Ecclésiastiques ? Les chaires Chrétiennes sont-elles sous la discipline du Théâtre ? Et ceux-là sont-ils propres à corriger l’Eglise qui ne sont pas jugés dignes d’y être admis ? De plus, pourquoi s’en prendre à tout le Corps et au caractère sacré ? Le Sacerdoce est-il un crime ? et le dévouement public au service du Seigneur, un sujet de reproche ? Je ne disconviens point que la personne et sa profession ne s’accordent pas toujours ensemble. Un bon poste peut être mal gardé ; mais la plainte doit alors tomber sur la négligence de l’Officier, et non sur son poste qui n’en est pas moins bon pour cela. Le Prêtre est capable de faire des fautes aussi bien que les autres ; mais son caractère est toujours le même, il est toujours pur et sans tache : l’homme dans lui peut devenir méprisable, et jamais le Prêtre. On doit donc par respect regarder tout Prêtre, comme la charité veut que l’on regarde tout homme, par le côté le plus avantageux.

On me dira peut-être que tout le Clergé dans nos Comédies se borne à des Chapelains ; et que ces gens-là appartenant à des personnes de qualité, on peut bien les représenter sur le pied d’hommes à gages et de domestiques, sans y garder tant de mesures. Je réponds en premier lieu, ainsi que je l’ai fait voir, que nos Poètes insultent souvent à tout l’état Ecclésiastique, sans égard à qui que ce soit, ni à aucune fonction. Mais quand cela ne serait pas ; je réponds en second lieu que l’idée qu’on se forme des Chapelains est une erreur très grossière. Ce ne sont point des domestiques : ils ne sont proprement les serviteurs de personne que du Tout-puissant. C’est ce que j’ai prouvé fort au long dans un de mes Traités de Morale ; et j’y renvoie le Lecteur.