(1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 5. SIECLE. » pp. 147-179
/ 1079
(1667) Traité de la comédie et des spectacles « Sentiments des Pères de l'Eglise sur la comédie et les spectacles — 5. SIECLE. » pp. 147-179

5. SIECLE.

SAINT AUGUSTIN

Dans le 2. Chapitre du 3. livre de ses Confessions.

J'avais en même temps une passion violente pour les Spectacles du Théâtre, qui étaient pleins des images de mes misères, et des flammes amoureuses qui entretenaient le feu qui me dévorait: mais quel est ce motif qui fait que les hommes y courent avec tant d'ardeur, et qu'ils veulent ressentir de la tristesse en regardant des choses funestes et tragiques qu'ils ne voudraient pas néanmoins souffrir ? Car les spectateurs veulent ressentir de la douleur, et cette douleur est leur joie ? D'où vient cela, sinon d'une étrange maladie d'esprit ? puis qu'on est d'autant plus touché de ces aventures poétiques, que l'on est moins guéri de ses passions, quoi que d'ailleurs on appelle misère le mal que l'on souffre en sa personne ; et miséricorde, la compassion qu'on on a des malheurs des autres: Mais quelle compassion peut-on-avoir en des choses feintes, et représentées sur un Théâtre, puisque l'on n'y excite pas l'auditeur à secourir les faibles et les opprimés, mais que l'on le convie seulement à s'affliger de leur infortune ; de sorte qu'il est d'autant plus satisfait des Acteurs, qu'ils l'ont plus touché de regret et d'affliction ; et que si ces sujets tragiques, et ces malheurs véritables ou supposés, sont représentés avec si peu de grâce et d'industrie, qu'il ne s'en afflige pas, il sort tout dégoûté et tout irrité contre les Comédiens. Que si au contraire il est touché de douleur, il demeure attentif et pleure, étant en même temps dans la joie, et dans les larmes. Mais puisque tous les hommes naturellement désirent de se réjouir, comment peuvent-ils aimer ces larmes, et ces douleurs ? N'est ce point qu'encore que l'homme ne prenne pas plaisir à être dans la misère, il prend plaisir néanmoins à être touché de miséricorde ; et qu'à cause qu'il ne peut être touché de ce mouvement sans en ressentir de la douleur, il arrive par une suite nécessaire qu'il chérit et qu'il aime ces douleurs ?

Ces larmes précèdent donc de la source de l'amour naturel que nous nous portons les uns aux autres. Mais où vont les eaux de cette source, et où coulent-elles ? Elles vont fondre dans un torrent de poix bouillante, d'où sortent les violentes ardeurs de ces noires, et de ces sales voluptés : Et c'est en ces actions vicieuses que cet amour se convertit et se change par son propre mouvement, lorsqu'il s'écarte et s'éloigne de la pureté céleste du vrai amour. Devons-nous donc rejeter les mouvements de miséricorde et de compassion ? Nullement : Et il faut demeurer d'accord qu'il a des rencontres où l'on peut aimer ses douleurs. Mais, ô mon âme, garde toi de l'impureté; Mets-toi sous la protection de mon Dieu, du Dieu de nos Pères, qui doit être loué et glorifié dans l'éternité des siècles. Garde toi mon âme de l'impureté d'une compassion folle: Car il y en a une sage et raisonnable dont je ne laisse pas d'être touché maintenant. Mais alors je prenais part à la joie de ces amants du Théâtre ; lors que par leurs artifices ils faisaient réussir leurs impudiques désirs, quoi qu'il n'y eût rien que de feint dans ces représentations, et ces Spectacles; et lors que ces amants étaient contraints de se séparer, je m'affligeais avec eux comme si j'eusse été touché de compassion, et toutefois je ne trouvais pas moins de plaisir dans l'un que dans l'autre.

Mais aujourd'hui j'ai plus de compassion de celui qui se réjouit dans ses excès et dans ses vices, que de celui qui s'afflige dans la perte qu'il a faite d'une volupté pernicieuse, et d'une félicité misérable: Voilà ce qu'on doit appeler une vraie miséricorde ; Mais en celle-là ce n'est pas la douleur que nous ressentons des maux d'autrui qui nous donne du plaisir : Car encore que celui qui ressent de la douleur, en voyant la misère de son prochain, lui rende un devoir de charité qui est louable, néanmoins celui qui est véritablement miséricordieux aimerait mieux n'avoir point de sujet de ressentir cette douleur : Et il est aussi peu possible qu'il puisse désirer qu'il y ait des misérables, afin d'avoir sujet d'exercer sa miséricorde, comme il est peu possible que la bonté même puisse être malicieuse, et que la bienveillance nous porte à vouloir du mal à notre prochain. Ainsi il y a bien quelque douleur que l'on peut permettre ; mais il n'y en point que l'on doive aimer: Ce que vous nous faites bien voir, ô mon Seigneur et mon Dieu, puisque vous qui aimez les âmes incomparablement, et plus purement que nous ne les aimons, exercez sur elles des miséricordes d'autant plus grande, et plus parfaites, que vous ne pouvez être touché d'aucune douleur. Mais qui est celui qui est capable d'une si haute perfection ? Et moi au contraire j'étais alors si misérable, que j'aimais à être touché de quelque douleur, et en cherchais des sujets, n'y ayant aucunes actions des Comédiens qui me plussent tant, et qui me charmassent davantage, que lors qu'ils me tiraient des larmes des yeux par la représentation de quelques malheurs étrangers et fabuleux qu'ils représentaient sur le Théâtre : Et faut-il s'en étonner, puisqu'étant alors une brebis malheureuse qui m'étais égarée en quittant votre troupeau, parce que je ne pouvais souffrir votre conduite, je me trouvais comme tout couvert de gale ?

Voilà d'où procédait cet amour que j'avais pour les douleurs, lequel toutefois n'était pas tel que j'eusse désiré qu'elles eussent passé plus avant dans mon cœur et dans mon âme : car je n'eusse pas aimé à souffrir les choses que j'aimais à regarder ; mais j'étais bien aise que le récit et la représentation qui s'en faisait devant moi, m'égratignât un peu la peau, pour le dire ainsi ; quoi qu'en suite ; comme il arrive à ceux qui se grattent avec les ongles ; cette satisfaction passagère me causât une enfleure pleine d'inflammation d'où sortait du sang corrompu et de la boue. Telle était alors ma vie ; Mais peut-on l'appeler une vie, mon Dieu ?

Dans l'Epître 5. à Marcellin.

Rien n'est plus malheureux que le bonheur des pécheurs, qui nourrit pour ainsi dire une impunité, qui est en effet une peine, et qui fortifie la mauvaise volonté comme un ennemi intérieur. Mais les cœurs des hommes sont si pervertis et si rebelles, qu'ils s'imaginent que le monde est dans une pleine félicité, lors que ceux qui l'habitent ne pensent qu'à orner et à embellir leurs maisons, et qu'ils ne prennent pas garde à la ruine de leurs âmes : qu'on bâtit des Théâtres magnifiques, et qu'on détruit les fondements des vertus : qu'on donne des louanges et des applaudissements à la fureur des Gladiateurs, et qu'on se moque des œuvres de miséricorde; lors que l'abondance des riches entretient la débauche des Comédiens, et que les pauvres manquent de ce qui leur est nécessaire pour l'entretien de leur vie ; lors que les impies décrient par leurs blasphèmes la doctrine de Dieu, qui par la voix de ses Prédicateurs crie contre cette infamie publique, pendant qu'on recherche de faux Dieux à l'honneur desquels on célèbre ces Spectacles du Théâtre, qui déshonorent et corrompent le corps et l'âme. Si Dieu permet que ces désordres arrivent, c'est alors qu'il en est plus irrité : s'il laisse ces crimes impunis, c'est alors qu'il les punie plus sévèrement ; et quand il ôte aux hommes les moyens d'entretenir leurs vices, et que par la pauvreté il détruit l'abondance et la multiplication des voluptés ; ce traitement qui paraît contraire à leurs désirs, est un effet de sa miséricorde.

Dans le Chapitre 33. du premier Livre de la Concordance des Evangélistes.

Quant à ce que les Païens se plaignent que le Christianisme a diminué la félicité du monde ; s'ils lisent les livres de leurs Philosophes, qui reprennent ces choses dont ils sont privés maintenant malgré eux, ils trouveront que cela tourne à la louange de la Religion Chrétienne ; car quelle diminution souffrent-ils de leur félicité, sinon à l'égard des choses dont ils faisaient un très mauvais usage, s'en servant pour offenser leur Créateur ? Il leur semble peut-être que le temps est mauvais, parce que presque dans toutes les Villes les Théâtres, ces lieux infâmes, où l'on fait une profession publique de l'impureté, tombent en ruine, d'où vient cela, sinon de la pauvreté, qui ne leur permet pas de réparer ces lieux qu'ils avaient bâtis autrefois avec une profusion honteuse et sacrilège ? Leur Cicéron louant un certain Comédien nommé Roscius, n'a-t-il pas dit qu'il était si habile dans son art, qu'il n'y avait que lui seul qui fut digne de monter sur le Théâtre; et que d'ailleurs il était si homme de bien, qu'il n'y avait que lui seul qui n'y dût point monter, marquant par-là, en termes bien exprès, que le Théâtre est si infâme, que plus un homme est vertueux, plus il doit s'en éloigner.

Dans le Chapitre 29. du 2. Livre de la Cité de Dieu.

C'est avec raison, Peuple Romain, que vous avez exclus les Comédiens du droit de bourgeoisie. Eveillez-vous encore peu davantage, et reconnaissez qu'on ne se rend point agréable à la Majesté de Dieu par les exercices qui déshonorent la dignité des hommes. Comment donc pouvez-vous mettre au rang des saintes puissances du Ciel ces Dieux qui se plaisent à recevoir un culte, qui rend indignes parmi vous ceux qui le rendent, d'être mis au nombre des Citoyens Romains ? Cette Cité céleste est incomparablement plus illustre, où la vérité est toujours victorieuse, où la dignité, est inséparable de la sainteté, où il y a une paix, et une félicité perpétuelle, où la vie est éternelle. Si vous avez eu honte de recevoir ces sortes de personnes dans votre ville pour être vos concitoyens, à plus forte raison cette sainte Cité ne reçoit point ces sortes de Dieux: C'est pourquoi si vous désirez d'avoir part à la félicité de     cette bienheureuse Cité, fuyez la compagnie des Démons. C'est une chose honteuse à des personnes vertueuses d'adorer des Dieux qui regardent d'un œil favorable le culte déshonnête que leur rendent des infâmes. Embrassez la pureté du Christianisme, et éloignez de vous ces profanes divinités ; comme les Censeurs ont exclus les Comédiens de vos honneurs et de vos dignités les notant d'infamie.

Dans le 1. Sermon sur le Verset du Psaume 32.

C'est aux hommes injustes et méchants à se ré jouir dans ce monde: le monde finira, et leur joie finira avec le monde ; Mais il faut que les justes mettent leur joie dans le Seigneur, afin qu'elle soit permanente, et immuable comme lui. Il faut que nous mettions notre complaisance et notre joie, et que nous nous appliquions à le louer ; Il est le seul dans lequel il n'y ait rien qui nous déplaise ; comme au contraire, il n'y a personne en qui les infidèles trouvent tant de choses qui leur déplaisent : Tenez ce peu de mots pour une maxime indubitable, que l'homme à qui Dieu plaît, plaît aussi à Dieu. Ne pensez pas mes très chers frères que ce que je disais d'une petite importance, vous voyez aussi bien que moi, combien il y a d'hommes qui disputent contre Dieu ? Combien il s'en trouve à qui ses œuvres, et sa conduite déplaisent, car lorsqu'il veut quelque chose de contraire à la volonté des hommes, à cause qu'il est le Souverain maître, et qu'il sait bien ce qu'il fait, et qu'il ne considère pas tant nos inclinations que notre utilité, ceux qui voudraient que leur volonté s'accomplît plutôt que celle de Dieu, voudraient aussi réduire sa volonté à la leur, au lieu de corriger et de régler la leur par la sienne.

C'est à ces hommes infidèles impies, méchants (j'ai honte de le dire, je le dirai pourtant, parce que vous savez combien ce que je vais dire est véritable) c'est à ces sortes de personnes qu'un Comédien plaît davantage que Dieu, c'est pourquoi le Prophète après avoir dit justes réjouissez-vous en Dieu, (parce que nous ne saurions nous réjouir en lui, qu'en le louant, et que nous ne pouvons le louer, si nous ne lui plaisons, d'autant plus qu'il nous plaît davantage.) Il ajoute, c'est aux justes qu'il appartient de louer Dieu ; Qui sont les justes ? Ce sont ceux qui conforment leur cœur à la volonté de Dieu, qui règlent te conduisent leur volonté par la sienne. Si la faiblesse humaine leur cause quelque trouble dans les fâcheuses rencontres de cette vie ; l'équité divine les console, et les remet dans le calme.

Dans le Sermon sur le Psaume 39.

Combien y a-t-il de personnes qui se reconnaissent ici dans la peinture que je vous fais des gens du monde ? Ces personnes converties se regardent avec étonnement les unes les autres, et parlent avec joie dans l'Eglise de Dieu, des miséricordes qu'il leur a faites. Se voyant dans le sein de l'Eglise, elles considèrent avec une extrême reconnaissance l'affection que Dieu leur a déjà donnée pour la parole, pour les offices et les œuvres de charité, pour être souvent dans l'assemblée des Fidèles, et ne sortir quasi point de l'Eglise.

Elles font attentivement réflexion sur toutes ces grâces que Dieu leur a faites, et qu'il a faites en même temps à d'autres pécheurs, et se plaisent à s'en entretenir avec ceux qui participent au même bonheur. Quel changement, disent ces personnes, voyons-nous en cet homme, qui était si passionné pour le Cirque ? Combien est changé cet autre qui aimait et qui louait si fort ce chasseur, ou ce Comédien ? Cet homme converti parle ainsi des autres, et les autres parlent de lui de la même sorte. Certainement nous voyons par la grâce de Dieu de ces conversions merveilleuses, et elles nous sont un sujet d'actions de grâce, et de joie: Mais si nous nous réjouissons à cause de ceux qui sont convertis, ne désespérons pas de ceux dont nous voyons des égarements et des désordres. Prions pour eux, mes très chers frères ; c'est du nombre de ceux qui étaient méchants et impies, que Dieu se plaît à faire croître le nombre des Saints.

Que notre Dieu devienne donc notre unique espérance : celui qui a fait toutes choses est meilleur que toutes choses: Celui qui a fait les belles choses, est plus beau que tous ses ouvrages. Celui qui a fait les choses fortes, est plus fort que tout ce qu'il y a de plus fort. Celui qui a fait tout ce qui est grand surpasse tout ce qu'on se peut figurer de plus grand; il vous tiendra lieu de tout ce que vous aimez.

Apprenez à aimer le Créateur en la créature, et l'ouvrier en son ouvrage; Il ne faut pas vous laisser occuper par les choses qui sont les effets de la puissance de Dieu, et perdre ce Dieu même qui les a faites, et par qui vous avez été tiré du néant. Bienheureux donc est l'homme qui met son espérance dans le nom du Seigneur, et qui n'a nul égard aux vanités, et aux folies trompeuses du siècle.

Celui qui se sentira touché de ce que j'ai dit, qui voudra se corriger de ses vices, qui sera occupé de la crainte des jugements de Dieu, que la Foi lui représente, et qui commencera de vouloir marcher dans la voie étroite, craindra peut-être de n'avoir pas la force de persévérer, et nous dira ; ma volonté ne durera pas, et je ne continuerai pas dans la voie que vous m'avez proposée, si vous ne donnez des Spectacles à mes yeux, et des objets à mon esprit, qui me tiennent lieu de ceux auxquels je renonce. Comment faut-il donc, mes frères, que nous traitions ces personnes qui sortent ainsi du dérèglement, et qui renoncent aux plaisirs du siècle ? Que leurs donnerons-nous en la place de ce que nous leur faisons quitter ? Les laisserons-nous sans leur donner des Spectacles qui leur plaisent, et qui les occupent ? Ils mourraient de tristesse, ils ne subsisteraient pas, ils ne pourraient pas nous suivre. Que pourrons-nous donc faire pour les contenter, et les retenir ? Il faut sans doute que nous leur donnions des Spectacles pour d'autres Spectacles.

Mais quels Spectacles pouvons-nous offrir à un homme Chrétien que nous voulons retirer des Spectacles vains, et profanes du monde ? Je rends grâces à notre Seigneur de ce qu'il nous a marqué dans le Verset suivant, quels Spectacles nous devons fournir aux amateurs des Spectacles. Oui nous consentons, et nous approuvons que le Chrétien qui se prive des divertissements du Cirque, du Théâtre, de l'Amphithéâtre, cherche d'autres Spectacles. Nous ne voulons point qu'il en manque. Que lui donnerons-nous donc à leur place ? Ecoutez ce que dit notre Prophète : Seigneur, mon Dieu, vous avez fait une multitude de choses qui sont autant de merveilles que vous nous mettez devant les yeux. Ce Chrétien se plaisait auparavant à considérer les frivoles merveilles des hommes ; Qu'il s'arrête maintenant aux merveilles de Dieu; Qu'il les contemple, et qu'il les admire, puisque ce sont des miracles d'une magnificence e d'une sagesse toute divine qui mérite d'être toujours également un sujet d'admiration. Pourquoi l'accoutumance à voir toutes les merveilles du monde et de la nature dont Dieu est l'auteur, les lui a-t-elle rendues moins estimables et moins précieuses ?

Dans le Sermon sur le Psaume 102.

Quand je dis, un homme pécheur se présente à vous, je marque deux noms, e ce n'est pas inutilement et sans raison; car être homme, et être pécheur sont deux choses bien différentes ? Etre homme c'est l'ouvrage de Dieu ; être pécheur, c'est l'ouvrage de l'homme. Pourquoi, me direz-vous, ne m'est-il point, permis de donner à l'ouvrage de l'homme. Qu'est-ce que donner à l'ouvrage de l'homme ? C'est donner à un pécheur à cause de son péché, parce qu'il vous divertit par son impiété. Mais qui fait cela, dites-vous ? Plût à Dieu que personne ne le fit, ou qu'il y eut peu de gens qui le fissent, ou qu'on ne le fit point publiquement. Ceux qui donnent aux Comédiens, pourquoi leur donnent-ils ? Ne sont-ce pas des hommes à qui ils donnent ; mais ils ne considèrent pas en eux la nature de l'ouvrage de Dieu ; ils ne regardent que l'iniquité de l'ouvrage de l'homme.

Dans le Traité 100.
Sur le 16. Chapitre de S. Jean.

Donner son bien aux Comédiens; c'est un vice énorme, bien loin d'être une vertu. Vous savez aussi bien que moi ce que l'Ecriture dit de ces sortes de personnes auxquelles le monde donne d'ordinaire des applaudissements et des louanges: On loue le pécheur de ses passions, et on bénit le méchant à cause de ses méchancetés.

Dans le 1. et 2. Chap. du 2. Livre du Traité du Symbole aux Catéchumènes.

Sachez, mes bien aimés, que le Démon notre ennemi séduit et prend plus de gens par la volupté, que par la crainte ; Car pourquoi tend-il tous les jours les pièges des Spectacles ? pourquoi présente-t-il tant de vanités et d'infâmes plaisirs, qui ne sont que folie, et qu'illusion ; sinon afin de prendre ceux qui l'avaient abandonné, et pour se réjouir d'avoir trouvé ceux qu'il avait perdus ? Il n'est point nécessaire de nous étendre plus au long sur ce sujet, il suffit de vous représenter en peu de mots, ce que vous devez rejeter, et ce que vous devez aimer. Fuyez les Spectacles, mes bien aimés, fuyez ces Théâtres infâmes du Diable, afin de ne vous point engager dans les liens de cet esprit malin: Mais s'il faut relâcher votre esprit, si vous vous plaisez aux Spectacles, l'Eglise notre sainte et vénérable Mère vous en fournit de plus excellents et de plus agréables ; ce sont des Spectacles salutaires qui remplissent l'esprit de joie.

Dans le Sermon 18. des paroles du Seigneur.

Un bon Chrétien ne veut point aller aux Spectacles, et en cela même qu'il réprime sa passion, et qu'il ne va pas au Théâtre, Il crie après Jésus-Christ, et le prie de le guérir: Cependant il y en a d'autres qui y courent ; mais ce sont peut-être des Païens, ou des Juifs. Certes si les Chrétiens n'y allaient point, le nombre des spectateurs serait si petit, que la honte et la confusion qu'ils en auraient les feraient retirer. Il y a donc des Chrétiens qui sont si malheureux que d'aller aux Spectacles, et d'y porter un si saint nom pour leur condamnation ; Mais vous qui n'y allez pas, criez sans cesse après Jésus-Christ pour implorer son assistance.

SAINT ISIDORE
Prêtre de Damiette

Dans l'Epître 336. du 3. Livre.

Les Comédiens ne s'étudient principalement qu'a pervertir le peuple, et non pas à le rendre meilleur ; car c'est la débauche de leurs spectateurs qui fait leur félicité ; de sorte que s'ils s'appliquaient à la vertu, le métier de Comédien serait aussitôt anéanti. C'est pourquoi ils n'ont jamais pensé a corriger les dérèglements des hommes ; et quand ils le voudraient entreprendre, ils ne le sauraient faire, parce que la Comédie d'elle-même, et par sa nature, ne peut être que pernicieuse et nuisible.

Dans l'Epître 186. du 5. Livre.

S'il est certain, comme on n'en peut pas douter, que le jour du Jugement viendra ; il faut pratiquer la vertu. Que si cela paraît difficile et fâcheux à quel quelques-uns, il vous sera facile de le faire si vous fuyez les Théâtres, et le Cirque; ces Lieux infâmes qui perdent tout le monde, ou plutôt les Villes ou ces Spectacles sont représentés, et particulièrement les personnes qui se laissent emporter à la passion de ces honteux divertissements.

Dans l'Epître 463; du même Livre.

Celui qui a une passion violente pont les Spectacles du Théâtre, ne sera pas moins transporté pour l'amour infâme. Fuyez donc ce premier dérèglement, pour ne pas tomber dans l'autre ; car il est plus facile de détruire le vice avant qu'il soit enraciné, que de l'arracher après qu'il a pris de profondes racines; ce qui est très difficile, et quelques-uns même l'estiment impossible.

S. SALVIEN
Evêque de Marseille

Dans le 6. Livre de la Providence de Dieu.

Quelle monstrueuse folie ? Quoi, s'il nous arrive quelque bon succès ; si nous remportons des victoires sur nos ennemis ; enfin si Jésus-Christ nous comble de ses faveurs, nous lui offrons des Jeux publics, et ce sont nos actions de grâces. Nous imitons en cela celui qui payerait d'une injure le plaisir qu'il viendrait de recevoir, et qui percerait le visage et le cœur de celui qui lui se ferait des caresses. Je demanderais volontiers à ceux que les grandeurs et les richesses font reconnaître par-dessus les autres, de quel supplice serait digne un esclave qui outragerait son maître de qui il viendrait de recevoir la liberté ? Il est hors de doute que celui-là est tout à fait méchant qui rend le mal pour le bien, n'étant pas même permis de rendre le mal pour le mal. Nous faisons toutefois ce que je viens de dire, nous nous disons Chrétiens, et par nos impuretés nous excitons contre nous un Dieu miséricordieux ; nous l'irritons alors qu'il s'apaise, et nous l'outrageons alors qu'il nous caresse : Nous offrons donc à Dieu des Jeux infâmes pour les bienfaits qui viennent de lui, nous lui faisons des sacrifices exécrables, comme s'il avait pris notre chair pour nous donner de si mauvaises instructions, où qu'il nous les eût fait entendre par la bouche de ses Apôtres. Ce fut peut-être pour cela que Dieu voulut naître ici-bas comme un homme, et qu'il daigna prendre notre honte et notre bassesse en naissant comme nous ? Ce fut peut-être pour cela qu'il naquît dans une étable où les Anges le servaient ? Ce fut peut-être pour cela que Dieu qui enveloppe le Ciel et la Terre se laissa envelopper de petits linges dans lesquels il gouvernait toutes choses ? Ce fut peut-être pour cela que Dieu qui se fit pauvre pour nous enrichir, qui s'est humilié même jusqu'à mourir en la Croix, et dont la mort fit trembler tout le monde, voulut être pour nous attacher sur une Croix ainsi qu'un criminel ? Nous nous imaginons peut-être qu'il nous a fait des leçons d'impiété, alors qu'il vivait, et qu'il souffrait tant de peines et tant d'injures pour nous ? Nous reconnaissons d'une étrange façon les effets de ses souffrances ; nous avons reçu notre rédemption et notre vie par le moyen de sa mort, et ce bienfait n'est payé que par les vices d'une vie débordée. Saint Paul dit, que la grâce s'est montrée, qu'elle nous a enseigné à vaincre l'impiété, et à perdre les appétits déréglés ; qu'elle nous commande de vivre sobrement ; d'être pieux et justes dans ce monde, en attendant l'effet d'une bienheureuse espérance, et la venue de la gloire de Jésus, qui s'est donné lui-même pour nous à dessein de nous racheter, et de laver par son Sang un peuple agréable à sa divinité, et sectateur des bonnes œuvres. Où sont maintenant ceux qui mettent en usage les choses pour lesquelles l'Apôtre dit que Dieu est venu ? Où sont les Chrétiens qui retranchent de leurs cœurs ces appétits déréglés ; qui fassent profession de la piété, et tout ensemble de la sobriété, et qui témoignent par leurs actions qu'ils ont l'espérance d'une gloire qui doit toujours durer. Quiconque vit bien et ne se laisse pas emporter aux tempêtes du temps, montre qu'il attend cette gloire, et qu'il mérite de la recevoir. Dieu (dit l'Apôtre) est venu pour laver de son Sang un peuple agréable à sa Majesté, et amateur des bonnes actions. Où est ce peuple pur et net ? Où est ce peuple agréable à Dieu ? Où est ce peuple qui fait gloire des bonnes actions ? L'Ecriture nous apprend que Dieu souffrant pour nous, a fait les chemins que nous devons suivre; peut-être que ces chemins nous conduisent aux Jeux publics et aux Spectacles qu'il défend ? Dieu nous a peut-être laissé ce témoignage pour ce sujet ? Dieu, dis-je, de qui nous ne lisons point qu'on l'ait vu rire, il a pleuré pour nous, parce que les pleurs sont des témoignages d'un esprit touché, et n'a point voulu rire, d'autant que c'est ainsi que les meilleures disciplines se corrompent ; Aussi a-t-il dit par la bouche de l'Evangéliste, Malheur sur vous qui riez, pource que vous pleurerez: Et au contraire vous êtes bienheureux vous qui pleurez maintenant, car vous rirez quelque jour.

Nous ne nous contenterions pas de rire et de nous réjouir si nous ne rendions nos réjouissances criminelles, par le moyen des vices que nous y mêlons. Nous ne pouvons-nous divertir sans faire des péchés de nos divertissements ; nous penserions que nos plaisirs seraient en quelque façon défectueux s'ils ne nous rendaient coupables, et qu'il n'y aurait point de contentement à rire si l'on n'offensait Dieu. Rions même sans mesure ; réjouissons-nous sans cesse pourvu que ce soit innocemment. N'est-ce pas une étrange folie que s'imaginer que nos divertissements ne seraient pas agréables s'ils n'étaient injurieux à Dieu.

Dans ces Spectacles dont nous avons parlé, nous nous déclarons en quelque façon apostats, transgresseurs de la Loi, et ennemis des Sacrements ; car la première protestation que les Chrétiens font au Baptême, n'est-ce-pas de renoncer au Diable, à ses Pompes, à ses Spectacles, à ses ouvrages. Nous les suivons toutefois après le Baptême ; nous savons bien que ces Spectacles sont des inventions du Diable: nous y avons renoncé ; d'où s'ensuit nécessairement qu'en y allant volontairement et avec dessein, nous devons reconnaître que nous retournons au Diable ; car après tout nous avons en même temps renoncé à l'un et à l'autre, et avons confessé que l'un et l'autre sont la même chose.

Si bien que si nous retournons à l'un, il est véritable que nous retournons à l'autre.

Je renonce, dit-on en se faisant baptiser, au Diable, à ses Pompes, à ses Spectacles, et à ses œuvres: et l'on ajoute aussitôt après, je crois en Dieu le Père Tout-puissant, et en Jésus-Christ son fils. L'on renonce donc premièrement au Diable, afin que l'on croie en Dieu, d'autant que quiconque ne renonce pas au Diable ne croît pas en Dieu ; et partant quiconque retourne au Diable, méprise et quitte son Dieu: Or les Démons se trouvent dans les Spectacles et dans les Pompes solennelles, de sorte que quand nous y retournons nous quittons la Foi de Jésus-Christ: Le mérite des Sacrements de notre Religion se perd en nous; tout ce qui suit dans notre Symbole est choqué, et tout ensemble affaibli ; Car le moyen de s'imaginer qu'une chose puisse demeurer debout quand son appui est à bas : Dis-moi donc, ô Chrétien, qui que tu sois, ayant perdu par tes mépris et par ta rébellion les principes de ta croyance, comment pourras-tu faire état de sa suite ? et comment t'imagineras-tu que le reste te pourra profiter ? Les membres sans la tête ne peuvent rien ; toutes choses dépendent de leur principe, et ne profitent pas sans lui. Quand les fondements d'un édifice sont sapés, tout le reste tombe en ruine ; les arbres qui n'ont plus de racine ne durent pas longtemps, et les ruisseaux de qui l'on tarit les sources se diminuent e se perdent bientôt : Enfin rien ne subsiste sans la tête.

Mais si l'on ne trouve pas que ces Spectacles dont nous avons parlé soient de si grande conséquence, que l'on considère attentivement ce que nous avons dit, et sans doute on reconnaîtra qu'au lieu de contentement ils nous apportent la mort, qu'ils nous perdent au lieu de nous divertir ; car en se retirant de ce qui peut entretenir la vie, ne se met-on pas au hasard de la perdre entièrement ; et lors qu'on a ruiné le fondement de sa Religion, n'a-t-on pas sujet d'appréhender la perte de son salut ?

Retournons maintenant à ce que nous avons si souvent dit, retournons aux Barbares, puisque les Chrétiens sont si détestables. Où trouvera-t-on chez eux tant de malheureux Spectacles ? Où sont leurs gladiateurs, et tous ces prodiges d'impureté qui paraissent chez nous ? Mais quand on verrait entre eux tout ce que je viens de dire, ils ne seraient pas toutefois si coupables que nous, parce que l'offense qu'ils feraient en voyant de si grandes impuretés ne serait pas suivie de la transgression de la Loi. Que pouvons-nous répondre au contraire qui nous excuse, et qui ne nous condamne ? Nous sommes en possession de la véritable croyance, et nous la ruinons ; nous confessons que nous avons le gage de notre salut, et tout ensemble nous le nions; Où est en nous le caractère de Chrétien ? Il semble que nous ne prenions les Sacrements du Christianisme, que pour nous rendre plus coupables par le mépris que mépris en faisons. Nous préférons les choses vaines au service de Dieu, nous méprisons les Autels, et nous respectons le Théâtre, nous aimons toute chose, nous avons toute chose en vénération e en comparaison de tout, il n'y a que Dieu qui nous semble méprisable. Bien que cette vérité ne manque point de preuves, je dirai néanmoins une chose qui la rendra visible à tout le monde. S'il arrive qu'en un jour de Fête on fasse des Jeux publics, les Eglises seront elles plus remplies, que les Lieux destinés aux Spectacles ? Les paroles de l'Evangile sont-elles une plus vive impression sur les cœurs que celles des Théâtres ? Je laisse pour juge de cette demande, la conscience de tous les Chrétiens, et je n'ai que faire de dire ce qu'une pernicieuse coutume fait voir trop clairement, l'on retient plus facilement un mauvais mot, qu'une sentence de l'Evangile, et l'on est plus content d'écouter les paroles de la mort, que celles de la vie: ainsi le Criminel aime mieux entendre ce qui le condamne, que ce qui lui donne la grâce.

Si un jour de Fête on apprend dans les Eglises, où l'on ne va bien souvent que pour adorer les créatures, qu'il y a de ces divertissements en quelques lieux, l'on méprise le Temple, et l'on court au Théâtre; l'on quitte le Ciel pour aller aux Enfers. L'Eglise est vide en peu de temps, et en moins de temps encore le lieu qui reçoit les Spectateurs au Théâtre est rempli. L'on laisse sur les Autels un Dieu qui se donne à nous pour nourriture, et l'on va se repaître de la viande du Diable : L'on va commettre des adultères par la vue, l'on va applaudir à sa perte ; et lors que l'on se réjouit ainsi dans ses prospérités, l'on ne songe pas à ces paroles que Dieu prononce par la bouche du Prophète, vous serez perdus pour vos péchés, et les autels du ris et de la réjouissance seront abattus.