[frontispice]
Les
Six Livres
de la Repvbli-
que de I. Bo-
din Angeuin.
A Monseigneur du Faur, sei-
gneur de Pibrac, Conseiller du Roy en son Conseil
privé
A PARIS
Chez Jacques Du
Puy, Libraire Iuré,
A la Samaritaine.
1576,
Auec Privilege du Roy.
De la Censure
Chapitre I
[Extrait]
Les comédies et farces pernicieuses à toute République.
Je tais aussi l'abus qui se commet en souffrant les Comiques, et Jongleurs,
qui est une autre peste de la République des plus pernicieuses qu'on saurait
imaginer : car il n'y a rien qui gâte plus les bonnes mœurs, et la
simplicité, et bonté naturelle d'un peuple, ce qui a d'autant plus d'effet,
et de puissance, que les paroles, les accents, les gestes, les mouvements,
et actions conduites avec tous les artifices qu'on peut imaginer, et d'un
sujet le plus ord, et le plus déshonnête qu'on peut choisir, laisse une
impression vive en l'âme de ceux qui tendent là tous leurs sens. brief on peut
dire, que le théâtre des joueurs, est un apprentissage de toute impudicité,
lubricité,
paillardise, ruse, finesse, méchanceté. Et non sans
cause disait Aristote, qu'il faut bien garder les sujets d'aller aux jeux des
comiques : il eût encore mieux dit, qu'il faut raser les théâtres, et
fermer les portes de la ville aux joueurs : «
quia, dit Sénèque, nihil tam moribus alienum, quam in spectaculo desidere.» Si on dit que les Grecs, et Romains permettaient les jeux : je réponds que c'était pour une superstition qu'ils avaient à leurs Dieux. mais les plus sages les ont toujours blâmés. car combien que la Tragédie a je ne sais quoi de plus Héroïque, et qui moins effémine les cœurs des hommes, si est-ce toutesfois que Solon ayant vu jouer une tragédie de Thespis, le trouva fort mauvais : de quoi s'excusant Thespis disait, que ce n'était que jeu, Non, dit Solon, mais le jeu tourne en chose sérieuse, beaucoup plus eût-il blâmé les comédies, qui étaient encore inconnues. et maintenant on met toujours à la fin des tragédies, (comme une poison ès viandes) la farce, ou comédie. Et quand oresa les jeux seraient tolérables aux peuples méridionaux, pour être d'un naturel plus pesant, et mélancolique, et pour sa constance naturelle moins sujet à se changer, si est-ce que cela doit être défendu aux peuples tirant plus vers le Septentrion, pour être de leur naturel sanguins, légers, et volages, et qui ont presque toute la force de leur âme en l'imagination du sens commun, et brutal. Mais il ne faut pas espérer, que les jeux soient défendus, ou empêchés par les magistrats : car ordinairement on voit, qu'ils sont les premiers aux jeux. C'est la propre charge des censeurs graves, et sévères, qui auront la discretion d'entretenir les honnêtes exercices de la gymnastique pour maintenir la santé du corps : et de la musique pour ranger les appétits sous l'obéissance de la raison. j'entends la musique, qui signifie non seulement l'harmonie : ainsb encore toutes sciences libérales, et honnêtes : et prendront garde principalement, que la musique naturelle ne soit altérée, et corrompue comme elle est à présent : puisqu'il n'y a rien qui coule plus doucement aux affections intérieures de l'âme. Et pour le moins si on ne peut gagner ce point-là, que les chansons Ioniques, et Lydiennes, c'est-à-dire, le cinq et septième ton, soient bannis de la République, et défendus à la jeunesse, comme Platon, et Aristote disaient qu'il est nécessaire, pour moinsc que la musique Diatonique, qui est la plus naturelle, que la chromatique, et Enharmonique, ne soit corrompue par la mélanged des autres : et que les chansons dorienes ou du premier ton, qui est propre à la douceur, et gravité bien séante, ne soient déguisées en plusieurs tons, et déchiquetées, en sorte, que la plupart des musiciens en deviennent folse, et insensés : parce qu'ils ne sauraient goûter une musique naturelle, non plus qu'un estomac debiféf, et corrompu de friandises, ne peut goûter une bonne et solide viande. Or tout cela depend du devoir des Censeurs, attendu que les juges et autres officiers n'y prendront jamais garde.