(1710) Instructions sur divers sujets de morale « INSTRUCTION II. Sur les Spectacles. — CHAPITRE II. Réponse aux objections qu'on tire de saint Thomas pour justifier les Spectacles, et aux mauvaises raisons qu'allèguent ceux qui croient pouvoir les fréquenter sans péché. » pp. 55-63
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(1710) Instructions sur divers sujets de morale « INSTRUCTION II. Sur les Spectacles. — CHAPITRE II. Réponse aux objections qu'on tire de saint Thomas pour justifier les Spectacles, et aux mauvaises raisons qu'allèguent ceux qui croient pouvoir les fréquenter sans péché. » pp. 55-63

CHAPITRE II.
Réponse aux objections qu'on tire de saint Thomas pour justifier les Spectacles, et aux mauvaises raisons qu'allèguent ceux qui croient pouvoir les fréquenter sans péché.

D. Si les spectacles étaient si précisément condamnés, S. Thomas en parlerait-il comme d'un plaisir permis ?

R. Ceux qui allèguent l'autorité de saint Thomas comme favorable à la comédie, lui font dire tout autre chose que ce qu'il dit, et tirent de ses principes des conséquences tres fausses. « Ce saint Docteur a restraint l'approbation, ou la tolérance des comédies à celles qui ne sont point opposées aux bonnes mœurs ; mais quand on les considère dans la pratique, on n'en voit point de telles. On n'en a point trouvé qui fussent dignes des Chrétiens ; et on a cru qu'il serait plus court de les rejeter tout à fait que de travailler vainement à les réduire contre leur nature aux règles sévères de la vertu. »

D. Est-il impossible de donner un tour Chrétien, ou même honnête aux comédies ?

R. De quelque manière qu'on les tourne, elles sont toujours la matière des concupiscences du siècle que saint Jean défend de rendre aimables, puisqu'il défend de les aimer. Le grossier qu'on en ôte, ferait horreur si on le montrait.L'adresse de le cacher ne fait qu'y attirer les volontés d'une manière qui pour être plus délicate, n'en est que plus périlleuse.

D. Si ces autorités, et ces raisons étaient sans réplique, continuerait-on de fréquenter les spectacles ?

R. Les spectacles n'en sont pas pour cela plus permis. La liberté que tant de Chrétiens se donnent est une preuve de leur relâchement ; mais elle ne justifie ni l'Opéra, ni la Comédie. L'amour du plaisir ne prescrit point contre les règles de l'Evangile. Le Théâtre pour être fréquenté n'en est pas moins défendu : Et nous serons toujours en droit de dire avec saint Augustin à ceux qui le fréquentent : « Vous portez le nom de Fidèle, et vos œuvres démentent ce nom, parce que vous ne gardez pas les promesses que vous avez faites. On vous voit offrir vos prières à Dieu dans l'Eglise, et quelque temps après on vous voit assister aux spectacles, et mêler votre voix avec les cris dissolus des comédiens. Qu'y a-t-il de commun entre vous, et les pompes du Démon auxquelles vous avez renoncé. »

D. Ceux qui fréquentent les spectacles, violent-ils les promesses qu'ils ont faites en recevant le Baptême ?

R. Salvien dit qu' « aller aux spectacles c'est en quelque sorte abandonner sa Foi, et abjurer le Christianisme. Ecoutez en quels termes en a parlé ce grand homme ? quelle est la première protestation que fait le Chrétien en recevant le Baptême ? n'est-ce pas de renoncer au Démon, à ses pompes, et aux spectacles qui sont ses œuvres ? Quand après avoir reçu le Baptême vous retournez aux spectacles que vous avez mis au rang des œuvres du Démon, ne vous engagez vous pas de nouveau sous son empire auquel vous avez renoncé ?…. Où est donc nostre Christianisme ? ne recevons-nous le Sacrement du Salut que pour pécher ensuite avec plus de malice, et plus d'impiété ? »

D. L'expérience de ceux qui y assistent sans se sentir coupables d'aucun péché, ne peut-elle pas balancer ces autorités, et ces raisons ?

R. Non. C'est plutôt insensibilité qu'expérience. A la vérité le mal que les spectacles produisent, ne se fait pas toujours sentir tout d'un coup. Ils sont un poison tantôt lent, tantôt prompt, mais qui ne manque jamais de mettre dans l'âme de malignes dispositions favorables aux passions. Ils préparent les charmes, et les douceurs qui emportent la concupiscence ; et ensuite « quand la concupiscence a conçu, elle engendre le péché, et le péché étant accompli il engendre la mort ».

D. Doit-on ajouter foi à ce que disent certaines personnes, que quelque soin qu'elles prennent de s'examiner, elles n'y trouvent pas matière de confession.

R. Si ces personnes s'examinaient de bonne foi, elles y en trouveraient sans doute ; mais parce qu'elles cherchent des excuses à leurs péchés, elles sont assez malheureuses pour en trouver, « Dieu par un effet de sa justice répandant des ténèbres sur leurs passions déréglées ». Quelque innocentes que ces personnes se croient, il n'y en a point qui voulût passer des divertissements du Théâtre au tribunal de celui qui a dit : « Malheur à vous qui riez, car vous pleurerez. »
Rien ne marque mieux que les Chrétiens fréquentent les spectacles contre leur conscience que ce que dit saint Augustin. « Combien en voyons-nous qui courent aux spectacles, et avec quelle douleur les voyons-nous négliger les engagements de leur Baptême ? néanmoins si ces Chrétiens sont saisis au Théâtre même de quelque soudaine frayeur, ils font d'abord le signe de la Croix : et ils demeurent là avec ce signe sur le front ; mais ils en sortiraient bientôt, s'ils le portaient dans le cœur. »

D. D'autres qui passent pour dévots, sont-ils plus dignes de Foi quand ils assurent qu'ils n'y font point de mal ?

R. Le Démon qui a des pièges pour les impies, en a aussi pour les dévots. Il est à craindre que ceux dont vous parlez, ne soient du nombre de ceux qui croient pouvoir servir deux maîtres,Dieu, et le monde ; et ne ressemblent aux Pharisiens que Jésus-Christ compare à des sépulcres blanchis. C'est une erreur tres dangereuse. Mais quand même ces prétendus dévots seraient impénétrables aux attraits du plaisir, ils devraient craindre pour eux cette parole de saint Paul : que « celui qui croit être debout, prenne garde à ne pas tomber » ; Et pour leur prochain, cette autre du même Apôtre : « Pourquoi scandalisez-vous votre frère infirme. Ne perdez pas par votre exemple celui pour qui Jésus-Christ est mort. »

D. Ces personnes sont-elles plus croyables quand elles assurent qu'elles s'y occupent de bonnes pensées, et que le chant, et le son des instruments élèvent leur âme à Dieu ?

R. Elles ont beau le dire. On ne les croit pas. Le saint Esprit qui forme les bonnes pensées, les porterait bien plutôt à fuir ces divertissements. C'est se tromper grossièrement que de s'imaginer qu'on puisse conserver son cœur pour Dieu au milieu des pompes du monde. Rien n'est moins propre à produire cet effet que les récits passionnés, et les airs tendres, qui ne font tant de plaisir, que parce qu'en les entendant, l'âme s'abandonne à l'attrait des sens. Est-il probable qu'une musique toute profane produise à l'Opéra les effets que les cantiques du Seigneur ne produisent pas toujours dans les lieux Saints.

D. L'exemple de ces personnes est-il plus contagieux que celui des mondains déclarés.

R. Il l'est sans doute. L'exemple des mondains fait moins d'impression. Leur libertinage ne tire point à conséquence. On en a horreur pour peu qu'on ait de Religion. Mais l'exemple de ceux qui ont quelque réputation de vertu, et qui font le personnage de dévot, est sans comparaison plus contagieux. Ils entraînent les faibles qui n'ont pas la force de résister, et les ignorants qui n'ont pas assez de lumière pour faire un juste discernement. Ils sont un piège pour les uns et pour les autres, qui croient pouvoir ne pas se refuser ce que des dévots de profession se permettent.

D. Ceux qui disent qu'ils se sont ennuyés à la Comédie, et à l'Opéra sont-ils excusables d'y être allés ?

R. Non. Cet ennui est une preuve qu'ils n'y ont pas goûté le plaisir qu'ils s'étaient promis, et qu'ils sont injustes de ne pas soupirer après des plaisirs qui soient sans dégoût, et sans ennui.