XIII.
La Charité qui doit faire le quatrième trait du caractère du Héros, n’a rien qui la fasse reconnaître sous le Symbole d’Esculape, si fameux, dites-vous, pour ses guérisons merveilleuses. Vous n’en retranchez pas seulement la partie la plus noble, la plus parfaite, et la plus essentielle qui est l’Amour de Dieu sans lequel la charité ne peut être une vertu Chrétienne ; mais vous donnez à l’amour du prochain qui est le seul qui reste sous votre Symbole fabuleux, des bornes si étroites et si resserrées, qu’il est plus propre à représenter un Chirurgien de Village ou un Saltimbanque, que la charité d’un Prélat de l’Eglise. Car que faites-vous paraître sur le Théâtre pour être l’objet de la charité de votre. Esculape ? Six infirmes, boiteux, aveugles, ou estropiés qui sont guéris, dites-vous, et qui prennent une nouvelle vigueur pour danser à l’honneur de celui de qui ils ont reçu un si bon office.
On pourrait peut-être penser que ces six infirmes sont autant de Symboles d’infirmes spirituels : Et cela serait alors plus supportable pour représenter la charité d’un Evêque ; mais ce que vous dites ensuite empêche qu’on n’y donne ce sens.
Deux Ivrognes et après eux Polyphème viendront demander d’être guéris. Esculape les rejettera parce que dans celui-ci, le mal qu’il souffre est une juste punition de ses crimes, et dans les autres, c’est un effet de leurs dérèglements.
La fonction de votre Esculape n’est donc pas de guérir les maladies de l’âme. Car à l’égard de celles-là, rien ne serait plus mal à propos que de dire : Je ne m’appliquerai pas à vous guérir quelque prière que vous m’en fassiez, parce que votre maladie vient de votre dérèglement. Il est vrai, lui répliquerait le malade, mais c’est pour cela même que je m’adresse à vous, afin que vous me donniez moyen de sortir de mon dérèglement, en m’appliquant les remèdes de la Médecine spirituelle que Jésus Christ est venu apporter au monde. Car c’est de mon âme que je vous demande la guérison, et elle n’aurait pas besoin d’être guérie si elle n’était déréglée. Si cela n’était vrai, il aurait fallu que l’Enfant prodigue eût été rejeté par son Père, parce que l’état misérable, où il se trouvait, ne venait que de son dérèglement.
Il est donc clair que la conduite que vous faites tenir à votre Héros en qualité d’Esculape ne montre point qu’il s’appliquera à la guérison des âmes malades, mais au plus à celle des corps. Et ainsi ce que vous ajoutez, n’est guère à propos. Cela peut, dites-vous, nous représenter que notre incomparable Prélat sait distinguer les personnes auxquelles il est à propos de faire du bien.
Cela représente au contraire que votre incomparable Prélat ne sait ce que c’est que le devoir d’un Evêque et d’un Pasteur. Car est-ce pour guérir les maladies du corps ou les vices de l’âme qu’il porte le nom et la qualité de Médecin ? Est-ce pour la santé du corps ou pour le salut de son peuple qu’un Evêque est obligé de sacrifier son bien, ses soins, ses affections, ses pensées, et sa propre vie ? Si les Evêques sont « les Vicaires de l’amour de Jésus Christ
», comme dit S. Ambroise, ne doivent-ils point témoigner envers leurs brebis le même amour qu’il a témoigné pour elles ? Car comme dit très-bien S. Bernard,21 « Comment Jésus Christ pourrait-il confier des brebis qu’il a tant aimées à un homme qui n’aurait point d’amour pour elles ?
» Or Jésus Christ ne s’est-il appliqué qu’à guérir les maladies du corps ? N’a-t-il pas fait au contraire des maladies de l’âme le principal objet de son application ? Et n’est-ce pas
même à cela qu’il a toujours rapporté toutes les guérisons miraculeuses qu’il faisait des corps ? D’où vient donc que votre Héros ne veut point entreprendre de guérir les vices de l’âme ? N’est-ce pas, mes Pères, que vous voulez qu’il vous ressemble,22 et « que craignant de perdre aussi bien que vous, la douceur et la commodité qu’il trouve à être aimé, et ne voulant pas se faire des ennemis, et s’engager dans des suites fâcheuses qu’attirent après eux les mécontentements qu’on donne aux hommes, encore que ce soit en faisant sa charge et en soutenant la cause de Dieu ; il demeure dans le silence, et dissimule les péchés des hommes, de peur qu’en les reprenant il ne trouble sa paix en troublant celle des autres.
» C’est Saint Augustin qui parle, mes Pères, mais il avait en vue tous ces Pasteurs qui
négligent les besoins des âmes quand ils s’appliqueraient, autant que votre Esculape, à guérir les maladies corporelles.