V.
Mais il est temps, Mes Pères, de faire l’Ouverture de votre Ballet. Vous y faites paraître Jupiter élevé au milieu de l’air, déclarant que pour satisfaire les vœux des peuples, il veut leur donner un Héros, sous l’Empire duquel ils verront refleurir la Religion et la piété. Vous le faites, remonter au Ciel après avoir fait en peu de mots l’éloge de ce Héros.
Ce Jupiter que l’on voit dans les livres des Poètes comme tonnant et adultère tout ensemble, représente ici par les soins des R.R.P.P. Jésuites le véritable Dieu que nous adorons, qui descend exprès du Ciel dans l’air pour promettre un Archevêque à la Ville d’Aix. On ne peut donner d’autre sens à leur prétendue allégorie. Mais qui ne voit en même temps que rien ne peut être plus impie et plus injurieux à Dieu que de le faire parler et agir sous la forme et le nom de Jupiter qui est un personnage réel qui ne peut ramener à l’esprit que des idées les plus infâmes et les plus honteuses. On sait qu’il est permis dans le discours d’animer les vertus et les vices, et de donner un corps, une âme, un esprit, un visage, aux choses qui n’en ont point. Personne, par exemple, ne trouve à redire que M. Despreaux ait fait parler ainsi la piété dans le sixième Chant de son Lutrin.
« Pour comble de misère, un tas de faux DocteursVint flatter les péchés de discours imposteurs,Infectant les Esprits d’exécrables maximes,Voulut faire à Dieu même autoriser les crimes.Une servile peur tint lieu de Charité.Le besoin d’aimer Dieu passa pour nouveauté.Et chacun à mes pieds conservant sa malice,N’apporta de vertu que l’aveu de son vice. »
Mais vouloir, comme on fait ici, représenter le souverain Etre, par un être réel et animé tel que Jupiter, c’est non seulement manquer de bon sens et d’équité, et violer toutes les règles de la piété et de la bienséance, mais c’est comme dit encore M. Despreaux.
« Parmi vos ridicules songesDu Dieu de vérité faire un Dieu de mensonges. »
Ce que vous mettez dans la bouche de Jupiter, n’est pas moins injurieux à Dieu que Jupiter même. Le mot d’Empire par lequel vous exprimez la conduite
future de votre Archevêque, fait voir que vous n’êtes guère accoutumés au langage ni de l’Ecriture ni de l’Eglise, n’y ayant rien dans l’une et dans l’autre qui soit davantage condamné dans un Evêque, que cet Esprit de domination et d’Empire avec lequel il voudrait gouverner les âmes que Jésus Christ a mises en liberté.4
« Paissez le troupeau qui vous est commis, dit S. Pierre à tous les Evêques, … …non en dominant sur l’héritage du Seigneur, mais en vous rendant les modèles du troupeau par une vertu qui naisse du fond du cœur
». Et Jésus Christ dans l’Evangile : « Les Rois des Nations dominent sur eux, et ceux qui ont puissance sur les peuples sont appelés Rois et Seigneurs, mais il n’en est pas ainsi de vous
. « Il est donc clair, dit5 Saint Bernard, que la domination est interdite aux Apôtres, et que si vous voulez avoir la domination et l’Apostolat tout ensemble, vous les perdrez tous deux. Vous devez dompter les loups, mais non pas dominer sur les brebis. Car on vous les a confiées pour les paître, et non pas pour les opprimer.
»
Mais de quoi s’avise votre Jupiter de
dire, que « sous l’Empire de votre Héros, les peuples verront refleurir la Religion et la piété
» ? Est-ce que feu M. le Cardinal Grimaldi les avait laissé périr l’une et l’autre, et qu’elles ont besoin de refleurir sous votre Héros ? C’est ce que nous pourrons examiner plus bas. Je me contenterai d’avertir ici que dans votre Dictionnaire faire refleurir la Religion et la piété dans un Diocèse, c’est y mettre le trouble et la confusion ; c’est en bannir les Ecclésiastiques les plus éclairés et les plus pieux, ou les mettre hors d’état de servir l’Eglise ; en un mot, c’est ruiner en deux ou trois mois, autant que l’on peut, le fruit d’un long et pénible travail de tout Evêque, quelque Saint qu’il eût été, qui n’aurait pas approuvé vos mauvaises maximes et votre conduite relâchée. Mais venons au Prélude.