(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [Q] » pp. 444-446
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — Seconde partie. Notes. — [Q] » pp. 444-446

[Q]

Parodie : Selon Chambers, ce mot vient du Grec Parà & d’odòs (voie, carrefour) c’.-à-d. proverbe, maxime triviale & populaire : il se dit plus proprement d’une plaisanterie poétique, qui consiste a appliquer certains vers d’un sujet à un autre, pour tourner ce dernier en ridicule ; ou à travestir le sérieux en burlesque ; en affectant de conserver, autant qu’il est possible, les-mêmes rimes, les mêmes mots & les mêmes cadences. [Ceci n’est pas exact ].

La Parodie a d’abord été inventée par les Grecs ; & ce mot dérive de parà (contre) & d’odê (chant) : on regarde la Batrachomyomachie d’Homère, comme une Parodie de quelques endroits de l’Iliade. Il y a deux genres de Parodie : I. la Parodie narrative : elle comprend les espèces suivantes ; celle de mots, qui consiste, selon Cicéron (livre de l’Orateur) I. Soit à insérer avec grâce dans le discours, un vers entier d’un Poète, ou une partie de vers sans y rien changer, le sens que prend ce vers par l’apropos de la citation, suffisant pour la Parodie ; soit en y fesant quelque léger changement. 2. Une seule lettre changée dans un nom devient une Parodie : ainsi Caton parlant de Marcus-Fulvius Nobilior, dont il voulait censurer le caractère inconstant, l’appelait M. F. Mobilior ; & les Soldats de Tibère, pour marquer son penchant au vin, changeaient son nom Tiberius-Nero, & disaient Biberius-Mero. 3. Le changement d’un mot peut de même parodier un vers : tel est celui-ci qu’Homère met dans la bouche de Thétis :

Ephaiste, prouol’ ôde Thetis nutì seî o chatizei.
(A moi, Vulcain, Thétis implore ton secours.

Platon, peu content de ses essais de Poésie, parodia ce vers en y changeant un seul mot, lorsqu’il eut résolu d’en faire un sacrifice à Vulcain (pris pour le dieu du Feu) :

Ephaiste, prouol’ ôde Platôn nutì seî o chatizei.
(A moi, Vulcain, Platon implore ton secours).

4. Une quatrième espèce de Parodie de mots, consiste à faire des vers dans le goût & dans le style de certains Auteurs ridicules ; tels sont, dans notre langue, ceux où Despréaux a imité la dureté des vers de la Pucelle :

Maudit soit l’Auteur dur, dont l’âpre & rude verve
Son cerveau tenaillant rima, malgré Minerve,
Et de son lourd marteau martelant le bon sens,
A fait de méchans vers douze fois douze cens.

II. La Parodie-Dramatique, ordinairement faite sur une Pièce entière, peut réunir toutes ces espèces de Parodie, auxquelles elle en ajoute une nouvelle, la Parodie des Habits ; telle que celle dont ont fait usage Aristophane & Molière, en habillant leurs Acteurs comme la personne qu’ils voulaient jouer. Le Parodiste détourne donc à un autre sujet & à un autre sens une Pièce sérieuse, par le changement seul de quelques expressions, si c’est de la déclamation, ou de quelques expressions & de quelques airs, si c’est une Pièce chantante ; au moyen de quoi, il rend le grand & le pathétique, burlesque, ridicule, ou tout au moins bas & trivial. C’est de cette manière de parodier que les Anciens parlent le plus ordinairement : nous avons des Parodies Dramatiques qui ne le cèdent point à celles des Anciens.

Henri-Etienne dit qu’Hipponax, qui florissait vers la 9.e Olympiade, a été le premier inventeur de la Parodie ; & il nous donne Athénée pour son garant : M. l’Abbé Sallier ne croit pas qu’on puisse lui attribuer l’invention de toutes les sortes de Parodies ; Hégémon de Thasos qui parut vers la 88.e Olympiade lui paraît incontestablement l’Auteur de la Parodie Dramatique, qui était à-peu-près dans le goût de celles qu’on donne aujourd’hui sur nos Théâtres ; comme Agnès-de-Chaillot, Parodie d’Inès-de-Castro ; le Mauvais-Ménage, Parodie de la Mariamne ; les Magots, Parodie de l’Orfelin-de-la-Chine, &c. Le Cyclope d’Euripide, la seule Parodie des Anciens qui nous soit parvenue, est dans ce genre : on y voit des railleries sur Homère & sur les Poètes Tragiques, dont il parodie l’enflure par des expressions triviales & souvent dégoutantes, mais que la Langue Grecque rendait supportables. Une seconde espèce de Parodie Dramatique, est la Parodie-d’imitation, qui consiste à suivre pas-à-pas la marche d’un Ouvrage, à en rendre les situations par des Personnages d’un ordre inférieur, sans critique & sans ridicule. Bastien-Bastienne, Raton-Rosette, sont des Parodies d’imitation.

La Parodie est un mauvais genre en lui-même : elle est sur le Théâtre comme la médisance dans la Société, le fléau mesestimable des vices & des défauts. Il est à présumer qu’on ne donnera plus de Parodies satyriques dans le genre déclamatoire. Cependant ce genre a son utilité, sur-tout aujourd’hui, & je ne le bannirais pas absolument du Théâtre. Lorsqu’une Pièce, d’ailleurs estimable, a des taches que le grand nombre n’aperçoit pas, & qui peuvent nuire au bon goût, il est utile de les faire remarquer, & que la crainte du ridicule empêche les Auteurs de nous donner du clinquant pour de véritables beautés. Mais il faut, outre un talent & un tel particulier, avoir des vues utiles ; en un mot, il faut être homme-de-bien, pour faire une bonne Parodie. Un Auteur qui n’excite que le rire de la méchanceté, a manqué son but. Les Parodies de nos Opéras demandent moins de précautions que celles des Tragédies ; l’amour est ordinairement l’âme des premières ; l’héroïsme de la vertu s’y montre rarement, quoiqu’à tout moment on y voye des Dieux & des Héros : dans les dernières au contraire, à côté d’une fadeur, il peut se rencontrer une maxime sage, qu’il faudra bien se donner de garder de présenter sous une face ridicule, en fût-elle susceptible. L’Auteur honnête-homme doit toujours éviter de sacrifier la vertu à un bon mot.

Le Burlesque & la Parodie sont deux genres bien différens : la Parodie est une plaisanterie fine, capable d’amuser & d’instruire les esprits les plus sensés & les plus polis ; le Burlesque, est une bouffonnerie misérable, qui ne peut plaire qu’aux méchans. La manière de parodier qu’on peut laisser sur le Théâtre de la Réforme, sera, ou une imitation fidelle & bien calquée ; ou une critique, dont la plaisanterie sera bonne, vive & courte, & dans laquelle on évitera l’esprit d’aigreur, la bassesse d’expression & d’obscénité.

Adelaïde.

Restons-en là : nous achèverons ce cayer en présence de monsieur Des Tianges. J’observerai seulement, qu’on découvre, par le choix de ces Notes, que monsieur D’Alzan est beaucoup plus indulgent que nous pour le Dramatisme actuel.