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Parade, espèce de Farce, originairement préparée pour amuser le Peuple, & qui souvent fait rire, pour un moment, la meilleure compagnie.
Ce Spectacle tient des anciennes Comédies, (dont on a parlé Note Comédie, nombre 8.) composées de simples Dialogues, & presque sans action, dont les Personnages étaient pris dans le bas-peuple ; les Scènes se passaient dans les Places ou dans les Cabarets, suivant qu’elles étaient Plataires ou Tabernaires.
Les Personnages ordinaires des Parades d’aujourd’hui, sont le bon-homme Cassandre, Père, Tuteur, ou Amant suranné d’Isabelle ; le vrai caractère de la charmante Isabelle, est d’être également faible, fausse & précieuse (une vraie Servante de Cabaret) : celui du beau Léandre son Amant, est d’allier le ton grivois d’un Soldat, à la fatuité d’un petit-maître manqué : un Pierrot, quelquefois un Arlequin, & un Moucheur de chandelle, achèvent de remplir tous les Rôles de la Parade, dont le vrai ton est toujours le plus bas-comique.
La Parade est ancienne en France ; elle est née des Moralités, des Mystères, & des Facéties que les Elèves de la Bazoche, les Confrères de la Passion, & la Troupe du Prince-des-Sots jouaient dans les Carrefours, dans les Marchés, & souvent même dans les cérémonies les plus augustes, telles que les entrées & le couronnement de nos Rois.
La Parade subsistait encore sur le Théâtre Français du temps de la minorité de Louis le Grand ; & lorsque Scarron, dans son Roman-comique, fait le portrait du vieux Comédien La Rancune, & de mademoiselle de La Caverne, il donne une idée du jeu ridicule des Acteurs, & du ton platement bouffon de la plupart des petites Pièces de ce temps.
La Comédie ayant enfin reçu des loix de la décence & du goût, la Parade cependant ne fut point absolument anéantie : elle ne pouvait l’être, parce qu’elle porte un caractère de vérité, & qu’elle peint vivement les mœurs du Peuple qui s’en amuse : elle fut seulement abandonnée à la populace, & reléguée dans les Foires, & sur le Théâtre des Charlatans, qui jouent souvent des Scènes bouffones, pour attirer un plus grand nombre d’acheteurs.
Quelques Auteurs célèbres, & plusieurs personnes pleines d’esprit, s’amusent encore quelquefois à composer de petites Pièces dans ce même goût. A force d’imagination & de gaîté, elles saisissent ce ton ridicule ; c’est en Philosophes qu’elles ont travaillé à connaître les mœurs, & la tournure de l’esprit du Peuple ; c’est avec vivacité qu’elles les peignent. Malgré le ton qu’il faut toujours affecter dans ces Parades, l’invention y décèle souvent les talens de l’Auteur ; une fine plaisanterie se fait sentir au milieu des équivoques & des quolibets ; les grâces parent toujours de quelques fleurs le langage de Thalie, & le ridicule déguisement sous lequel elles s’amusent à l’envelopper.
On pourrait reprocher avec raison aux Italiens, & beaucoup plus encore aux Anglais, d’avoir conservé dans leurs meilleures Comédies trop de Scènes de Parades ; on y voit souvent règner la licence grossière & révoltante des anciennes Comédies, nommées Tabernaires (ou de Taverne).
On peut s’étonner que le véritable caractère de la Comédie ait été si long temps inconnu parmi nous ; les Grecs & les Latins nous ont laissé des modèles, & dans tous les âges, les Auteurs ont eu la Nature sous les yeux : par quelle espèce de barbarie ne l’ont-ils si long temps imitée que dans ce qu’elle a de plus abject & de plus desagréable ?
Le génie perça cependant quelquefois dans ces siècles dont il nous reste si peu d’Ouvrages dignes d’estime ; la Farce de Pathelin ferait honneur a Molière. Nous avons peu de Comédies qui rassemblent des peintures plus vraies, plus d’imagination & de gaîté. Quelques Auteurs attribuent cette Pièce à Jean de Meun, mais Jean de Meun cite lui-même des passages de Pathelin dans sa continuation du Roman de la Rose ; & d’ailleurs nous avons de bonnes raisons pour rendre cette Pièce à Guillaume de Lorris*.
Si nous sommes étonnés, avec raison, que la Farce de Pathelin n’ait point eu d’imitateurs pendant plusieurs siècles, nous devons l’être encore plus que le mauvais goût de ces siècles d’ignorance règne encore quelquefois sur notre Théâtre : nous serions bien tentés de croire que l’on a peut-être montré trop d’indulgence pour ces espèces de recueils de Scènes isolées, qu’on nomme Comédies-à-tiroirs. Momus Fabuliste mérita sans doute son succès par l’invention & l’esprit qui y règnent, mais cette Pièce ne devait point former un nouveau genre, & n’a eu que de très-faibles imitateurs.
Quel abus ne fait-on pas tous les jours, de la facilité que l’on trouve a rassembler quelques Dialogues, sous le nom de Comédies ? Souvent sans invention, & toujours sans intérêt, ces espèces de Parades ne renferment qu’une fausse métaphysique, un jargon précieux, des caricatures ou de petites esquisses mal dessinées des mœurs & de ridicules ; quelquefois même on y voit règner une licence grossière ; les jeux de Thalie n’y sont plus animés par une critique fine & judicieuse ; ils sont deshonorés par les traits les plus odieux de la Satyre.
Pourra-t-on croire un jour que dans le siècle le plus ressemblant à celui d’Auguste, dans la fête la plus solennelle, le manque de goût, l’ignorance & la malignité aient fait admettre & représenter une Parade de l’espèce de celles que nous venons de définir ? Un Citoyen, qui jouit de la réputation d’honnête-homme (M. R** de G…) y fut traduit sur la Scène, avec des traits extérieurs qui pouvaient le caractériser. L’Auteur de la Pièce, pour achever de l’avilir, osa lui prêter son langage. C’est ainsi que la populace de Londres traîne quelquefois dans le quartier de Drury-lane, une figure contrefaite, avec une bourse, un plumet & une cocarde, croyant insulter notre Nation. Un murmure général s’éleva dans la Salle, il fut à peine contenu par la présence d’un Maître adoré : l’indignation publique demanda la punition de cet attentat. Un arrêt flétrissant fut signé… mais le Philosophe demanda la grâce du coupable. La Pièce rentra dans le néant avec son Auteur ; mais la justice du premier & la générosité du Philosophe passeront à la postérité. Rien ne corrige les méchans : l’Auteur de cette Parade (Paliss… de M…) en a fait une seconde, où il a embrassé le même Citoyen qui avait obtenu son pardon, avec un grand nombre de gens de bien, parmi lesquels on nomme un de ses Bienfaiteurs. Mais tel est le fort de ces Parades satyriques, elles ne peuvent troubler ou séduire qu’un moment la Société, & la punition ou le mépris suit toujours de près les traits odieux lancés par l’envie.