[E]
[Des Arcis (s’intérompant) :
Cette Note est d’une autre main ?
Adelaïde.
Ce sont les Observations qu’un Paysan fit un jour, en sortant des Italiens, & que j’ai seulement rendues moins prolixes.
Des Arcis continue de lire] :
Comédie-Ariette : Opéra-comique ; Drames d’un genre mixte, qui tiennent de la Comédie & de l’Opéra ; mais qui n’ont ni le naturel de la première, ni le merveilleux du second. Leur but est (ou devrait être) la Satyre des mœurs, des usages ridicules ou des modes extravagantes : ils peuvent embrasser la Parodie, la critique des Drames de tous les genres, les intrigues populaires & bourgeoises, l’allégorie, la Pastorale, même le Comique-Larmoyant, & la Tragédie, si l’on voulait ; enfin célébrer les événemens du jour. Je vais examiner trois choses : 1. Ce qui fait le succès des Comédies-chantantes ; 2. Si elles sont tolérables ; 3. Si l’on peut les ramener au but utile du beau Dramatisme comique ou tragique.
1. Un Spectacle où l’on est médiocrement ému, mais où les sens sont agréablement affectés ; où l’esprit débarrassé du soin & privé du plaisir de suivre une intrigue, peut donner toute son attention à de jolis airs, quoiqu’adaptés à des paroles vides, dut & devra toujours plaire à la plus légère des Nations : telles sont les Comédies-Ariettes. Je ne parle pas des licences, du libertinage, des indécences, des tableaux présentés & sous-entendus, que l’actricisme de ces Pièces, prises de Contes trop libres, ne couvre que de gaze ; parce que ce n’est pas-là ce qui fait la fortune des Comédies-chantantes : plus un siècle est libre dans ses mœurs, plus il est retenu & chaste dans son expression : les oreilles des débauchés, sous l’expression la plus innocente, croient toujours entendre une lasciveté : ainsi le Monstre qu’élevèrent Sénèque & Burrhus, ne voyant aucune partie de son corps qui ne fût souillée, ne pouvait envisager un autre homme, sans se former une image obscène. J’avance donc que, plus le style sera scrupuleux, les situations tendres & décentes, & plus aussi la Comédie-Ariette sera sûre de plaire. On recherche toujours, & l’on aime à voir dans les Ouvrages d’imagination, ce que l’on n’a pas. D’ailleurs, combien de nos Jeunes-gens le vide des Opéras-comiques aurait déjà dégoûtés, si la satisfaction de chanter les premiers à une jolie Maîtresse, l’Ariette du jour, ne les portait à courir en foule au Théâtre colifichet ! L’on sent bien que, quelles que soient les mœurs d’un Petit-maître & ceux de la Coquette qui le subjugue, ils ne trouveraient pas grand plaisir l’un & l’autre, à répéter des couplets indécens, mais pourtant mille fois au-dessous du libre de leurs conversations particulières & de leurs Billets-doux : c’est du tendre qui les charmera : ils se passioneront en le chantant : c’est un sentiment inéprouvé ; c’est du neuf pour eux ; ils en sont enchantés : sans rien sentir, ils soupirent, & par des mouvemens passionés, ils mentent, avec une volupté qu’eux seuls peuvent apprécier, le sentiment qu’ils ne connaissent pas. Et voila du plaisir, mais du plus vrai, pour un siècle-bagatelle, où la partie aisée de la Nation est en enfance, & la partie peuple… je me tais. Eh rougissez, si c’en est la mode encore, de courir après des hochets à quarante ans. Je sais qu’au-delà des monts, on a de beaux Opéras, dont on se soucie peu, & qui ne servent que de carcasse pour monter une belle Musique : c’est le chant seul qui attire le Spectateur ; le sens n’est rien ; on n’entend dans les chef-d’œuvres de Métastase que des syllabes sonores. Mais si nous voulons prendre les ridicules de tous nos voisins, & les joindre aux nôtres, déja si nombreux, nous ferons dans peu de très-jolis personnages. Parce que les Italiens ont la tête vide, il faut leur ressembler ! parce qu’ils sont passionés pour des sons, il faut, pour les mieux imiter, mettre en vogue des Pièces où le Spectateur ne peut effectivement saisir que des sons !… Les oreilles & les têtes françaises ne sont point faites pour n’être remplies que de vent : il faut des choses à ceux d’entre nous qui ne sont pas énervés, abâtardis par le sybarisme. La Musique est une belle chose, j’en conviens ; mais nous sommes peu faits pour elle ; & tant mieux : cette grande sensibilité pour de beaux airs, marque un Peuple faible & voluptueux. Autre chose sera si vous accomodez une Musique mâle sur de belles paroles : peut être alors un homme pourrait sans indecence se laisser aller au charme de l’harmonie. Mais des Ariettes efféminées ! c’est un crime de lèze-virilité que de les goûter : une pareille Musique est la corruption des mœurs : c’est elle qui remplit la tête de nos femmes de falaises, & qui fait qu’elles sont disposées à tout, hors à être femmes de bien. Si je veux entendre de beaux sons vides de sens, supérieurs à la Musique Italienne & Française, plus expressifs que les modes Phrygien, Dorien, Ionien, Mixo-Lydien, Hypo-Eolien, &c. J’irai dans nos bois ; là, j’écouterai le Rossignol & les concerts des hôtes des Forêts ; leurs sons enchanteurs n’exciteront pas dans mon âme une émotion dangereuse. Notre légèreté, notre futilité, notre enfance de raison, voila la vraie, la principale cause des succès de la Comédie-Ariette, genre tout-à-fait monstrueux, & que les efforts des plus habiles gens ne pourront faire rentrer dans la nature.
II. Il serait assez superflu d’examiner, Si la Comédie-Ariette est tolérable ; mais pour appuyer ce que je viens de dire, du vide des Opéras-comiques & de leur indécence, je vais citer ici ceux que j’ai vus. [Ces Pièces sont, Isabelle-&-Gertrude, la Fée-Urgelle, Cendrillon, Blaise-le-Savetier, Pigmalion, Le-Jardinier-& son-Seigneur, Rose-&-Colas, Tom-Jones, & quelques autres, dont l’Editeur supprime les citations, parce qu’il s’est aperçu que l’Auteur de l’Art du Théâtre en général, s’était complaisamment & prolixément étendu sur cet objet : voyez Tome II, pages 30-58]. Des indécences crues, telles que celles des Contes d’où la plupart des Opéras-comiques ont été tirés, ne sont pas aussi dangereuses, que lorsqu’on les a gazées pour le Théâtre des Ariettes. Ainsi les jeunes Lacédémoniennes dansant toutes nues, causaient moins de desirs effrénés, qu’une belle Courtisane, demi-vétue, qui ne cache une partie de ses charmes que pour la faire soupçonner plus avantageusement. L’obscénité sans voîle, exciterait tout-au-plus quelques mouvemens grossiers, mais peu durables, puisqu’on ne pourrait se les rappeler avec cette voluptueuse sécurité, toujours si douce & si dangereuse. Mais une bonne Police ne souffrira pas les indécences ouvertes. Le Spectacle des Ariettes ne peut donc être toléré, sans heurter de front la Religion & les Loix. Remarquez encore ici en passant, que ce genre de Spectacle, plus contraire sans doute au Christianisme que la belle Comédie, n’est pas attaqué par les Misomimes avec le même acharnement : ils le traitent d’amusement permis : c’est ainsi qu’à Rome, à côté de la sage & modeste Comédie des Roscius & des Virginius, on vit les licencieuses Atellanes, qui seules ne deshonoraient pas leurs Acteurs ; non-seulement la Jeunesse, mais toute la Ville se passionna pour ce genre, qui corrompit enfin la bonne Comédie ; craignons le même sort.
III. A peine savons-nous depuis deux ans que la Comédie-Ariette peut être également décente, pathétique, intéressante. Annette-&-Lubin avait bien fait soupçonner le pathétique ; mais cette Pièce n’était pas encore décente : elle offrait des images adroitement voîlées, qui ne fesaient qu’iriter l’imagination : On montrait Annette, simple, innocente, vivant avec un garçon, sous le même toît, n’ayant (on ne le disait pas, mais on le laissait sentir) qu’un même lit : De voluptueuses images à chaque scène, émouvaient autant les sens que le cœur. On vit ensuite le Roi-&-le-Fermier, Pièce plus châtiée que toutes les Comédies-Ariettes qui avaient paru. Un éclatant succès fut la recompense de son estimable Auteur. Enfin on donna les Moissonneurs : tout Paris courut s’attendrir à son Spectacle favori, & pour la première fois, la pudeur timide put lever les yeux sur le Théâtre Italien. On dit que les Arietteurs craignent que des Pièces comme les Moissonneurs ne fassent tomber leur Théâtre. S’ils entendent par leur Théâtre, les Pièces libres dont j’ai parlé, ils ont raison, des Comédies sensées, touchantes, insipideraient bientôt des colifichets sautillans, qui n’ont qu’un air de libertinage, de vivacité, & rien d’intéressant, rien de solide. Mais s’ils ont voulu dire par-là qu’avec des Pièces décemes, leur Théâtre redeviendrait desert, comme il l’était avec leurs Pièces de Déclamation, ils ne connaissent guères le cœur humain, notre Nation & leurs intérêts. Comme je l’ai dit plus haut, les indécences nuisent plutôt au succès des Pièces-Ariettées, qu’elles ne le favorisent : l’expérience l’a démontré dans les Moissonneurs, & l’a confirmé par Lucile & le Déserteur. Quoique la première de ces deux Pièces soit assez vide, & que la seconde fourmille d’invraisemblances, l’honnêteté qui y règne, la belle Musique, le Jeu d’un excellent Acteur, & le chant des autres, en ont assuré le succès. Ce qui fit tomber le Théâtre, avant que Mlle Favart le relevât, c’était le mauvais Jeu des Acteurs : & malgré la fureur du Public pour les Ariettes, le Théâtre Italien cessera bientôt d’avoir la foule, si (comme on a déja lieu de le présumer) on ne voit plus les Pièces favorites rendues que par de médiocres Chanteurs. Il ne m’a falu que très peu de temps pour m’apercevoir qu’à tous les Théâtres de la Capitale, l’épicurisme des bons Comédiens, & le Jeu des mauvais, effarouchent aujourd’hui les Spectateurs délicats : on s’abstient d’aller à telle Pièce, qui fait un plaisir infini, parce qu’on souffrirait trop à la voir estropiée par une Actrice grimacière, un Comédien hideux, ou froid, ou servile imitateur du Jeu d’un autre.
Il serait donc possible de rendre la Comédie-Ariette utile aux mœurs, en lui conservant ses héros. Je n’irai pas, comme quelques Ecrivains, ravaler le genre & les personnages : un homme utile, que dis-je, nécessaire, peut-il être vil ? Ah ! loin de-là… si j’écrivais pour eux, & que je voulusse les flater, comme tant d’Auteurs adulent les Grands dont il attendent le succès de leurs Ouvrages, que de choses j’aurais à dire ! Oui, s’ils ont des mœurs, le Cordonnier, le Maréchal, le Tonnelier, sont des hommes respectables. Et pourquoi ne le seraient-ils pas ? Parce qu’ils ne sont pas nés pour traîner dans l’oisiveté une demi-existence ? Parce que, serviteurs nés du genre-humain, ils ne paraissent jamais que pour nous offrir une main secourable ? Parce que leur état ne leur permet pas de jeter sur le genre-Humain le regard du dédain, de l’humiliante pitié, ou de l’insolence ? Parce qu’ils n’ont ni terres injustement acquises, ni vassaux à opprimer ? Parce qu’ils ne sont pas d’infidèles régisseurs des deniers de l’Etat ? Parce qu’à la tête des armées, ils ne sacrifient pas des milliers d’hommes à leur fortune, par de coupables connivences avec ces bêtes féroces chargées d’alimenter les troupes ? Parce qu’ils n’abusent pas de la faveur du Prince, pour perdre l’homme de bien ? Parce qu’ils ne ruinent pas leurs créanciers, en étalant un faste au-dessus de leur fortune ? Parce qu’ils ne cherchent pas à corrompre la fille du pauvre dès qu’elle leur paraît avoir quelque beauté ? Que les hommes sont injustes ! ils méprisent qui leur est utile ; ils adorent qui les foule aux pieds ! O triste vérité ! serions-nous faits pour être esclaves ou tyrans !…… On peut donc mettre sur la Scène, les conditions les plus communes : on peut, non pas leur donner le bel-esprit, mais du bon-sens. Pourquoi nous peindre toujours nos estimables Paysans, sous des couleurs étrangères ; sans cette occupés de fades amourettes ? Est-ce là la nature ? On leur donne le goût frivole & le vice des Villes ; on se contente de les rendre plus naïfs ou plus grossiers. Comme si le Paysan était un être efféminé, ridicule, comme Lubin : comme si les Paysanes avaient jamais ressemblé à Annette ! Tout homme de sens est indigné en voyant de pareilles fadaises admirées, & les badauds attendris, s’imaginer qu’ils ont vu l’image de la vie champêtre. Un Paysan, assez dans la nature, malgré l’élévation de ses sentimens, est Blaise dans la Lucile ; je les ai reconnus dans ce bon Vieillard. Ils sont encore assez bien peints dans les deux Peres de Rose-&-Colas ; mais dans cent autres Pièces, on nous présente des êtres de raison. Gens des Villes, pour connaître le Paysan, il faut avoir vécu long-temps avec lui son égal. Il se communique peu ; il est souvent timide, & toujours déguisé avec ceux qui se mettent au-dessus de lui. Il se trouve dans les Hameaux, comme dans les Villes, des hommes méchans ; c’est le petit nombre : des hommes tièdes, qui ne semblent ni bons ni mauvais, & que les circonstances poussent tantôt vers le bien, & tantôt vers le mal ; c’est le grand nombre : des hommes droits, amis de l’ordre, & de toute chose honnête ; ils sont en plus grand nombre que les tout-à-fait méchans ; & ceux-ci, dans les campagnes, sont admirables ; ce sont les hommes par excellence. Ah ! s’ils étaient connus !… Que ne puis-je tracer ici le tableau de conduite d’un d’entr’eux, dont le souvenir a souvent fait couler mes larmes ! Que de vertueuses actions il a faites dans l’obscurité ! [L’Editeur retranche l’éloge de cet honnête Paysan, Laboureur, & Juge de son Village : il intéresserait trop peu de personnes].
Qu’on nous trace de semblables modèles, pour nous consoler de l’existence des Méchans ; qu’on nous peigne du moins quelquefois la vertu, dans ces états inconnus qu’il est inutile de tourner en ridicule, puisque ceux qu’on pourrait corriger par-la, sont rarement au nombre des Spectateurs. Mais surtout qu’on n’expose pas au mépris des efféminés, l’homme… l’homme qui peut-être mérite seul encore ce nom glorieux. Osez le peindre tel qu’il est : il fera rougir d’eux-mêmes le fastueux Intriguant des Cours, le Voluptueux, le Libertin, la Coquette, l’Indolente, la Hautaine, & la Débauchée des Villes. Comment croyez-vous qu’un sage Paysan traitât vos Opéras-comiques ? De sornettes, de pitoyables inutilités, qui ne peuvent amuser que des Enfans, des femmes ou des imbécilles.
Mais non : l’on ne suivra pas cette route : les Auteurs craindraient trop de n’être pas applaudis. Le si d’une Petite-maîtresse les fait trembler. Ames pusillanimes, depuis que les femmes vous mènent, vous ne faites plus que des sotises. Si vous avez une pensée mâle, vous vous hâtez de l’affadir, de l’énerver : Courage ! vous avez raison : mais, morbleu, laissez nos Paysans ; laissez les à des Peintres dignes d’eux, & ne les défigurez pas. Tracez-nous, si vous le voulez, le tableau de la conduite de ce petit Bourgeois freluquet, qui vient d’épouser une Mijaurée de son espèce, & qui craint de lui faire des enfans, depeur de gâter sa taille pincée, de mollir sa gorge, & de…… de cet autre son Voisin, qui fraude la nature, parce qu’un doucereux suppôt de la Faculté a décidé que sa délicate Moitié n’était pas propre…… de ce Sémi-prélat, hypocrite dur & cruel, violateur d’un double Dépôt, qui… Tracez-nous le portrait de ces indignes égoïstes, si communs dans vos villes, qui vivent pour eux-seuls, & voient l’univers dans leur méprisable individu. Représentez-nous des femmes sans modestie, sans vertu, sans pudeur, dont les regards hardis font baisser la vue aux hommes ; qui ne rougissent de rien, ne voient de mal à rien, méconnaissent ou méprisent tous les devoirs de leur sexe : ces originaux-là sont chez vous, il vous est permis de vous en emparer : mais laissez nos Paysans ; ou du-moins ne prenez que ceux de Passy, de Chaillot, de Versailles & de Nanterre, que vous avez corrompus.
Votre Comédie-Ariette, quoique peu naturelle, pourrait devenir utile, en bannissant de ce genre les indécences ; en donnant aux Paysans & aux Artisans les mœurs du plus grand nombre d’entr’eux ; en ne les sacrifiant pas au ris moqueur des Inutiles : en suivant la route tracée dans Lucile, où l’Auteur a su rassembler des personnages de conditions assez éloignées, sans que les contrastes blessent ; chacun d’eux y étant a sa place, y fesant ce qu’il doit, & comme il le doit.
L’Opéra-comique en Vaudevilles, la Parodie, & des Comédies-Italiennes occupent le même Théâtre que l’Ariette.
I. L’Opéra-comique en Vaudevilles est plus naturel que la Comédie-Ariette : l’heureux choix d’airs connus, presque proverbiaux, répand sur ces Pièces une naïveté qu’on chercherait en vain dans celles du nouveau genre. Ajoûtons que le Vaudeville étant né en France, un Spectacle animé par lui seul doit nous plaire, dès que les Drames seront faits avec intelligence. Mais il faudrait que la parole ne se mêlât jamais au chant. Je pense qu’on y pourrait réussir ; nous avons une infinité d’airs dont le ton approche de celui de la conversation, & que l’on pourrait employer dans les transitions : l’on a vu dans la Chercheuse-d’esprit & dans Nicaise, que le Dialogue coupé avait dans les Vaudevilles une grâce infinie. J’avouerai pourtant que ce genre de chant ne peut convenir qu’à des Pièces folles, ou à la Parodie & la Satyre. Mais la satyre du vice est le but de la bonne Comédie.
II. Voyez la Note [Q], sur la Parodie.
III. Nos Comédies-Italiennes en cinq Actes, offrent une peinture burlesque des mœurs communes : le tableau qu’elles font, est souvent très-vrai, mais il n’est jamais accompagné de la correction : on se contente de peindre ; on n’ajoute rien qui puisse porter le Spectateur à improuver le mal, & à profiter du bien, lorsqu’il s’en trouve. Les petites Pièces sont ordinairement à cannevas, & n’ont d’autre fin, que de faire rire par des quolibets, & ces bons-mots, insipides par-tout ailleurs que dans la bouche de l’Arlequin. Ainsi, lorsque dans les Deux-Frères-Rivaux, Scapin menace sa sœur de la faire mettre entre quatre mutailles, & qu’Arlequin lui répond, qu’il
vaudra mieux la faite enfermer entre quatre rideaux; l’on rit & l’on applaudit à la naïveté de la répartie, dans un balourd, qui dit bonnement ce qu’il pense sans y entendre finesse : au-lieu que dans un homme d’esprit qui la donnerait pour une pointe, elle serait sifflée avec raison. On peut dire que ce genre de mauvaise Comédie dont nous sommes surchargés, est très inutile : outre que le commun des Spectateurs perd les deux tiers de ce que l’on dit, ces Comédies-Italiennes ne sont que de basses-farces, assez ressemblantes à nos Parades ; l’on y trouve rarement un mot d’instruction, & presque jamais rien de délicat, qui puisse dédommager l’honnête Spectateur de la mauvaise compagnie qu’on lui donne. Ce genre est donc à renvoyer par-delà les monts.Mais en rejetant les Farces Italiennes, j’aimerais que l’on en conservât les personnages, ne fût-ce que pour la variété, & afin de profiter des avantages que donne le masque dans certains rôles. Je crois que l’on pourrait faire de bonnes Pièces Françaises, où l’on aurait soit un Arlequin, un Scapin ; soit un Pantalon, un Docteur ; soit un Scaramouche, un Mézetin, un Trivelin ; j’en dis autant des Acteurs des Parades : on vient de voir avec plaisir, dans le Tableau-parlant, Isabelle, Colombine, Cassandre, Léandre & Pierrot. Qui nous empêcherait d’employer ces Acteurs dans des Comédies-Parades, où l’on voudrait charger la simplicité sote, ou peindre quelques scènes grivoises ? En demandant qu’on épure le Théâtre, je n’entendrai pas en bannir la gaîté, & moins encore la variété.
[On trouve dans l’ Etat actuel de la Musique du Roi et des trois Spectacles de Paris (chez Vente, Libraire 1770) & dans le Calendrier Des Spectacles, les Eclaircissemens nécessaires sur notre Théâtre Italien ; le nom de ses Acteurs, depuis son établissement ; le catalogue de ses Pièces, & la liste de ses Auteurs. Voyez en particulier l’Année 1754.
Honorine.
Votre Paysan écrit avec humeur, mon amie ?
Septimanie.
Sa rustique franchise ne me déplaît pas.
Des Arcis.
Il traite les femmes un peu durement.
Septimanie.
Je lui abandonne celles qu’il attaque : nous ne fesons pas cause commune.
[Des Arcis reprend sa lecture] :