(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Dix-Huitième Lettre. De madame D’Alzan. » pp. 287-295
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Dix-Huitième Lettre. De madame D’Alzan. » pp. 287-295

Dix-Huitième Lettre.

De madame D’Alzan.

P as reconnue ! toujours aimée ! toujours adorée ! On ne veut plus me parler ; on se propose de ne me voir qu’au Théâtre : on renonce au projet de venir pour moi chez mon amie… Mais, cette amie, chère Adelaïde, elle mérite donc enfin ce nom ? Hier, lorsque tout fut découvert par votre Lettre, je fus deux heures dans ses bras, baignée de ses larmes, couverte de ses baisers… Ah ! ma sœur, dans ce monde faux, vil, dur, lâche, indifférent à tout bien, quelles âmes on rencontre quelquefois ! Mais je reviens à mon Amant. J’ai prêté ma voix à la triste Ariane : Même succès : bien plus : deux Amans ont osé parler hier, & m’écrire ce matin : l’un est un Pair… l’autre… je n’ose dire ce qu’il est. Les deux Billets-doux sont à présent entre les mains de monsieur D’Alzan : Agathe, dont il ne connaît pas la main, a écrit sous mon nom de Florise ; elle-même a remis le paquet, comme venant de le recevoir d’un inconnu, qui s’était retiré sur-le-champ. D’abord, on n’a pu se contraindre : ensuite on s’est remis ; on a renvoyé Agathe, après mille questions, bien infructueuses ; & moi, j’étais où tu sais, jouissant de tout, voyant tout. Par mon Billet, je demande des avis. Je m’engage à ne faire aucune démarche, sans l’aveu de mon bienfaiteur, de mon ami. A l’instant même où je vous écris, on me fait réponse, & je vous la transcrirai dès qu’on me l’aura remise : j’ai pris des mesures avec Mademoiselle ***, pour que tout me parvienne sur le champ.

La voila.

Se peut-il, Mademoiselle, que vous me rendiez l’arbitre de votre sort ! Cette confiance dont vous m’honorez a pour moi des charmes bien séduisans. Oui, Mademoiselle, c’est avec un plaisir infini, que je vais me revêtir des droits que vous m’offrez : je veux vous traiter comme la sœur de mon épouse : & c’est chez madame D’Alzan, dans son appartement, en sa présence, que je desire de vous entretenir ce soir. Vous la verrez, vous l’aimerez ; & j’espère que vous ferez sa conquête, comme vous avez fait pour toujours celle de votre sincère & respectueux ami,

D’Alzan.

P. S. Rendez-vous à mon invitation ; vous me mortifieriez trop, si vous montriez de la répugnance ou de la froideur pour l’entrevue que je vous propose ; songez, que c’est mon épouse elle-même qui doit vous recevoir.

Et le voici qui vient lui-même : cachons tout ceci…………

Tout va le mieux du monde. On m’a prié d’écrire un mot (c’est pour appuyer le Billet)… Oh ! c’est trop plaisant ! Je l’ai fait : voici ce que je me dis :

Venez, Mademoiselle ; je vous attens ce soir à neuf heures : j’aurai le plus grand plaisir à vous voir chez moi : loin d’être jalouse de l’amitié que mon mari montre pour vous, je ne desire rien tant que de l’augmenter sans cesse. Puissions-nous la rendre éternelle ! Croyez-moi une autre vous-même.

Ursule D’Alzan .

J’ai malicieusement cacheté ce Billet sans le lui faire lire : mais en le recevant, je m’apperçois que monsieur D’Alzan n’a pu résister à sa curiosité. Je sors, & dîne seule avec monsieur de Longepierre : il le faut. Ce soir, je finirai ma Lettre, & probablement mes Aventures : car vous voyez qu’il n’est pas possible d’attendre jusqu’à votre retour. Cette visite qu’on exige rompt les mesures que j’avais prises pour retarder.

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J e n’achève ma Lettre que ce matin.… O ma chère Adelaïde !…

 

A cinq heures, suivant l’ordre que j’en avais donné, Agathe est venue me prendre chez monsieur de Longepierre. Elle m’apportait une petite robe, destinée pour cette démarche, & que monsieur D’Alzan n’avait pas vue J’ai fait une nouvelle toilette : ensuite je me suis rendue chez Mademoiselle ***, d’où j’ai renvoyé Agathe auprès de nos enfans. La simplicité de ma parure ne me fesait apparemment rien perdre, car mon amie répétait sans cesse, qu’elle ne m’avait encore rien vu qui m’allât aussi bien. Nous avons employé le temps qui nous restait jusqu’à huit heures, à préparer notre dénoûment. Nous avions quelquefois de vives inquiétudes : l’instant d’ensuite, nous ne doutions pas du succès le plus flateur. Durant cette perplexité, le temps s’écoulait fort vîte ; huit heures sonnent à la Pendule : je m’écrie qu’elle va mal ; mais les Montres s’accordent avec elle, & les Porteurs mandés pour la même heure sont à la porte. Nous partons. Lorsque nous sommes arrivées chez moi, une calèche me dérobait si bien aux regards, que personne de la maison ne m’a reconnue : nous sommes montées pour attendre Mr. & madame D’Alzan, qui, nous a-t-on assuré, ne devaient rentrer qu’à neuf heures. A la demie, nous avons entendu une voiture : c’était monsieur D’Alzan : lorsqu’il a paru, mon amie m’a présentée : il nous a fait l’accueil que j’en devais attendre ; ensuite il nous a demandé si nous ne m’avions pas vue ? Mademoiselle *** a répondu, qu’on nous avait dit que je n’étais pas rentrée. Mon mari nous a introduites dans mon appartement. Je demeurais toujours ensevelie sous le voîle : monsieur D’Alzan est venu timidement auprès de moi, & m’a fait beaucoup d’excuses de ce que je ne me recevais pas ; il en était au desespoir ; mais je ne pouvais tarder. Tandis qu’il parlait, ses yeux ne m’abandonnaient plus. On a frappé : j’ai tourné le dos : c’était nos enfans qu’Agathe amenait pour embrasser monsieur D’Alzan, avant de les mettre au lit. Un signe que j’ai fait à mon amie, & qu’elle a bien compris, a fait renvoyer Agathe : on lui a dit de laisser les enfans, & qu’on la sonnerait pour les reprendre. Dès qu’Agathe a été sortie, mon mari qui ne me quittait pas, qui m’avait pris la main, & qui la pressait faiblement, m’a montré son fils : — Voila, m’a-t-il dit, le gage précieux d’une heureuse union. La mère de cet enfant m’est bien chère : belle comme vous même… Vous allez la voir —. J’ai cessé de l’écouter ; j’ai pris mon fils dans mes bras ; & plus clairvoyant par l’instinct seul de la nature, ce cher enfant m’a reconnue ; il balbutiait, en me souriant, le nom de maman. Si vous aviez vu mon époux, lorsqu’il l’a entendu !… Mais il n’était pas où je le desirais. Votre fille, que Mademoiselle *** caressait, ne m’avait pas encore aperçue ; le son de ma voix la frappe ; elle se dégage, & vient à moi, en me donnant tous ces noms charmans que nous lui avons appris. Nous entendons neuf heures. — Madame D’Alzan ne vient pas, disait à tout moment celui qui l’avait devant les yeux, & qui ne pouvait la connaître. Vous avez reçu son Billet, a-t-il ajouté, en me regardant. — Le voila. — Qui la retient ? Craindrait-elle votre vue ? — Non, je vous en assure. — Quoi ! l’auriez-vous vue ? — Oui ; j’étais avec elle chez votre oncle, & chez mon amie. — Ah ! ciel !… & que vous a-t-elle dit ? — Qu’elle vous adore : qu’elle ne peut vivre sans la possession de votre cœur : mais qu’elle préfère votre bonheur au sien. — Mais, a dit Mademoiselle ***, cette calèche vous assomme —. Elle l’a détachée. En même-temps elle est sortie, sous prétexte de remettre les enfans entre les mains d’Agathe. Seule avec monsieur D’Alzan, j’ai baissé les yeux, j’ai prodigieusement rougi. Ah ! comme j’étais agitée ! Mon époux me regardait ; rien ne me déguisait plus. — Que vois-je, s’écrie-t-il !… Ah ! Madame, pourquoi… — Je suis Florise. — Laissons ce déguisement : Madame… — Je vous jure, que je suis celle que vous avez vue sur le Théâtre… — Est-il vrai-- ? J’ai soupiré. Mademoiselle *** est rentrée ; elle raportait les habits que j’avais quitté chez mon oncle. Monsieur D’Alzan les a remarqués : — Pourquoi me tromper, a t il dit en me regardant — ?… Et tombant à mes genoux : — Ah ! ma chère, mon adorable épouse, croyez-vous que je regrette à vos pieds celle à qui vous ressemblez-- ? Je ne pouvais parler : j’étouffais. — Mais c’est Florise, a repris vivement Mademoiselle *** ; c’est elle, elle-même ; je vous en offre toutes les preuves imaginables… & voyez que vous l’embarrassez furieusement —. Il s’est relevé, troublé, indécis : je n’ai pu soutenir plus longtemps mon personnage ; je me suis précipitée dans ses bras : — Oui, mon ami, me suis-je écriée, je suis Florise… & votre épouse… Votre amante, votre maitresse, votre amie ; celle qui veut tout tenir de vous, ne dépendre que de vous : je vous ai plu sous un nom emprunté, par des talens que vous ne me soupçonniez pas… que faut-il encore ? je suis prête à tout pour regagner votre cœur… Il était à mes genoux : il fondait en larmes, la bouche collée sur une de mes mains. Mademoiselle *** lui lisait votre dernière Lettre. — O ciel ! a-t-il dit enfin d’une voix étouffée, mon Ursule, ma divinité… vous… vous… Non, je ne mérite pas… Mes transports… ô mon amie… qui l’eût pensé… ah ! voyez mes transports —… Je les partageais, mon aimable sœur, je les éprouvais aussi vivement que mon époux : ce moment était le plus heureux de ma vie : des soupirs, des cris, des caresses, des larmes délicieuses… Enfin, nous nous sommes remis, & c’est alors que nous avons commencé de sentir tout notre bonheur.

O ma sœur, que le calme qui suit l’orage, est charmant ! qu’il semble doux aux cœurs longtems agités !.. Si tu voyais celui que tant de fois tu as osé nommer ingrat, si tu voyais comme il m’adore… Il ne me cache pas que j’ai pris le moyen le plus propre… Il ne se rappelle qu’avec ivresse, ces accens flateurs… Jamais, jamais, il ne cessera de m’adorer ; il voit en moi tout ce qu’il peut admirer & chérir. *** partageait notre joie ; elle augmentait notre félicité, en nous en vantant le prix.

O ! mon Adelaïde ! depuis hier, ce moment est le premier dont je dispose. Adieu. Ma charmante amie, un bonheur constant, tel que le vôtre, peut-il se comparer à celui dont jouit votre sœur ?