(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Seizième Lettre. De madame D’Alzan. » pp. 278-281
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Seizième Lettre. De madame D’Alzan. » pp. 278-281

Seizième Lettre.

De madame D’Alzan.

P artagez ma joie ! mon amie, j’ai fait un infidèle : Mademoiselle *** est abandonnée : Florise, la belle Florise (c’est moi), a tous les vœux de monsieur D’Alzan.

Billet de M. D’Alzan à la jeune Débutante.

Mademoiselle : Constance m’avait charmé ; mais Inès vient de faire couler mes larmes ; je l’ai vue des mêmes yeux que Dom Pèdre. Permettez-vous à un homme qui s’intéresse vivement au mérite, de s’informer de l’état de votre fortune : il peut, sans incommoder la sienne, vous offrir les dons de l’amitié ; & si, comme on le dit, le Théâtre n’a pour vous que de faibles attraits, vous assurer l’indépendance. Je n’ai point de desseins, Mademoiselle ; & je ne demande pas même à vous voir chez vous. Souffrez seulement qu’après demain (samedi) je vous dise un mot chez votre amie. Belle Florise ! il n’est rien au monde, non, rien, qu’on puisse vous comparer. Je suis avec respect, &c.

Un beau présent accompagnait ce Billet, qui me fut rendu hier, en sortant du Théâtre, par un homme qui me voit-tous les jours, & qui, non plus que son maître, ne m’a pas reconnue. J’ai tout reçu, de fort bonne grâce, & je compte bien m’en parer, le jour où mon amant… Mon amant ! il semble que je suis… Hé-bien oui, le jour où mon amant me verra chercher à l’ennivrer d’amour ; où il compte me parler chez ma Rivale… Mais il ne m’y parlera pas, vous pouvez croire. Ses transports, lorsqu’on lui a rendu la manière dont j’ai accepté, ne peuvent se concevoir, que par le cœur dans lequel ils ont tous passé. Il était déja dans son appartement : j’arrive : je me mets à portée de l’entendre, par les moyens que vous savez. Il ne pouvait se modérer, se contenir : il allait, venait ; il levait les yeux au ciel ; la joie brillait sur son visage : il s’écriait, Quel bonheur ! (& cela, parce que sa femme avait daigné recevoir son présent ! Imagination, bien inestimable ! ah ! que tu fais d’heureux !) Vous le voyez ; je suis adorée. Chose étrange pourtant ! me voila ma Rivale : on est devenu d’un froid… Mais quels plaisirs j’éprouve ! Ah ! ma sœur, je ne suis plus malheureuse : ne me plaignez plus ; ce serait faire injure au bonheur même.

Je le vois ; la mesure de l’admiration publique, est celle de l’amour dans mon époux. Si le grossier encens, tumultueusement prodigué par une foule d’étourdis, avait pu me flater, que je serais vaine ! Inès a porté dans tous les cœurs, l’attendrissement dont elle était pénétrée : elle a vu des larmes, entendu des sanglots, mêlés aux cris de l’admiration. Cependant deux fois la mémoire m’a manqué : on ne s’en est pas aperçu : j’ai déja l’art de remplir les silences forcés par des mouvemens naturels & pathétiques… Mais de quoi vous entretiens-je là ? Est-ce la Comédienne qui vous écrit, ou votre sœur ? L’une & l’autre… Ma sœur ? des présens, de l’amour, une intrigue… J’ai quelquefois des scrupules… Mais ils sont bientôt détruits. Je serai parée de ses dons : il le verra : il deviendra plus passionné, plus hardi, plus heureux ! Cher époux, sois-le, dût ton erreur être éternelle !

Ce matin, je le vois s’agiter, courir : Ah ! que ce trouble que je remarque sur son visage, cet embarras devant moi, cette joie qu’il ne peut cacher, que tout cela me flate !

Ma sœur, mais vous avez laissé-là les Notes de votre Projet : elles sont de monsieur D’Alzan ; & vous me les faites attendre !

A propos ; on m’a demandé hier, si je savais beaucoup de Pièces. J’ai nommé Ariane, & voila tout. Mademoiselle *** m’a dit de passer aujourd’hui chez elle ; j’irai. Elle veut apparemment me faire étudier : mais encore Ariane, & c’en est assez : le dénoûment approche. Je le fixe au jour de votre arrivée. si je puis le filer jusques-là… Il me vient une pensée : Mademoiselle *** ne s’informe pas de ce que je suis : elle est bien discrète.… Si monsieur D’Alzan, elle.… Me connaître ! cela ne se peut pas.… Cependant… Hé-bien, si j’ai réussi, que m’importe ?… J’embrasse un million de fois ma sensible, mon adorable sœur.

Votre fille vous assure de ses respects : mon fils vous nomme ; c’est bien assez pour son âge.

Monsieur de Longepierre doit revenir ici le quatre.