(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Onzième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 244-249
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Onzième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 244-249

Onzième Lettre.

De madame Des Tianges.

M on amie, mon aimable sœur… Je n’ose te le demander… mais je voudrais pourtant bien le savoir… Quoi ! me cacher tes projets, à moi qui t’aime, & qui t’étourdit de mes rêveries… Je m’en rapporte néanmoins à ta prudence : non, mon amie ; je ne te presserai pas de m’instruire.

Eh bien ? que t’avais-je dit ? Tu es aimée. Je l’avais bien deviné. Mais tu ne parles pas de ta conduite actuelle ? Imites-tu toujours ?… Va, tu ne l’imites pas, tu la surpasses, tu l’embellis. Te vaut-elle, entre nous ? a-t-elle ta fraîcheur, ta beauté ? Tu l’effaceras entièrement, si tu lui dérobes tous ces petits riens, ces grâces, qu’on nomme la magie des jolies femmes, & qu’on nomme bien.

Si j’ai différé jusqu’à présent de te parler des Pupilles de monsieur Des Tianges, & de mademoiselle De Liane, c’est que tu m’occupais toute entière : cependant, tous trois doivent m’intéresser ; la dernière, pour la beauté de son âme ; les deux autres, parce que monsieur Des Tianges les chérit comme ses propres enfans. Je vais commencer par monsieur Des Arcis. Il atteint vingt-deux ans, est assez bien fait ; il a l’œil ardent plutôt que vif, le caractère sombre ; je crois que ses passions seront intraitables : l’amour les absorbe toutes aujourd’hui, heureusement pour un objet capable de lui faire aimer la vertu ! Septimanie, sa sœur, accomplit seize ans : elle est jolie ; blonde, fade, nonchalante ; c’est l’opposé de son frère, que je lui préférerais ; je crois que j’aimerais mieux une étourdie, une coquette que ces espèces d’êtres-là : tu la verras ; monsieur Des Tianges engage son Pupille à prendre une Charge à Paris, & sa sœur doit demeurer avec nous, comme monsieur D’Alzan le présumait. Honorine De Liane, qui doit donner la main dans huit jours au frère de Septimanie, est une orfeline, entre dix-huit & dix-neuf ; unique héritière d’un Oncle, qui l’a élevée, & dont elle gouverne la maison depuis cinq ans, avec l’applaudissement général. Elle est brune, faite au tour ; & joint à la régularité de la beauté, toutes les grâces des jolies femmes ; voila pour l’extérieur : quant à ses qualités, elles surpassent ses attraits ; Honorine est spirituelle, modeste, franche, & paraît avoir un cœur formé pour l’amitié. Tu vois que si je pouvais être consolée de notre séparation, personne ne serait plus propre à le faire. Mais, quelqu’un auprès d’Adelaïde remplacerait Ursule ! Avec tous ses attraits, & même toutes ses vertus, la belle De Liane n’égale pas ma sœur : il n’est qu’un cœur comme le tien… O mon amie ! & nous sommes séparées !.. Encore, si je te savais tranquille ! mais, ce maudit voyage est venu dans un temps… le plus orageux… Ursule, quand nous embrasserons-nous ? quand presserai-je contre mon sein ma fille, ton fils… ou plutôt le mien ?

Qu’a dit monsieur D’Alzan, en les revoyant : je me le représente prenant tantôt le petit D’Alzan, & tantôt ma Sophie ; leur partageant ses caresses… Sais-tu que la petite friponne aime son oncle plus que sa mère ? c’est presqu’un instinct coquet qui la porte vers lui : il ne faut pas souffrir cela : la sympathie opérerait, & ma fille, un jour, serait une volage… En vérité je suis folle. Passe-moi tout cela, raisonnable Ursule.

J’écris à monsieur de Longepierre ; voila la copie de ma Lettre :

EN vous instruisant, Monsieur, je connaissais bien votre prudence : j’y compterai toujours ; & ce n’est pas à vous qu’il faut dire, qu’un éclat, des reproches, une simple indiscrétion pourraient tout perdre. J’espère donc que vous vous en fierez à madame D’Alzan ; que vous nous laisserez agir toutes deux ; & que vous nous seconderez à notre manière ; c’est la grâce que j’ose exiger de vous. [*] Ne me croyez pas aussi tranquille que je tâche de le paraitre aux yeux de ma sœur. Hélas ! je tremble : je presse monsieur Des Tianges de hâter son retour : je forme mille projets mais tous sont fondés sur la douceur & sur une innocente adresse. Point de reproches, point de réprimandes point d’humeur ; tout cela est banni de mon plan Je sais quelle est votre attention à ne pas quitter, lorsqu’on l’abandonne, une Nièce qui vous est chère ; c’est une suite de votre tendresse pour elle : mais je vous engage, dans les circonstances présentes, à lui laisser la liberté de la solitude, elle en a besoin ; à ne rien dire dans les entretiens que vous aurez devant elle avec monsieur D’Alzan, qui puisse augmenter ses inquiétudes ; il faut au contraire les dissiper. C’est le parti que j’ai suivi dans mes Lettres ; où je prends le plus souvent un ton qui n’est pas le mien à beaucoup près. D’un autre côté, mon avis serait de ne point gêner du tout monsieur D’Alzan. Ah ! Monsieur , malgré ses défauts, il est encore le seul homme capable de rendre Ursule heureuse. ] Je suis &c.

J’exagère nos craintes, mon amie, pour le mieux persuader, & te procurer toute la liberté dont tu peux avoir besoin.

P. S. Nous ne serons pas encore longtemps ici : ce mariage va se conclure ; la Tante de mademoiselle De Liane est arrivée aujourd’hui de la bonne Ville de Niort. Quelle femme ! Elle n’a qu’une vertu, qui nous la rend supportable, c’est d’aimer sa Nièce : elle l’aime éperdûment, mais aigrement, d’un ton toujours grondeur, pour improuver devant elle tout ce qu’elle fait, tout ce qu’elle dit, pour l’élever jusqu’au ciel, dèsqu’elle croit n’en plus être entendue. Misérable ton , qui prive l’amitié de toutes ses douceurs ! politique inconsidérée, & pourtant générale autrefois, qui, chassée de la Ville par le bon-sens, s’est réfugiée chez les Boyards provinciaux. La bonne Tante ne peut ici voir faire une caresse aux enfans, sans s’écrier qu’on les gâte, qu’on les perd, qu’on va les élever en Paysans. O ma sœur, que dirait-elle de nous ?