(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Quatrième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 28-32
/ 1079
(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Quatrième Lettre. De madame Des Tianges. » pp. 28-32

Quatrième Lettre.

De madame Des Tianges.

Q ue peu de chose effraye une âme neuve & trop sensible ! En ouvrant ta Lettre, j’ai cru que ton mari, affichant le desordre, profitait de notre absence ; pour avouer publiquement une de ces Créatures dont le crime est l’état, que l’impudence annoblit, & dont les hommes mesurent la gloire, par l’atrocité du scandale qu’elles ont donné. Imagine avec quelle surprise, mêlée de joie, j’ai vu, en achevant de lire, que monsieur D’Alzan est un honnête-homme, qu’un goût passager a surpris ; qui se l’avoue, reconnaît ses torts, & cherche à intéresser à son retour vers toi jusqu’à la vanité de celle qui lui a trop plu… Elle veut s’immoler… Elle n’est donc pas… Tu as oublié de me la nommer : mais je la crois une Actrice. De quel théâtre ?… Marque-le moi, ma bonne amie.

Ursule, voila les peines du mariage, dans les conditions où les richesses laissent du superflu*. Rarement la compagne du Cultivateur éprouve, sous son toît de chaume, les atteintes de la jalousie : son époux a bien d’autres occupations que de fades amourettes : il est homme ; il en prend les peines ; il en a la dignité* : son bras fait tout. Il faut bien que sa vie honnête lui procure la plus précieuse des prérogatives, d’être le conservateur & le dieu tutelaire de sa famille ; avantage si grand aux yeux des hommes sensés, que monsieur Des Tianges ne croit faire son bonheur & le mien qu’autant qu’il en jouit. Oh ! qu’un mari dameret est un être… S’ils savaient s’occuper !…Ames pusillanimes, qui ne sont pas en état de supporter l’abondance… Mais aussi, il est d’une grande inconséquence dans nos mœurs, d’avoir une multitude d’établissemens ou de choses tolérées, qui contredisent directement le but de la Religion & des Loix. On révère sans doute la vertu, & cependant, dans nos amusemens, dans nos usages, elle trouve des écueils à chaque pas ! Quoi ! nous, tranquilles casanières, nous ne pourrons vivre dans la sécurité ! Il y aura des femmes dont l’état est de plaire, de tout soumettre, de tout charmer, qui nous feront à tout moment trembler de perdre le cœur d’un époux ! Ah ! si j’étais Législateur !…

Que veux-tu que je te dise ? Ursule, d’elle-même, a fait ce que sa tendre sœur, sa parfaite amie lui aurait conseillé de faire. Oui, ma chère, dissimule : puisque tu connais ta Rivale, étudie-la, pénètre-la, copie-la, surpasse-la ; & crois que pour regagner entièrement un cœur sur le point de t’échapper, le moyen le plus sûr est de prendre les grâces de ton ennemie, de paraître plus aimable qu’elle : s’il est d’autres routes non moins sûres, il t’est permis de les suivre. Adieu… Ursule, je t’adore : songe au sentiment qu’exprime ce mot ; la bouche qui le prononce, le cœur qui l’éprouve ne se rétracteront jamais.

P.S. Tu ne me dis rien de nos enfans ; je me persuade qu’ils se portent bien.

Les affaires des Pupilles de monsieur Des Tianges sont fort avancées ; notre séjour ici ne devait plus durer que huit jours ; j’allais t’annoncer notre retour, lorsqu’un nouvel obstacle est venu le retarder. Tu sais que monsieur Des Arcis, l’ami & le parent de mon mari, lui fit promettre, en mourant de veiller, de concert avec monsieur de Longepierre, sur un fils & une fille qu’il laissait, & de les pourvoir à son gré. C’est à cet engagement que monsieur Des Tianges veut satisfaire, en unissant le jeune Des Arcis, à la fille d’un ami commun. Dans les circonstances où tu te trouves, tout ce qui peut éloigner notre réunion est un fâcheux contretemps, & m’afflige beaucoup.