(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Troisième Lettre. De madame d’Alzan. » pp. 25-27
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Troisième Lettre. De madame d’Alzan. » pp. 25-27

Troisième Lettre.

De madame d’Alzan.

P lus d’espoir, plus de raison, plus de bonheur !… Ah ! mon amie ! monsieur d’Alzan est tendre, sensible ; & ce n’est plus moi qu’il aime ! Lisez :

Jugez de mes sentimens par ce que vous vîtes hier, Mademoiselle : ils sont bien vifs, ils le sont trop. Aujourd’hui, que la première émotion calmée me permet d’écouter la raison, je ne vois plus que votre magnanimité. Oui, mon amie, sauvez-moi de moi-même : il n’est que trop vrai que j’ai des devoirs à remplir ! Mais comment vous aurais-je résisté, à vous qui m’aimiez, à qui tout cède ; qui triompheriez de l’indifférence même, & qui soumettez ceux qui ne peuvent espérer de vous toucher ? Vous savez que j’ai des devoirs à remplir ; je ne vous en serai pas moins cher ; mais vous espérez avoir la force de vous immoler à cette que vous nommates votre trop heureuse Rivale… Non, je ne méritai jamais ni son amour, ni votre estime : vous êtes toutes deux trop au-dessus de moi… Mon cœur se déchire. Je vois que j’afflige une épouse estimable, qui n’en est pas moins tendre, pas moins occupée de mon bonheur. Quelle générosité !… Si je pouvais y demeurer insensible, je serais un monstre qui m’effraierais moi-même !

Je vous reverrai ce soir ; il le faut : ce ne sont pas des rigueurs qui peuvent me rendre tel que vous desirez que je devienne.

Je suis tout à vous.

D’Alzan.

Un laquais étourdi vient de laisser tomber ce billet à mes pieds : je n’ai pu m’empêcher de le lire ; & j’ai fait plus que vous n’eussiez osé peut-être en pareille circonstance ; j’ai mis une autre enveloppe ; j’ai déguisé mon écriture ; je viens de l’envoyer. A qui croyez-vous qu’il s’adresse ?… O ma sœur ! hier, il était derrière elle au Spectacle ; je les vis se parler à l’oreille ; la joie brillait dans leurs regards… Voilà donc ce qu’il cherchait au Théâtre !

Moi, qui me croyais adorée, si le devoir n’était pour moi, je me verrais abandonnée. Ah ! ma chère Adelaïde !… Conseillez-moi : ce moment est cruel. Mais, le croiriez-vous ? dévorée de jalousie, j’ai la faiblesse encore de préférer au mien le bonheur d’un ingrat… Je l’entends ; il vient ; je vais lui cacher le desespoir qu’il cause. Adieu.