(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Seconde Lettre. De madame Des Tianges, À sa Sœur. » pp. 21-24
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(1770) La Mimographe, ou Idées d’une honnête-femme pour la réformation du théâtre national « La Mimographe, ou Le Théâtre réformé. — [Première partie.] — Seconde Lettre. De madame Des Tianges, À sa Sœur. » pp. 21-24

Seconde Lettre.

De madame Des Tianges, À sa Sœur.

E h ! tu l’as donc pensé, que je t’accusais d’humeur ! La pauvre petite ! elle m’a bien attendrie, vivement touchée ; mais elle ne m’a pas appris qu’elle ne m’aime que pour moi : je n’en doutai jamais.

Écoute, mon amie, il faut quelquefois m’épargner… Non, ce n’est pas ce que je veux dire ; il faut toujours m’ouvrir ton cœur. Ursule ! ô ma sœur, ma fille ; fille chérie que je porte dans mon sein… Mais que veulent dire ces terreurs paniques ?… En vérité, je plains beaucoup les imaginations vives & les cœurs tendres avec excès. Ne montres-tu pas trop à ton époux que tu l’adores ? Je serais tentée de le croire atteint d’une plénitude de bonheur ; maladie dangereuse pour tous deux, & que tu lui auras maladroitement causée. Innocence ! innocence ! tout le monde te loue, paraît te chercher, te desirer : trompeuses apparences ! une jeune personne vient de quitter la retraite où elle fut élevée ; d’abord elle enchante par cette réserve si rare & si séyante à la beauté ; mais bientôt elle refroidit par sa simplicité modeste, & sa timide uniformité. Tu n’as pas encore vu le monde ; ton âme pure & naïve chérit la solitude, ne connaît qu’une chaste tendresse & tes devoirs : cela devrait bien suffire pour le bonheur ; & cependant, avec ces avantages, on ne l’atteint pas toujours : les hommes, ces êtres inconséquens, voudraient qu’adroitement nous pussions allier les deux contraires ; le manége de la coquetterie, & la naïveté de l’innocence. Quel parti doit prendre une femme vertueuse, raisonnable & sensible ? Celui de se conformer à ce goût général ; de conserver toujours une conscience sans reproche, un esprit sensé, une âme tendre, & de laisser quelquefois échapper au-dehors les apparences de l’étourderie & de la frivolité. Ursule, il faut, avec ce cher époux, qu’un culte trop assidu peut engouer, affecter souvent, sinon l’indifférence, du moins une tranquillité badine & gaie.

Je n’aime pas cette prédilection pour un de nos Spectacles : Qu’y va-t-il chercher tous les jours ? Point de Pièces dont on ne soit rebattu, d’Acteurs qui soient supportables, d’Actrices qui veulent perfectionner leurs talens ; tout est médiocre ou mauvais… Le goût de ton mari n’en est pas moins vif… Qui l’attirerait ?… Peut-être cherche-t-il à ranimer des sentimens qui languissent… Peut-être, toujours aussi tendre, ne trouve-t-il de plaisir qu’à s’occuper de sentimens analogues à ce qu’il ressent pour toi… Peut-être, si c’est l’Ariette qui l’attire (ce que je ne crois pas) sa légèreté le décide-t-elle seule pour un Spectacle frivole… Peut-être aussi ne te quitte-t-il, durant quelques heures, que pour te revoir avec plus de plaisir. Il n’est que sérieux avec toi ? Il ne paraît ni triste, ni dévoré par l’ennui : n’est-ce pas mon amie ?… Va, il t’aime, il est heureux ; sois-le comme lui, ma sœur ; c’est l’amitié la plus tendre qui t’en prie, qui le veut, qui l’exige de toi.

Adelaïde des Tianges.

Nous avons ici une société fort aimable : mais… Ursule y manque.