Chapitre IV.
Des Feux de-Ioye.
I l n’est point de Spectacle plus éclatant, ny plus universellement pratiqué dans les prosperitez publiques. Presque toutes les Nations en usent, pour, exprimer une joye causée par un grand Succez : Mais les Européens ont ajoûté à ce simple & naturel témoignage, mile artifices ingenieux dont les sens peuvent estre charmez. La nature y est surmontée : Les choses solides & pesantes voltigent dans l’air, & la legereté du feu l’emporte sur le pois de la matiere qu’il enléve & qu’il consomme chemin faisant. Enfin, les corps de soy immobiles en sont agitez, & semblent en recevoir un suplément d’esprit & d’ame, qui leur donne du mouvement & de l’action.
Ces agreables & spirituelles inventions, & cette surprenante varieté d’effets, semblent ne dépendre que d’un beau feu, d’une subtile & vive imagination. Il n’y a aucune regle, ny aucuns preceptes pour de tels Ouvrages, si ce n’est la justesse de l’invention, avec l’idée de la Feste, ou du sujet de la Feste. Ainsi rien n’est ridicule comme ces Feux de la S. Jean, où l’on represente des Dragons ou des Hydres, sans avoir aucun égard au Saint, dont la Nativité est celebrée, & qui ne sont non plus à propos que la Dance dans le deuil.
Ie desire donc que la Machine qui sert de baze au Jeu de l’Artifice, ait raport au sujet de la joye ; qu’une naissance y soit exprimée autrement qu’une Victoire : & qu’on s’efforce de peindre le plus expressément que l’on peut la nature des choses dont il s’agit. Par exemple, vn Combat de Mer, autrement qu’un Combat de Terre. Vne Ville prise, autrement qu’une Bataille gagnée. Si cela paroît difficile, il ne laisse pas d’estre possible & raisonnable : Et s’il en couste un peu plus de meditation aux Ingenieux, ils y gagneront plus de gloire ; & les Spectateurs y auront plus de plaisir.