(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre III. Du Bal. » pp. 178-183
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(1668) Idée des spectacles anciens et nouveaux « Idée des spectacles anciens et nouveavx. — Idée des spectacles novveavx. Livre II. — Chapitre III. Du Bal. » pp. 178-183

Chapitre III.

Du Bal.

N ous ne dirons pas grand chose de ce Spectacle, qui cependant n’est pas la plus desagreable. Car si dans le Balet, la Dance haute, la legereté & la force, ont quelque effet particulier ; dans le Bal, la majesté & la bonne grace ne s’y font pas moins remarquer. Sous le Masque, on dance pour autruy, on se pique d’exprimer ceux que l’on represente, & le déguisement peut cacher beaucoup de defaux, soit en la personne, soit à la dance. Mais icy il ne s’agit que de soy-mesme : Vous paroissez tel que vous estes, & tous vos pas & toutes vos actions sont tributaires aux yeux des Spectateurs, & leur exposent & le bien & le mal, dont l’Art & la Nature ont favorisé ou disgracié vostre personne. Ainsi le Bal merite bien quelque sorte de soins, & qu’un galant homme s’aplique à se bien tirer d’un pas si dangereux.

Ie ne voudrois pourtant pas que ce soin fût ou trop grand, ou trop affecté, ou trop manifeste ; car pour lors outre qu’il occupe trop, & qu’il peut détourner des objets serieux & de devoir, il laisse un certain charactere baladin & violon, qui ravale tout le merite du succez, & qui perd une bonne partie de la bonne grace. Il n’est rien de si galant qu’une dance Cavaliere, qu’un port naturel ; pour peu d’instruction qu’on y adjoûte, on en sçait assez pour le Bal : & il n’en faut pas d’avantage pour y reussir & pour plaire.

Les Dames (car en ce Chapitre) elles sont sous nostre ferule, & ont le principal interest en nos préceptes) les Dames dis-je, tout au contraire ne sçauroient estre trop parfaites à la Dance, ny trop s’appliquer à y reussir. Car comme elles n’ont point de part aux grandes actions ny au merite du premier ordre ; elles n’ont rien à laisser perdre dans les seconds succez, & se doivent piquer de tous les avantages du bel art & de la galanterie. Ainsi non-seulement le soin, mais un peu d’affeterie leur sied bien, & ces petites façons passent pour des mignardises & ont leurs appas, pourveu qu’elles n’aillent point jusqu’aux grimaces des Precieuses, ou aux contorsions d’une vaine Vielle, ou d’une sotte Provinciale.

Ie n’entends pourtant pas que cette affeterie regne en elles également par tout. Elle déplaist aussi aisément qu’elle peut plaire, & surtout quand elle devient immodeste, & si elle paroist s’attendre à quelque chose de plus qu’à la simple aprobation des yeux. Comme cette affeterie dont ie parle, n’est qu’vne espece d’air & de tour que l’on donne à ce que l’on fait ; c’est une violence à la nature, & un desordre d’intention, quand elle passe plus outre ; & loing de rendre la Danse gracieuse, elle la rend grimaciere & contrefaite. La modestie dans les Dames, est la mesme chose que le courage dans les Cavaliers. Ce sont des Parties essentielles sans lesquelles il n’y a point de beauté ny de merite veritable.

Il est deux choses principalles pour reussir au Bal, la propreté ou l’agencemẽt, & la belle Dance. Pour les premiers ; nos Amants & nos Belles en sçavent plus qu’on n’en peut écrire : Pour le second, outre que nous en avons dé-ja parlé sur le propos des Dances, je n’adjoûteray que ce mot, que la belle Dance est une certaine finesse dans le mouvement, au port, au pas, & dans toute la personne, qui ne se peut ny exprimer ny enseigner par les paroles. Il faut les yeux, les beaux exemples & de bons Maistres ; & quelquefois mesme avec toutes ces aydes, on a bien de la peine à la bien concevoir, & encore plus à l’executer. L’oreille y sert beaucoup, l’estude y ayde grandement, mais rien ne rompt tant les mauvaises habitudes du corps que l’exercice, & l’on ne profite point à beaucoup pres dans la Salle des Maistres, comme dans les Assemblés ou dans les Bals.

De donner des preceptes pour cette espece de Dance, c’est vouloir établir une langue vivante. La mode & les temps se moquent de nos Leçons & de nos Dictionnaires.

L’ordre en est plus de nostre competence. Le Bal me paroist plus beau dans un Parterre que sur un Theatre, & puis qu’il s’agit de faire paroistre la beauté des Dames, la bonne mine des Cavaliers, & l’industrie des uns & des autres. Il faut que tout cela se face à la juste portée des yeux, & que l’on voye un homme de tous sens & de niveau, pour juger juste de ce qu’il est, & de ce qu’il sçait faire.

Ie haïs encore la mode de Paris, qui donne la liberté à tous ceux qui veulent, d’aller prendre les Dames, & de se presenter à la Dance. Il est bien plus raisonnable d’attendre, qu’on vous appelle aussi-bien dans la Courante que dans les Bransles, & que l’enchaînure & la continuation du Bal dure de cette maniere, & avec ce petit soin de rendre & de reprendre ceux qui nous ont pris, & qui nous ont fait cet honneur.

Les Dances nouvelles font la gloire & l’honneur des Bals, un surcroit de la mode, & une augmentation de beautez des Assemblée. Cela est toutefois plus profitable au Maistre de Dance, qu’avantageux ou qu’agreable à ceux qui dancent ou qui regardent. Car il s’est fait d’aussi jolies choses qu’il s’en pourroit faire, & on se divertiroit peut-estre bien-mieux aux vieilles Dances qu’aux nouvelles : Le Sieur Lully ne durera pas tousiours, & ceux qui le suivront ne l’attraperont pas sans peine, & peut-estre point du tout.