Chapitre dernier.
Conclusion.
E n réfléchissant sur tout ce que j’ai dit au sujet du Spectacle moderne, on s’appercevra sans peine que la plus-part de ses Poèmes, fondés sur les règles qui constituent les Drames en tout genre, s’écartent assez souvent de ces règles si èssentielles.
J’ôse me flatter qu’on me rendra assez de justice pour sentir que ce n’est que par ironie que je parais soutenir que les Personnages des nouveaux Poèmes doivent toujours être bas & vils. J’ai feint de croire qu’on était convenu de n’insérer dans ces Poèmes que des Hèros communs & populaires, puisqu’on n’en voit presque que de cette espèce. Mais je n’ai point négligé de rappeller très-souvent à leurs Auteurs les règles sages & judicieuses, qui forment seules un Drame parfait. En louant à outrance la méthode qu’ils semblent avoir le plus généralement adoptée, j’ai cherché à montrer davantage le ridicule qu’il y a de représenter sur la scène des objets dégoûtans & trivials : Le bon goût a dû prescrire en tout tems de prêter une certaine noblesse à ces objets trop méprisables au Théâtre des honnête gens, lorsqu’ils sont dépeints dans toute leur bassesse ; c’est ce que doivent se proposer les Poètes du nouveau genre qui voudront faire agir des gens obscurs, pris dans le menu Peuple. Il faut au Spectacle moderne un genre qui lui soit propre ; eh, bien ! que ce soit celui de peindre la Nature ; mais d’adoucir ce qui pourrait révolter : ne confondons point le Théâtre moderne avec celui des baladins où tout est permis. Il s’enfuit de ce que je dis ici, & que j’ai donné assez à entendre dans le cours de mon Ouvrage, que les Poèmes relevés du nouveau Spectacle, tels que le Roi & le Fermier, Isabelle & Gertrude, la Fée Urgèle, Tom-Jones, &c. n’y seraient point déplacés, si l’on n’avait à leur reprocher que la noblesse de leur action.
Ceux qui se sont apperçus des défauts du Spectacle moderne, n’auront pu s’empêcher, en le condamnant, de convenir du mérite de ses Acteurs. Plus il est prouvé que le genre naissant des Drames tant applaudis de nos jours s’est écarté des règles reçues, & soulève contre lui la critique & la raison, plus il est démontré que les Acteurs qui le soutiennent & le font valoir, ont des talens rares & supérieurs. C’est une vérité qu’on ne saurait révoquer en doute ; & voilà un hommage qu’il m’est bien flatteur de rendre au mérite.
Puisse mon Livre inspirer aux Poètes du nouveau Théâtre le noble dessein de ne plus faire paraître tant de Pièces informes ! Puissent-ils ne s’attacher qu’à mettre sur la Scène des Drames intrigués avec art, écrits avec délicatesse, dans lesquels la décence soit toujours respectée ! Si mes vœux étaient remplis, la gloire du Spectacle moderne & de ses Auteurs en deviendrait plus éclatante, plus réelle, & le goût de la Nation serait justifié.
On doit conclure encore, après avoir lu cet Ouvrage avec attention, qu’il peut être utile aux Poètes & aux Musiciens des différens Spectacles, qui de nos jours semblent trop souvent vouloir négliger les règles, en cherchant à se distinguer par des nouveautés singulières, sans songer qu’ils s’écartent alors de ce qui plaît réellement ; puisque les règles ne sont établies que d’après ce qui charme généralement les hommes éclairés.