« Un petit bout d’oreille échappé par malheur…. »
Un mot a Monsieur l’abbé Girardon.
Permettez à un fidèle du diocèse qui vous compte au nombre de ses pasteurs, de vous donner le témoignage le plus sincère de la confiance que vous lui avez inspirée, et de saisir, pour l’exprimer, une occasion qui peut-être ne se reproduira pas. Celle-ci d’ailleurs ne vous étant point étrangère, j’ose espérer qu’elle fera excuser ma démarche respectueuse et que vous ne me refuserez pas votre bienveillante attention.
Probablement vous aurez su, Monsieur, que j’avais adressé une lettre à M. l’abbé Desmarès Sur deux péchés mortels, selon lui, sur deux actions innocentes, selon moi : le théâtre et les bals. Dans cette lettre j’ai exposé les motifs qui m’ont fait embrasser une opinion contraire à celle de ce digne missionnaire sur le double sujet que je viens d’indiquer, et j’ai émis la mienne en des termes qui, j’aime à le croire, ont été appréciés de tous mes lecteurs. Cependant, Monsieur, un Laïc (que je crois véritablement laïc) a cru voir de l’ironie dans les louanges que j’ai données à M. l’Abbé Desmares, et même un danger réel dans la publication de ma lettre. Ce Laïc, tout rempli d’un zèle auquel je suis le premier à rendre hommage, a en conséquence pris la plume et cherché à me combattre. Des l’annonce de sa réponse, et sur cette annonce seulement, j’ai presque désiré, je l’avoue, que mes raisonnemens fussent détruits de fond en comble, et qu’il me fùt impossible de répliquer, tant il me semblait doux d’être détrompé et ramené à l’opinion d’un homme aussi éclairé que M. le missionnaire Desmares. Mais quel a été mon étonnement lorsqu’au lieu de voir mes argumens renversés, j’ai trouvé de nouvelles armes dans la réponse du Laïc, ou soi disant tel, lorsque je n’ai pu, après la lecture de cette réponse, avoir le moindre doute sur la solidité de mes objections ? Il m’en coûte, je le confesse, de montrer, dans tout son jour, la faiblesse de mon adversaire ; je. n’aurai aucun mérite à prouver que, loin de me réfuter, il me donne gain de cause, et, par amour propre autant que par charité chrétienne, il me faut user de ménagemens : Je saurai n’en point manquer.
J’ai plusieurs raisons, M. le Grand-Vicaire, pour vous adresser cette réplique : Premièrement, le Laïc qui répond à la lettre écrite à M. Desmares m’est parfaitement inconnu ; en second lieu j’éprouve une vive satisfaction à vous entretenir de la question qui s’est agitée entre nous et à vous faire juge des dires de chacun : mon plus grand bonheur serait d’obtenir votre approbation ; j’y attacherais, je vous assure, un prix infini. Et que de titres n’avez-vous pas, Monsieur, à la confiance que je suis fier de vous accorder en ce moment ? N’est-ce pas vous qui avez partagé, pendant la retraite, la noble tâche de M. l’abbé Desmares ? N’est-ce pas vous qui, dans les conférences du soir, avez soutenu une controverse d’autant plus pénible que vous défendiez, au moins en apparence, la cause la plus faible, celle de l’incrédulité ; controverse d’autant plus difficile encore, que vous étiez réduit à des questions extrêmement laconiques, et que, par les longs développemens, auxquels se livrait le saint homme chargé de faire entendre la parole de Dieu, vous étiez réduit au silence et obligé de reconnaître qu’il n’avait jamais tort ? Je ne veux pas, M. le Grand-Vicaire, énumérer tous vos droits à notre reconnaissance, je craindrais de blesser votre modestie ; mais ils ne peuvent que m’encourager à vous soumettre la réplique que je fais à la réponse du Laïc ; je prends donc la liberté de vous l’envoyer avec quelque étendue, et comme si je l’adressais à l’auteur même de la réponse.
Voici cette réplique :
J’ai lu votre réponse, Monsieur, (je parle au Laïc,) et ne puis recevoir, comme vraies, les assertions qu’elle contient ; mais si j’ajoute, en ce moment, aux raisons que je donnais dans ma lettre à M. Desmares, pour qu’il daignât nous permettre d’aller au bal et au spectacle, je n’abuserai pas, je n’userai pas même, je vous le promets, de tous les avantages que vous m’offrez. En écrivant à ce pieux missionnaire, je crois avoir conservé le ton de modération, de décence et d’urbanité qu’exigeaient à la fois et son caractère sacré, et le sujet que je voulais traiter, et les lecteurs auxquels je m’adressais. Dans votre réponse à vous, Monsieur, on trouve les reproches répétés de mauvaise foi, d’absurdité, de mensonge et de ridicule. Vous vous plaignez d’un écrit qui, dites-vous, préconise le scandale, et peut être préjudiciable pour beaucoup de monde. Il est aisé d’apercevoir la différence qu’il y a entre nous, mais ce n’est point à moi de la faire ressortir. Au reste, je ne veux pas plus m’écarter aujourd’hui que la première fois du langage qui convient entre gens bien élevés, et je n’en serai pas moins disposé à oublier l’âpreté du vôtre : il est permis, je le conçois, de montrer un peu d’humeur quand on doit, comme vous, s’avouer intérieurement que l’on a trois fois tort.
D’abord, Monsieur, et avant que d’entamer la discussion sur le théâtre et les bals, vous
parlez de l’influence qu’exerce un ministre du culte à raison de son caractère et du talent plus ou moins distingué avec lequel un sujet est traité. Si vous
m’eussiez fait l’honneur de me lire avec un peu moins de prévention, vous auriez vu que
j’étais le premier à rendre justice à M. le missionnaire Desmares. Ma lettre contient
(p. 1re.) un éclatant hommage au talent qui le distingue. Vous ajoutez
qu’il faut « ou quitter la partie, ou employer une force de logique telle qu’une
retorque raisonnable devienne impossible. »
Sans vous chicaner sur le mot retorque qui n’est pas français (vous avez cru apparemment qu’on disait la
retorque comme on dit la remorque, et, après tout, un barbarisme n’est point un péché
mortel,
mais il fallait dire rétorsion), je vous prie de me permettre
de ne point abandonner la partie, quelque grande que soit la force de votre logique ; et
tout-à-l’heure nos lecteurs décideront entre vous et moi. Je vais rappeler avec soin les
argumens que vous m’opposez sur les deux sujets qui nous occupent, et pour suivre l’ordre
que j’ai observé dans ma lettre à M. l’abbé Desmares, je commence par le théâtre.
Mon intention a été de. traiter la question suivante : Une personne qui va au
spectacle commet-elle un péché mortel ? Et cependant je n’aurais examiné que
celle-ci : Peut-on sans immoralité aller au spectacle ? D’où vous concluez que je me suis
égaré, parceque, selon vous, « ces deux points d’examen sont de natures fort différentes. »
Deux mots suffiront pour expliquer mon intention, et
si je me suis trompé, je ne demande pas mieux que d’en convenir : j’ai cru, Monsieur, dans
toute la simplicité de ma dévotion, que là où il n’y avait rien d’immoral, il ne pouvait y
avoir de péché. Vous m’apprenez qu’il en est autrement : je reçois avec reconnaissance
l’instruction que vous me donnez.
A l’appui de mon opinion sur le théâtre, j’ai parlé dans ma lettre à M. Desmares, du bon effet que devaient y produire les pièces qui ont un but moral ; vous soutenez que l’autorité en laisse représenter d’autres : c’est à l’autorité à répondre. Pour moi, qui connais son activité et son zèle, je me garderai bien de lui adresser un semblable reproche. Il ne lui serait que trop facile de se justifier.
Entr’autres pourquoi, j’avais demandé si c’est
parcequ’on y joue Tartuffe qu’il fallait proscrire le théâtre : vous
répondez que c’est parcequ’on joue Joconde et le mari à
bonnes fortunes, « pièces qu’une fille chaste ne peut, dites-vous, entendre
sans rougir. »
Je ne sais, Monsieur, si vous avez assisté à la représentation des
pièces dont vous parlez ; mais ce que je sais bien, et ce que savent toutes les mères de
famille, c’est que de jeunes personnes apprennent la musique de Joconde ou de toute autre
pièce, sans donner beaucoup d’attention aux paroles ; et pour qu’elles fussent capables d’en
faire l’application, il leur faudrait une expérience, que vous avez sans doute, mais que
n’ont point l’innocence et la candeur.
J’avais invoqué les autorités religieuses, et vous ne contestez point que des cardinaux et
des Jésuites aient composé des pièces de théâtre ; mais, quoique celles dont j’ai parlé,
aient été représentées dans des maisons d’éducation et par conséquent devant des
ecclésiastiques respectables et fort instruits, ce qu’on ne rencontre pas partout, vous
répondez « le clergé ne s’abuse pas au point de croire que chacun de ses membres soit
une divinité infaillible. »
Je reconnais avec vous qu’il serait plus que. ridicule
de croire à la divinité du clergé ; cependant un Pape est infaillible, du moins en bon catholique vous devez le penser : or, j’ai cité le Pape
Léon X, qui faisait jouer des pièces de théâtre dans son palais, et vous avez glissé sur
cette citation…. Il est probable que c’est de votre part une simple omission, car bien
certainement ce n’est pas mauvaise foi.
Aux autorités religieuses j’avais ajouté l’exemple des princes le plus connus par leur piété et notamment le roi de France très-chrétien. Vous objectez (page 12) que des obscénités (je ne puis me résoudre à répéter l’expression que vous avez employée) dites sur le théâtre de la cour, y blesseraient les oreilles d’une jeune fille autant qu’ailleurs. Je suis trop respectueux pour jamais croire que des paroles obscènes soient tolérées sur le théâtre de Sa Majesté ; au reste je renvoie votre compliment au ministre de la maison du Roi : il ne m’appartient pas de l’accepter.
Enfin, Monsieur, et puisque vous m’avez reproché de n’être pas heureux dans mes citations,
voyons, en terminant sur le théâtre, si vous êtes plus adroit dans les vôtres, lorsque vous
citez l’auteur de la fameuse lettre à d’Alembert. Je ne ferai point remarquer cette
singulière destinée de Rousseau, qu’on voit tantôt excommunié, tantôt invoqué par les plus
dévots catholiques. Vous prouvez que dans une cause désespérée toutes armes sont bonnes.
Mais de quelque beauté que brille ce chef-d’œuvre de Jean-Jacques, ma réponse sera toujours
celle-ci : le même volume qui renferme sa lettre contre les théâtres, contient également ses
pièces de théâtre ; et on lit à la note 66 de cette même lettre les paroles suivantes
échappées à l’auteur du devin du village : « Je n’ai jamais manqué volontairement une
représentation de Molière… J’aime la comédie à la passion… »
Qu’en pensez-vous, M. le Laïc, et que diriez-vous si un personnage auguste s’était chargé de me fournir, par le courrier d’aujourd’hui, un argument de plus : lisez l’ordonnance du Roi du 8 décemb. 1824, qui a pour but de favoriser l’art dramatique et de procurer aux jeunes comédiens les avantages d’une instruction graduée. C’est le fils aîné de l’église qui a rendu cette ordonnance et elle est contresignée par Mgr. le comte de Corbière, un des ministres qui protègent le plus notre sainte religion.
Je viens maintenant à la question des bals. C’est là que vous paraissez vous croire invulnérable ; eh bien, Monsieur, c’est-là que j’aurai la douleur de vous trouver plus faible encore, s’il est possible, qu’en matière de théâtres.
Vous débutez par ce que vous appelez fort improprement une interpellation que m’adresserait
une mère de famille, et ce que j’appellerai tout simplement une amplification de séminaire
très-digne de figurer dans un sermon. Dans ce passage de votre réponse on voit pêle-mêle les
adulations d’une foule d’étourdis auxquelles une demoiselle est exposée dans les bals ; les
hommages imposteurs et les protestations mensongères, les vives émotions et les riches
parures, les illusions ambitieuses et le prestige des signes de l’honneur, l’apparat de la
puissance et les regards d’un grand seigneur, un corsage indiscret et une guirlande de roses
déjà flétries… M. le Laïc (qui n’êtes point abbé), je m’humilie devant votre éloquence, et
les mères de famille répondront pour moi à ce beau morceau qui fournirait en vérité le texte
d’une mission toute entière. Mais vous demandez si je suis bien convaincu qu’il « ne
se passe dans un bal rien de plus préjudiciable aux mœurs que les formules
d’usage »
dont j’ai parlé. Pardonnez-moi, Monsieur, je crois qu’il s’y passe autre
chose, et je l’ai dit dans ma lettre à M. l’abbé Desmares : on y saute en avant, en
arrière et l’on y fait des entrechats. Et si vous consultez les
femmes les plus respectables de notre cité, vous apprendrez qu’il ne s’y passe que cela.
Peut-être en serait-il autrement, s’il y avait beaucoup de cavaliers aussi séduisants et
aussi entreprenants que vous paraissez l’être ; mais, heureusement pour nos demoiselles, les
hommes d’un si grand mérite sont en petit nombre.
Poursuivons. — Un grand argument pour vous, c’est le bal donné en 1562, par le concile de
Trente, au roi d’Espagne Philippe II. Vous prétendez que j’ai voulu faire des dupes, lorsque
j’ai avancé que les pères y avaient dansé ; vous trouvez trop fort de faire danser des
vieillards de soixante-dix et quatre-vingt ans, vous comparez avec malice les pères du
concile « aux impotens que renferment les hôpitaux des deux hémisphères »
et
vous croyez triompher en assurant que je n’ai pas la moindre idée de la manière dont les
conciles étaient composés. M. le Laïc, j’en suis bien faché, mais je me vois encore obligé
de vous prouver que vous avez tort et que j’ai raison ; que s’il y a ignorance, quant aux
conciles, ce n’est pas de mon côté ; que rien de ce que j’ai écrit n’a été hasardé,
qu’aucune de vos assertions n’est soutenable et que fort innocemment vous avez dit la chose
qui n’est pas. Ainsi vous vous trompez, et si vous voulez consulter là-dessus le dernier des
secrétaires de l’évêché vous en serez convaincu, lorsque vous avancez que les conciles
n’étaient composés que de vieillards : on s’y faisait représenter par procureur, plusieurs
évêques (et tous les évêques n’ont pas 80 ans) étaient accompagnés par des
théologiens qui disputaient pour eux, et, dans les premiers tems surtout, on
y était si ingambe qu’on s’y battait, en pleine assemblée, comme à Cirthe, à Carthage et à
Ephèse. Quant au concile de Trente, si des auteurs ont écrit qu’on avait donné un bal à
Philippe II, que ce bal fut ouvert par le cardinal Hercule de Mantoue et que les pères y
dansèrent avec décence et gravité, c’est qu’ils avaient à ce sujet d’assez bons
renseignemens. L’historien de ce concile, Pallavicini, qui, comme vous savez, fut cardinal
et Jésuite, rapporte dans son livre onzième, chap. 15, qu’après un repas magnifique, donné
par le cardinal de Mantoue, président du concile, dans une salle bâtie exprès, à trois cent
pas de la ville, il y eut des divertissemens, des joûtes et des danses. Et
ce fait n’est point contesté par son antagoniste fra Paolo, autre
historien du même concile. Mais vous, Monsieur, qui vous scandalisez à la seule idée que des
personnes graves aient pu danser (ce qui toutefois n’est pas rigoureusement nécessaire pour
qu’il n’y ait point de péché mortel à aller au bal), avez-vous oublié l’antiquité de la
danse ? N’avez-vous pas lu dans Cahusac et Noverre que Socrate dansait aux bals de cérémonie
d’Athènes, et que Platon mérita le blâme des philosophes pour avoir refusé de danser à un
bal que donnait un roi de Syracuse ? Selon les mêmes écrivains, le sévère Caton n’apprit-il
pas à danser à l’âge de 59 ans ? Faut-il vous répéter que la danse a fait partie du culte
divin ? Si nous en croyons un chanoine de Paris, l’abbé Bergier (dans un ouvrage imprimé en
1788 avec approbation et privilège du Roi), lorsque David fit transporter l’arche sainte de
la maison d’Obédedom dans sa ville, il dansait de toutes ses
forces devant le Seigneur. Le même auteur nous
apprend, quoiqu’il soit opposé à la danse, que dans plusieurs villes les fidèles passaient
une partie de la nuit, la veille des fêtes, à chanter des cantiques et à danser devant les
portes des églises ; qu’on dansait à Limoges dans l’église de St.-Martial ; et que le père
Ménétrier a vu dans plusieurs cathédrales « les chanoines danser avec les enfans de
chœur le jour de Pâques. »
Il y a plus, Monsieur, et ce seul exemple devrait
suffire, relisez les lettres de St.-Augustin et vous verrez quel nom mon
respect pour la divinité m’empêche d’invoquer ici, vous saurez qui à chanté et
dansé après la Pâque juive….
Mais reprenons votre réponse à ma lettre.
Je faisais remarquer à M. l’abbé Desmares qu’on dansait de nos jours, comme on avait dansé autrefois chez les princes les plus religieux. J’aurais pu, en multipliant les citations, ne pas me borner à Louis XIV dont, quoique vous en disiez, la danse ne fut pas le plus grand péché ; une foule de traits auraient prouvé que ce prince n’était pas le seul qui eût du goût pour cet exercice : on sait que le duc de Chartres, depuis Régent, s’attira l’admiration de toute la cour par un menuet et une sarabande qu’il dansa au mariage du duc de Bourgogne, où celui-ci se distingua lui-même en dansant une courante. Mais vous prétendez qu’un bal serait aussi dangereux aux Tuileries que dans tout autre lieu ; encore une fois, vous ne ferez croire à personne que dans le palais du Roi de France très-chrétien, les devoirs du catholique soient oubliés au point d’y permettre ce que la morale défend : on y donne chaque jour des exemples de piété, et pour prouver que le danger existe, il ne faudrait pas se borner à dire : il y a du danger.
Vous citez, M. le Laïc, un comte Rabutin, de l’académie française, qui s’est prononcé contre les bals. J’ai voulu vérifier si son opinion, la seule que vous ayez rapportée, était bien respectable, et j’ai lu dans une histoire abrégée, imprimée chez Leroy, à Paris, en 1789, que le comte de Bussy-Rabutin a composé des ouvrages dans lesquels il se plaisait à faire la peinture de mœurs dépravées (les amours des Gaules) et qu’il avait une âme fausse, petite et faible…. Voilà votre autorité.
Enfin, vous trouvez moins de péril au bal masqué où j’ai dit qu’une mère ne conduisait point sa fille, et vous préférez les loges fermées au bal ordinaire. Il est vrai ; et c’est à ce mot que je borne ma réponse, que tout le monde peut aller à ces sortes de réunions, même ceux qui, par état, sont obligés à de grands ménagemens.
Je voudrais abréger, Monsieur, mais je ne puis terminer l’article des bals sans rappeler encore un écrivain que vous-même avez invoqué. Voici ce qu’on lit sur là danse à la fin de la lettre à d’Alembert :
« Je n’ai jamais conçu, dit l’auteur de cette lettre, pourquoi l’on s’éffarouche si fort de la danse et des assemblées qu’elle occasionne, comme s’il y avait plus de mal à danser qu’à chanter ; que l’un et l’autre de ces amusemens ne fût pas également une inspiration de la nature ; et que ce fût un crime à ceux qui sont destinés à s’unir, de s’égayer en commun. par une honnête récréation !…. Qu’on me dise où de jeunes personnes à marier auront occasion de prendre du goût l’une pour l’autre, et de se voir avec plus de décence et de circonspection, que dans une assemblée où les yeux du public, incessamment ouverts sur elles, les forcent à la réserve, à la modestie, à s’observer avec le plus grand soin. En quoi Dieu est-il offensé par un exercice agréable, salutaire, propre à la vivacité des jeunes gens, qui consiste à se présenter l’un à l’autre, avec grâce et bienséance, et auquel le spectateur impose une gravité dont on n’oserait sortir un instant ?… Qu’arrive-t-il dans ces lieux, où règne une contrainte éternelle, où l’on punit comme un crime la plus innocente gaîté, et où l’indiscrète sévérité d’un pasteur ne sait prêcher au nom de Dieu, qu’une gêne servile, et la tristesse et l’ennui ? On élude une tyrannie insupportable que la nature et la raison désavouent…. »
Je crois, M. le Laïc, qu’il serait difficile d’ajouter à la force de ce passage. Ce serait, au contraire, affaiblir le mérite de la citation, et j’aurais peut-être dû, avec plus de générosité, m’abstenir d’en tirer avantage ; il est par trop malheureux de se voir accablé sous le poids de ses propres armes. Mais aussi pourquoi m’avez-vous parlé de la lettre à d’Alembert ? N’est-ce pas vous qui m’obligez de convaincre les plus incrédules qu’on ne péche pas en allant au bal et au spectacle ? Est-ce ma faute à moi, si vous n’avez point employé une force de logique telle que la réplique fût impossible ? Allons, Monsieur, exécutez-vous de bonne grâce : laissez-nous entendre quelque bonne comédie, où le vice et l’hypocrisie soient livrés au ridicule ; laissez danser nos enfans, ne les envoyez point en enfer, et Dieu vous bénira.
Voilà, Monsieur le Grand-Vicaire, ce que je répliquerais au Laïc, ou soi-disant tel, si j’avais l’honneur de le connaître. Veuillez, je vous en supplie, me juger avec bonté, et prononcer dans votre haute sagesse sur la question que tous deux nous avons débattue. Il était d’autant plus naturel de vous choisir pour arbitre, que vous avec concouru avec efficacité aux travaux apostoliques de M. l’abbé Desmares, et que vous devez savoir faire, beaucoup mieux qu’un autre, l’application des principes qu’il nous a enseignés. Mais quelle que soit votre décision, Monsieur, et quand j’aurais le malheur d’être condamné par vous, je n’en réclamerais pas moins, et avec humilité, toute votre indulgence : puis-je espérer que vous daignerez me l’accorder ?
Je suis avec respect et vénération,
Monsieur le Grand-Vicaire,
votre très-humble et très-obéissant serviteur,