Chapitre II.
Des différens genres qu’embrasse le nouveau Théâtre.
L e nouveau Théâtre nous offre pareillement plusieurs genres de comiques, les uns plus relevés, ou moins bas que les autres : aussi s’étonnera-t-on sûrement que dans le cours de cet ouvrage j’aie quelquefois nommé le Théâtre moderne Opéra-Bouffon, & que j’aie désigné aussi quelquefois ses Drames en général par la même épithète. On aura peut-être tort de me condamner. Il m’a semblé que de sortes raisons m’engageaient à agir de la sorte ; & d’ailleurs, si plusieurs de mes raisonnemens & de mes dénominations paraissent quelquefois tomber à faux, j’ai découvert que mes contradictions apparentes naissaient toutes des divers genres adoptés par le nouveau Spectacle.
Il est difficile de discerner le vrai genre du nouveau Spectacle.
Il me suffirait de citer plusieurs de ses Drames, qui n’ont aucune ressemblance les uns avec les autres. Blaise le Savetier a-t-il quelque rapport avec le Cadi-dupé ? Le genre d’on ne s’avise jamais de tout est-il analogue à celui du Diable à quatre ? Mettrons-nous le Jardinier & son Seigneur dans la classe de Tom-Jones ? Sancho Pança est-il comparable à Isabelle & Gertrude. Le Maréchal-Ferrant est-il du genre de la Fée Urgèle ? Qu’on juge combien le Théâtre moderne embrasse de sujets différens : les uns sont tout-à-fait bas & communs ; les autres ne le sont qu’à demi. Ceux-là joignent le noble au trivial ; ceux-ci ne se permettent que la grandeur & le magnifique. On en voit dont une idée burlesque, une musique légère & brillante, font le principal mérite ; on en voit dans lesquels l’esprit & la plus fine galanterie nous séduisent tour-à-tour. Quel doit être l’embarras de celui qui entreprend d’écrire sur un pareil Spectacle ? Est il étonnant qu’il paraisse se contredire quelquefois ?
Les autres Théâtres conservent davantage un caractère distinctif.
Qu’on ne croye pas que la Comédie & la Tragédie embrassent tant de genres différens. Le Drame sérieux est toujours le même ; il ne s’écarte jamais du grand & du terrible. La bonne Comédie adopte-t-elle plus de deux genres à la fois ? Le haut comique, où l’on voit un caractère relevé, tels que le Misantrope, le Dissipateur ; & le comique ordinaire, qui peint en se jouant les moindres ridicules, tels que le Malade imaginaire, Turcaret ? &c. La Comédie dans ses écarts rappelle toujours l’idée de ce qu’elle doit-être ; on découvre toujours que son genre est de faire rire & de corriger ; au-lieu que chaque Poème de l’Opéra-Bouffon paraît, pour ainsi dire, avoir été composé pour quelque Théâtre nouveau.
Embarras d’un Auteur qui écrit sur l’Opéra-Bouffon.
Il arrive d’une telle diversité de sujets & de genre, qu’il est très-difficile de le définir, & de faire à son égard des observations justes. En effet, si quelqu’un veut prouver par l’éxemple d’un de ses Drames qu’il est trop bas & trop trivial, aussi-tôt on lui en oppose un autre plein d’esprit & de finesse. Il est vrai que la Comédie nous offre aussi des Drames tout-à-fait enjouées, & d’autres qui sont plus graves ; mais encore une fois, le fond de ses Poèmes ne perd jamais le caractère propre à la Comédie.
Ce Spectacle veut peut-être se rendre universel.
Peut-être que notre Opéra se pique de vouloir être universel. Le dessein serait beau s’il était possible de l’éxécuter. Mais l’on ne voit que trop que lorsqu’on veut éxceller dans tous les genres, on parvient enfin à ne se distinguer dans aucun. Que les Poètes de notre Opéra se ressouvienne de l’ancien proverbe, qui trop embrasse mal étreint.
Qu’on fait bien d’appeller le nouveau Théâtre, Opéra-Bouffon.
Après bien des réfléxions, j’ai cru découvrir que le vrai genre du Théâtre moderne était le bas & le burlesque. C’est pourquoi j’ai défini l’Opéra-Bouffon de la manière qu’on a dû le voir au Chapitre trois du Livre troisième. S’il m’arrive quelquefois de désigner ses Drames sous l’épithète de bouffons, ce n’est pas que je ne sçache qu’on peut m’en montrer plusieurs qui ne la méritent pas ; mais en général c’est le nom qui convient le mieux à ce Spectacle frivole & plaisant, à la manière dont ses Drames sont traités, & au genre qui le caractérise. Et d’ailleurs c’est la dénomination générale que lui donne le Public.
Que le titre de ses Poèmes doit en marquer le genre.
Il est pourtant utile de remarquer ici, que les diverses manières d’indiquer les Drames du nouveau Théâtre furent imaginées, afin de désigner les différens genres qu’il embrasse. Un Auteur ne doit pas ignorer l’usage qu’il faut faire des épithètes qu’on a donné jusqu’à présent aux Poèmes de notre Spectacle favori. Un petit Drame sans musique, rempli de couplets sur des airs connus, s’appelle Opéra-Comique. Celui qui ne contient que des Ariettes, dont le sujet est extrêmement gai, dans lequel il y a plus d’action que de paroles, & qui offre une intrigue basse, ainsi que des caractères communs ; doit être appellé Opéra-Bouffon. Il s’en suit de-là que presque tous les Poèmes qui paraissent chaque jour au Spectacle moderne ne sont point justement désignés. Je citerai pour éxemple les deux Chasseurs & la Laitière, à qui l’on donne le titre de Comédie-mêlée d’Ariettes. Le Drame chantant & comique dont le genre est un peu relevé, dans lequel on introduit des choses, de la délicatesse dans l’expression & dans les Personnages, un Dialogue passable, d’une certaine étendue ; mérite d’être décoré du titre de Comédie-mêlée-d’Ariettes. On a très-bien nommé l’Ecole de la jeunesse, la Fée Urgèle, Isabelle & Gertrude. Mais ce sont peut-être les seules Pièces que l’on puisse citer. Je n’ai rien à remarquer au sujet de Comédie-lyrique. C’est sans doute un badinage de l’Auteur, qui ne doit nullement tirer à conséquence. On a dit les Odes-lyriques des Grecs & des Latins ; on ne s’était point encore avisé d’imaginer une Comédie lyrique, ou qui se chante sur la lyre. Il vaudrait peut-être mieux dire tout simplement Comédie-chantante. Enfin ceux qui veulent travailler pour le Spectacle de la Nation, auront soin de s’instruire des noms qui conviennent à ses différens Drames. Je ne leur conseille point de prendre pour leurs maîtres à cet égard les Poètes qui s’y sont distingués. Ces Messieurs appellent leurs Pièces comme il leur vient en fantaisie, sans considérer que le genre de l’Ouvrage doit le faire nommer ou comique ou bouffon.
Les Acteurs du nouveau Théâtre voudraient le faire changer de forme.
J’avertirai les jeunes Poètes, que je fais de bonne part que les Acteurs du nouveau Théâtre ont résolus de préférer les Poèmes dont le genre serait un peu relevé. Leur dessein est de refuser tous ceux qui seraient bas, trivials, & qui ne peindraient que des gens de la lie du Peuple. Mais qu’on ne s’éffraye pas. Ces Messieurs aiment trop leur intérêt pour suivre de sitôt un tel projet. Ils ont fait jusqu’à présent comme ces jeunes Personnes dont le cœur est fragile ; après avoir fait un faux pas, elles jurent que le pied ne leur glissera plus ; mais cédant doucement à la tentation, elles oublient bientôt leurs sermens.