Avertissement.
M’accuserait-on d’avoir eu le malheur de méconnaître les talens des hommes de mérite qui travaillent dans le nouveau genre, tels que Messieurs Favard, Sédaine, Anseaume ? &c. Je n’ignore point combien le prémier est estimable par la délicatesse, l’élégance de son stile, & les beautés qu’il répand dans ses productions ; l’autre par l’art avec lequel il peint la Nature ; le troisième par plusieurs pièces charmantes, sur-tout par l’Ecole de la jeunesse, où l’on voit des Scènes dignes de la bonne Comédie, remplies de sublime & de pathétique. J’ôse me flatter que ces principaux Auteurs du Spectacle moderne, daigneront me pardonner les critiques que j’ai hazardée de quelques-uns de leurs Ouvrages. Je me suis attaché particulièrement aux Pièces qu’ils nous ont donné, parce que la réputation dont elles jouissent, les beautés qu’on y admirait, en rendaient les défauts plus dangereux, & mettaient ces mêmes défauts dans le cas de trop séduire les jeunes Poètes. J’ai pu me tromper quelquefois dans mes jugemens ; si l’on m’éclaire sur les endroits où je me suis égaré, je suis prêt à me corriger. Je suis loin de penser que dans un ouvrage tel que celui-ci, qui embrasse tant d’objets différens, il ne me soit pas échappé un grand nombre de fautes : c’est au Public à m’apprendre les changemens, la réforme que je dois faire dans mon Livre.
La critique que je fais du nouveau Spectacle, révoltera peut-être bien des personnes dont tout me porte à désirer l’estime, leur donnera lieu de m’accuser de malignité, & de vouloir décrier absolument le Théâtre applaudi d’une grande partie de la Nation. Je proteste avec sincérité, que ce n’est point les charmes que j’ai trouvé dans la Satire qui m’ont mis la plume à la main ; je n’ai cherché qu’à défendre les règles trop négligées, qu’à empêcher les jeunes Auteurs de suivre des exemples qui les égareraient. Loin d’avoir eu dèssein de rendre un mauvais office au Théâtre Italien, il me semble que j’ai travaillé à lui acquérir par la suite une solide gloire, en m’éfforçant de prouver que ses Poèmes devaient être aussi parfaits que ceux de la bonne Comédie ; en montrant que les meilleurs Auteurs qui ont travaillé pour lui, ont eu tort de négliger souvent des principes qu’observèrent rigoureusement les grands hommes qui ont illustré la Scène Française ; & en engageant enfin tous ceux qui voudront écrire désormais dans son genre, à ne se permettre aucune liberté. S’il m’était échappé des traits peu ménagés, ce serait plutôt manque de réfléxion de ma part, qu’envie d’offenser qui que ce soit. Dans la chaleur de la composition, la plume écrit quelquefois rapidement des choses hazardées, dont on ne s’apperçoit que lorsqu’il n’est plus tems de les corriger.