(1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre prémier. — Chapitre prémier. Déssein de cet Ouvrage. » pp. 2-7
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(1769) De l’Art du Théâtre en général. Tome I « De l’Art du Théatre. Livre prémier. — Chapitre prémier. Déssein de cet Ouvrage. » pp. 2-7

Chapitre prémier.

Déssein de cet Ouvrage.

LEs Spectacles sont trop précieux aux hommes, par les amusemens qu’ils procurent, & par les avantages qu’on en retire, pour ne pas se faire une gloire d’être utile aux Poètes qui s’y consacrent. Il paraît qu’on fut de tout tems persuadé d’une telle vérité. Plusieurs Savans cherchèrent à s’immortaliser en écrivant de sages réflexions sur le Poème Dramatique. Aristote, dont le prodigieux sçavoir embrassa toutes les connaissances humaines, ne dédaigna pas d’instruire ceux qui voudraient marcher sur les traces de Sophocle & d’Aristophane ; l’ouvrage qu’il composa à ce sujet est aussi célébre que ses plus sublimes écrits. D’illustres Modernes, à l’imitation de ce fameux Philosophe, se sont éfforcés de répandre une vive clarté dans la pénible carrière du Théâtre ; ils ont fait en sorte que les couronnes de lauriers du Poète Dramatique ne se fanassent jamais. Cependant l’on avait encore quelque chose à désirer, malgré le grand nombre de volumes où il est traité des règles dramatiques.

On a lieu d’être surpris qu’on n’ait point encore rassemblé dans un même ouvrage tout ce qui concerne les différens genres des pièces Théâtrales tant anciennes que modernes, & les diversités que le goût & les usages des Peuples y repandent. Il faut aller chercher dans une infinitè de Volumes ce qui regarde les Spectacles des Grecs, des Romains & des Nations de l’Europe. Il serait pourtant fort utile de mettre sous un même point de vue les diverses sortes de Poèmes dont se décora la Scène antique, & ceux qu’elle fait paraître tant en France que chez nos voisins. Ce vaste tableau frapperait agréablement par sa diversité : les partisans du Théâtre verraient tout d’un coup par combien de moyens on cherche à les amuser & à les instruire. Le Poète Dramatique se remplirait d’un nouveau feu, en contemplant d’un coup d’œil les difficultés qu’il doit vaincre dans tout ce que peut embrasser son génie ; il s’animerait d’un noble enthousiasme, en découvrant d’un seul regard les nombreuses routes qui le conduisent à l’immortalité.

Il n’appartient ni à mon âge ni à mes talens de composer en entier cet ouvrage important, tel que je le conçois, qui manque à notre Littérature, & qu’on lui souhaite depuis long tems. Le Traité de l’Art du Théâtre, que je présente au Public, est plutôt un essai qu’un écrit dans les formes. Quelqu’homme habile viendra peut-être après moi étendre & perfectionner mes idées. Je serai trop heureux si l’on trouve qu’il ne m’est échappé rien d’essentiel. Loin de trop présumer de mes forces, en mettant au jour cet abrégé des règles les plus nécessaires au Théâtre, je n’ai cherché qu’à montrer avec quel zèle je saisis les occasions d’être utile ; & combien je serai flatté d’écrire désormais dans un genre qui distingue l’homme de Lettres, & qui lui mérite seul ce nom respectable. L’Histoire, le Théâtre, la Poésie, une sage Critique, sont des occupations dignes de tous les Littérateurs qui veulent illustrer leur nom. Quel honneur peuvent nous acquérir ces productions frivoles qu’on appelle Romans ? ces petites Brochures agréables qui ne contiennent rien dont il soit nécessaire de charger sa mémoire ? On oublie, aussitôt qu’on les a lus, & les fadaises dont elles sont remplies, & ceux à qui elles doivent le jour.

Cet ouvrage contiendra donc tout ce qu’on peut dire de plus important sur chaque espèce de Drames ; il donnera aussi une idée de l’art que chaque Peuple éxige de ses Auteurs Dramatiques. Le Poète qui voudra connaître particuliérement le Théâtre auquel son génie le porte, verra que les règles sont générales, du moins parmi une Nation, & qu’on ne saurait par conséquent les suivre avec trop de soin. Au-lieu de n’être instruit que des loix d’un seul Spectacle, on les apprendra toutes, en paraissant n’en étudier qu’une partie. Ainsi les règles rapprochées s’éclairciront mutuellement, & deviendront plus faciles à retenir.

Qu’on ne craigne point de s’égarer en adoptant mes principes ; les Grands-Hommes qui ont traité des règles du Théâtre, seront presque toujours mes guides ; c’est à la lueur de leurs écrits que je ferai marcher les Poètes qui voudront me lire. Mes raisonnemens doivent avoir quelque autorité, puisque je parlerai souvent, d’après Aristote, Horace, d’Aubignac, Boileau ; & d’après une foule de Commentateurs célèbres, & de Savans renommés. Lorsque je me hasarderai de proposer mon sentiment, je croirai que le goût de mon siècle éxige que je prenne cette liberté ; ou bien ce sera pour rapporter plus au long tout ce qui concerne un article intéressant.

Serait-il impossible de prouver que les Auteurs de Poétiques n’ont pas tout dit au sujet du Théâtre ? Quand il serait vrai qu’ils n’eussent rien oublié d’éssentiel, il me resterait toujours de quoi piquer la curiosité, puisque la Scène est décorée de nos jours de Poèmes dont le genre n’était guères connu autrefois. La Comédie larmoyante, l’Opéra-Bouffon, la Comédie-mêlée d’Ariettes, que nous voyons se former insensiblement, n’offrent-ils pas l’occasion de dire des choses tout-à-fait nouvelles ? Je puis donc me promettre de n’être pas sans cesse le copiste de ceux qui ont écrit avant moi les règles du Poème Dramatique.

Afin de donner d’avantage à mon Livre un air de nouveauté, je ferai rapporter une partie de mes raisonnemens au Spectacle moderne. En achevant d’éclairer les Auteurs des Pièces d’un genre tout-à-fait neuf, & dont on fait tant d’éloges, je rapellerai à tous les Poètes dramatiques en général, les principes qu’ils ne doivent jamais oublier.

Puisque le plan que je me propose, me conduira à parler successivement de tous les Poèmes joués actuellement sur nos Théâtres, & à faire remarquer ce qui les concerne séparément ou en général ; puisque, dis-je, mon dèssein est de ne rien passer sous silence qui intéresse vraiment le Poète, le Comédien, & les amateurs du Théâtre, je n’aurai garde d’oublier ce qui a rapport à la Musique. Il doit être question de cet art agréable dans un ouvrage où l’on voudra renfermer tout ce qui regarde les Spectacles. Deux fameux Théâtres, celui de l’Opéra-Sérieux, & celui de la Comédie-mêlée d’Ariettes, lui sont redevables de prèsque tous leurs succès. La Musique est devenue de nos jours une partie éssentielle du Drame. Ce que j’en dirai achevera peut-être de répandre les charmes de la nouveauté sur quelques endroits de mon travail.

Il est, je crois, inutile de découvrir plus particulièrement quel est le dessein qui me fait prendre la plume : ceux qui daigneront lire cet ouvrage, comprendront assez quelles sont mes vues, & ceux qui voudront s’en épargner la peine, n’ont pas besoin d’en savoir davantage.