(1685) Dixiéme sermon. Troisiéme obstacle du salut. Les spectacles publiques [Pharaon reprouvé] « La volonté patiente de Dieu envers Pharaon rebelle. Dixiéme sermon. » pp. 286-325
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(1685) Dixiéme sermon. Troisiéme obstacle du salut. Les spectacles publiques [Pharaon reprouvé] « La volonté patiente de Dieu envers Pharaon rebelle. Dixiéme sermon. » pp. 286-325

La volonté patiente de Dieu envers Pharaon rebelle.
Dixiéme sermon.

Troisiéme obstacle du salut.
Les spectacles publiques.

Vocavit Pharao sapientes, & maleficos, & fecerunt ipsis per incantationes Ægyptiacas & arcana quadam similiter.

Exod. c 7.

Pharaon appella les Sages & les Magiciens d’Egypte, qui par leurs charmes & leurs enchantemens, firent quelques merveilles semblables aux miracles de Moyse. Dans l’Exode chap. 7.

 

E Ntre les diverses inclinations qui emportent & qui agitent le cœur de l’homme, il y en a une certaine si cachée dans son origine, & si bizarre dans ses effets, qu’on a peine d’en découvrir la cause, & d’en reformer les dereglemens, c’est que la nature luy a donné un si furieux penchant, & une si grande facilité à imiter tout ce qu’il voit faire aux autres, que comme s’il étoit incapable de se determiner de luy-même au vice ou à la vertu, toute sa vie se passe à considerer les actions des autres, & à se les proposer comme des originaux dont il s’efforce de faire des copies, & à se rendre bon ou méchant par imitation. C’est pourquoy il me semble qu’Aristote n’a pas mal rencontré à ce propos, lors qu’il a defini l’homme, non seulement un animal raisonnable, mais encore animal imitativum , un animal qui est un parfait copiste, & un fidele imitateur de tout ce qu’il voit faire en sa presence. Voilà M. le doux poison de la vie civile & la maladie contagieuse qui corrompt les meilleurs naturels, lors qu’ils imitent plutôt les vices d’autruy qui nous entraînent par une force agreable, & qui flatte la nature, que les vertus qui nous attirent par un charme contraire, qui choque ses inclinations : & c’est si je ne me trompe cette pernicieuse inclination d’imiter tout ce qui se passe dans le monde, qui a donné le commencement à la comedie, & la naissance aux Comediens. Lors que des hommes inutiles & dangereux à l’Etat & à la Religion, n’ayans point d’autres métiers pour vivre que celuy de divertir le genre humain, ont faits des spectacles publiques pour representer la vie & les plus memorables actions des Heros & des Heroines de l’antiquité payenne, non pas tant pour reformer les mœurs des peuples, que pour tromper & divertir les faineans. C’est M. la remarque que je fais dans nôtre Histoire Sainte, où nous lisons que Moyse ayant fait quelques miracles en presence de Pharaon, pour le convaincre que sa mission & que le commandement qu’il luy faisoit de donner la liberté aux Enfans d’Israël, venoit de Dieu ; ce Prince rebelle à la grace des miracles, aussi bien qu’au commandement de Dieu, appella promtement à son secours les plus fameux Magiciens d’Egypte, lesquels per incantationes Ægyptiacas, & arcana quadam similiter fecerunt , par la force de la magie, & par l’operation du demon, luy firent un spectacle de divertissement par une fausse imitation des miracles de Moyse, afin que son esprit seduit par ce plaisir enchanté, resista toûjours à la puissance de Dieu, retint son peuple dans l’esclavage, & mit un nouvel obstacle à son salut. Vous comprenez bien M. que j’entre aujourd’huy dans une grande carriere, & qu’en attaquant le plaisir enchanté qu’on trouve dans les spectacles publiques, & sur tout dans celuy de la Comedie, je m’attire un grand nombre d’ennemis sur les bras ? j’espere pourtant d’en faire mes meilleurs amis, soit par la justice de ma cause, soit par l’équité de leurs jugemens. Ce sera aprés avoir demandé les lumieres du Saint Esprit pour les desabuser, & pour les instruire. Ave Maria.

 

COmme l’esprit de l’homme semble estre infini dans ses pensées, puis qu’il ne forme des projets que pour tous les siecles, & des entreprises que pour l’eternité, il semble aussi qu’il affecte par une vaine imitation de l’immensité de Dieu, de se rendre present dans tous les lieux du monde, pour y estre le censeur de tous les hommes, & le spectateur de tous les evenemens. Voilà pourquoy non content de rappeller dans sa memoire l’histoire de tous les siecles passés, il veut encore par une espece de magie que la comedie a inventée, tirer les morts de leurs tombeaux par une fausse resurrection, & les faire paroître sur le theatre sous des visages inconnus, sous des figures étrangeres, & avec des habits empruntés.

Il est vray que les sages du paganisme avoient fait du theatre une école publique, pour inspirer avec plaisir l’horreur du vice, & l’amour de la vertu : & que les Poëtes qui étoient les Theologiens des Gentils avoient inventés les pieces comiques & tragiques pour une bonne fin ; en effet, ceux qui ont étés les juges plus favorables de leur intention, ont voulu nous persuader que ces autheurs n’avoient pretendus autre chose, sinon de purger la volonté de ses passions dereglées, par la representation de la tragedie, dans laquelle le theatre étoit toûjours ensanglaté par la mort des vicieux, & par le châtiment des coupables ; & de purger l’esprit des opinions erronnées, par la representation des comedies, dans lesquelles on tournoit en ridicule les autheurs de la fausse doctrine, & les maîtres des méchantes opinions : mais comme la poësie qui a été employée à ces sortes d’ouvrages s’est corrompuë parmi les Payens, elle a donné plus de force au vice pour le faire suivre, que de charme à la vertu pour la faire imiter. Voilà M. ce qui a foüillé le theatre de mille crimes, ce qui a rendu la comedie coupable de mille dereglemens, ce qui a corrompu les bonnes mœurs des peuples, ce qui a armé de zele de tous les Peres de l’Eglise contre ces spectacles publiques, & ce qui a attiré toute la severité des loix divines & humaines, contre ces sortes de plaisirs enchantés : mais avant que de prononcer un arrest de condamnation contre eux, l’ordre de la justice demande que nous informions du fait à charge & à décharge, & que nous examinions au poids du sanctuaire, si les plaintes qu’on fait contre la comedie sont legitimes, & si les crimes dont on l’accuse sont veritables. Or je remarque que ceux qui se sont declarés ouvertement ses parties, pretendent qu’elle est coupable de trois grands crimes : Sçavoir de profanation, d’infidelité & de libertinage ; de profanation, puisque la sainteté de la Religion y est deshonnorée ; d’infidelité, puisque les vœux du Baptême y sont violés ; & de libertinage, puisque la pureté des mœurs y est corrompuë. Voilà M. ce que je vais examiner dans ce Discours, en forme de dissertation pour instruire l’esprit, aussi bien qu’en forme de Sermon pour regler la volonté.

 

LE premier crime dont la comedie est censée coupable, c’est de profaner la sainteté de la Religion ; pour établir ce fait, il faut remonter plus haut, & supposer que le principal dessein du demon ayant été de corrompre le culte de Dieu & la sainteté de la Religion, il a executé son entreprise en introduisant l’idolatrie dans le monde, en se faisant bâtir des temples, dresser des autels, offrir des sacrifices, & rendre les honneurs divins dans les fabuleuses divinités des Gentils : mais voyant que dans la suite des tems l’Evangile avoit rétabli le culte du vray Dieu, qu’il avoit renversé les idoles, banni l’idolatrie & la superstition de tout l’univers ; il a tâché de se consoler de cette perte en substituant les Comediens aux Idolatres, & la comedie au Paganisme, pour s’en faire une espece de religion. Ce n’est point ma pensée, c’est celle de Tertullien, qui parlant des Lydiens qui furent les premiers entre tous les peuples qui instituerent des festes & des spectacles en forme de Religion, dit fort à propos que, inter cæteros ritus superstitionum suarum, spectacula quoque religionis nomine instituunt , entre les superstitueuses ceremonies de leur culte, ils instituerent des spectacles publiques en forme de Religion. Ces Idolatres pouvoient-ils mieux deshonorer la Religion, qu’en faisant de ces ceremonies des spectacles de divertissement ? en effet M. si vous voulés estre des juges équitables, & vous defaire de toutes sortes de preventions, vous tomberés d’accord avec moy, que la comedie est un dangereux reste de l’idolatrie abbatuë, & du paganisme agonisant, de quelque côté que vous la puissiez considerer ; soit du côté de son invention & de son origine, soit du côté de sa fin & de ses representations, soit du côté de ses Acteurs & de ses personnages. Oüy M. ne vous flatez point, j’estime & je soûtiens que la comedie est un reste du paganisme dans son origine & dans son établissemet, puis qu’elle n’a eu que les mêmes maîtres, & que les mêmes autheurs que l’idolatrie, qui sont les demons. La raison est que cõme l’idolatrie est une ombre & une fausse image de religion, par laquelle on rend les honneurs divins à des idoles de bois & de pierre : de même la comedie est une espece de religion payenne, par laquelle on rend aussi les honneurs divins à des idoles de chair & de sang, c’est à dire, à des hommes vicieux, & à des femmes débauchées, qui ont estés erigés en dieux & en deesses, sous les noms de Jupiter & de Saturne, de Mars, & d’Apollon, de Junon & de Venus : & comme tous les ouvrages portent ordinairement le caractere de l’esprit & du genie de leur autheur, n’y a-t-il pas raison de dire que la comedie est un veritable reste du paganisme, puisqu’elle n’a eu que les mêmes maîtres, & les mêmes autheurs que l’idolatrie, sçavoir les demons.
Consultons là dessus, je vous prie les sentimens des premiers Peres de l’Eglise, & vous verrés quels sont ceux qu’ils ont tâchés d’inspirer aux Fideles du christianisme naissant. Tertullien considerant que les premiers Chrétiens dont la foy étoit encore tendre & delicate, se laissoient entraîner au plaisirs des spectacles publiques, par l’exemple des Gentils, a employé toute la force de ses raisons pour les en détourner, en leur faisant voir que les divertissemens du theatre n’étoient proprement qu’un reste de superstition & d’idolatrie, qui perseveroit encore dans le christianisme, à la honte des Chrétiens ; & que toutes les choses qui se representoient dans ces fortes de spectacles, n’étoient dans le fond qu’une idolatrie deguisée, & qu’un paganisme travesty, dont le demon étoit l’autheur ; je ne sçay pas ce que vous en pensés, mais voicy ce qu’il en a dit : dæmones ab initio prospicientes sibi . Les demons depuis le commencement du monde ayant bien pris toutes leurs mesures pour élever leur religion & leur empire sur les ruines du culte de Dieu, inter cætera idolatriæ etiam spectaculorum inquinamenta quibus hominem à Deo avocarent ; & suo honori obligarens ejusmodi artium ingenia inspirarunt . Et, considerans que l’institution des spectacles publiques, leur seroit d’un grand secours pour débaucher l’homme du service de Dieu, & le consacrer à leur culte, ont inspirez aux Payens ces sacrileges inventions de leur art, dans lesquelles toute la religion est profanée. Or jugez maintenant des qualitez de cet art, par l’esprit de l’artisan, & de la nature de l’ouvrage par le genie de son autheur. Et confessez que la comedie qui a été substituée aux anciens spectacles des Payens, étant un reste d’idolatrie, on fait en quelque maniere autant d’honneur au diable & de deshonneur à la religion, en l’approuvant par leur presence, qu’en brûlant un grain d’encens au pied d’une idole, ou qu’en assistant aux sacrifices des Gentils. La raison est, que si dans la pensée de ce même Pere, il y a une secrette idolatrie renfermée dans chaque peché mortel, parce que le pecheur établissant sa derniere fin dans la creature, luy rend un honneur qui n’est dû qu’au Createur, idololatriam admittit, quicumque delinquit . L’on peut dire aussi que celuy qui assiste à la comedie, commet une espece d’idolatrie, parce qu’il se rend coupable par sa presence de toutes les profanations qu’on y fait du Christianisme & de la Religion.
Et pour vous convaincre encore plus parfaitement que la comedie est une invention de l’Enfer, & un ouvrage des demons plûtôt que des Poëtes ; d’où vient à vôtre avis le mot de comedie, sinon d’un certain Comus, que les idolatres ont autrefois adorez comme le Dieu qui presidoit aux festins, à la débauche & à l’impudicité, c’est à dire en bon François, le demon Asmodée, selon le tableau que Philostrate en a fait. Et comme il n’y avoit point autrefois de Dieu particulier qui n’eût aussi son culte & ses sacrifices particuliers, les débauchez qui étoient les sacrificateurs de ce Comus, composoient des Odes & des Elegies, qu’ils chantoient à son honneur, comme des Hymnes & des Cantiques aux jours de ses principales Fêtes, & de ses plus grandes solemnitez. D’où j’infere que la comedie étant si infame dans son autheur & dans son origine, un Chrétien ne fait pas un moindre crime d’y assister, que celuy qu’il commetroit en assistant aux fêtes des Bacanalles, & des Orgies des anciens, où allant au Sabat avec les Sorciers, puisque le demon étant l’autheur & l’instituteur des uns & des autres, il y reçoit un pareil honneur de tous les assistans. Or demandez au plus indulgent de tous les Casuistes, mon Pere est-ce un grand peché d’aller au Sabat, d’assister à toutes les abominations qui s’y commettent, & d’applaudir à tous les honneurs qu’on y rend au demon. Il vous répondra sans hesiter, que c’est au moins un peché mortel contre le premier commandement, & une abjuration secrette de vôtre religion. Demandez maintenant au saint & sçavant Evêque de Marseille Salvien, qui a été nôtre veritable Jeremie, qui a declamé contre les desordres, & pleuré sur les malheurs de la France, comme le Prophete Ieremie pleura autrefois sur ceux de Iudée. Demandez-luy, dis-je, si c’est un grand mal d’aller au bal & à la comedie, & il vous répondra hardiment que c’est, fidei apostatatio , une abjuration & une apostasie de la foy ; comme s’il vouloit dire que le crime d’un Chrétien qui va à la comedie, est semblable en quelque maniere à celuy ou d’un Sorcier qui va au sabat, ou d’un Renegat qui renonce au nom de Chrétien pour se faire Mahometan, qui quite l’Eglise pour aller dans une Mosquée, & qui renonce à l’Evangile pour suivre l’Alcoran ; fidei apostatatio, voilà une abjuration de la foy de Jesus-Christ de part & d’autre ; disons donc que la comedie est une veritable profanation de la sainteté de la Religion, puis qu’elle est un ruisseau empoisonné d’une source corrompuë, nam & rivulus tenuis ex suo fontè, & surculus modicus ex sua fronde qualitatem originis continet , dit Tertullien ; c’est à dire qu’elle est un reste du Paganisme, qui en a retenu tout le venin & toute la corruption, non seulement dans son institution & dans son autheur, mais encore dans sa nature & dans ses circonstances, dans sa fin & dans ses representations.
Ne nous arrêtons point icy M. à la decoration exterieure du theatre, qui ne represente rien que de profane aux yeux ; examinons la comedie dans son fond, & faisons une espece de dissection anathomique de sa nature, de ses circonstances & de ses representations. Car, dites-moy, qu’est-ce que comedie ; je répons qu’elle n’est proprement que cette apotheose tant vantée parmy les Payens, par laquelle un Prince, un Conquerant, un Heros, qui s’étoit signalé pendant sa vie, ou dans le gouvernement de l’Empire, ou dans la defense de la patrie, ou par la defaite des ennemis, étoit admis au rang des dieux, aprés plusieurs religieuses ceremonies, & sur tout avec l’approbation & le consentement du Senat ; cette approbation du Senat a paru si extravagante à Tertullien, que ce Pere voulant tourner en ridicule cette apotheose des Romains, leur dit en se moquant d’eux ; de humano arbitratu divinitas apud vos pensitatur, la divinité parmy vous dépend du jugement humain, elle est une espece de present qui vient de la liberalité des Consuls & du peuple ; en sorte que, nisi homini placuerit, Deus non erit , il n’y aura point de Dieu s’il ne plaît pas aux hommes. Or je vous demande, qu’est-ce que cette apotheose, sinon une profane, une sacrilege & injurieuse representation, ou imitation de la canonization de nos Saints, que le demon a introduite sur le theatre au mépris de l’Eglise, & au deshonneur de la Religion.

En effet, comme la canonization des Saints est une ceremonie sacrée par laquelle l’Eglise sur des témoignages authentiques de miracles & de vertus, declare qu’un tel homme ou qu’une telle femme est morte en état de grace, & en odeur de sainteté, & permet qu’on luy rende un culte public, qu’on fasse ses images & ses portraits, qu’on fasse son éloge & son panegyrique, & qu’on luy adresse des prieres & des vœux : de même la comedie étant une espece d’apotheose, ou de canonization de ces illustres Payens, tant vantez dans la mitologie, & dans les metamorphoses, dans les fables & dans les romans, & qui se sont rendus plus fameux par leurs vices que par leurs vertus. Qui est l’homme de bon sens qui ne s’aperçoit pas que ces representations comiques ou tragiques qui se font sur le theatre, sont une ingenieuse & subtile invention du diable pour deshonorer les ceremonies de l’Eglise, & se moquer de la canonization de nos Saints. Et c’est par cette raison particuliere que les spectacles des Gentils étoient defendus aux premiers Chrétiens, parce qu’ils y representoient quelques mysteres de nôtre religion ; pour d’un sujet de pieté en faire une matiere de plaisanterie, & rendre tout le Christianisme odieux ou impertinent.

Mais je ne m’en étonne pas, c’étoit un artifice des puissances du monde & de l’Enfer : car comme elles craignoient que la fureur & la tempête de la persecution ne pût pas ébranler la fermeté de la religion Chrétienne, elles ont eu recours à la superstition & à la comedie pour en alterer au moins la pureté ; & c’est pour reussir dans cette entreprise que le demon qui est, dit Tertullien, le rival de Dieu, & le copiste de Jesus-Christ, a imité & contrefait les mysteres de la religion, & les Sacremens de l’Eglise, pour opposer Eglise contre Eglise, & Religion contre Religion, & partager ainsi avec luy les adorations & les sacrifices. Le succez de l’entreprise ne luy a pas été tout-à-fait malheureux, car il a son baptême pour ses enfans, tingit & ipse quosdam , dit ce docte Africain ; il a sa confirmation pour ses soldats, il a sa Cene pour ses initiés, il a son Evangile pour ses predicateurs, & enfin il a la comedie qui est la canonization de ses bons serviteurs & de ses fideles servantes ; la tragedie est pour ses martyrs, & la comedie pour ses confesseurs.

Et pour vous faire voir que je n’outre pas la matiere, & que je ne vous impose point, ç’a tirés ce rideau & levés cette tapisserie, qui voyés-vous paroître sur le theatre, sinon les faux dieux, & les ridicules deesses de l’antiquité, c’est à dire des hommes vicieux & des femmes prostituées, qui ont étés érigés en divinités par les Gentils, ou bien on y voit paroître un illustre Payen, un Prince malheureux, ou un amant infortuné, dont le Poëte fait le Heros de la piece, qu’il resuscite par une espece de negromantie, & auquel il fait rendre plus de culte, & brûler plus d’encens qu’à tous les saints canonizés de l’Eglise, écrits dans nôtre martyrologe, & invoqués par les Fideles.

Mais vous me direz peut-estre, mon Pere, les Muses Françoises sont bien plus chastes que les Muses Grecques & Romaines, elles n’ont point l’humeur cõquête, ny lascive de l’ancienne Thalie, le theatre est maintenant purifié de toutes les ordures qu’il avoit tiré des Payens ; & nos Poëtes qui font profession du Christianisme ne nous donnent plus que des pieces saintes & honnêtes, dans lesquelles on voit toûjours la vertu triomphante, & le vice abbattu. Ah ! poison deguisé ! dangereux artifice, pour tromper les pecheurs, & pour deshonorer les Saints : Quoy ? donc l’on verra des Saints & des Saintes que toute l’Eglise revere comme ses veritables Heros, & ses veritables Heroïnes, representés avec un air lacif, par des hommes infames & par des femmes impudiques ? Quoy, l’on verra l’histoire de leurs vies mêlée d’intrigues d’amour & d’incidens de galanteries, & representée par des vers qui expriment & émeuvent les passions d’une maniere si forte & si douce, qu’en faisant les portraits de ces saints & de ces saintes, ils font paroître avec éclat leurs petites foiblesses, & obscurcissent leurs plus grandes vertus. D’où il arrive que ces vers qui décrivent si finement & si spirituellement ces petites foiblesses, étans prononcés d’une maniere touchante & d’un ton languissant, & accompagnés du geste, de la voix & des autres graces du visage & de l’habit, font bien plus d’impression sur les cœurs, que le stile fade & insipide avec lequel on décrit leurs vertus : & c’est ce qui me conduit insensiblement à ma derniere preuve que je tire des Acteurs, c’est à dire des Comediens, pour vous convaincre que la comedie est effectivement un reste du paganisme, ou si vous aimez mieux, le paganisme pretendu reformé.

Etudiés, je vous prie, la religion & la condition de ces honnêtes gens qui sont sur le theatre, qui joüent les grands rôles, & qui font les personnages des Dieux ou des Empereurs, des Deesses ou des Reines, qui sont-ils, ce ne sont pas à la verité des idolatres ny des Payens, je l’avoüë, qui donc, helas ! ny vous ny moy, n’oserions le dire, pour l’honneur de nôtre sainte Religion ; ils ont pourtant l’éfronterie de le dire eux-mêmes, & de le faire sçavoir à tous ceux à qui il appartiendra, qu’ils sont Chrétiens. Ah M. voilà ce qui fait ma douleur & l’opprobre du Christianisme ; ils sont donc Chrétiens disent-ils ; mais helas quels Chrétiens, qui sont de la même profession que ceux contre lesquels l’Empereur Tybere rendit un arrest de bannissement pour consacrer la septiéme année de son Empire ; quels Chrétiens qui font le métier de ceux que l’Empereur Theodose condamne par les loix de son Code à estre exposés à la fureur des tygres & des leopards, comme étant la corruption des peuples & la peste des Etats ; quels Chrétiens qui sont declarés infames par les saints-Canons, comme on le peut voir dans le troisiéme Concile de Carthage ; quel Chrétiens que S. Cyprien appelle, magistros & doctores non erudiendorum, sed perdendorum puerorum , des Maîtres & des Docteurs plus propres à perdre & à corrompre la jeunesse qu’à l’instruire & à la bien élever ; quels Chrétiens contre lesquels l’Ordonnance de Charles IX. aux Etats d’Orleans, & celles de Henry III. aux Etats de Blois, ont faits plusieurs articles qui sont autant de carreaux de foudre qui exterminent dans tout le Royaume ces ennemis secrets de l’Etat aussi bien que de la Religion ; quels Chrétiens ausquels les saints Canons ôtent tous les moyens de vivre & de continuër dans cét exercice, en defendant qu’aucun ne soit si hardi de contribuer à leur subsistance, & declarant que c’étoit un très-grand peché de leur donner de l’argent, ou quelque autre chose, donareres suas histrionibus vitium est immane . Quels Chrétiens, que le premier Concile d’Arles celebré l’an 314. sous le Pape S. Silvestre, & sous l’Empereur Constantin, defend de recevoir à la sainte Communion, de theatricis & ipsos placuit quamdiu agunt, à communione separari , c’est à dire, qu’il les prive de la participation du Corps & du Sang de Jesus-Christ, s’ils ne renoncent au theatre : quels Chrétiens enfin sur lesquels S. Cyprien étant consulte par Everatius, s’il falloit les recevoir dans l’Eglise & dans les assemblées des Fideles, répond que non, & voicy l’admirable raison qu’il en donne, quod ego puto ; nec majestati divina, nec Evangelicæ disciplinæ congruere, ut pudor & honor Ecclesiæ, tam turpi, & infami contagione fœdetur  ; parce que j’estime qu’il n’est point convenable ny à la majesté de Dieu, ny à la discipline de l’Evangile, que l’honneur de l’Eglise soit ainsi offencé, & sa pureté fletrie par la communication avec des gens dont la profession est si infame & le métier si contagieux. Cette réponse de S. Cyprien a été si venerable à toute l’Eglise, qu’elle en a formé un Canon exprés.

Aprés cela que vous en semble Messieurs & mes Dames, je vous fais juges & arbitres de ce different qui est entre Jesus-Christ & les Comediens, vous avez vû & examiné les preuves que j’ay apportées pour vous faire comprendre que la comedie est effectivement atteinte & convaincuë du premier crime dont elle est accusée, sçavoir de profaner la sainteté de la Religion. Prononcés maintenant arrest d’absolution ou de condamnation contre elle ? Ah ! M. s’il vous reste encore dans le cœur quelques sentimens de pieté & de Christianisme, ne laissés point corrompre vôtre jugement par le mauvais goût du siecle, & que le plaisir de la comedie (que j’appelle un plaisir enchanté, parce qu’il vous trompe & entraîne par des prestiges secrets, & par une fascination dangereuse, fascinatio nugacitatis , l’appelle le Sage) que ce plaisir dis-je ne suborne point vôtre raison, cõtre vôtre conscience ; mais que tout le monde connoisse que vous ne cachés point les restes du paganisme, sous la profession apparente de Chrétien. Car il faut M. de deux choses l’une, ou renoncer à la comedie, ou renoncer à l’Evangile, ou renoncer aux Comediens, ou renoncer à Jesus-Christ ou renõcer au theatre, ou renõcer aux autels : car pretendre de les pouvoir accorder ensemble, & de partager son cœur & son affection entre les deux, c’est une presomption teméraire & ridicule : comme nous verrons demain. Disons donc que ce plaisir de la comedie qui enchante l’esprit & les sens, a paru toûjours si criminel aux veritables devots, aussi bien qu’aux veritables doctes, qu’ils ont jugés que non seulement la sainteté de la Religion étoit profanée dans ces sortes de divertissemens, mais que de plus les vœux du Baptême y étoient violés. C’est le second crime dont on accuse la comedie, qu’il faut examiner dans la seconde Partie de ce Discours.

 

IE ne puis mieux commencer cette seconde partie qu’en distinguant avec S. Cyprien trois sortes de bonneur dans l’homme, primus fœlicitatis gradus est, non delinquere , son premier bonheur, ou le premier degré de sa veritable felicité en ce monde, consiste à ne point pecher : secundus, delicta cognoscere  : le second degré consiste à connoître ses pechés : tertius, commissa diluere , & le troisiéme consiste à expier ses pechés : pour moy M. je m’estimeray aujourd’huy bien heureux, si je puis vous faire renoncer pour jamais à la comedie, parce que je vous auray mis en possession de ces trois degrés de felicité, qui sont de ne plus pecher en y assistant, de bien connoître les pechés qu’on y commet, & de bien expier les pechés qu’on y a commis : mais pour proceder avec ordre, & pour vous faire comprendre une verité que vous n’avez peut-être jamais bien penetrée, & à laquelle pourtant vôtre salut eternel est attaché ; il faut sçavoir quelle est la grace que nous recevons dans le Baptême ; quels sont les vœux que nous y faisons, & quelles sont les obligations qu’ils nous imposent, la grace que nous y recevons est feconde, les vœux que nous y faisons sont solemnels, & les obligations qu’ils nous imposent sont indispensables.
Comme le Baptême est appellé par S. Paul, lavacrum regenerationis, & renovationis Spiritus sancti , l’eau de la renaissance & du renouvellement du S. Esprit ; la grace que nous y recevons est si seconde qu’elle produit plusieurs grands & admirables effets : car premierement elle rend le Chrétien enfant adoptif de Dieu ; elle luy imprime le caractere invisible de cette adoption dans l’ame, & le signe visible sur le front, qui est le signe de la Croix. D’où vient que Tertullien appelle le Baptême Sacramentum signaculi , le Sacrement du signe ou du caractere. Secondement, elle le fait membre du corps mystique de l’Eglise, en l’unissant à son Chef par la foy, en le sanctifiant par la grace, & en l’animant de son esprit ; enfin elle rend le nouveau Chrétien capable de participer à tous les autres mysteres & Sacremens de l’Eglise.
Mais afin que le Cathecumene que Tertullien appelle æternitatis candidatus , pretendant à l’eternité, se rendre digne de toutes ces graces qui luy sont preparées & distribuées par le Baptême, il doit faire de certains vœux solemnels, qui sont des abjurations publiques de toutes les choses qui sont des empêchemens & des obstacles à la grace de sa regeneration. Or quels sont ces vœux, les voicy en peu de mots : c’est de renoncer au diable & à ces œuvres, au monde & à toutes ses pompes : La raison est que comme la grace du Baptême nous doit faire enfans adoptifs de Dieu, il faut necessairement renoncer au diable, parce qu’on ne peut estre enfant de deux peres, ny serviteur de deux maîtres. Troisiémement, comme la grace du Baptême nous fait membres du corps mystique de l’Eglise, il faut necessairement renoncer au monde, parce qu’on ne peut estre en même temps membre de l’Eglise, qui est l’assemblée des Fidèles, & le Corps mystique de Jesus-Christ, & estre membre du monde, qui est l’assemblée des reprouvés, & la synagogue de Satan. Synagogam satanæ , l’appelle S. Jean. Enfin comme la grace du Baptême nous rend capables de participer à tous les autres mysteres & Sacremens de l’Eglise, il faut renoncer absolument aux pompes du monde & aux œuvres de Satan, parce que nous ne pouvons pas estre initiés tout ensemble aux mysteres de sainteté, & aux mysteres d’iniquité. Or comme ces vœux du Baptême sont des promesses solemnelles que nous faisons à Dieu à la face de l’Eglise, & en presence des Anges & des hommes, elles nous imposent une obligation indispensable de les accomplir, à moins que de passer pour infideles & pour parjures, displicet enim Deo, infidelis, & stulta promißio  : car il n’y a rien qui déplaise plus souverainement à Dieu qu’une promesse fole & infidele, c’est à dire qui n’est point accomplie.

Sur ces principes ainsi établis comme incontestables, voicy comme j’argumente. Le vœu suppose une matiere certaine & determinée, & non pas vague, incertaine & indeterminée ; quelles sont donc ces pompes particulieres du diable & du monde, ausquelles nous avons renoncez par les vœux du Baptême ; je repons & soûtiens avec Tertullien & S. Cyprien, le Maître & le Disciple, que c’est l’ancienne creance de l’Eglise universelle, que lors que par les vœux du Baptême nous avons renoncez au diable & à ses œuvres, au monde & à toutes ses pompes, nous avons encore renoncez en même tems à tous les spectacles, bals & comedies, ad spectacula quoque , dit ce docte Africain, pertinet renuntiationis nostra testimonium in lavacro . La renonciation que nous avons faite dans les ceremonies solemnelles de nôtre Baptême, au diable & à ses œuvres, au monde & à ses pompes, comprend encore tous les spectacles publiques, & tous les divertissemens criminels du theatre & de la comedie, & voicy la sçavante raison qu’il en donne ; quia diabolo, & pompa & Angelis ejus sunt mancipata per idololatriam , parce que toutes ces sortes de spectacles & de representations se rapportent aux pompes du diable, & sont consacrées par l’idolatrie à ses Anges apostats. D’où il faut inferer par une suite necessaire que ceux qui vont à la comedie & au bal, violent impunément les vœux solemnels qu’ils ont faits à Dieu au Sacrement de Baptême.

Oüy M. ils violent premierement le vœu qu’ils ont fait de renoncer au diable, puis qu’ils s’engagent à son service, & abandonnent celuy de Dieu, qui est un crime d’infidelité, de desertion & de perfidie, c’est le solide raisonnement dont se sert Tertullien pour détourner les premiers Chrétiens des spectacles des Gentils, & qu’il tire de la discipline militaire. Nemo enim in castra hostium transit, nisi projectis armis suis, nisi destitutis signis, & sacramentis principis sui , comme un soldat est censé deserteur de milice, perfide à l’état, & traître à son Prince, qui passe dans le camp des ennemis, aprés avoir quitté son baudrier & ses armes, aprés avoir abandonné son drapeau & son étendart, & aprés avoit violé le serment de fidelité qu’il avoit prêté à son Capitaine ; de même le Chrétien est coupable d’une pareille trahison qui va à la comedie : car si l’Eglise est semblable à une armée rangée en bataille, ut castrorum acies ordinata , le Chrétien en est un soldat, Christi suis militem , l’appelle Tertullien, il prête serment de fidelité à Dieu dans les Sacremens de Baptême & de Confirmation. Serment de fidelité qui a été si venerable même aux Payens, qu’ils ont crû qu’on ne pouvoit le violer sans sacrilege. C’est ainsi que Seneque en a parlé, maximum vinculum ad bonam mentem, promisisti virum bonum, sacramento ligatus es , le serment est le plus grand lien qui puisse obliger une bonne ame, vous avez promis d’être homme de bien, dit ce Philosophe, souvenez-vous que vous étes lié par serment, & que vous ne pouvez sans sacrilege manquer à vôtre parole. Cependant que fait le Chrétien qui va à la comedie, il se rend deserteur de la milice du Dieu vivant, il se range sous l’étendart de son ennemy, qui est le diable, il s’engage à son service, & viole par une lâche perfidie le serment de fidelité qu’il avoit prêté à Jesus-Christ dans le Baptême. Ainsi la promesse qu’il avoit fait de renoncer au diable n’est autre chose, dit Gregoire de Tours, sinon, Sacramentum mendax prolatum à perfidis , un faux serment prêté par des traîtres & par des perfides, qui sont sans foy & sans religion.
En second lieu il viole le vœu qu’il a fait au Baptême de renoncer au monde, pour vous bien faire comprendre la nature de cette promesse & de cet engagement, il faut distinguer deux sortes de mondes bien contraires & opposez ; l’un est le monde de Jesus-Christ, l’autre est le monde du diable. Le monde de Jesus-Christ est l’assemblée des élûs ; le monde du diable est l’assemblée des reprouvez. Or il y a tant d’antipathie entre ces deux mondes, qu’ils ne peuvent se souffrir, & qu’ils tâchent mutuellement de se détruire. Le monde de Jesus-Christ est continuellement dans les larmes, dans les souffrances & dans la douleur ; & le monde du diable est continuellement dans le plaisir, dans la débauche & dans le divertissement, mundus gaudebit, vos vero contristabimini , dit le Fils de Dieu. Le monde de Jesus-Christ est toûjours éclairé de la lumiere de verité ; d’où vient que les élûs qui sont les habitans de ce monde sont appellez, filii lucis , enfans de lumiere. Le monde du diable est toûjours ensevely dans les tenebres de l’ignorance & du mensonge. D’où vient que les reprouvez qui sont les habitans de ce monde sont appellez enfans de tenebres : & c’est aussi pour cette raison que ce monde aveugle & ignorant, ne connoit point Dieu, mundus cum non cognovit , & que selon le témoignage de S. Jean, il est tout gâté & corrompu de malice & de peché, mundus totus in maligno positus est . Aprés cela se faut-il étonner si Jesus-Christ s’est declaré si hautement contre luy, qu’il a fait des protestations publiques. En premier lieu, qu’il n’étoit point de ce monde, non sum de hoc mundo . En second lieu, qu’il ne prioit point pour ce monde, non pro mundo rogo . En troisiéme lieu, que son Royaume n’étoit point de ce monde, regnum meum non est de hoc mundo . En quatriéme lieu, que ce monde étoit si abominable, qu’il ne pouvoit recevoir son S. Esprit, quem mundus non potest accipere . En cinquiéme lieu, que ce monde luy étoit si insupportable, qu’il n’y pouvoit plus demeurer, mais qu’il s’en retournoit à son Pere qu’il avoit envoyé, iterum relinquo mundum & vado ad Patrem . Remarquez cette parole, iterum relinquo , je quite & j’abandonne derechef ce monde ; pour nous apprendre qu’il a abandonné deux fois le monde ; la premiere fois à sa naissance ; & la seconde fois à sa mort ; dés le moment de sa naissance il commença de quiter le monde en se separant de luy, de ses maximes & de ses coûtumes, par la saintete de sa vie, & par un dégagement de cœur & d’affection, & iterum relinquo, & à sa mort il se separa tout à fait de luy, de sa presence visible & corporelle, & par un abandon de cœur & d’esprit ; & afin d’inspirer son esprit à ses Apôtres & à ses élûs, & les obliger à suivre son exemple, voicy la belle leçon qu’il leur fit avant que de mourir. Mes Apôtres, leur dit cet aimable Sauveur, ne vous étonnez pas, si mundus vos odit , si le monde a de la haine & de l’aversion pour vous : car, scitote quia me priorem vobis odio habuit , sçachez que sa haine est encore plus ancienne contre moy. Il est vray que, si de mundo fuissetis, mundus quod suum erat diligeret , si vous étiez du monde, le monde aimeroit ce qui seroit à luy, quia vero de mundo non estis, sed ego elegi vos de mundo, propterea odit vos mundus  ; Mais parce que vous n’étes point du monde, & que je vous ay choisis & separez du monde, c’est pour cela que le monde vous méprisera & vous persecutera, in mundo pressuram habebitis , ne laissez pas pourtant abbatre vôtre courage par crainte ou par lâcheté, confidite ego vici mundum , ayez au contraire grande confiance en mon esprit & en ma grace, j’ay déjà vaincu le monde en moy, j’en triompheray encore en vous.
Voilà M. le portrait au naturel que Jesus-Christ a fait de ce monde auquel vous avez renoncez par le vœu de vôtre Baptême ; cependant que fait le Chrétien qui a tant d’amour pour les spectacles & les comedies, je dis que c’est un transfuge & un deserteur, qui au prejudice de son vœu & de ses promesses, passe du monde de Jesus-Christ, qui est l’assemblée des fideles, dans le monde du diable, qui est l’assemblée des reprouvez. En effet, dites-moy je vous prie, comme appellez-vous ces sales, ces tripots, ces lieux publics, ou l’on joüe les comedies, sinon les synagogues de Satan, ou ses ministres s’assemblent pour y honorer le demon par des recits & par des symphonies, comme nos Eglises sont des lieux sacrez où les fideles s’assemblent pour y adorer Dieu en esprit & en verité. Quale est ergo , s’écrie Tertullien à ce propos, de Ecclesia Dei tendere in Ecclesiam diaboli, de cœlo in cœnum. Quelle fausse demarche est-ce icy, quelle horrible apostasie, & quelle honteuse desertion du Christianisme. Quoy ? de l’Eglise de Dieu passer à l’Eglise du diable, du Ciel en Enfer, & du pied des autels au pied d’un theatre. Comment appellez-vous ce passage, sinon un violement du vœu que vous avez fait de renoncer au monde ; puisqu’il est vray que ces lieux destinez à ces sortes de divertissemens & de spectacles, se peuvent appeller en bon François, le Sabat des honnêtes gens. Cette parole ne vous doit point scandaliser, nous avons appris cette verité d’un certain autheur qui ne vous doit point être suspect de mensonge & de fausseté, en ce point, quoy qu’il en soit le pere, c’est du demon : car Tertullien nous raconte que le diable étant un jour interrogé & pressé par un exorciste, de dire la raison pour laquelle il étoit entré dans le corps d’une femme, ne fit point d’autre réponse que celle-cy, in meo eam inveni . Prêtres, Exorcistes, Ministres du Dieu vivant, ne me reprochez point d’avoir fait usurpation d’une femme qui appartint à vôtre Jesus-Christ ; non elle n’étoit point à luy, elle n’étoit point de ses sujettes, ny de son royaume, je l’ay trouvée dans ma maison, je l’ay trouvée sur mes terres, je l’ay trouvée dans mon Eglise & dans l’assemblée de mes bons serviteurs, & de mes fideles servantes, j’ay usé de mon droit, j’en ay pris prossession, personne ne me la doit disputer, elle m’appartient de bonne guerre, in meo eam inveni , je ne l’ay point été prendre dans sa maison, ny dans vos Eglises, je l’ay rencontrée dans un lieu qui est à moy, je m’en suis rendu le maître, je ne la quitteray point. Ah, M. si Dieu donnoit aujourd’huy le même pouvoir au diable que de possedez & de possedées ne verroit-on point par tout le monde ; puis qu’helas ! tout le monde est remply de Chrétiens infideles à Dieu ; qui aprés avoir renoncez solemnellement au diable & au monde, ne peuvent se resoudre à renoncer aux œuvres & aux pompes de l’un & de l’autre.
Voicy M. si je ne me trompe, ce qui va paroître de plus facheux & de plus incroyable aux sages du monde ; sçavoir, de les convaincre que les bals & les comedies sont veritablement ces œuvres de Satan, & ces pompes du monde ausquelles ils ont renoncez solemnellement par les vœux du Baptême ; cependant il me semble que pour peu qu’ils veulent entendre raison, & écouter les maximes de religion & de conscience, nous serons bien-tôt d’accord. Car n’est-il pas veritable que comme ces belles statuës qui nous restent des debris de l’antiquité, sont appellées avec justice des ouvrages de Phidias & de Praxitele, lors qu’on sçait que ce sont ces fameux Sculpteurs qui en sont les autheurs, qui les ont taillées eux-mêmes, & qui en ont fait les chef-d’œuvres de leur art. Ainsi je puis dire avec verité, que les bals & les comedies sont les ouvrages du diable, puisque c’est luy qui en est l’autheur, comme je vous l’ay fait voir dans ma premiere Partie, & par consequent, oderis Christiane, quarum authores non potes no odiisse , conclud Tertullien. Il faut donc ô Chrétien, que vous detestiez necessairement tous ces ouvrages, puisque vous en detestez les autheurs, & ne faut pas m’alleguer icy pour excuse, que ce sont des poëtes Chrétiens, & de fort honnêtes gens, qui sont les autheurs de ces pieces, & qui en ont composez les vers ; je ne veux point répondre à cette objection, mais je veux que S. Augustin répondre pour moy, toute l’Eglise reçoit son authorité & son témoignage avec veneration sur des matieres plus importantes, vous ne le recuserés pas en celle-cy, Qua ratione rectum est, ut Poëticorum figmentorum, & ignominiosurum deorum, infamentur actores, honorentur authores. Je ne puis comprendre par quelle juste raison on pretend que les Comediens qui sont les Acteurs qui representent ces faux Dieux sur le theatre, soient marquês d’infamie, & que les Poëtes qui sont les autheurs qui inventent & qui composent ces comedies, soient traités avec honneur, non dit ce Pere, je ne comprens point la raison de cette distinction, comme je ne vois point de difference entre leurs professions, je n’en vois point aussi entre leurs personnes, ainsi il me semble que les loix, selon la veritable intention des Legislateurs, ne sont pas plus favorables aux uns qu’aux autres, mais qu’elles les condamnent également tous deux. Tertullien passe plus avant, car voyant que les derniers avoient déguisés les profanations du theatre, par l’assaisonnement du plaisir, impietatem voluptate adumbrant , dit-il, il defendoit toutes sortes de commerces & de communications avec eux. In sæculo cum illis moramur , ajoûte-il en parlant aux Chrétiens, il est vray que nous sommes mêlés avec eux dans le monde, sed tamen in sæcularibus separamur , nous en sommes neanmoins separés par l’usage des choses du monde, quia sæculum Dei est, sæcularia autem diaboli , & parce que le monde appartient à Dieu qui en est l’autheur, & les choses du monde appartiennent au diable qui en est le corrupteur. Tellement que de quelque côté que vous consideriés le plaisir enchanté de la comedie, vous trouverés qu’il est au rang des œuvres & des inventions du diable, ausquelles vous avez renoncés par vôtre Baptême.

Les pompes du monde ne sont pas plus privilegiées, & vous y avez renoncés aussi bien qu’aux œuvres de satan, mais je crois que vous n’avez peut-être jamais bien compris quelles sont ces pompes contre lesquelles vous avez prononcés vôtre grand abrenuntio ; il est de mon devoir de vous l’expliquer, & de vôtre de le bien comprendre. La pompe n’est autre chose sinon un certain spectacle, ou ceremonie publique, accompagnée de joye, de jeux, de musique & de réjoüissance : voicy comme un Poëte en a parlé.

Sed jam pompa venit, linguis, animisque favete,
Tempus ad est plausus, aurea pompa venit.
Or les Anciens distinguoient de deux sortes de pompes, selon l’observation de Tertullien, sacra & funebres , les sacrées & les funebres : les premieres étoient dediées aux Dieux, pompa ordinum, & hostiarum , dans lesquelles on portoit leurs statuës, & on conduisoit comme en triomphe les victimes qu’on devoit sacrifier en leur honneur : les secondes étoient destinées pour les morts, dans lesquelles on portoit leurs corps ou leurs cendres pour les enterrer avec ceremonies, ou pour les bruler avec solemnité, clarißimam paterno funeri pompam celebravit , dit Iosephe, les premieres avoient été instituées à la gloire des Dieux, & les secondes à la memoire des morts.
Voilà M. les pompes du monde qui étoient en veneration parmi les Gentils, mais quelles sont celles qui sont en estime parmi les Chrétiens, je répons que si elles ne sont pas les mêmes, elles sont au moins les restes des payennes, qui ont été toutes deux ingenieusement renfermées dans les bals & dans les comedies ; on danse & l’on fait de magnifiques colations & de superbes festins dans les bals & dans les opera, comme faisoient autrefois les Payens dans les pompes funebres & dans les enterremens des morts ; il y a même apparence que cette coûtume avoit passé parmi les Iuifs, puisque l’Evangile remarque que le Fils de Dieu entrant dans la maison de Iaire Prince de la Synagogue, pour resusciter sa fille qui étoit morte, il y trouva des joüeurs de flute, & une troupe de personnes qui faisoient grand bruit, & qui se preparoient à honorer la pompe funebre de la jeune defuncte, au son de leurs instrumens, mais Jesus-Christ rompit cette feste lugubre, & chassa ces musiciens importuns.
Et que fait-on autre chose dans la comedie, sinon de renouveller les anciennes pompes qui étoient instituées en l’honneur des faux Dieux, puisque comme je l’ay déjà remarqué, on ne voit representer sur le theatre que les histoires de ces fabuleuses divinités. Or M. ne vous flatez point, je soûtiens que ce sont là les veritables pompes du monde ausquelles vous avez renoncés par les vœux du Baptême : car pour moy je n’en connois point d’autres, ou qui soient du moins si dangereuses que celles-là. Ecoutés comme un saint Evêque de nôtre France en a parlé aux Chrétiens de son siecle. Spectacula , dit-il, etiam juxta professionem nostram opera sunt diaboli , tous les spectacles publiques, selon toutes les maximes de nôtre Religion, sont censés les œuvres du diable, quomodo ergo, ô Christiane spectacula post baptismum sequeris , avec quelle hardiesse donc ô Chrétiens, oserés vous courir à ces divertissemens aprés vôtre Baptême, qui opus esse diaboli confiteris , vous qui avoüés qu’ils sont les œuvres de Satan. Or souvenés-vous, mon frere, qui que vous soyés, que, renuntiasti semel diabolo, semel & spectaculis ejus , vous avez renoncé une fois pour toûjours, au demon & à ses spectacles, ac perinde necesse est prudens, & sciens, dum ad spectaculum remeas, ad diabolum te redire cognoscas  ; & par consequent il est necessaire que vous sçachiés une bonne fois en vôtre vie, qu’étans instruis autant que vous le devez estre des verités de la Religion, & des obligations de vôtre Baptême, vous n’allés jamais à ces sortes de spectacles, que vous ne retourniés en même temps au demon, & que contre la foy donnée, vous ne renonciés à Jesus-Christ.
Mais il me semble qu’il y a long-tems que vous murmurés tous bas, que vous portés avec impatience de voir la comedie si mal traittée, & que vous me voulés dire qu’elle n’est point si criminelle que je la fais, puis qu’elle est bien differente des spectacles des Gentils, contre lesquels seuls les Peres de l’Eglise ont declamés. Bon, voilà toucher la veritable difficulté, mais il faut expliquer & la resoudre : Il me semble donc, si j’ay bien penetré vôtre pensée, que vous ne pouvez m’apporter rien de plus fort pour excuser la comedie des Chrétiens, que ce que les Gnostiques ont allegués autrefois pour justifier les spectacles des Gentils. Ces Heretiques qui étoient les sectateurs des anciens Nicolaïtes, & qui étoient si dereglés & si voluptueux, qu’ils auroient mieux aimés renoncer à la vie, qu’au plaisirs, soûtenoient qu’il n’y avoit rien de mauvais dans tous les spectacles des Gentils qui put offencer la Religion chrétienne ; & voicy la raison qu’ils en donnoient, au rapport de Tertullien. Omnia à Deo instituta, & homini attributa, & utique bona, ut omnia boni authoris  : voicy la forme de leur argument, vous jugerés de sa force. Toutes les choses qui sont au monde sont creées de Dieu, & toutes ces choses ont étés destinées pour le service de l’homme, & elles sont toutes bonnes, parce qu’elles viennent d’un bon principe. Toutes ces propositions ne font que la majeure de leur argument, venons à la mineure. Inter hæc , disent-ils, deputantur universa ista, ex quibus spectacula instruuntur. Or tout ce qui sert à la pompe des spectacles, est dans le rang de ces bonnes choses qui sont crées par la puissance de Dieu, & qui sont destinées pour le service de l’homme, donc concluoient-ils en méchans Philosophes, & en plus méchans Chrétiens, il n’y a rien dans les spectacles des Gentils, qui soit mauvais ny illicite aux Catholiques. Et comme ils croyoient qu’il y avoit plus de difficulté dans la mineure de leur argument que dans la majeure, voicy comme ils pretendoient la prouver. Il y a quatre sortes de spectacles parmy les Gentils. Sçavoit, premierement ceux du Cirque qui se faisoient par les courses des chevaux. En second lieu, ceux de l’amphiteatre qui se faisoient par le combat des bêtes farouches. En troisiéme lieu, ceux de l’arenne ou de la carriere, qui se faisoient par la joute des hommes. Enfin ceux du theatre, qui se faisoient par des symphonies & par des concerts de voix & d’instrumens. Or examinez toutes choses, disoient-ils, & vous tomberez d’accord, neque alienum videri posse, neque inimicum Deo, quod de conditione constet ipsius , qu’il n’entre rien dans tout l’appareil de ces spectacles qui soit étranger, ou qui puisse même être ennemy de Dieu, puisque tout cela est son ouvrage, & luy appartient par titre de creation comme à l’autheur de toutes choses, neque culpa deputandum, quod Dei non sit inimicum , & par consequent il n’y peut avoir de crime en tout ce qui n’est ny étranger, ny ennemy de Dieu. Voilà comme ces mauvais Philosophes argumentoient en faveur des spectacles, & comme les Chrétiens du tems raisonnent aussi en faveur de la comedie ; mais voicy comme Tertullien répond aux méchans argumens des premiers, & confond les faux raisonnemens des seconds. Quam sapiens argumentatrix sibi videtur ignorantia humana, præsertim cum aliquid hujusmodi de gaudiis, & fructibus sæculi metuit amittere. Que l’ignorance humaine toute stupide & grossiere qu’elle est, se montre neanmoins sçavante & ingenieuse, sur tout quand il faut trouver des raisons pour justifier l’usage des plaisirs de la vie, & pour s’empêcher d’y renoncer ; mais arriere tous ces argumens frivoles & toutes ces fausses raisons, le mensonge appuyé de tout le secours de la Philosophie, ne peut rien contre la verité.

J’avoüe bien que tout ce qui entre dans l’appareil des spectacles, & dans la representation des comedies, appartient à Dieu, & qu’il en est le Createur ; les chevaux du Cirque, les lions de l’Amphitheatre, les Gladiateurs des arennes, les voix & les instrumens du theatre, viennent de luy comme du principe de toutes choses, nemo enim negat Deum esse universitatis conditorem eamque universitatem, tam bonam, quam homini mancipatam  : car personne ne nie que Dieu ne soit le Createur de tout l’Univers, que tout l’Univers ne soit composé de bonnes creatures, par l’approbation même qu’elles ont receüe du Createur, & que toutes ces creatures n’ayent été destinées au service de l’homme par la disposition de leur autheur. Mais il faut sçavoir que, multum interest inter corruptelam, & integritatem, quia multum est inter institutorem, & interpolatorem  ; qu’il y a une aussi grande difference entre l’integrité de ces creatures & leur depravation, qu’entre leur Createur & leur corrupteur. Comme Dieu qui en est le Createur, est infiniment bon, il leur a fait part de sa bonté, en les tirant du neant pour leur communiquer l’être ; & comme le diable qui est leur corrupteur, est extrêmement méchant, il leur a fait part de sa malice, en les tirant de leur état naturel, pour les faire servir, non pas à l’utilité & au salut de l’homme, selon le dessein que Dieu en avoit eu, mais à sa damnation & à sa perte, selon le projet qu’il en a formé. D’où ce sçavant Africain conclud que, tota ratio damnationis, perversa est administratio conditionis  ; que tout ce qu’il y a de vicieux & de condamnable dans les creatures, vient de l’injuste & du mauvais usage qu’on en fait.

En effet, s’il étoit permis d’user indifferemment de toutes choses par cette seule raison, que Dieu en est le principe & l’autheur, il s’ensuivroit que l’homicide, par exemple, ny l’idolatrie, ne seroient pas des actions, ny mauvaises ny criminelles, parce que c’est Dieu qui a creé le fer & les poisons dont on tuë les hommes, & qui a aussi produit le bois & la pierre dont on taille les idoles. Disons donc que les choses qui entrent dans les spectacles & dans les comedies ne sont point mauvaises d’elles-mêmes, mais qu’elles deviennent illicites & defenduës par le mauvais usage qu’on en fait. Et comme les spectacles des Gentils étoient criminels par leur mauvais usage, en ce qu’ils étoient instituez à l’honneur des faux dieux, de même les comedies sont encore mauvaises par leur usage, parce qu’elles sont inventées pour y étaler toutes les pompes du monde. Oüy, M. c’est dans la comedie ou le monde a renfermé tout ce qu’il a de plus agreable, de plus charmant, de plus beau, & de plus pompeux, pour nous ébloüir, & pour se faire aimer, comme vous verrez dans ma derniere Partie. Ne vous y trompez donc pas, le monde n’est pas un ennemy moins redoutable que le diable & que la chair. Chacun nous sollicite au peché par des voyes differentes, le diable nous y pousse par la force de ses tentations, la chair nous y attire par l’amorce de la volupté, & le monde nous y engage par le plaisir de ses pompes. Et comme la comedie en est la plus agreable, & son plaisir le plus enchanté, je soûtiens que vous étes autant obligez de renoncer à cette pompe du monde, que vous étes obligez de renoncer aux voluptez de la chair, & de resister aux tentations du diable, puisque toutes ces sortes de plaisirs vous sont également defendus, & que vous y avez pareillement renoncez par les vœux du Baptême, hoc erit pompa diaboli adversus quam in signaculo fidei ejeramus . Oüy, M. je le repete encore une fois tous ces spectacles publiques, ces divertissemens, ces bals & ces comedies sont les œuvres de Satan & les pompes du monde, ausquelles vous avez renoncez dans le Sacrement de vôtre regeneration, quod, autem ejeramus, neque facto, neque visu participare debemus . Or il est certain, selon toutes les loix de la bonne justice, qu’il ne vous est plus permis de participer par la veüe ny par l’oüye à toutes les choses ausquelles vous avez renoncez de cœur & d’affection.
J’ay dis, M. que les loix de la Iustice nous defendent cette participation : car ce seroit vouloir participer en même tems aux mysteres de sainteté, & aux mysteres d’iniquité, ce qui est impossible. C’est par cette raison que l’Apôtre prouve aux Corinthiens, qu’il ne leur étoit pas permis de manger des viandes qui avoient été sacrifiées aux Idoles : considerez, leur dit-il, les Israëlites selon la chair, ceux qui mangent parmy eux de la victime immolée, participent à l’autel. Ce n’est pas que je veüille dire que l’Idole soit quelque chose, ou qu’une viande ait receu quelque impression pour avoir été immolée aux Idoles ; non, mais je veux dire, que ce que les Payens immolent, ils l’immolent aux demons, & non pas à Dieu, Nolo autem vos fieri socios dæmoniorum . Or je desire que vous n’ayez aucune part, ny communication avec les demons, non potestis calicem Domini bibere, & calicem dæmoniorum , vous ne pouvez pas boire le calice du Seigneur, & le calice des demons, non potestis mensa, Domini participes esse, & mensa dæmoniorum , vous ne pouvez pas participer à la table du Seigneur & à la table des demons ; cependant c’étoit l’injuste pretention de quelques Chrétiens de Corinthe ; ils se persuadoient qu’il leur étoit permis de manger des viandes immolées aux Idoles, & de manger en suite le pain celeste à la table du Seigneur : il me semble que ce procedé vous paroit si contraire à la foy & à la raison, que vous le condamnez déjà dans vôtre cœur ; & moy je vous dis que le vôtre n’est ny plus Chrêtien, ny plus raisonnable, de vouloir assister aux pompes du monde & aux ceremonies de l’Eglise, de vouloir passer du pied de l’Autel, au pied du theatre, à Dei munere, ad dæmoniorum officia , de vouloir aller d’un sacrifice qu’on vient d’offrir à Dieu, au sacrifice qu’on va offrir au diable. Et de la même bouche dont on fait ses prieres, reciter les vers d’une comedie, & applaudir à des Comediens. Ah ! Chrétiens, s’écrie S. Augustin, quid tibi cum pompis sæculi quibus renuntiasti . Qu’avez-vous encore de commun avec les pompes du siecle ausquelles vous avez renoncez ? Quoy, faut-il pour un petit plaisir, violer les vœux du Baptême, & renoncer à la foy.
Cette parole, M. vous doit paroître dure, mais à la verité, elle vous doit faire trembler : car si selon la doctrine de S. Paul, un Chrétien qui n’a pas soin de ses domestiques, fidem negavit, & est infideli deterior , a renoncé à la foy, & est pire qu’un infidele ; n’avois-je pas aussi raison de dire tantôt, selon la pensée de Salvian, que celuy qui n’a point de soin de soy-même, ny de zele de son salut, allant impunément à la comedie, a renoncé à sa religion & à son Baptême, a abandonné le service de Dieu pour s’engager à celuy du diable, & se rend par cette action plus criminel qu’un Payen. Car les Payens considerans autrefois les ceremonies de l’Eglise, & le sacrifice des Chrétiens, comme des sacrileges & des abominations, ont été si religieux à les éviter, qu’ils n’ont jamais voulu approcher nos Temples ny nos Autels, crainte d’irriter leurs Dieux, & d’offenser leurs Idoles. Et cependant on voit des Chrétiens biens moins scrupuleux, qui sans crainte de l’outrage qu’ils font à Dieu, frequentent les theatres & les comedies, quoy qu’elles soient les restes prophanes de l’idolatrie & de la gentilité. Que reste-t-il donc à faire & à dire pour conclure cette seconde Partie, sinon de recourir à Dieu, avec S. Augustin, deprecanda est misericordia Dei , dit ce Pere, ut donet intellectum ad ista damnanda, affectum ad fugienda, misericordiam ad dignoscenda , il faut prier la misericorde du Seigneur qu’il vous donne un esprit droit pour vous faire condamner ces fortes de divertissemens, un cœur bien degagé pour les fuïr, & une grande misericorde pour vous pardonner. Oüy M. vous avez besoin d’un grand pardon & d’une grande misericorde, puisque les crimes qu’on commet à la comedie, sont plus grands que vous ne pensés ; la sainteté de la Religion y est profanée, les vœux du Baptême y sont violés, & pour comble d’iniquité, l’innocence des mœurs y est corrompuë. C’est le troisiéme crime dont la comedie est accusée, & qui me reste à examiner dans la troisiéme Partie de ce Discours.
QVand je considere l’état d’un Chrétien je trouve que tout ce qu’il y a de plus grand & de plus inviolable dans sa profession, l’oblige à une parfaite innocence de vie, & à une eminente sainteté de mœurs. Premierement, il est obligé à la sainteté, parce qu’il est membre du corps mystique de l’Eglise, dont la sainteté est le propre caractere, sancta Ecclesia. En second lieu, parce que Jesus-Christ qui en est le Chef, est appellé le Saint des Saints, quod ex te nascetur sanctum vocabitur , dit l’Ange Gabriel à la sainte Vierge. Troisiémement, parce que l’esprit qui anime & qui gouverne tout ce corps de l’Eglise, est un esprit de sainteté & de sanctification, Deus cujus spiritu totum corpus Ecclesia Santificatur & regitur , chante-t-elle elle même. Quatriémement, parce que la sainteté est la fin de nôtre predestination, elogit nos ante mundi constitutionem ut essemus sancti . Cinquiémement, parce que les Sacremens de l’Eglise sont institués pour donner la sainteté au Chrétien s’il ne l’a pas, ou pour la luy conserver, s’il l’a déja receuë par la grace, ou pour la luy restituer s’il l’a perduë par le peché. En sixiéme lieu, parce que c’est l’intention & la volonté de Dieu que nous soyons tous Saints, hæc est voluntas Dei sanctificatio vestra . En septiéme lieu, parce que nous sommes creés pour joüir de Dieu qui est la source & le principe de toute sainteté, sancti eritis quoniam ego sanctus sum . Enfin parce que nous devons estre les citoyens immortels de la Jerusalem celeste qui est appellée la sainte Cité, civitatem sanctam , & que ses habitans sont tous, Cives Sanctorum, & domestici Dei , les citoyens des Saints & les domestiques de Dieu. Tellement donc que Dieu ne s’estant proposé pour fin des plus grands ouvrages qu’il a fait hors de luy-même, que nôtre sainteté, aussi bien que sa gloire, il a employé tous les moyens que sa sagesse a pû inventer, & que sa bonté nous a pû fournir pour reussir dans ce dessein.
Cependant M. d’où vient qu’il y a si peu de sainteté dans le monde, & si peu de Saints parmi les Chrétiens, qui sont neanmoins cette nation sainte dont parle le Prince des Apôtres, gens sancta , en voicy la raison, si je ne me trompe : C’est que comme Dieu ne nous a appellés, dit S. Paul, qu’à un état de sainteté & d’innocence, non enim vocavit nos Deus in immunditiam, sed in sanctificationem . Il ne nous conduit aussi, & ne nous conserve dans cét état que par l’esprit de penitence & de mortification, qui fait mourir le vieil homme avec toutes ses passions, & qui crucifie la chair avec toutes ses concupiscences : mais comme l’homme a une aversion naturelle pour tout ce qui gene sa liberté, & qui fait violence à la nature, & que d’ailleurs il a un furieux panchant pour tout ce qui peut flater ses inclinations corrompuës, & luy donner du plaisir : que fait le demon, il se met entre deux, & prend une conduite qui contrarie les desseins de Dieu, & qui flate les passions de l’homme : & afin d’empêcher, ou de corrompre cette sainteté à laquelle nôtre profession nous oblige, il nous attire si fortement à luy par l’amorce des plaisirs de la vie, qui sont les veritables poisons de la sainteté, que Tertullien nous assure que dans la naissance de l’Eglise plusieurs furent detournés de se faire Chrétiens plutôt par la crainte de renoncer au plaisir, que de perdre la vie, plures invenias quos magis periculum voluptatis, quam vitæ avocet ab hac secta . Et comme entre tous les plaisirs du monde ceux du theatre & de la comedie ont des charmes contre lesquels on a souvent ou moins de force pour combattre, ou moins de volonté pour y resister. Voilà la raison pour laquelle on trouve aujourd’huy si peu de sainteté dans le monde, & si peu de Saints parmy les Chrétiens : en effet, M. je soûtiens aprés y avoir bien pensé, & m’en être bien convaincu, qu’il n’y a rien entre toutes les vanités du siecle & tous les plaisirs de la vie, qui soit plus propre à corrompre la pureté du christianisme, & l’innocence des mœurs des Chrétiens, que les divertissemens du theatre & de la comedie. Venons aux preuves.
Il y a eu autrefois un grand schisme entre les Philosophes touchant le sentiment qu’il falloit avoir du plaisir ; Epicure en a fait le souverain bien de l’homme ; Antistene en a fait le souverain mal ; Zenon n’en a fait ny un bien ny un mal. Ces Messieurs ont eu chacun leurs raisons, mais ce n’est point maintenant mon affaire, je remarque seulement, que les Gentils & les Chrétiens dans le commencement de l’Eglise, furent autant divisés sur le point de la volupté, que sur celuy de la religion : les Gentils admettoient toutes sortes de plaisirs : les Chrétiens n’en recevoient aucun ; ceux-là en prenoient dans tous les spectacles, dans cette pensée que, nihil obstrepere religioni, tanta solatia extrinsecus oculorum, vel aurium, nec Deum offendi oblectatione hominis , que la Religion n’étoit point deshonorée par les plaisirs des sens, ny Dieu offencé par les divertissemens des homes : mais cõme les Chrétiens avoient des cõnoissances plus épurées, ils avoient aussi des sentimens plus religieux, ils regardoiẽt tous les plaisirs des spectacles publiques cõme autant d’injures & d’outrages faits à Dieu & à la Religion ; voilà pourquoy ils s’en privoient si absolument, & avec une si grande severité de discipline, que les Payens surpris de cette austerité, existimabant Christianos expeditum morti genus, ad hanc obstinationem, abdicatione voluptatum erudiri, quo facilius vitam contemnant, amputatis quasi retinaculis ejus , se persuadoient que les Chrétiens étoient une nation toûjours preparée à la mort, & qui s’entretenoit dans la volonté obstinée de mourir, & dans le mépris qu’elle faisoit de la vie par le retranchement de toutes sortes de plaisirs, qui les pouvoient attacher au monde ; ils avoient bien raison ces genereux & ces veritables Chrétiens de renoncer à tous les plaisirs & divertissemens publiques, puisque éclairés des lumieres de la foy, & penetrés de la sainteté de leur profession, ils étoient convaincus qu’ils étoient le plus dangereux poison des bonnes mœurs, qui portoit la corruption dans tous les sens du corps, & le dereglement dans toutes les passions de l’ame.

Je crois M. que tout ce que je vais vous dire là dessus se trouvera plus fortement appuyé sur vôtre experience, que sur mes raisonnemens ; c’est pourquoy afin de vous bien representer ce qui se passe au dedans de vous-même, il faut remarquer qu’il y a cette difference entre les Anges & les hommes, en ce que les Anges étans de purs esprits dégagez de corps & de matiere, ils n’ont pas besoin de recevoir les especes sensibles des objets exterieurs pour les connoître. Mais l’homme ayant un corps materiel comme celuy des bêtes, & son ame quoy que spirituelle comme l’Ange, y étant renfermée comme une belle captive dans une prison, elle ne peut connoître toutes les choses qui sont dans le monde que par les especes sensibles qui entrent par les sens, comme par les fenêtres de la prison. Or comme il y a de bons & de mauvais objets, les organes des sens restent affectez de leurs bonnes ou de leurs mauvaises qualitez par le passage de leurs especes, & répandent en même tems dans l’esprit & dans le cœur, la bonté des uns, & la malice des autres. D’où il arrive que la mort & la vie entrent dans l’ame par les fenêtres, c’est à dire par les sens du corps. Mais ô étrange corruption de la nature, ô rigoureux châtiment du peché. L’experience nous apprend que comme les especes du vice frappent les gens d’une maniere plus douce & plus agreable, & qu’elles sont de plus fortes impressions dans l’ame que toutes les images de la vertu, ce n’est pas merveille si le cœur en est plûtôt corrompu, & si toutes les passions en sont plus promtement déreglées.

Ça, M. c’est icy où je vous appelle au pied du theatre, pour y renouveller dans vôtre esprit, non pas un souvenir criminel, mais un souvenir innocent de tous les divers objets qui y ont frappez vos sens, & de tous les divers mouvemens qui y ont agitez vôtre ame. N’est-il pas veritable que c’est dans la comedie où le monde a ramassé tous les charmes & tout l’éclat de ses autres pompes, pour ébloüir vos yeux, pour enchanter vos oreilles, & pour fasciner tous vos autres sens. N’est-ce pas là, où la decoration du theatre, la bonne grace d’un Comedien & d’une Comedienne, le luxe des habits, la nudité des bras & des gorges, la beauté des vers, la douceur de la simphonie, les concerts de voix & d’instrumens, en un mot tout ce que l’Ecriture sainte appelle, mundum muliebrem , tous les ornemens du monde feminin, ont conspirez ensemble, pour remplir vôtre veüe & vôtre oüie de mille especes lascives, pour soûlever en suite les passions de l’ame, & corrompre toutes les vertus, par les semences des vices, & par le poison du plaisir.

Je me souviens à ce propos d’avoir lû quelque chose d’assez curieux & remarquable dans les livres de la Cité de Dieu, composez par S. Augustin. Ce grand Docteur y raconte que les Stoïciens voulant tourner en ridicules les Epicuriens, & les charger de la haine publique, pour avoir voulu établir le souverain bien de l’homme dans les plaisirs du corps, avoient depeint dans un grand tableau, la volupté assise sur un trône fort élevé, donnant la loy & les ordres à toutes les vertus qui étoient prosternées à ses pieds, comme de viles esclaves toûjours disposées à luy obeïr aveuglement, virtutes famula subjiciuntur, observantes ejus nutum, ut faciant quod illa imperaverit . Et voicy en effet comme cette molle & delicate Reine, delicata Regina , l’appelle S. Augustin, se servoit de son authorité & de son empire ; elle commandoit à la prudence, ut vigilanter inquirat quomodo voluptas regnet, & salva sit , de rechercher avec soin & application tous les moyens necessaires pour rendre heureux & tranquille le regne de cette voluptueuse Princesse ; elle commandoit à la Iustice, ut nulli faciat injuriam , de ne faire tort à personne, ne offensis legibus, voluptas vivere secura non poßit , crainte que les loix étans violées, elles ne vinssent troubler son repos ; elle commandoit à la force d’éloigner de son trône & de son palais, les douleurs, la tristesse & les chagrins, ou du moins d’adoucir ses petits déplaisirs presens, par le souvenir de ses delices passées, ut per pristinarum deliciarum suarum recordationem, mitiget præsentis doloris aculeos . Enfin elle commandoit à la temperance de si bien regler tout ce qu’on luy devoit servir à table, qu’elle conserva toûjours sa santé & son embonpoint, sans être jamais, ny travaillée de la faim, ny accablée de degoût, ita virtutes cum tota sua gloria dignitate, tanquam imperiosa cuidam, & inhonesta, muliercula serviunt voluptati . Et voilà comme les vertus, avec toute leur noblesse, leur dignité, & leur gloire, obeïssent comme des esclaves à une fiere & imperieuse servante qui s’est érigée en maîtresse, & qui n’est autre que la volupté, nihil hac pictura ignominiosius , il n’y a rien de plus ignominieux que cette peinture.
Que vous en semble, M. S. Augustin ne nous auroit-il pas fait le portrait de la comedie, en nous copiant celuy que les Stoïciens avoient faits de la volupté, pour rendre la Philosophie d’Epicure odieuse. Je ne sçay pas quel jugement vous en faites ; mais pour moy j’avoüe que je n’ay rien remarqué dans ce tableau que ce qui se passe tous les jours sur le theatre. Car de bonne foy, pouvez-vous nier qu’une comedie representée sur un theatre ne soit pas veritablement cette, mollis & delicata Regina, cette Reine molle & delicate, assise sur son trône ; & pouvez-vous encore desavoüer que toutes les vertus ne soient prosternées au pied du trône de cette voluptueuse Princesse, pour en recevoir la loy, & pour obeïr à ses commandemens. Mais non, M. je me trompe, & je me suis equivoqué en donnant à la comedie tant d’illustres suivantes, & un si noble cortege que celuy des vertus. Oüy, je me suis trompé, les vertus ne se trouvent point à la comedie, on les fait toutes mourir dans le cœur, on les sacrifie toutes à son plaisir, prudence, force, justice, pudeur, innocence, vous ne vous rencontrez point à ces spectacles, ny à ces divertissemens ; la prudence ne vous y accompagne pas puisque vous choisissez le plus mauvais party : vôtre force vous a abandonné, puisque vous n’avez pû resister à l’amorce d’un dangereux plaisir ; vous y étes sans justice, puisque vous n’avez pas rendu ny à Dieu l’honneur qui luy appartient, ny à vôtre salut, le soin que vous loy devez ; vôtre pudeur est perduë, puisque vous paroissez sans rougir dans un lieu qui est appellé, veneris sacrarium , le Temple de Venus, d’où d’honnêteté est bannie. Enfin l’innocence de vos mœurs y est corrompuë par vos pechez, ou par ceux d’autruy, puisque vous étes aussi coupables des crimes que vous faites commettre aux autres, que de ceux que vous commettez vous-même. Et c’est pour cette raison que S. Irenée appelle ce spectacle du nom d’homicide & de meurtrier, homicidale spectaculum , non pas par la mort cruelle & sanglante des corps des gladiateurs, mais par la mort spirituelle & invisible des ames des spectateurs.

Helas, M. l’auriez-vous jamais crû, que dans l’état present du Christianisme, & que dans des villes bien policées on eût ouvert des écoles publiques pour y enseigner le vice, & pour y corrompre les bonnes mœurs ; comme si la nature gâtée comme elle est, jusques dans son fond, n’étoit pas une assez sçavante maîtresse pour enseigner toutes sortes de vices aux enfans ; cependant c’est ce qui se pratique tous les jours dans la comedie, où l’on enseigne non seulement l’art d’aimer, qui fit bannir autrefois un Poëte de Rome, mais encore l’art de commettre le peché avec esprit, & de conduire une intrigue avec adresse ; d’où il arrive que le poison de l’amour, aussi bien que celuy du plaisir, qu’Arnobe appelle, lenocinia voluptatum , venant à couler par les yeux & par les oreilles de ce jeune homme, & de cette jeune fille, il s’insinuera si avant dans leurs ames & dans leurs cœurs, qu’ils se rendront les veritables Acteurs de la piece, qu’ils ont vû representer par les Comediens, & feront qu’on verra dans le parterre ou dans la ville la scene de ce qui s’est joüé sur le theatre. Et par consequent si Iesus-Christ nous commande d’arracher nos yeux lors qu’ils nous scandalisent, c’est à dire lors qu’ils nous sont occasion de peché par leurs mauvais regards ? Quoy Messieurs, & mes Dames, ne devez-vous pas de deux choses l’une, ou renoncer à l’Evangile, ou vous arracher les yeux, puisque tout ce qu’ils voyent sur le theatre & à la comedie, leur est une pierre de scandale, & une occasion de peché.

Oüy, M. je l’ay dit, & je le soûtiens encore, que la comedie est une occasion prochaine au peché ; puisque par elle-même elle corrompt les sens, elle échauffe la concupiscence, & soûleve toutes les passions, l’amour, la haine, la vengeance, la cruauté, les desirs illicites, & tous les appetits déreglez s’excitent avec plaisir, parce que les objets émeuvent les puissances avec force ; & qu’une delectation morose qui est déja criminelle d’elle-même, est bientôt suivie du consentement de la volonté & de l’acte du crime. Outre qu’il est incontestable dans les principes de la pure morale Chrétienne, que tout plaisir que nous ne pouvons rapporter à la gloire de Dieu, & qui au contraire nous détourne de luy & de son service, est un plaisir criminel & defendu. Or pouvez-vous avec tout l’art & la science de bien dresser vôtre intention, rapporter le plaisir de la comedie à la gloire de Dieu ; oserez-vous luy dire, Seigneur, c’est pour l’amour de vous, à vôtre honneur & gloire, que je vais voir joüer & danser les Comediens ; en verité, M. ce seroit là faire à Dieu un beau sacrifice, il n’appartient qu’aux Payens d’en offrir de semblables à leurs Idoles & à leurs Dieux. Consultez là-dessus vos confesseurs & vos Casuistes, il y va de leurs conscience de vous dire leurs pensées, aussi bien que de la mienne de ne vous point déguiser mes sentimens ; je ne sçais pas si elle est scrupuleuse cette conscience, mais du moins il me paroit qu’elle est assez bien reglée selon la droite raison. Car, dites-moy je vous prie, voicy comme argumentoit autrefois Tertullien, contre quelques Chrétiens relâchez de son temps, s’il ne vous est pas permis de soüiller vôtre goût & vôtre ventre, en mangeant des viandes qui sont sacrifiées aux Idoles, si ventrem & gulam ab inquinamentis liberamus, quanto magis oculos, & aures ab idolothitis, & necrothitis voluptatibus abstinemus . Il nous sera encore moins permis de soüiller nos yeux, & nos oreilles en assistant à des spectacles qui sont institués pour honorer, non pas les Dieux de la gentilité, mais l’idole du monde ; car le sens du goût n’étant pas plus privilegié que celuy de la vûë & de l’oüie, il n’y a pas un moindre crime à assister aux pompes du monde, qu’à manger des idolotites, puisque l’un & l’autre est defendu, & que vous avez renoncés à tous les deux. Recordare ergo tyrocinii tui diem, disoit S. Jerôme à Heliodore, quo Christo in baptismate consepultus in sacramenti verba jurasti , souvenés-vous donc du jour de vôtre Novitiat dans le christianisme, & n’oubliés jamais que c’est dans ce bienheureux jour auquel étant ensevely avec Jesus-Christ dans le Baptême, vous avez juré un divorce eternel avec le monde, & avez prêté un serment de fidelité à Dieu.
Mais ne nous arrestons point en si beau chemin, ne dissimulons point les desordres de la comedie, & ne l’épargnons point, puis qu’elle n’épargne rien, & qu’elle porte la corruption dans les puissances de l’ame, aussi bien que dans les sens du corps ; n’est-t-il pas veritable que l’esprit s’y remplit des foles & dangereuses idées de tout ce que l’on a vû & oüy, & que ces idées que S. Augustin appelle simulachra vitiorum , les images des vices, étans agreables au goût du siecle, elles banissent toutes les pensées de salut & de penitence, qui sont facheuses à la chair & au sang. N’est-t-il pas veritable que l’imagination s’imprime de mille phantômes impurs, qui passans continuellement comme en reveuë, vous font des spectacles secrets & invisibles, qui attachent vôtre cœur, & qui blessent vôtre conscience ? N’est-il pas veritable enfin que vôtre volonté se trouve comme abandonnée au pillage de mille appetits dereglés, & de mille desirs illicites, qui comme autant de tyrans domestiques, ne luy laissent plus la liberté de se donner à Dieu, ny la force de rompre ses fers, ny le courage de renoncer au monde ; en sorte que tel qui a été à la comedie chaste, devot, penitent, en revient impenitent, indevot, & impudique : témoin Seneque qui parlant de luy-même a fait cette confession sincere que, redeo crudelior , que quoy que mon humeur ne soit point portée au sang & au carnage, disoit-il, je n’assiste neanmoins jamais au combat des Gladiateurs, que je ne sorte de l’amphiteatre plus cruel & plus inhumain que je n’y suis entré, parce que mes yeux venant insensiblement à apprivoiser mon esprit aux meurtres & au carnage, il n’a plus tant d’honneur de ces spectacles sanglans.
Si le témoignage d’un Payen vous est suspect, celuy d’un illustre Chrétien vous sera peut-estre venerable, c’est celuy du bon amy de S. Augustin, confident de ses debauches & de son libertinage, mais ensuite compagnon de sa penitence, & de sa conversion : Ce grand Docteur raconte luy-même cette avanture, & dit que cét amy étant allé à Rome pour étudier au Droit, il fut un jour meiné & traîné comme par force au spectacle du combat des Gladiateurs, recusantem vehementer, & resistentem familiari violentiâ, duxerunt in amphitheatrum . Le voilà donc dans l’amphitheatre en depit de luy, & malgré toutes ses resistances, car disoit-il à ses amis, vous pouvés m’y retenir de corps, mais vous ne serés pas les maîtres pour y retenir mon esprit, & pour me faire ouvrir les yeux, adero itaque absens, & sic, & vos, & illa superabo , j’y assisteray donc puisque vous m’y forcés, mais j’y seray comme absent, car je n’y appliqueray ny mes regards, ny mes pensées, & par cét innocent artifice, je triompheray en même tems & du plaisir de ce spectacle, & de l’injustice de vôtre amitié. Peut-on aller à la comedie avec de plus saintes dispositions qu’Alipius alla à l’amphitheatre ; cependant muny de tous ces bons propos, armé de tout son courage, & assisté de toute sa vertu, l’amphitheatre ayant retenty en un moment par un grand éclat de voix qui se fit par la chute d’un des Gladiateurs, que fit nôtre brave Athlete, nôtre intrepide Alipius : helas ! il ne fut plus ce même Alipius, il ne fut pas le maître de ses yeux, ny de sa curiosité, spectavit, clamavit, exarsit , il regarda, il cria, & s’emporta comme tous les autres ; audax potius, quam fortis animus , marque qu’il y avoit eu plus de presomption dans son bon propos, que de confiance en Dieu, & que de force dans son esprit ; mais quel grand mal pour le pauvre Alipius d’avoir regardé le Gladiateur vaincu, & d’avoir applaudi au vainqueur, le voicy ; c’est dit S. Augustin, que percussus est graviore vulnere in anima, quam ille in corpore , la blessure qu’Alipius receut dans l’ame, fut plus mortelle que celle que le Gladiateur receut dans le corps. Allez aprés cela Chrétiens temeraires qui faites les esprits forts, dire que les spectacles publiques ne font point de mauvaises impressions dans vos cœurs ; pour moy j’estime que la comedie est un spectacle plus dangereux que celuy des Gladiateurs, le sang qui se répandoit dans celuy-cy n’étoit propre qu’à donner de l’horreur ; mais le poison qu’on avale en celle-là, n’est propre qu’à donner la mort avec le plaisir : Car helas ! in omni spectaculo nullum majus scandalum occurret quam ille ipse mulierum & virorum accuratior cultus , on ne verra point de plus grand scandale dans tous ces spectacles que cette mutuelle emulation des hommes & des femmes, pour y paroître parés, habillez, frisez & fardés avec un air aussi pompeux, lascif & effeminé, que les Comediens & les Comediennes, & cela ne se fait pas innocemment.
Mais c’est assez entendre Saint Augustin parler des autres, écoutons, je vous prie, ce qu’il a à nous dire de luy-même à ce propos ; rien de plus touchant, M. rien de plus fort que ce qu’un cœur contrit & humilié a fait dire à ce grand Penitent, à ce grand Docteur, à ce grand Evêque & à ce grand Saint ; & je crois qu’il n’y a ny Saint, ny Evêque, ny Docteur, ny Penitent qui n’entre dans ses sentimens, ou qui ose dire le contraire, rapiebant me spectacula theatrica plena imaginibus miseriarum mearum, & fomitibus ignis mei . C’est la confession qu’il fait de ce qui se passoit dans son interieur, par rapport à ce qui se passoit sur le theatre : helas ! je me laissois entraîner au plaisir des spectacles publiques, parce que je voyois le theatre toûjours rempli des images de mes secrettes miseres, & toûjours embrasé des feux de mon amour lascif. Cét illustre Penitent ne parloit point là à mon sens, des spectacles sanglans, dans lesquels un gladiateur, ou un lyon étoit la victime sacrifiée au divertissement du peuple, la mort ny le carnage ne faisoit point le plaisir d’Augustin, son cœur étoit occupé d’une passion plus douce & plus tendre, amare & amari mihi dulce erat , non dit-il, rien ne me paroissoit plus doux dans la vie, que d’aimer & d’estre aimé ; & c’est pour cela, ajoûte-t-il, que tunc in theatricis congaudebam amantibus  ; je me réjoüissois avec ces heureux & fortunés amans de theatre & de comedie, cum sese fruebantur per flagitia , sur tout lors qu’ils pouvoient acheter au prix de plusieurs crimes, le fruit de leur amour ; quamvis hæc imaginarie gererentur in ludo spectaculi , je ne laissois pas de gouter un veritable plaisir dans ces avantures imaginaires. Je crois M. que si vous faites une serieuse reflexion sur ces paroles de S. Augustin, vous jugerés qu’en nous décrivant les pieces qu’on joüoit de son tems sur le theatre, il nous a fait le portrait des comedies qui se joüent dans le nôtre ; & vous confesserés aussi que les mouvemens dereglés qu’il sentoit dans son cœur à la vuë de ces spectacles, ce sont les mêmes que vous ressentés encore dans les vôtres à la representation d’une comedie.
Cependant cét homme de qualité se feroit un crime contre l’honnesteté de n’y pas mener cette Dame, & cette Dame se feroit un plus grand scrupule d’honneur que de conscience, de refuser la civilité du galant-homme, & de se refuser à elle-même ce plaisir, ils y vont donc de compagnie, & en traînent plusieurs à leur imitation : d’où il arrive que cét exemple forme une espece de loy dans une ville, l’Artisan & le Bourgeois y voudront aller aussi bien que le Gentilhomme & le Magistrat, & alors on verra dans tous les quartiers, & dans toutes les assemblées, ce qu’a prevû, & predit S. Cyprien, fiunt & miseris religiosa delicta, & cœpit licitum esse quod publicum est , les crimes sont consacrés par les exemples des grands, ils deviennent religieux & venerables aux peuples, quand ils sont commis par des personnes distinguées par leur naissance, & par leur condition, & vous diriés qu’une chose est devenuë permise, si-tôt qu’elle s’est renduë publique : c’est pour cela que la sale de la comedie est toûjours remplie de monde, pendant que nos Eglises sont desertes, & ressemblent à des solitudes, & que le Comedien verra plus d’auditeurs au pied de son theatre, que tous les Predicateurs aux pieds de leurs chaires. Ainsi le service divin est abandonné, la Religion est deshonorée, les Sacremens sont profanés, il faut que Dieu sorte d’une ville, si-tôt que les Comediens y seront entrés, & il faudra desormais fermer toutes les Eglises où l’on celebre nos mysteres, & toutes les écoles où on enseigne la vertu, sitôt qu’on ouvrira la sale de la comedie, parce qu’elle est, privatum consistorium impudicitiæ , le serrail privé où l’on donne des leçons du crime, & la Synagogue du diable où on celebre des mysteres d’iniquité. Car n’est-il pas veritable que tandis qu’un Comedien, ou qu’une Comedienne exprime sur son visage, dans ses yeux, dans son geste, dans sa parole & dans sa voix, une passion feinte, d’amour ou de colere, il en fait naître de veritables dans l’ame de ses auditeurs, parce que la presence des objets a la force de les émouvoir dans les cœurs les plus tranquiles, & dans les esprits moins emportez. D’où vient que lactance appelle ces divertissemens du theatre, maxima vitiorum irritamenta , les amorces du peché.
Ah ! Chrétiens, où est donc l’honneur du Christianisme ? quoy, faut-il que je vous appelle à l’école des Payens pour vous y faire des leçons de vertu & de sagesse. Ne sçavons-nous pas qu’un Philosophe repudia autrefois sa femme pour avoir assisté un jour à un spectacle publique, comme si elle y eût perdu l’honneur & violé la fidelité ; & les Empereurs même ont permis le divorce pour une pareille cause ; ce fut pour ce même sujet qu’Octave Auguste defendit aux femmes d’y assister ; & l’un des Scipions fit une si puissante harangue dans le Senat contre ces spectacles publiques, qu’il fit abbatre & ruiner theatres, amphitheatres, cirques & arennes, & tous les autres lieux destinez à ces infames divertissemens. Et un autheur remarque qu’il se fit un jour une grande conjuration pour assassiner l’Empereur Galien, & voicy la raison qu’il donne de cet attentat, ne diutius theatro, & circo addicta Respublica, per voluptatum deperiret illecebras  ; crainte que la Republique qui avoit déja beaucoup perdu de sa vigueur sous le regne de ce Prince voluptueux par les divertissemens du theatre & du cirque, n’acheva de se perdre tout à fait dans la mollesse & dans la volupté. Enfin Platon au rapport de saint Augustin chassa les Poëtes de sa Republique, comme les corrupteurs de la jeunesse, & les ennemis de l’honnêteté, tanquam adversarios civitatis Poëtas as censuit urbe pellendas .
Voilà, M. les exemples que les Payens nous ont donnez ; voilà les leçons de pieté & de religion qu’ils nous ont laissez ; jugez aprés cela si je n’ay pas sujet de m’emporter avec Tertullien, & de m’en prendre à toutes les puissances de la terre comme il a fait, voyant la comedie tolerée dans le monde au prejudice de la religion. Erubescat Senatus, erubescant ordines omnes , dit-il, que le Senat rougisse de ce qu’il ne retranche pas ce desordre par la severité de ses Arrests ; que tous les ordres du Royaume rougissent de ce qu’ils ne s’y opposent pas pour l’interest de l’Etat, & pour le bien de l’Eglise ; Que le Clergé, que les Prêtres, les Confesseurs, que les Predicateurs, erubescat ; rougissent d’authoriser une telle licence par leur complaisance, ou par leur lâcheté ; Que la noblesse rougisse, erubescant, de quiter les exercices, où l’honneur & la naissance les appellent pour venir au pied d’un theatre applaudir à un Comedien, ou badiner avec une coquette. Que les Dames rougissent, erubescant, de renoncer à l’honneur & à la modestie de leur sexe, & de venir dans une Sale que S. Cyprien appelle, publici pudoris lupanarium , le lieu de la pudeur prostituée ; que tous les Chrétiens rougissent, erubescant, de donner vingt & trente sols pour assister à une comedie, & de refuser cinq sols aux pauvres pour racheter leurs pechez. Enfin, erubescant ordines omnes, que tous ceux qui font profession de pieté & de Christianisme, rougissent de ce que des yeux qui ne devroient contempler que le Ciel, ou pleurer leurs crimes, s’ouvrent pour contempler de foles & dangereuses representations, qui leur font commettre de nouveaux crimes. De ce que des oreilles sont attentives trois ou quatre heures à entendre des vers empoisonnez, & cependant elles se lassent d’entendre pendant une heure la parole de Dieu ; de ce que des bouches qui ont été teintes du Sang de Iesus-Christ par le Sacrement de l’Eucharistie, sont profanées à applaudir à des crimes commis avec adresse, & representez avec esprit, de ce qu’un tems qui est si precieux, & qui nous est donné pour être employé au salut & à la penitence, est miserablement perdu dans des divertissemens criminels. Ah, M. que ces sortes de divertissemens doivent être odieux à une ame bien pure, bien chaste & bien Chrétienne ? Quoy, donc ? sommes-nous retournez dans les abominations du Paganisme & dans les siecles de la gentilité. Quoy ? Jesus-Christ n’a-t-il pas encore publié son Evangile dans le monde ; & les Apôtres n’ont-ils pas encore banny la superstition & l’idolatrie de tout l’Univers. Quoy ? faut-il pour divertir desormais les Chrétiens, qu’on rebatisse les Cirques & les Amphitheatres, qu’on rétablisse les jeux olympiques, & qu’on recommence les combats des Gladiateurs ? Ah ! non, Chrétiens, l’Eglise nous propose bien d’autres spectacles à voir : car aprés tout, s’il faut des spectacles pour vous divertir, elle vous en offre de toutes les manieres. Si vous voulez des spectacles de terreur, considerez l’horreur du dernier Iugement, & voyez-y tous ces Poëtes avec tous leurs Heros, non ad Radamanti aut ad Minois sed ad Christi tribunal palpitantes , tous pâles & fremissans de crainte, non pas devant le tribunal de Minos, ou de Radamante, mais devant celuy de Jesus-Christ, Juge souverain, & inflexible des vivans & des morts ; autre spectacle de terreur, décendez en esprit dans les Enfers, & contemplez-y, Reges qui in cœlum recepti nuntiabantur cum ipso jove, præsides, & persecutores dominici nominis, sapientes Philosophos cum discipulis suis una conflagrantibus congemiscentes, liquescentes, erubescentes . Ces Rois qui avoient été mis au rang des dieux, ces tyrans qui ont persecutez si cruellement l’Eglise, & tous ces sages de l’antiquité qui se sont attirez tant d’admirateurs & de disciples ; oüy, considerez-les ensevelis dans des flâmes, pleurans, gemissans, & brûlans sans esperance de voir jamais finir leur supplice, ny éteindre le feu. Voulez-vous des spectacles de pompe & de gloire, considerez l’état de l’Eglise triomphante, les chœurs des Anges, la joye des Saints enyvrez d’un torrent de delices & de voluptez eternelles. Quæ illa exultatio Angelorum, quæ gloria resurgentium sanctorum, quale regnum justorum, qualis civitas nova Ierusalem. Voulez-vous des spectacles de pieté & de devotion, considerez les ceremonies de l’Eglise, la majesté de l’Office divin, la sainteté de nos sacrifices, la vertu de nos Sacremens, la revelation de la verité, la condamnation des heresies, & le pardon des pechez, quid jocundius quam revelatio veritatis, quam errorum recognitio, quam tantorum retro criminum venia . Enfin, qua major voluptas quam fastidium ipsius voluptatis quam vera libertas, quam conscientia integra  ; quel plus grand plaisir que le mépris du plaisir, que la veritable liberté, & que la pureté de la conscience.

Voulez-vous des spectacles tragiques, meditez la mort des Martyrs, & toute l’histoire de la Passion de Iesus-Christ, qui est la plus sanglante & la plus sainte tragedie du Christianisme. Voulez-vous voir les combats, les victoires, & les triomphes des vertus sur les vices, entrez dans les Seminaires des Ecclesiastiques & dans les Cloîtres des Religieux, & aspice impudicitiam dejectam à castitate, perfidiam casam à fide, sævitiam à misericordia contusam , c’est là où vous verrez avec une extrême consolation, la luxure domtée par la chasteté, la perfidie abbatuë par la bonne foy, la cruauté vaincuë par la misericorde, & la vengeance étouffée par le pardon des ennemies. Hæ voluptates, hæc spectacula Christianorum sancta, perpetua, gratuita , voilà les innocentes voluptez & les agreables spectacles des Chrétiens, mais spectacles saints, perpetuels, & libres ; Saints, puisque la sainteté s’y perfectionne, & que la vertu s’y purifie ; perpetuels, puis que la scene est par tout, & que par tout on y voit de rares exemples de piété & de religion ; libres, puisque les portes des Eglises sont toûjours ouvertes, que l’entrée n’est point venale, & qu’il est permis à tout le monde d’assister à la celebration de ses mysteres, sans donner ny or ny argent. Aprés cela que Monsieur alle à la comedie, que Madame y coure, que toutes les puissances de la terre & de l’enfer me sollicitent pour m’y attirer ; non, dira une ame veritablement Chrétienne, malo voluptate periclitari, quam salute , j’ayme mieux renoncer à mon plaisir, que d’hazarder mon salut ; & pour m’affermir dans ma resolution, je renouvelle le grand abrenuntio que j’ay dit dans mon Baptême contre les pompes du monde, & contre les œuvres de Satan, & je le prononce contre le bal & la comedie, puisque la sainteté de la Religion y est deshonorée, que les vœux du Baptême y sont violez, & que l’innocence des mœurs y est corrompuë : Mais ce ne peut être ô Seigneur qu’un ouvrage de vôtre amour, de nous faire jurer un divorce eternel avec ce plaisir enchanté, afin que nos cœurs soient mieux disposez à goûter les chastes plaisirs & les ineffables delices que vous preparez dans le Ciel, à ceux qui vous auront aymez & servis fidelement sur la terre. Amen.