(1752) Lettre à Racine « Lettre à Racine —  LETTRE. De Racine à Despréaux, » pp. 83-84
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(1752) Lettre à Racine « Lettre à Racine —  LETTRE. De Racine à Despréaux, » pp. 83-84

LETTRE
De Racine à Despréaux,

A Fontainebleau le 12 Octobre.

Je suis très-obligé, Monsieur, au Révérend Père Bouhours de toutes les honnêtetés qu’il vous a prié de me faire de sa part & de la part de sa Compagnie. Je n’avois pas encore oui parler de la Harangue de leur Régent de troisiéme, & comme ma conscience ne me reprochoit rien à l’égard des Jésuites, je vous avoue que j’ai été un peu surpris d’apprendre par votre Lettre, qu’on m’eût déclaré la guerre chez eux. Vraisemblablement ce bon Régent est du nombre de ceux qui m’ont très-faussement attribué la traduction Françoise du Santolius Pœnitens, & il s’est crû engagé d’honneur à me rendre injures pour injures. Si j’étois capable de lui vouloir quelque mal, & de me réjouir de la forte réprimande que le Père Bouhours dit qu’on lui a faite, ce seroit sans doute pour m’avoir soupçonné d’être l’Auteur d’un pareil Ouvrage. Car pour ce qui est de mes Tragédies, je les abandonne très volontiers à sa critique. Il y a long-tems que Dieu me fait la grace d’être assez peu sensible au bien & au mal qu’on en peut dire, & de ne me mettre en peine que du compte que j’aurai à lui en rendre quelque jour. Ainsi, Monsieur, vous pouvez assurer le Père Bouhours & tous les Jésuites de votre connoissance que bien loin d’être fâché contre ce Régent, qui a tant déclamé contre mes Pièces de Théatre, peu s’en faut que je ne le remercie & d’avoir enseigné une si bonne morale dans leur Collége, & d’avoir donné lieu à sa Compagnie de marquer tant de chaleur pour mes intérêts, & qu’enfin quand l’offense qu’il m’a voulu faire seroit plus grande, je l’oublierois avec la même facilité, en considération de tant d’autres Jésuites dont j’honore le mérite, & sur-tout du révérend Père de la Chaise qui me témoigne tous les jours mille bontés, & à qui je sacrifierois bien d’autres injures. Je vous supplie de croire, Monsieur, que personne n’est plus sincèrement à vous que votre très-humble & très-obéissant serviteur, Racine.