(1752) Lettre à Racine « Lettre à Racine —  AVERTISSEMENT DE. L’ÉDITEUR. » pp. -
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(1752) Lettre à Racine « Lettre à Racine —  AVERTISSEMENT DE. L’ÉDITEUR. » pp. -

AVERTISSEMENT DE
L’ÉDITEUR.

Tout ce qui est sorti de la plume d’un Ecrivain estimé est assuré d’être accueilli du Public. La Lettre qu’on publie aujourd’hui parut pour la première fois en 1752, & fut reçue avec un applaudissement général. Les Auteurs du Journal des Savans, après avoir rendu justice aux Observations neuves, ingénieuses & hardies que M. de Pompignan y présente sur le caractère de Racine, finissoient leur Extrait, en disant : Nous ne suivrons pas M. L* F* dans toutes ses réflexions ; mais nous avertirons nos Lecteurs qu’ils y trouveront les talens & les lumières d’un homme qu’on crut destiné à devenir le Rival de Corneille & de Racine. 1

Le Continuateur du Dictionnaire de Bayle en a aussi senti le prix ; car le fond de cette Lettre lui a servi pour composer l’article Racine. Il en rapporte plusieurs morceaux, ne la cite jamais que pour adopter les sentimens de l’Auteur ; & lorsqu’il en vient aux différens parallèles qu’on a faits de Corneille & de Racine, il ajoute : bien des gens trouveront que personne n’a mieux touché au but dans cette question que M. le Franc. 2

Les louanges qu’elle a reçues n’ont pas été bornées à celles des Ecrivains que nous venons de citer. Plusieurs autres en ont parlé avec les mêmes éloges. Mais rien ne prouve mieux son mérite réel, indépendamment des Editions multipliées qui en ont été faites, que l’empressement qu’on témoigne depuis long-tems d’en voir paroître une nouvelle. Celle qu’on publie a été revue par l’Auteur. C’est sur-tout dans ce moment que ce petit Ouvrage peut être utile, pour fixer les idées de la plûpart de nos Littérateurs. On s’épuise depuis si long-tems à parler de Corneille & de Racine, on débite sur cette matière tant de paradoxes outrés, on s’écarte si fort de la vérité par enthousiasme ou par esprit de contradiction, que c’est rendre un vrai service au Public, que de lui remettre sous les yeux ce qui a paru de plus sagement pensé & de mieux écrit sur les productions & sur le génie de chacun de ces deux Poëtes.

Ceux qui savent apprécier l’heureux accord des talens Littéraires & des sentimens de sagesse & de retenue que la Religion & la vraie philosophie inspirent, verront avec plaisir cet illustre Ecrivain, autrefois néanmoins si injustement outragé, traiter avec autant de goût & de lumière, que d’aisance & de précision, les Principes de l’art dramatique, & les resserrer dans les justes bornes de la décence & de l’utilité. M. de Pompignan, après avoir exposé les vices de notre Théatre actuel, donne des règles sûres pour l’enrichir par des beautés solides, & en écarter tout ce qui peut blesser la foi ou les mœurs. De-là il passe aux Pièces de Racine, & sa plume, conduite par le discernement & l’équité, en relève les défauts avec justesse & en fait sentir les beautés avec intérêt. Par-tout il annonce l’esprit observateur, le Littérateur instruit, l’Ecrivain éloquent, l’ame honnête.

Toutes ces qualités supérieurement réunies dans ses autres Ouvrages sont bien propres à faire desirer qu’il en veuille donner la Collection complette. Il s’est exercé sur tant de genres différens, ses Ecrits offrent une Littérature si étendue, si saine, si variée, que ce Recueil sera regardé comme un des plus utiles & des plus intéressans. Ce desir est d’autant mieux fondé, qu’il est plus nécessaire d’opposer de bons modèles à la dépravation de la Littérature, qui s’accroît tous les jours.

On a joint à cette Lettre une Pièce de Vers du même Auteur, composée lorsqu’il n’avoit que dix-neuf ans. Comme Racine en est l’objet, elle trouve ici naturellement sa place.

On a inséré à la suite de ces Vers trois Lettres de Racine, non encore imprimées, & copiées d’après les originaux, qui sont entre nos mains. Les deux premières furent écrites au P. Bouhours, Jésuite, & l’autre à Despréaux, à l’occasion d’un Discours prononcé au Collége de Louis le Grand par un jeune Professeur de troisième, qui s’étoit proposé sérieusement d’examiner cette question, Racinius an Poëta ? an Christianus ? Ces Lettres feront connoître à la fois & la Religion de ce grand Poëte & la noblesse de ses Sentimens, exemple qu’on ne sauroit trop proposer dans le siècle où nous sommes.