REMARQUES
SUR LE TRAITÉ
CONTRE LES SPECTACLES.
Un chrétien, c’est-à-dire un homme qui doit se tenir toujours prêt à mourir, etc. «
Christianum expeditum mortis genus, etc.» Tertullien fait apparemment allusion au triste état où se trouvaient les chrétiens dans le temps des persécutions : on les regardait comme des victimes dévouées à la mort. Ceux qui savent combien Tertullien est obscur, me pardonneront la liberté que j’ai prise de paraphraser un peu cet endroit, pour le rendre plus clair. Je n’ai pas entièrement suivi ce que dit Pamélius dans l’argument de ce livre ; parce qu’il n’est pas vraisemblable que les gentils proposassent jamais à un chrétien la comédie, ou les autres spectacles ; comme un moyen propre pour s’instruire à braver la mort.
Notre âme n’a point été unie à notre
corps pour être, etc. L’Auteur s’exprime ainsi en latin ; «
aut spiritus ideo insitus corpori, ut, etc.» Outre que le terme entée [insitus] ne paraît pas assez noble, et que celui d’unie est plus propre, j’ai cru que je devais faire parler Tertullien en bon catholique. On sait que quelques Pères l’ont accusé de croire que les âmes n’étaient pas créées de nouveau, mais qu’elles venaient par voie de génération : ex traduce.
Dans les amphithéâtres il y a des voies. Pour bien entendre ce que dit ici Tertullien, il faudrait savoir quelle était la figure des anciens amphithéâtres. Vitruve, Juste-Lipse, Rosin, et d’autres en ont fait de longues descriptions. La forme en était ronde, et plus ordinairement ovale. Le fond qu’on appelait aussi arène, était une grande place où combattaient les gladiateurs. Cette place était entourée d’une galerie ou plate-forme, qu’on nommait l’orchestre ; c’est là qu’étaient assis les sénateurs, et les autres principaux magistrats. Au-dessus de l’orchestre régnaient également tout
autour plusieurs galeries, qui s’élevaient les unes sur les autres, comme un amas continu d’étages. Ces étages étaient coupés en quelques endroits par des escaliers pour la commodité du passage des spectateurs ; et comme ces escaliers tendaient droit au centre de l'amphithéâtre, ils donnaient une forme de coin à ce grand amas d’étages dont nous venons de parler, et que les anciens appelaient cunei spectaculorum. Ce que notre auteur nomme donc voies, étaient les escaliers différents, et ces larges espaces qui régnaient tout autour au pied d’un certain nombre de degrés. Vitruve les appelle aussi chemins itinera.
Les jeux luperciens. Une jeunesse folle célébrait ces jeux vers la fin du mois de Février à l’honneur du dieu Pan ; en courant par la ville d’une manière immodeste, et insolente. Les folies du carnaval parmi les chrétiens ont malheureusement succédé aux fêtes lupercales des païens. Quel affront à la sainteté de notre religion !
Il reste… près des premières limites.
Ces limites étaient certains poteaux semblables à de petites pyramides. Il y en avait de deux sortes dans le cirque ; les premières, qu’on appelait aussi Murtiènes, étaient tout proche des barrières d’où partaient les gladiateurs, et les cavaliers ; les autres étaient à l’extrémité du cirque.
Le 21. du mois d’Août. Suivant Plutarque c’était le 18 jour, auquel arriva le rapt des Sabines. Le Calendrier Romain s’accorde néanmoins avec Tertullien.
Ceux qu’on appelle Mégaliens, Apollinaires, etc. Les jeux Mégaliens où l’on représentait des comédies, comme il paraît dans Térence, étaient consacrés à Cybèle, que les poètes nomment la grand-mère des dieux, et en grec Μεγάλη. Les Apollinaires dédiés à Apollon se célébraient dans le cirque ; de même que les Céreaux, consacrés à Cérès. Politien prétend que les jeux Céreaux, et les grands jeux du cirque étaient les mêmes. Rosin, Boulanger, et Lacerda prétendent le contraire. Les Neptunales se célébraient aussi dans le cirque en l’honneur
de Neptune. Les Latiares étaient dédiés à Jupiter, et les Floreaux à Flore. Dans ces derniers, on représentait des comédies de la dernière indécence, comme je le dirai plus bas.
A quelque chose de plus pompeux. Rien de plus superbe, et de plus magnifique que la pompe du cirque. Ce qu’en dit ici Tertullien ne détruit point ce qu’en rapportent les historiens profanes.
Le cirque est principalement consacré au soleil. Il y avait plus d’un cirque à Rome. L’auteur parle ici du plus grand de tous ; lequel avait été bâti par Tarquinius Priscus du coté du Mont Aventin : Il fut ensuite considérablement augmenté par les empereurs Romains. On dit que la longueur de ce cirque était de trois stades et demi ; et que la largeur était moindre d’environ un quart ; ce qui ferait 1981. pieds de roi en longueur, donnant à chaque stade 566. pieds de roi mesure de France ; et environ 1486. en largeur. On ajoute qu’il pouvait contenir cent cinquante mille hommes. Voyez Boulanger, Rosin, etc.
Ici l’on voit des figures ovales… là on découvre des dauphins. Mr. Fleuri dans son Histoire Ecclésiastique faisant l’analyse du traité des spectacles de Tertullien, suppose que cet auteur parle de ce qu’il n’avait peut-être jamais vu. «
Tertullien, dit-il, montre l’origine de chaque espèce de jeux ; et parlant de ceux du cirque en particulier, il fait entendre qu’il n’était pas à Rome, et peut-être qu’il n’y avait jamais été.» J’ai peine à croire que ceux qui liront avec attention cet endroit de Tertullien, tirent la même conséquence. La description du cirque est trop claire et trop détaillée, pour ne pas l’attribuer à un homme qui écrit ce qu’il voit, ou du moins ce qu’il a vu.
Le superbe, et prodigieux obélisque. Il avait, suivant le témoignage de Pline 125. pieds et trois quarts de hauteur, sans y comprendre la base. Il y en avait d’autres moindres ; comme on peut le voir dans Kirker qui a composé un grand ouvrage sur ces hautes colonnes pyramidales, que l’on nommait obélisques.
Erichtonius fruit abominable. L’expression latine m’a paru trop forte pour la rendre mot à mot en français : elle aurait certainement choqué les oreilles chastes.
Le rouge fut consacré, etc. Il est souvent fait mention de ces quatre couleurs du cirque dans plusieurs auteurs.
Le désignateur, et l’auspice. Le désignateur dont Tertullien parle ici, est celui qui avait soin d’assigner à chacun sa place. Il y avait aussi des désignateurs dans les pompes funèbres. L’Auspice est celui qui considérait les entrailles des victimes, pour en tirer des présages.
Pompée le Grand, etc. En latin, «
Pompeïus magnus solo theatro suo minor». Pensée forte. Tertullien dit en un autre endroit quelque chose de semblable, en parlant d’Alexandre : «
Magnum regem sola sua gloria minorem.»
Ayant invité… à cette dédicace. Pline dit que cette seconde dédicace se fit sous le second consulat de Pompée. On y fit combattre les esclaves contre vingt éléphants en l’honneur
de Vénus la victorieuse. Si l’on veut savoir quelle était la disposition des anciens théâtres, on peut lire les notes de Perrault sur Vitruve.
Dans les tombeaux, et dans les statues des morts. Il ne faut pas s’imaginer que Tertullien condamne ici les devoirs qu’on rend aux défunts suivant la sainte, et constante pratique de l’Eglise ; puisqu’il veut qu’on fasse des prières et des oblations pour eux, ainsi qu’il le déclare ailleurs : de coronat. milit. c. 3. de Monogam : c. 10. et exhort. ad castit. c. 11. Il ne désapprouve ici que les vaines superstitions, dont les funérailles des païens étaient accompagnées, et leurs folles apothéoses.
Le préteur est trop lent à venir. Le préteur avait deux emplois dans le cirque ; 1°. de remuer les sorts pour tirer les noms de ceux qui devaient combattre ; 2°. d’envoyer le linge ou la serviette qui servait de signal pour commencer le combat.
Il a, dit-on, envoyé la serviette. Cette coutume vient, selon Cassiodore, de ce qu’un jour comme Néron demeurait
longtemps à table, et que le peuple demandait avec empressement, que l’on commençât les jeux, cet empereur fit jeter sa serviette par la fenêtre pour signal, qu’on pouvait commencer. D’autres prétendent que cette coutume est plus ancienne ; et que les magistrats eux-mêmes, qui étaient à l’orchestre, faisaient paraître de là quelque espèce de mouchoir pour faire commencer le combat. Martial et Juvenal semblent appuyer ce dernier sentiment.
Par l’aide des habits des femmes : per mulieres. Quoique l’auteur s’exprime d’une manière un peu obscure, je crois néanmoins qu’il parle ici contre les comédiens qui s’habillaient en femmes ; car il parle un peu plus bas des femmes, qui paraissaient elles-mêmes sur le théâtre.
Elles rougissent une fois l’an. On ne sait pas bien quel était ce jour de modestie, et de pudeur. Le Jésuite Lacerda prétend que l’unique fois, où ces malheureuses prostituées rougissaient, comme parle Tertullien, c’était à la fête de Flore, parce que,
dit-il, les jeux Floreaux ne se célébraient qu’une fois l’an, savoir le 28 d’Avril. Cependant Lactance nous donne une idée bien différente de ces jeux : il assure qu’on les célébrait d’une manière tout à fait scandaleuse. Voici ses paroles. «
Celebrantur ergo illi ludi [florales] cum omni lascivia convenientes memoriæ meretricis. Nam præter verborum licentiam, quibus obscœnitas omnis effunditur, exuuntur etiam vestibus populo flagitante meretrices, quæ tunc mimorum funguntur officio ; et in conspectu populi usque ad satietatem impudicorum luminum cum pudendis motibus detinentur.» Voyez aussi comment S. Augustin foudroie ces jeux dans son Epître 202. et ce que Sénèque dans son Epître 47. rapporte de la modestie de Caton ; lequel s’apercevant que sa présence empêchait le peuple de demander le spectacle de ces infâmes nudités, se retira pour ne point troubler la fête.
Des hommes qu’on engraisse pour la boucherie. L’auteur dit en latin, altiles homines. C’est une figure prise de la volaille qu’on engraisse exprès pour manger.
Si nous sommes tels qu’on nous fait passer. Tertullien fait ici allusion à ce qu’il dit dans un endroit de son apologétique. Les chrétiens étaient accusés d’une cruelle inhumanité ; savoir, d’égorger dans leurs sacrifices un petit enfant, et de se nourrir ensuite de sa chair : «
Dicimur sceleratissimi de sacramento infanticidii, et pabulo inde». On voit assez combien l’accusation était injuste ; et que les gentils comprenaient très mal ce qu’ils entendaient dire du sacrement de l’eucharistie.
Hors des loges, hors des portiques. C’est ainsi que j’ai cru pouvoir traduire les deux mots latins, cameras, apulias. Les interprètes ne sont pas tous d’accord sur ce dernier terme : j’ai suivi Pamélius.
Celui qui veut qu’on expose un assassin aux lions. C’est endroit est difficile ; peut-être manque-t-il quelque chose dans le latin.
Couvert d’un vêtement aussi bigarré, etc. Etrange licence ! non seulement il était permis à certaines femmes de sacrifier leur honneur ; il se trouvait encore des hommes assez impudents
pour faire le métier infâme d’exposer en vente, si j’ose parler ainsi, la pudeur de ces malheureuses. Pour être reconnus ils portaient des habits bigarrés de différentes couleurs.
Ce comédien qui se fait raser. On voit par ce reproche de Tertullien, que c’était une chose ridicule de son temps, que de se faire faire la barbe ; ce qui n’appartenait qu’à des comédiens, ou à des efféminés. Il n’est peut-être aucune mode, qui ait tant varié que celle de la longue barbe, et des longs cheveux ; même parmi les ecclésiastiques. Pourquoi cela ?
Aux airs efféminés de quelque opéra. Comme ce terme est fort connu, et qu’il exprime bien la chose dont parle l’auteur, j’ai cru qu’il me serait permis de rendre ainsi la phrase latine ; «
inter effœminationis modos».
Dont vous avez répondu Amen pendant le sacrifice. Il me souvient d’avoir lu que les premiers chrétiens répondaient amen à la fin de ces paroles corpus domini nostri, etc. que le Prêtre dit avant que de donner la communion ; et c’est apparemment à cette coutume
que Tertullien fait allusion. Ils répondaient de même amen après les paroles de la consécration ; comme il se pratique encore aujourd’hui chez les Grecs. Pamélius fait tomber ce reproche de Tertullien, non sur les laïques, mais sur certains prêtres qui n’avaient pas honte d’assister aux spectacles. Les paroles latines de notre auteur semblent favoriser ce sentiment : «
Ex ore quo Amen in sanctum protuleris, gladiatori testimonium reddere.» Je doute pourtant que les prêtres de ce temps-là fussent assez effrontés pour causer un si énorme scandale.
Qu’il vive à jamais. L’auteur s’est exprimé ainsi en grec «
εις αιῶνας» ; à quoi répondent ces paroles latines, «
in sæcula». Notre acclamation française signifie la même chose.
Comme l’on exorcisait l’esprit immonde. Voilà l’usage des exorcismes bien établi dans l’église dès le commencement du troisième siècle : quoique le protestant Junius tâche d’expliquer autrement ce passage. Tertullien parle encore des exorcismes en plusieurs autres endroits de ses ouvrages.
Toutes les nations de la terre verront, et plutôt qu’on ne pense. En latin, «
quale autem spectaculum in proximo est adventus Domini jam indubitati, jam superbi, jam triomphantis». A prendre ces paroles de Tertullien dans le sens qui se présente d’abord, on dirait qu’il regardait comme fort proche le dernier avènement de Jésus-Christ. Entre les pères de l’église quelques-uns semblent avoir cru la même chose. Nous savons que cette opinion ne s’est pas trouvée véritable ; ainsi au lieu de traduire bientôt [in proximos] j’ai mis plus tôt qu’on ne pense : ce sont presque les propres paroles de l’évangile.
Le voilà ce fils de charpentier, et d’une pauvre femme. Saint Jérôme dans son épître à Héliodore a transcrit ce passage presque tout entier. Quoique Lacerda prétende que dans l’un et dans l’autre de ces pères, il faut lire quæstuarii filius, et non pas puæstuariæ, qui signifie quelque chose d’ignominieux ; il me semble néanmoins qu’on peut donner à ce dernier terme la signification que je lui ai donnée. Je
ne disconviens pas cependant que la malice, et la haine n’aient pu faire inventer aux Juifs les injures les plus atroces contre la sainte Vierge.