(1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV. Des Femmes de Théâtre. » pp. 42-48
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(1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV. Des Femmes de Théâtre. » pp. 42-48

CHAPITRE IV.
Des Femmes de Théâtre.

La pudeur est l’apanage des femmes ; et c’est en supposant que cette vertu fait presque leur essence, que les hommes ont réglé la forme de vie que le sexe devait tenir. C’est par cette raison que les femmes ont été dispensées des emplois et des occupations qui n’auraient pas été compatibles avec la modestie et la retenue. Si donc de tout temps elles ont été exemptes de ces travaux et de ces exercices qui demandent de la force et de la fatigue ; et si le fuseau et l’aiguille ont toujours été leur partage, je crois que ce fut moins pour s’accommoder à la délicatesse de leur constitution, que pour ne point blesser cette pudeur, qui doit être l’âme de toutes leurs actions.

Malheureusement la corruption humaine a éludé les sages dispositions de la nature, altéré les Loix, et changé les coutumes. Les femmes ont trouvé des exercices et des professions, qui, par une suite de cette même corruption, bien loin d’être désapprouvées des hommes, font au contraire leurs plus grands délices. La Musique et la Danse ont été les premiers écueils, où la modestie et la pudeur du sexe ont fait naufrage. Sans chercher une époque plus éloignée, tout le monde sait que, depuis l’Empire des Perses jusqu’aux derniers temps de l’Empire Romain, et dans les premiers siècles du Christianisme, la profession de Danseuse et de Chanteuse n’était exercée que par des filles de mauvaises mœurs : aussi voit-on que les Chanteuses et les Danseuses étaient au même rang que les Courtisanes.

A l’égard des Spectacles, nous n’avons point de preuves certaines que les femmes, en Grèce, aient monté sur le Théâtre ; les Latins ne nous ont rien laissé qui nous donne lieu d’assurer qu’elles y aient joué parmi eux. Et, quoi qu’on nous cite cette Actrice qui reparut sur la Scène dans une grande vieillesse, je n’assurerais pas que ce fut une Actrice de la Tragédie, ou de la Comédie Latine ; et je serais plus porté à croire que c’était une Actrice des Pantomimes, ou des Farces Atellanes. En effet, les Masques, dont les Latins se servaient sur le Théâtre pour grossir les têtes à proportion de la figure que l’on grandissait aussi, et les desseins de ces mêmes Masques qui nous restent dans les manuscrits de Térence, nous font assez connaître que c’étaient des hommes qui faisaient le personnage des femmes et qui en portaient les habits. Il n’en était pas de même des Mimes et des Pantomimes, ni de ces Farces Atellanes, que nous venons de nommer, où les Acteurs parlaient et dansaient à visage découvert et dans leurs figures naturelles.

Quoiqu’il en soit, nous savons, à n’en pouvoir douter, que, parmi les Modernes, les femmes ne commencèrent à monter sur le Théâtre que vers l’an 1560, comme nous l’avons dit autre part ;5 ainsi ce sont les Modernes qui ont corrompu le Théâtre dans toutes ses parties ; parce qu’il est incontestable que ce sont eux qui y ont introduit la passion de l’amour, et que les femmes n’y ont représenté, dansé et chanté que depuis 1560.

Je sais bien que toutes ces réflexions ne s’accordent point avec l’idée que l’on s’est faite du Théâtre, presque généralement. On prétend le justifier, en assurant que jamais il n’a été si épuré qu’il l’est aujourd’hui. Je conviens, sans peine, qu’il y a eu des temps où les mœurs étaient moins respectées sur le Théâtre qu’elles ne le sont à présent dans nos Comédies ; mais il n’est pas moins vrai, pour cela, que dans le Théâtre, tel qu’il est actuellement, il reste encore bien de la corruption.

Malgré la nécessité de réformer le Théâtre, il paraît presque impossible, aujourd’hui, d’en bannir les femmes, sans détruire absolument les Spectacles que l’on regarde comme nécessaires, par la raison spécieuse des désordres qui sont plus fréquents, lorsque les Fainéants et les Libertins manquent de quelques amusements publics qui les dissipent, ou qui les occupent. Mais, sans discuter ici cette raison que je n’ai garde de vouloir combattre, puisque c’est sur ce fondement que l’autorité publique protège le Théâtre ; faisons, au moins, tout le bien que nous pouvons, s’il ne nous est pas permis d’en faire autant que nous voudrions.

J’ai prouvé, si je ne me trompe, que le Théâtre est pernicieux dans l’état où il est aujourd’hui : il y aurait, dit-on, de l’inconvénient à le supprimer : mettons tout en usage pour le réformer au point d’en faire un amusement aussi utile qu’agréable ; car je suis persuadé que le Théâtre serait bien moins redoutable à la vertu, et qu’il produirait même un bien réel à la société, si, en y laissant les traits enjoués et les saillies d’esprit qui peuvent exciter à rire, on en faisait une Ecole de bonnes mœurs et, pour ainsi-dire, une Chaire publique où l’on débiterait, aux personnes de tout sexe, et de tout âge, les maximes de la plus saine morale, avec gaieté et sans les effrayer par l’appareil de l’austérité, et du pédantisme. Si une fois le Théâtre était amené à ce point de perfection, qui ne manquerait pas à la fin de réunir tous les suffrages, l’inconvénient même des femmes, ou cesserait entièrement, ou serait considérablement diminué ; les bonnes mœurs, qui règneraient dans toutes les Pièces, n’instruiraient pas moins les Actrices que les Spectateurs ; et d’ailleurs on pourrait encore conserver les femmes, en prenant les précautions que l’on trouvera dans la Méthode de la Réformation, que je donnerai à la suite de ce Traité.