3. SIECLE.
SAINT CYPRIEN
L'an 250. dans l'Epître à Donat.
Vous verrez dans les Théâtres des choses qui vous donneront de la douleur, et qui vous feront rougir; c'est le propre de la Tragédie d'exprimer en vers les crimes de l'antiquité: On y représente si naïvement les parricides et les incestes exécrables des siècles passés, qu'il semble aux spectateurs qu'ils voient encore commettre électivement ces actions criminelles, de peur que le temps n'efface la mémoire de ce qui s'est fait autrefois ; les hommes de quelque âge, et de quelque sexe qu'ils soient entendant réciter ce qui s'est déjà fait, apprennent que cela même se peut encore faire ; les péchés ne meurent point par la vieillesse du temps. Les années ne couvrent point les crimes, et on ne perd jamais le souvenir des mauvaises actions ; elles ont cessé d'être des crimes, et elles deviennent des exemples ; on rend plaisir à voir représenter dans la Comédie ce qu'on y peut faire en sa maison, ou à entendre ce qu'on y peut faire: On apprend l'adultère en le voyant représenter, et le mal qui est autorisé publiquement a tant de charmes, qu'il arrive que des femmes qui étaient peut-être chastes lors qu'elles sont allées aux Spectacles en sortent impudiques. Les Farceurs avec leurs gestes honteux ne corrompent-ils pas les mœurs, ne portent-ils pas à la débauche, n'entretiennent-ils as les vices ? Ils tirent leurs louanges de leur crime, plus ils sont impudiques, plus ils sont estimés habiles, et ce qui est honteux, on les regarde avec plaisir. Dans ces dispositions y a-t-il rien que ces gens-là ne puissent persuader ? Ils émeuvent les sens, ils flattent les passions, ils abattent la plus forte vertu: Ces corrupteurs agréables ne manquent pas d'approbateurs, qui leur servent à insinuer plus doucement leur poison dans les cœurs de ceux qui les écoutent.
Dans le Traité des Spectacles
Quand même la sainte Ecriture ne défendrait pas aux Chrétiens d'aller aux Spectacles, la pudeur le leur devrait défendre: Lors que l'Ecriture commande quelque chose, elle exprime ce qu'elle commande ; mais lors qu'elle fait quelque défense, il y a des choses si honteuses, qu'elle trouve plus à propos de les défendre seulement en général, sans les exprimer en particulier. Si Dieu, qui est la souveraine vérité, fut entré dans ce détail, il aurait mal jugé du naturel de son Peuple, car l'expérience nous fait voir que souvent il vaut mieux ne point exprimer en particulier ce qu'on défend, pour ne pas donner occasion de le faire, puis qu'on se porte d'ordinaire aux choses défendues. Mais encore qu'il n'exprime pas ces crimes dans l'Ecriture, il ne laisse pas de les défendre, puisque la sévérité dont il use dans la punition de toutes sortes de crimes, le marque suffisamment, et la raison le fait connaître évidemment. Que chacun seulement se consulte soi-même, et qu'il considère l'état de sa profession, il ne fera jamais rien d'indécent; car il gardera plus exactement la loi qu'il se sera prescrit soi-même. Mais qu'est-ce donc que l'Ecriture a défendu ? Elle a défendu de regarder ce qu'il n'est pas permis de faire, elle a, dis-je, condamné toutes sortes de Spectacles, en condamnant l'Idolâtrie qui est la mère de tous les Jeux, d'où tous ces monstres de vanité et de légèreté sont sortis. Que fera donc un Chrétien dans ces Spectacles, s'il fuit l'Idolâtrie ? Que dira-t-il ? Peut-il prendre plaisir à des choses criminelles, lui qui est déjà sanctifié ? Approuvera-t-il contre le commandement de Dieu, les superstitions qu'il aime, lors qu'il en est spectateur ? Il doit savoir que c'est le Diable et non pas Dieu qui a inventé toutes ces choses: aura-t-il l'impudence d'exorciser dans l'Eglise les Démons, dont il loue les voluptés dans les Spectacles ? Ayant renoncé au Diable dans le Baptême, il a renoncé à tout ce qui lui appartient. Mais si après s'être uni à Jésus-Christ, il va aux Spectacles du Diable, il renonce à Jésus-Christ, comme il avait auparavant renoncé au Diable. L'Idolâtrie, comme j'ai déjà dit, est la mère de tous les Jeux; et pour attirer à soi les fidèles Chrétiens, elle les flatte, et les charme, par les voluptés des yeux, et des oreilles. Le Démon sachant que l'Idolâtrie toute nue donnait de l'horreur, il la revêtue de la volupté des Spectacles, pour la rendre aimable. Néanmoins tout le monde va aux Spectacles ; On se plaît à cette infamie publique, ou pour y reconnaître ses vices, ou pour les apprendre; on court à ce lieu infâmes, à cette école d'impureté, afin de ne faire pas moins de mal en secret, qu'on en a appris en public, et à la vue▶ pour ainsi dire des Lois, on commet tous les crimes qui sont défendus par les Lois. Que fait la un fidèle Chrétien ? Il ne lui a pas même permis d'avoir une pensée d'impureté : Comment donc peut-il prendre plaisir aux représentations de l'impureté, et comment s'exposera-t-il à perdre toute pudeur dans ces Spectacles, pour pécher après avec plus d'audace ? En s'accoutumant à voir la représentation des crimes, il apprend à les commettre, ainsi l'on aime tellement tout ce qui est défendu, qu'on se remet devant les yeux, même ce que le temps avait couvert. Le dérèglement est si grand, qu'on ne se contente pas d'être chargé de ses propres vices ; on se veut encore charger dans les Spectacles des excès de tous les siècles passez. En vérité il n'est nullement permis aux Chrétiens de se trouver en ces assemblées. Que dirai-je des vaines et inutiles occupations de la Comédie, et des grandes folies de la Tragédie ? Quand même ces choses ne seraient point consacrées aux Idoles, il ne serait pas néanmoins permis aux fidèles Chrétiens d'en être les acteurs, ni les spectateurs; et quelques innocentes qu'elles fussent, ce ne serait toujours qu'un dérèglement de vanité, qui ne convient point à ceux qui font profession du Christianisme. Les fidèles Chrétiens doivent fuir ces Spectacles, qui sont, comme nous l'avons déjà dit, si vains, si pernicieux, si sacrilèges : Nous devons garder soigneusement nos yeux et nos oreilles. On s'accoutume facilement aux crimes dont on entend souvent parler: L'esprit de l'homme ayant une pente au mal, que fera-t-il s'il y est encore porté par les exemples des vices de la chair, auxquels la nature se laisse aller si aisément. Puis qu'elle tombe d'elle-même ; que fera-t-elle si on la pousse ? Il faut donc retirer son esprit de ces folies. Un véritable Chrétien a bien d'autres divertissements plus relevés que ceux-là, s'il a de la passion pour les véritables et utiles plaisirs. Qu'il s'applique à la lecture de la sainte Ecriture, il y trouvera des Spectacles dignes de la Foi, dont il fait profession ? Y a-t-il, mes frères, de Spectacles plus beau, plus agréable, et plus nécessaire, que de contempler sans cesse l'objet de notre espérance, et de notre salut ?
Dans l'Epître 61 à Euchratius.
Mon cher Frère,
Comme nous avons de l'affection et de la déférence l'un pour l'autre, il vous a plu de me demander mon sentiment sur le sujet d'un Comédien de votre Pays, qui exerce encore ce métier, et instruit la jeunesse, non pas à se bien conduire, mais à se perdre; enseignant aux autres le mal qu'il a appris, s'il doit être reçu dans notre communion: Je vous dirai, qu'il me semble, que le respect que nous devons à la majesté de Dieu, et l'ordre de la discipline Evangélique , ne peuvent souffrir que la pudeur et l'honneur de l'Eglise soient souillés par une si dangereuse contagion.
LACTANCE FIRMIEN
Dans le 6. Livre des Institutions Divines.
CHAP. 20.
Vous devez rejeter les Spectacles publics, parce qu'étant des occasions des vices, et ne servant qu'à corrompre les mœurs, ils sont non seulement inutiles pour nous conduire à la vie bienheureuse, mais ils sont même extrêmement nuisibles. Je ne sais s'il y a moins de dérèglement dans les Théâtres que dans les autres Spectacles; car on représente dans les Comédies l'incontinence des Filles, et les amours des femmes de mauvaise vie. Plus les Auteurs de ces infâmes représentations ont d'éloquence, mieux ils persuadent ceux qui les écoutent, par la politesse de leurs sentiments, et la justesse et la beauté de leurs vers fait qu'on les retient plus aisément. Dans la Tragédie l'on expose avec éclat aux yeux du Peuple, les parricides, les incestes, et toutes sortes de crimes. Que font les Farceurs par leurs mouvements impudiques, qu'enseigner et inspirer l'impureté ? Ces efféminés démentent ce qu'ils sont, et s'étudient à paraître des femmes dans leurs habits, dans leur marcher, et dans leurs gestes lascifs. Que dirai-je de ces bouffons qui tiennent école de la débauche ; qui par de feints adultères, enseignent à en commettre de véritable ? Que feront les jeunes hommes, et les filles, voyant comme on commet ces infamies sans honte ? et comme tout le monde les regarde avec plaisir, ils apprennent par là ce qu'ils peuvent faire: Ces objets allument dans leurs cœurs le feu de l'impureté, qui s'enflamme par la ◀vue. Chacun selon son sexe se représente à son imagination dans ces Spectacles ; on les approuve lors qu'on en rit, et non seulement les enfants-là qui on ne doit point faire gouter le mal, avant même qu'ils le puissent connaître ; mais aussi les vieillards, à qui il est honteux de commettre des péchés qui ne sont plus de leur âge, emportant les vices du Théâtre, s'en retournent plus corrompus en leurs maisons. Il faut donc fuir les Spectacles, non seulement afin que les vices ne fassent aucune impression sur nos esprits, qui trouble la paix et la tranquillité de nos cœurs ; mais aussi afin que nous ne nous laissons point emporter par la coutume du siècle aux attraits des voluptés, qui nous détournent de Dieu, et des bonnes œuvres que nous devons faire.
Dans le CHAP. 21.
N'estimerait-on pas un homme impudique et de mauvaise vie, qui tiendrait des Comédiens en sa maison ? Or si vous ne pouvez être spectateur de la Comédie lors que vous êtes seul, sans blesser l'honnêteté, ne la blesserez-vous point lors que vous la regarderez représenter sur le Théâtre avec le peuple ? Les vers polis, et les discours agréables, gagnent les esprits, et les portent où ils veulent : c'est pourquoi celui qui recherche la vérité, et qui ne veut pas se tromper soi-même, doit rejeter les voluptés pernicieuses, auxquelles l'âme s'abandonne, comme le corps aux viandes délicieuses, il faut préférer les choses véritables à celles qui sont fausses, les éternelles, aux passagères, et les utiles aux agréables. Ne prenez point de plaisir à regarder d'autres actions que celles qui sont justes et pieuses. Ne prenez point de plaisir à entendre autre chose que ce qui nourrit l'âme, et qui vous peut rendre meilleur : Prenez garde de ne point faire un mauvais usage de ce sens qui vous a été donné, pour écouter les enseignements de Dieu. Si vous vous plaisez donc aux chants et aux vers ; prenez plaisir à chanter, et à entendre chanter les louanges de Dieu : Le véritable plaisir est celui qui est accompagné de la vertu, c'est un plaisir qui n'est point périssable, et passager comme les autres que recherchent ceux qui suivent les passions de leur corps, ainsi que les animaux ; mais il est continuel, et toujours agréable. Celui qui en passe les bornes et ne recherche dans le plaisir que le seul plaisir, se procure la mort. Car comme la vertu, conduit à la vie éternelle, aussi la volupté conduit à la mort : Car quiconque s'attache aux choses temporelles, perdra les éternelles : Quiconque met sn affection aux choses de la terre, n'aura point de part aux biens du Ciel. Comme c'est par la vertu, et par les travaux que Dieu nous appelle à la vie ; c'est par la volupté que le Diable nous conduit à la mort : comme on acquiert le véritable bien par de faux maux, on se procure les véritables maux par de faux biens. Il faut donc éviter les plaisirs comme des pièges et des filets, de peur que nous engageant dans la mollesse des douceurs du siècle, et devenant esclaves de notre corps, nous ne tombions sous la puissance de la mort avec notre corps.