IX.
La Comédie donne des leçons de toutes les passions.
Les assauts que livre la Comédie à la pudeur, ne sont pas le seul reproche qu’on ait à lui faire. Quand elle banniroit du Théâtre tout ce qui peut blesser cette précieuse vertu▶, elle n’en seroit pas plus innocente aux yeux de la vraie piété, elle n’en seroit pas moins son ennemie. La haine que la ◀vertu▶ a pour le vice ne se borne pas à un seul, elle s’étend à tous. Le Spectacle a d’autres torts, qui ne sont ni moins graves ni moins pernicieux. Il ne cesse de réprésenter des objets propres à révolter les sens, que pour en peindre d’autres aussi criminels & presque aussi contagieux.
Quelle idée des disciples d’un Dieu humilié, d’un Dieu anéanti se
formeroient-ils de l’orgueil ? Si on en juge par les portraits qu’il en
trace, rien de plus noble que ce vice, également réprouvé par la Raison
& par la Religion. Il est la source, selon lui, du vrai courage ; c’est
lui qui fait les vrais héros ; c’est à lui qu’ils doivent l’élévation de
leurs sentimens. Le Théâtre exige qu’on lui donne des éloges, qui ne sont
dûs qu’à la véritable grandeur. Il veut qu’on accorde son admiration à ceux
en qui ce vice domine. Reconnoît-on sous ce masque ces hommes dont Dieu
brisera les os, &c dans le sang desquels il
lavera ses mains
?
L’Orgueil ainsi travesti est si essentiel au Théâtre, que quand il introduit des Saints & des Saintes sur la scéne, il est forcé de les y faire paroître avec cette fierté, qu’il lui plaît d’appeler générosité & grandeur d’ame. Il leur met dans la bouche des discours indignes des héros du Christianisme, qui ne sont bien caractérisés que par l’humilité, & qui ne conviennent qu’à ces prétendus grands hommes de l’Antiquité payenne. Quels ravages de tels sentimens, s’ils sont reçus dans le cœur déja trop porté à l’enflure, ne doivent-ils pas produire ? Et peuvent-ils n’y point avoir accès, puisqu’ils sont écoutés avec plaisir ?
« Toutes ces piéces de Théâtre, dit un célébre Auteur, ne sont que de vives représentations de passions, d’orgueil, d’ambition, de jalousie, de vengeance, & principalement de cette ◀vertu▶ Romaine, qui n’est autre chose qu’un furieux amour de soi-même. Plus leurs Auteurs colorent ces vices d’une image de grandeur & de générosité, plus ils les rendent dangereux & capables d’entrer dans les ames les mieux nées ; & l’imitation de ces passions ne nous plaît que parce que le fond de notre corruption excite en même tems un mouvement tout semblable qui nous transforme en quelque sorte, & nous fait entrer dans la passion qui nous est représentée.
Quels reproches d’après les principes de ce grand homme, n’aurions-nous point encore à faire à la Comédie sur les couleurs brillantes qu’elle prête à la jalousie & à la vengeance ? Est-il permis de dissimuler aux yeux des Chrétiens la laideur, la difformité de ces vices ? Pourroient-ils les concilier avec les leçons de charité & de douceur que leur donne leur maître ? Quel crime n’est-ce donc pas d’embellir ces vices cruels qui portent par tout le fer & le feu, qui vont jusqu’à faire répandre le sang de ses concitoyens, & souvent celui de ses proches ? Quel crime n’est ce pas de changer en ◀vertu, ce qui produit depuis si longtems une fureur brutale dans la Noblesse françoise ?
Qu’on ne dise point qu’on ne va au Spectacle que pour s’y divertir, & non pas pour prendre des leçons de morale, & que par conséquent celles qu’on y reçoit ne font aucune impression.
Auroit-on oublié combien sont profondes les racines que les passions ont jettées dans le cœur ? Ignoreroit-t-on que ces passions sont excitées par les maximes, ainsi que par les objets ; que les principes du Théâtre ne font que fortifier ceux qui sont si accrédités dans le monde ? Si on le sait, comment peut-on croire que les leçons qu’on y donne ne laissent aucune trace, & que la vue seule du divertissement étouffe tout autre sentiment ?
Un éxemple va éclaircir & rendre plus sensible ce raisonnement, qui frappe également sur toutes les autres passions représentées au Théâtre, & dans le détail desquelles les bornes étroites que nous nous sommes prescrites ne nous permettent pas d’entrer. Un homme assiste à la Comédie ; il est témoin de l’oprobre dont on couvre la patience qui supporte les injures. Il entend les applaudissement qu’on donne à la fausse bravoure qui ne les sait point pardonner. Il sort plein de ces images si conformes à ses penchans, & de l’yvresse qu’elles lui causent. A la porte il est insulté. Qui se persuadera qu’il ne sentira pas plus vivement dans cet instant, que dans tout autre, l’outrage qui lui est fait, & qu’il ne se portera pas plus aisément à s’en venger ?