Troisième Lettre.
De madame d’Alzan.
P lus d’espoir, plus de raison, plus de bonheur !… Ah ! mon amie ! monsieur d’Alzan est tendre▶, sensible ; & ce n’est plus moi qu’il aime ! Lisez :
Jugez de mes sentimens par ce que vous vîtes hier, Mademoiselle : ils sont bien vifs, ils le sont trop. Aujourd’hui, que la première émotion calmée me permet d’écouter la raison, je ne vois plus que votre magnanimité. Oui, mon amie, sauvez-moi de moi-même : il n’est que trop vrai que j’ai des devoirs à remplir ! Mais comment vous aurais-je résisté, à vous qui m’aimiez, à qui tout cède ; qui triompheriez de l’indifférence même, & qui soumettez ceux qui ne peuvent espérer de vous toucher ? Vous savez que j’ai des devoirs à remplir ; je ne vous en serai pas moins cher ; mais vous espérez avoir la force de vous immoler à cette que vous nommates votre trop heureuse Rivale… Non, je ne méritai jamais ni son amour, ni votre estime : vous êtes toutes deux trop au-dessus de moi… Mon cœur se déchire. Je vois que j’afflige une épouse estimable, qui n’en est pas moins ◀tendre, pas moins occupée de mon bonheur. Quelle générosité !… Si je pouvais y demeurer insensible, je serais un monstre qui m’effraierais moi-même !
Je vous reverrai ce soir ; il le faut : ce ne sont pas des rigueurs qui peuvent me rendre tel que vous desirez que je devienne.
Je suis tout à vous.
D’Alzan.
Un laquais étourdi vient de laisser tomber ce billet à mes pieds : je n’ai pu m’empêcher de le lire ; & j’ai fait plus que vous n’eussiez osé peut-être en pareille circonstance ; j’ai mis une autre enveloppe ; j’ai déguisé mon écriture ; je viens de l’envoyer. A qui croyez-vous qu’il s’adresse ?… O ma sœur ! hier, il était derrière elle au Spectacle ; je les vis se parler à l’oreille ; la joie brillait dans leurs regards… Voilà donc ce qu’il cherchait au Théâtre !
Moi, qui me croyais adorée, si le devoir n’était pour moi, je me verrais abandonnée. Ah ! ma chère Adelaïde !… Conseillez-moi : ce moment est cruel. Mais, le croiriez-vous ? dévorée de jalousie, j’ai la faiblesse encore de préférer au mien le bonheur d’un ingrat… Je l’entends ; il vient ; je vais lui cacher le desespoir qu’il cause. Adieu.