Première Lettre.
De madame d’Alzan, À madame Des Tianges, sa sœur.
M oi ! regarder votre éloignement comme une marque d’indifférence ! Vous ne m’aurez pas fait l’injustice de croire que je me plaignais de vous ? Rassurez-moi, je vous prie, & ne vous justifiez pas. Ah ma chère Adelaïde ! je n’accuse que mon malheur…Il ne me reste qu’un moyen de me dédommager ; ardente à le saisir, je vais faire un Journal fidèle, & votre absence ne vous dérobera rien de ce qui se passe dans mon cœur.
Toujours comme avant votre départ, voila ma réponse à l’égard de mon mari. Quant à moi, c’est tout autre chose ; plus affligée, moins consolée, je suis ce que je dois être loin de vous. Il n’est que trop vrai, nous n’étions pas faites pour être séparées : le temps▶, l’espace ne devaient jamais se trouver entre nous. Vous savez ce que coûte l’absence d’un époux ; vous vous étiez promise de ne plus vous y exposer : mais vous n’éprouvates jamais ce vide que laissent l’indifférence de l’époux, & l’absence d’une amie… Ah ! pour le sentir… Cela n’est pas possible : moi seule je puis connaître ce qu’on souffre loin d’une amie telle que vous.
O ma sœur ! je ne suis pas tranquille : mon sommeil, agité par des songes… le ◀tems de la veille plus onduleux encore… tout me fait présager la tempête. Triste, rêveur au moins, je le vois, monsieur d’Alzan n’est pas heureux… Il ne le serait pas ! lui, dont le sourire, un seul regard, ranime mon cœur abattu par l’ombre… la plus légère de l’indifférence !… Je pénétrerai dans son âme, j’y lirai ; … mais il ne s’en doutera pas.
Heureuse Adélaïde ! c’est un sort tel que le vôtre que vous m’aviez fait espérer : hélas ! quelle différence ! Cet amant si tendre, cet époux si complaisant, il est déjà changé ! Le gage précieux de notre tendresse, ce fils que je lui ai donné n’a pas retardé ce cruel changement ! On dirait que mon attachement le fatigue… A ce mot, la vanité se révolte, ma fierté s’éveille, & je me sens prête à rougir de mes larmes.
Depuis votre départ, il ne s’absente que le soir, pour aller au Spectacle ; presque tous les jours, il se rend au même Théâtre de fort bonne heure ; le desir de le voir m’y conduit quelque-fois sur ses pas ; monsieur de Longepierre, qui me croit passionnée pour la Comédie, quitte tout pour m’accompagner : je cherche des yeux monsieur d’Alzan dans la foule de l’Orquestre ; je l’ai bientôt démêlé : je le vois ; & le calme renaît dans mon cœur ; je me trouve presque contente.
Mandez-moi ce que vous faites à Poitiers ; si vous y prenez quelques divertissemens ; si vous songez à moi, si vous m’aimez autant que le fait votre sincère
P.S. Votre fille & mon fils se portent bien : la petite Sophie demande sa maman ; elle dit qu’elle la veut, du même ton dont elle se fait donner sa poupée. C’est un joujou qui lui manque, & qu’on ne peut remplacer. Depuis votre départ, Agathe & moi ne pouvons la contenter.