(1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — VIII.  » p. 462
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(1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — VIII.  » p. 462

VIII.

Que ceux et celles qui ne sentent point que les Romans et les Comédies excitent dans leur esprit aucune de ces passions que l'on en appréhende d'ordinaire ne se croient donc pas pour cela en sûreté, et qu'ils ne s'imaginent pas que ces lectures et ces spectacles ne leur aient fait aucun mal. La parole de Dieu, qui est la semence de la vie, et la parole du diable qui est la semence de la mort ont cela de commun qu'elles demeurent souvent longtemps cachées dans le cœur sans produire aucun effet sensible. Dieu attache quelquefois le salut de certaines personnes à des paroles de vérité qu'il a semées dans leur âme vingt ans auparavant, et qu'il réveille quand il lui plaît, pour leur faire produire des fruits de vie; et le diable de même se contente quelquefois de remplir la mémoire de ces images sans passer plus avant, et sans en former encore aucune tentation sensible ; et ensuite, après un long temps, il les excite et les réveille sans même qu'on se souvienne comment elles y sont entrées, afin de leur faire porter les fruits de la mort, « ut fructificent morti », qui est l'unique but qu'il se propose en tout ce qu'il fait à l'égard des hommes. L'on peut donc dire à ceux qui se vantent que la Comédie et les Romans n'excitent pas en eux la moindre mauvaise pensée, qu'ils attendent un peu, que le diable saura bien prendre son temps quand il en trouvera l'occasion favorable. Peut-être que, les tenant à soi par d'autres liens, il néglige maintenant de se servir de ceux-là qui sont plus visibles ; mais s'il en a besoin pour les perdre, il ne manquera pas de les employer.