VIII.
Que ceux et celles qui ne sentent point que les Romans et les Comédies excitent dans
leur esprit aucune de ces passions que l'on en appréhende d'ordinaire ne se croient donc
pas pour cela en sûreté, et qu'ils ne s'imaginent pas que ces lectures et ces spectacles
ne leur aient fait aucun mal. La parole de Dieu, qui est la semence de la vie, et la
parole du diable qui est la semence de la mort ont cela de commun qu'elles demeurent
souvent longtemps cachées dans le cœur sans produire aucun effet sensible. Dieu attache
quelquefois le salut de certaines personnes à des paroles de vérité qu'il a semées dans
leur âme vingt ans auparavant, et qu'il réveille quand il lui plaît, pour leur faire
produire des fruits de vie; et le diable de même se contente quelquefois de
remplir la mémoire de ces images sans passer plus avant, et sans en former encore aucune
tentation sensible ; et ensuite, après un long temps, il les excite et les réveille sans
même qu'on se souvienne comment elles y sont entrées, afin de leur faire porter les
fruits de la mort, « ut fructificent morti
», qui est l'unique but qu'il
se propose en tout ce qu'il fait à l'égard des hommes. L'on peut donc dire à ceux qui se
vantent que la Comédie et les Romans n'excitent pas en eux la moindre mauvaise pensée,
qu'ils attendent un peu, que le diable saura bien prendre son temps quand il en trouvera
l'occasion favorable. Peut-être que, les tenant à soi par d'autres liens, il néglige
maintenant de se servir de ceux-là qui sont plus visibles ; mais s'il en a besoin pour
les perdre, il ne manquera pas de les employer.