(1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XVII.  » pp. 471-473
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(1667) Traité de la comédie « Traité de la comédie — XVII.  » pp. 471-473

XVII.

Les gens du monde, spectateurs ordinaires des Comédies ont trois principales pentes. Ils sont pleins de concupiscence, pleins d'orgueil, et pleins de l'estime de la générosité humaine, qui n'est autre chose qu'un orgueil déguisé. Ainsi les Poètes qui doivent s'accommoder à ces inclinations pour leur plaire, sont obligés de faire en sorte que leurs pièces roulent toujours sur ces trois passions; et de les remplir d'amour, de sentiments d'orgueil, et des maximes de l'honneur humain. C'est ce qui fait qu'il n'y a rien de plus pernicieux que la morale poétique et romanesque, parce que ce n'est qu'un amas de fausses opinions qui naissent de ces trois sources, et qui ne sont agréables qu'en ce qu'elles flattent les inclinations corrompues des lecteurs ou des spectateurs. C'est la source du plaisir que l'on prend à ces vers que M. de Corneille met en la bouche d'un Seigneur qui avait tué en duel celui qui avait outragé son père.

« Car enfin n'attends pas de mon affection
Un lâche repentir d'une bonne action...
Tu sais comme un soufflet touche un homme de cœur.
J'avais part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur.
Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur et mon père;
Je le ferais encor, si j'avais à le faire. »

C'est par la même corruption d'esprit qu'on entend sans peine ces horribles sentiments d'une personne qui veut se battre en duel contre son ami, parce qu'on le croyait auteur d'une chose dont il le jugeait lui-même innocent.

« C'est peu pour négliger un devoir si puissant,
Que mon cœur en secret vous déclare innocent.
A l'erreur du public c'est peu qu'il se refuse,
Vous êtes criminel tant que l'on vous accuse,
Et mon honneur blessé sait trop ce qu'il se doit
Pour ne vous pas punir de ce que l 'on en croit...
Telle est de mon honneur l'impitoyable loi,
Lorsqu'un ami l'arrête, il n'a d'yeux que pour soi,
Et dans ses intérêts toujours inexorable
Veut le sang le plus cher au défaut du coupable. »

Personne aussi ne s'est jamais blessé de ces paroles barbares d'un père à un fils, à qui il donne charge de le venger.

« Va contre un arrogant éprouver ton courage,
Ce n ‘est que dans le sang qu'on lave un tel outrage.
Meurs ou tue. »

Et cependant en les considérant selon la raison, il n'y a rien de plus détestable ; mais on croit qu'il est permis aux Poètes de proposer les plus damnables maximes pourvu qu'elles soient conformes au caractère de leurs personnages.