LETTRE
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De Racine à Despréaux,
A Fontainebleau le 12 Octobre.
Je suis très-obligé, Monsieur, au Révérend Père Bouhours de toutes les honnêtetés qu’il vous a prié de me faire de sa part & de la part de sa Compagnie. Je n’avois pas encore oui parler de la Harangue de leur Régent de troisiéme, & comme ma conscience ne me reprochoit rien à l’égard des Jésuites, je vous avoue que j’ai été un peu surpris d’apprendre par votre ◀Lettre, qu’on m’eût déclaré la guerre chez eux. Vraisemblablement ce bon Régent est du nombre de ceux qui m’ont très-faussement attribué la traduction Françoise du Santolius Pœnitens, & il s’est crû engagé d’honneur à me rendre injures pour injures. Si j’étois capable de lui vouloir quelque mal, & de me réjouir de la forte réprimande que le Père Bouhours dit qu’on lui a faite, ce seroit sans doute pour m’avoir soupçonné d’être l’Auteur d’un pareil Ouvrage. Car pour ce qui est de mes Tragédies, je les abandonne très volontiers à sa critique. Il y a long-tems que Dieu me fait la grace d’être assez peu sensible au bien & au mal qu’on en peut dire, & de ne me mettre en peine que du compte que j’aurai à lui en rendre quelque jour. Ainsi, Monsieur, vous pouvez assurer le Père Bouhours & tous les Jésuites de votre connoissance que bien loin d’être fâché contre ce Régent, qui a tant déclamé contre mes Pièces de Théatre, peu s’en faut que je ne le remercie & d’avoir enseigné une si bonne morale dans leur Collége, & d’avoir donné lieu à sa Compagnie de marquer tant de chaleur pour mes intérêts, & qu’enfin quand l’offense qu’il m’a voulu faire seroit plus grande, je l’oublierois avec la même facilité, en considération de tant d’autres Jésuites dont j’honore le mérite, & sur-tout du révérend Père de la Chaise qui me témoigne tous les jours mille bontés, & à qui je sacrifierois bien d’autres injures. Je vous supplie de croire, Monsieur, que personne n’est plus sincèrement à vous que votre très-humble & très-obéissant serviteur, Racine.