[EN-TETE]
Apologie du théâtre français▶
APOLOGIE
DU THÉATRE FRANÇAIS,
Dédiée à Messieurs les Comédiens
◀Français
▶ ordinaires du Roi.
Par M.
Petit.
J’entreprends de chanter une ample Apologie ;
N’est-ce pas trop tenter pour un petit génie ?
Trop heureux si je puis l’amener jusqu’au bout ;
La remplir dignement et satisfaire à tout !
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Je n’ai pu choisir mieux pour atteindre aux Talents,
Pour attendrir les cœurs et captiver les sens ;
Elle ne produit rien qui n’instruise et ne plaise.
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O Théâtre savant ! ta Scène est accomplie.
Tu ne nous offres rien que de grand, de pompeux ;
Tu sais le présenter d’un air majestueux :
Et l’on sort de chez toi toujours l’âme attendrie.
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On goûte avec plaisir les beautés d’un Ouvrage
Où l’on voit de l’Auteur l’art, l’érudition ;
De la part de l’Acteur, le jeu, son action ;
On veut les imiter : au port on fait naufrage.
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D’un côté c’est Racine et de l’autre un Voltaire :
L’un est tendre et touchant ; l’autre délicieux :
Il tonne dessus nous, et menace les cieux ;
Des hommes si profonds quittent trop tôt la Terre.
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C’est un Molière exquis plein de sages maximes,
Gai, badin, élégant, bon, moral, instructif ;
L’ornement de la Scène et de chez nous natif ;
Le soutien du Théâtre et le frondeur des crimes.
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Ici c’est un Renard, dont la plume savante,
Instruit en égayant ; et qui, par ses pinceaux,
En caressant les cœurs, reprend tous leurs défauts.
Le célèbre Ecrivain ! ô la bouche éloquente !
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Et là le grand Corneille (Auteur incomparable)
Pompeux dans ses écrits, sublime dans son art,
Doit ici trouver place et prendre aussi sa part ;
L’esprit ingénieux ! il est inimitable.
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Eh ! le bon Crébillon, d’éternelle mémoire,
A fait jusqu’à sa mort les plus doctes écrits ;
Qui n’est émerveillé d’entendre ses récits !
Ses Œuvres achevés éternisent sa gloire.
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Combien d’Auteurs connus, qu’on passe sous silence,
De leurs prédécesseurs parfaits imitateurs ;
Même de leurs défauts discrets admirateurs,
Etalent sous nos yeux de beautés, de science !
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Poursuivons notre éloge et laissons ces grands hommes,
Ces modèles parfaits et ces Maîtres de l’art
Qui connaissent de tout, et qui dans tout ont part ;
Je les laisse à regret. Voyons où nous en sommes.
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Ici c’est un Acteur qui brille sur la Scène ;
Tendre dans son langage, attrayant par son jeu,
Et maître de son rôle, il le rend avec feu :
A l’aller écouter toujours il nous entraîne.
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Là, de cet autre bord, sont d’aimables Actrices,
Dont la seule présence assure nos plaisirs ;
Tous leurs propos décents retiennent nos désirs,
Et de tous les côtés, ce ne sont que délices.
***
Ici vient se mêler un héros dans nos Scènes,
Qui, par son ton superbe, ébranle tous les cœurs,
Et nous fait, bien souvent, répandre bien des pleurs :
Il semble avoir en main de l’Empire les rênes.
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Et là de grands Danseurs formés dès leurs bas âges,
Viennent vous délasser, varier vos plaisirs ;
Et tous unis ensemble ont les mêmes désirs :
Tous veulent mériter l’honneur de vos suffrages.
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Cette belle union qu’on voit entre eux qui règne,
Est maintenue ici par des Supérieurs ;
Ils ne sont dirigés que par de grands Seigneurs
Qui les laissent pour vous à peine prendre haleine.
***
De nos anciens Acteurs la perte inexprimable
Se fait sentir encor ; en nous les rappelant,
Dans le jeu des nouveaux nous les voyons présents ;
Tous, à l’envi, font voir un zèle infatigable.
***
O spectacle charmant, où la Scène ◀française
Paraît dans son éclat et dans son plus beau jour.
Je veux te maintenir et te faire ma cour,
Grossir tes revenus et les tripler en caisse.
***
O Théâtre du monde et l’école savante !
Présente-nous tes mœurs ! Non, tu ne nous dis rien
Qui ne soit bien décent et qui ne mène au bien ;
Et tu nous donne ensuite une fête galante.
***
C’est le temple des Grands, l’asile des Vénus,
L’école des Savants, le palais des Coquettes,
L’hôtel de nos Abbés parés de leurs lorgnettes ;
Et tous, pour leur argent, y sont tous bienvenus.