Chapitre V.
De la Parodie.
IL y a deux sortes de Parodies dramatiques, l’une où les Acteurs parlent tout simplement, & l’autre qui se chante : cette dernière, de beaucoup plus ancienne, appartient de droit au Spectacle moderne par sa nature & par son genre. Je suppose que la Parodie chantante est plus ancienne, parce qu’il fut, sans doute, plus facile de composer quelques couplets malins, qu’un Poème dans les règles.
Origine de la Parodie.
La critique fut de tout tems. Les hommes cherchent à se tourner en ridicule dès qu’ils ont la faculté de s’èxprimer : c’est ce plaisir malin qu’on trouve à se moquer de son semblable, & qui nous porte à rire de ses défauts & de ses actions, qui donna naissance à la Parodie dans la région du monde qui fut la plutôt peuplée. La Parodie attaque souvent la personne même, en la contrefesant, en l’imitant au naturel ; Aristophane en a plusieurs éxemples dans ses Pièces : les masques ressemblans qu’il fesait porter à ses Personnages, pour désigner les principaux Athèniens, en sont une preuve. On peut donner à ce genre de Parodie, le nom de Comédie-ancienne. Molière même, lorsqu’il habillait ses Acteurs de la même manière que ceux qu’il tournait en ridicule, se permettait des licences toutes pareilles à celles d’Aristophane, ainsi que je l’ai déjà dit ailleurs(14). Le Bouffon qui contrefait les gestes, les actions de quelqu’un, fait sans le savoir la prémière Parodie que les hommes aient connus.
Quels en furent les inventeurs chez les Grecs.
Un certain Hipponax fut, selon les Grecs, l’inventeur de la Parodie des discours : c’est-à-dire qu’il s’avisa d’écrire des critiques qu’on ne fesait auparavant que de bouche, ou par des gestes bouffons. Hégémont de Thasos est l’Auteur de la Parodie dramatique ; c’est encore les Grecs qui nous l’assurent : il l’a mit en action en composant des Vers de plusieurs tragiques célèbres une Comédie dans les règles ; il s’appliquait à donner un sens burlesque à une pensée noble & sublime. Aura-t-on de la peine à croire, que long-tems avant cet Auteur, on ne se soit joué dans des couplets malins de ceux qui méritaient la risée publique, ou dont le mérite éxtiait l’envie ? Observons ici, que les Poètes à qui nous devons la Parodie, ou la Satire, car c’est la même chose, ont eu la gloire de faire mourir de désespoir quelques-uns de ceux aux dépens desquels s’égayait leur plume mordante : honneur insigne, qui prouve la beauté du genre dont je parle.
Ce que signifie le mot Parodie en Grec.
Je trouve que le mot Parodie signifie en Grec chant ou chanson. Il est donc probable qu’on la chantait dans les prémiers tems de son origine : ceci semblerait encore me confirmer dans l’idée plaisante ou je suis que notre Opéra-Bouffon était peut-être connu des Grecs ; & c’est un nouveau motif de lui abandonner entièrement la Parodie, ou du moins celle qui se chante.
Nous n’éxcellons point dans la Parodie.
Je ne crois pas que nous éxcellions dans la Parodie considérée en général. Nos Pièces simplement de Dialogues ne sont pleines sur-tout que de bouffonneries ; elles éxcitent le rire immodéré, par un Spectacle, par une action burlesque, & par de bons mots entâssés les uns sur les autres : elles ne peuvent amuser que la populace ou les enfans.
Les Peuples de l’Europe doivent le céder aux Grecs.
En général, les Peuples modernes de l’Europe se sont trompés dans la façon dont ils ont conçus la Parodie. Ils se sont imaginés qu’elle n’était qu’un tableau grotesque d’une chose grave & sérieuse ; ils ont cru que tourner en plaisanteries les endroits les plus sérieux des Ouvrages estimés, c’était produire une éxcellente Parodie. Mais il s’en faut de beaucoup qu’ils ayent rencontré juste. Lorsqu’elle était chez les Grecs travaillée par une mais habile, elle devenait la critique délicate d’une Tragédie célèbre ; elle en relevait adroitement les fautes ; des allusions fines avertissaient le Spectateur de ce qu’elle avait en vue. Elle éxcitait des ris, non èxtravagans, mais de ces ris légers, doux mouvemens de l’ame, qui dénotent qu’on est charmé de ce qu’on voit, de ce qu’on entend, & qui prouvent mieux la joie que des éclats qui partent toujours sans réfléxion : voilà quelle est la véritable Parodie ; le Cyclope d’Euripide, la seule qui soit parvenue jusques à nous, aurait dû nous l’apprendre. Cette Pièce est pleine de railleries spirituelles sur Homère, & contre divers Auteurs tragiques. Nous ne pouvons plus sentir une grande partie de ses traits fins & délicats, parce que nous sommes trop éloignés du tems où elle fut écrite. On rencontre, il est vrai, dans ce Poème, des endroits trivials & dégoûtans ; mais qu’ils sont bien éffacés par les morceaux sublimes, & par les critiques agréables qui les précèdent ou les suivent !
A peine les Français ont-ils une seule Parodie passable.
J’ignore si dans la suite on s’éfforcera de perfectionner le genre de la Parodie ; peut-être ne voudra-t-on pas s’en donner la peine. La meilleure que nous ayons en France est, sans contredit, Agnès de Chaillot. Mais, oh ciel ! quel burlesque continu ! que de charges ! que d’extravagances ! Faut-il que les Spectateurs d’un Drame bouffon rient toujours à gorge déployée ? Cette Pièce offre un Spectacle fait pour des fous, plutôt que pour des hommes sensés.
Notre Parodie est meilleure quand elle est jointe à la musique.
Nous ne rendrons, je pense, la Parodie supportable qu’en l’assujettissant tout à-fait à la musique. Je remarque, en éffet, que toutes celles qui renferment du chant approchent le plus de la nature ; telles que Raton & Rosette, Bastien & Bastienne, &c. La raison en serait-elle qu’alors la Parodie se trouve dans son élément ?
Le Vaudeville y fait un meilleur éffet que l’Ariette.
Quand je dis qu’il y faut de la musique, je ne prétens pas tout-à-fait que ce soient des Ariettes, des Duo. Ce genre de musique la gâterait peut-être, au lieu de l’embellir. Il ne saurait faire sentir la finesse d’une èxpression satyrique, & même une plaisanterie. Je voudrais que la Parodie chantante fût composée de couplets sur des airs communs. On n’en perd point un seul mot, tout est saisi, tout fait son éffet. Le Vaudeville ou le couplet, dont je me propose encore de parler(15), est admirable pour donner un tour piquant à la moindre pensée ; il fait valoir une saillie ; il en a la légèreté. Il éxcelle sur-tout à décocher avec art les traits fins de la Satire. Vif, enjoué, malin, c’est l’enfant gâté de la folie & des plaisirs. Cependant comme on lui préfère les Ariettes, je dois conseiller d’en orner les Parodies modernes, si l’on a dèssein qu’elles attirent des Spectateurs.
La Parodie est soumise aux mêmes règles que les autres Drames.
Je terminerai cet article par avertir ceux qui voudraient feindre de l’ignorer, que la Parodie, quoique libre & peu règlée en apparence, est soumise aux mêmes loix que les autres Pièces de Théâtre. C’est un Drame entier, sans aucune èxception, dont il faut que l’intrigue soit couduite avec adresse, & qui doit avoir son èxposition, son milieu & sa fin. N’outrez point la nature, comme on fait ordinairement ; évitez le bisarre & le gigantesque. Que vos plaisanteries naissent du fond du sujet ; qu’elles ne soient point trop fréquantes, afin de faire plus d’impression, & d’être mieux senties. N’oubliez pas encore, que les turlupinades, les indécences, les jeux de mots, sont bannis de tout ouvrage de goût. On cherche à faire rire dans une Parodie ; mais songez que les honnêtes gens vous écoutent, & non la vile populace.
Elle éxige même plus de perfection.
Voici la dernière remarque qu’il me reste à faire. Il est essentiel qu’une Parodie, ainsi que tout ouvrage satirique, n’ait aucun défaut. Celui qui tourne les autres en ridicule, doit le faire avec esprit, si non sa critique tombera sur lui-même. Travaillez, policez avec grand soin les écrits dans lesquels vous vous moquez des fautes d’un Auteur : montrez que vous en savez plus que celui que vous reprenez.
Ce qu’on doit penser de la Parodie.
Le Lecteur sera peut-être bien aise que je lui apprenne naïvement ce que je pense de la Parodie en général. Malgré les éloges dont plusieurs Auteurs l’ont comblés, je la regarde comme un genre ridicule & méprisable. Quelle gloire peuvent se flatter d’acquérir ses Poètes ? Quel mérite trouve-t-on à remplir une Pièce de bouffonneries sans vraisemblance, d’actions èxtravagantes ? Le mêlange qu’on s’y permet du sérieux & du burlesque, du sublime & du plat, révolte les gens qui ont la moindre lueur de raison. L’on ne sait à la fin comment appeller un pareil amas de choses si opposées les unes aux autres.
Si la Parodie n’avait encore que ces défauts, on pourrait quelquefois y jetter les yeux pour se délasser, de même qu’on se plaît à voir les figures grotesques de Calot. Mais le juste reproche que lui font les honnêtes gens achève de lui ravir notre estime, & la rend indigne d’être soufferte. Quoi, disent-ils, nous estimerions un genre destiné à tourner en ridicule les Ouvrages des plus fameux Auteurs ! Que les Poètes qui s’y consacrent font peu d’attention à ce qu’une telle conduite donne lieu de penser ! Ne peut-on pas les soupçonner d’agir par envie, & de chercher à rabaisser le mérite des Ecrits immortels qu’ils ne voient qu’avec chagrin, parce qu’ils n’en sont pas les Auteurs ? Un Zoïle seul était fait pour parodier les Vers d’Homère. Est il nécessaire que la Parodie s’attache avec malignité à ce qui nous paraît le plus digne de notre admiration ? serait-elle établie éxprès pour modérer la vanité d’un Poète qu’on applaudit ; de même que les Romains chargeaient un homme d’injurier les Hèros qu’ils honoraient du triomphe, afin de leur rappeller qu’ils ne devaient point trop se livrer à l’orgueil ? Encouragez par des louanges ceux qui ont le bonheur de réussir dans la pénible carrière des lettres, loin de vous èfforcer à faire rire de leurs meilleurs Ouvrages. Parodiez les mauvais Drames, pour empêcher qu’on n’en compose de pareils, & respectez les bons.
Voilà ce que disent les gens sensés. J’avoue de bonne foi que je suis de leur avis. La Parodie serait peut-être estimée, si elle n’était un genre favorable à la malignité, plutôt qu’à l’innocente plaisanterie.
De la Parodie par imitation.
La Parodie dramatique ne s’attache pas toujours à tourner en ridicule l’intrigue & les pensées d’un Poème en leur opposant une action & des pensées tout-à-fait burlesques. Les Auteurs se contentent bien souvent d’imiter le sujet & même la marche des Drames qu’ils parodient ; mais ils ne les copient pas si fidèlement qu’on puisse dire que leurs Ouvrages soient trop ressemblans : ils font agir des Personnages différens, qui éprouvent les mêmes situations ; en sorte qu’ils paraissent composer un Poème nouveau, lorsqu’ils ne font que le calquer sur un modèle. C’est à cette espèce de Parodie, qu’est dû le nom d’imitation. La seule nouveauté qu’on y observe, c’est qu’une action noble est rendue quelques fois commune & populaire, & qu’on en diminue de beaucoup la durée.
Il est aisé de sentir que cette espèce de Parodie est aussi très-peu estimable. Elle n’éxige pas que ses Auteurs soient doués d’un grand génie, puisqu’ils ne composent que d’après le plan qu’ils ont sous les yeux. Quelle gloire acquérerait le Peintre qui ne ferait que suivre l’èxquisse qu’on lui fournirait, ou qui ne serait capable que d’ajouter de nouvelles couleurs à un tableau ?