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« Un Comédien devrait avoir été nourri sur les genoux des Reines », disait Baron. L’étude de l’Histoire & des Ouvrages de l’imagination, est pour lui ce qu’elle est pour le Peintre & pour le Sculpteur. Un Acteur du Théâtre Lyrique a dû la fierté de ses attitudes, la noblesse de son geste, & la noble entente de ses vêtemens, aux chefs-d’œuvres de Peinture & de Sculpture qu’il a savamment observés. Les Livres ne présentent point de modèle aux yeux, mais ils en offrent à l’esprit▶ : ils donnent le ton à l’imagination & au sentiment ; l’imagination & le sentiment le donnent aux organes.
Il doit sur-tout étudier les originaux. Le monde est l’Ecole d’un Comédien ; théâtre immense, où toutes les passions, tous les états, tous les caractères sont en jeu. Mais comme la plupart de ces modèles manquent de noblesse & de correction, l’Imitateur peut s’y méprendre, s’il n’est d’ailleurs éclairé dans son choix. Il ne suffit donc qu’il peigne d’après nature ; il faut encore que l’étude approfondie des belles proportions & des grands principes du Dessin, l’ait mis en état de la corriger.
On a vu des exemples d’une belle Déclamation sans étude, & même, dit-on, sans ◀esprit▶. Oui sans doute, si l’on entend par ◀esprit▶ la vivacité d’une conception légère, qui se repose sur les riens, qui voltige sur les choses. Cette sorte d’◀esprit▶ n’est pas plus nécessaire pour jouer le rôle d’Ariane, qu’il ne l’a été pour composer les Fables de Lafontaine & les Tragédies de Corneille. Il n’en est pas de même du bon ◀esprit ; c’est par lui seul que le talent du bon Acteur s’étend & se plie à différens caractères : celui qui n’a que du sentiment ne joue bien que son propre rôle ; celui qui joint à l’âme, l’intelligence, l’imaginatien & l’étude, s’affecte & se pénètre de tous les caractères qu’il doit imiter ; jamais le même, & toujours ressemblant : ainsi l’âme, l’imagination, l’intelligence & l’étude doivent concourir à former un excellent Comédien.
Il faut moins de voix qu’on ne pense, pour être entendu dans nos Salles de Spectacles, & il est peu de situations au Théâtre où l’on soit obligé d’éclater : dans les plus violentes même, qui ne sent l’avantage qu’a sur les cris & les éclats, l’expression d’une voix entrecoupée par les sanglots, ou étouffée par la passion ? On raconte d’une Actrice célèbre, qu’un jour sa voix s’éteignit dans la Déclaration de Phèdre : elle eut l’art d’en profiter : on n’entendit plus que les accens d’une âme épuisée de sentiment. On prit cet accident pour un effort de la passion, comme en effet il pouvait l’être, & jamais cette Scène admirable n’a fait sur les Spectateurs une plus violente impression. Mais dans cette Actrice, tout ce que la beauté a de plus touchant, suppléait à la faiblesse de l’organe. Le Jeu retenu demande une grande expression dans les yeux, dans les traits, & nous ne balançons point à bannir du Théâtre celui à qui la nature a refusé tous ces secours à la fois. Une voix ingrate, des yeux muets & des traits inanimés, ne laissent aucun espoir au talent intérieur de se manifester au-dehors.
Quelles ressources au contraire n’a point sur la Scène, celui qui joint une voix sonore, flexible & touchante, à une figure expressive & majestueuse ? & qu’il connaît peu ses intérets, lorsqu’il employe un art mal entendu, à profaner en lui, la noble simplicité de la nature ?