V. AVIS.
Touchant les Comédies.
Si la crainte de faire naître dans le cœur de vos enfants des passions▶ qui leur seraient funestes, vous oblige de les éloigner de ces assemblées dont nous venons de parler ; cette même crainte vous engage indispensablement à ne jamais permettre qu’ils fréquentent les comédies.
Il n’y a point de désordre que les Pères de l’Eglise aient combattu plus souvent et avec plus de zèle, que l’amour des spectacles. On voit en une infinité d’endroits de leurs écrits les marques de leur zèle contre cette pernicieuse inclination, qui commençait dès leur temps à corrompre l’innocence et la chasteté des fidèles.
Ils les considèrent comme une invention du diable, qui a fait bâtir des théâtres dans les villes pour amollir le cœur des soldats de Jésus-Christ, et leur faire perdre leur force et leur générosité.
Ils déplorent l’aveuglement de ceux qui croient qu’il n’y a pas de mal à assister avec plaisir et avec applaudissement à des représentations, d’où ils ne peuvent remporter que des imaginations honteuses et des desseins criminels.
Ils font voir l’obligation indispensable que l’on a de quitter ces occasions prochaines d’incontinence. Ils appellent ces assemblées des écoles et des sources publiques d’impureté ; ils les décrient comme des fêtes du diable ; ils obligent ceux qui y ont assisté à se purifier par la pénitence avant que d’entrer dans l’Eglise ; enfin ils font des peintures si tristes et si horribles de l'état où l’on se trouve au sortir de ces divertissements, qu’on ne les peut voir sans frémir, et sans s’étonner de l’effroyable aveuglement des hommes, à qui les plus grands crimes ne font horreur, que quand ils ne sont plus communs, et qui non seulement cessent d’en être choqués, mais souvent même les font passer pour des actions innocentes.
Ce qui m’afflige davantage, disait autrefois S. Chrysostome en parlant de ce désordre, c’est que ce mal étant si grand on ne le regarde pas même comme un mal.» Et c’est ce qui vous oblige, ma Sœur, à veiller encore avec plus de soin pour empêcher vos enfants de s’affectionner à ces malheureux spectacles.
Je sais bien que l’on prétend qu’il faut faire beaucoup de distinction entre les comédies de ce temps-ci, et celles que les saints Pères ont condamnées dans le leur ; et que si celles contre lesquelles ils ont fait paraître tant de zèle méritaient le blâme qu’ils leur ont donné, celles qui se représentent aujourd’hui sur les théâtres ne sauraient assez recevoir de louange, parce qu’elles ne contiennent pour l’ordinaire que des exemples d’innocence, de vertu, et de piété.
Mais quelque spécieux que soit le prétexte dont les auteurs de ces pièces veuillent se couvrir, et quelque pures et saintes que puissent être leurs intentions ; il y a néanmoins tant de mélange dans leurs ouvrages, et les Saints qu’ils font paraître sur le théâtre y témoignent tant de faible touchant l’amour, qui est la ◀passion▶ dominante des comédies, qu’il est bien difficile qu’on ne prenne pas le change, et qu’au lieu de sanctifier le théâtre par les actions des martyrs que l’on y représente, on ne profane la sainteté de leurs souffrances par les fictions amoureuses que l’on y mêle.
La Sainte même dans la suite de la pièce vient enfin à découvrir la ◀passion▶ secrète qu’elle a pour un jeune homme : et quoique l’auteur la lui fasse combattre, elle ne laisse pas néanmoins de donner lieu à ceux qui l’entendent de justifier en eux-mêmes par son exemple la ◀passion▶ qu’ils ressentent, et de l’entretenir sous prétexte de n’y vouloir point consentir. Ils apprennent d’elle à regarder les mouvements d’un amour déréglé comme des
Et le jeune homme qu’elle aime, tout chrétien qu’il est, et prêt de souffrir la mort pour la défense de la foi et de la pureté même de cette Sainte, ne laisse pas de lui persuader d’épouser ce jeune Prince païen qui l’aime, et de la faire assurer de sa part que,
« C’est tout ce que veut d’elleLe souvenir mourant d’une flamme si belle. »
De sorte que si l’on voit dans cette pièce en la personne d’une Sainte, la foi triomphante des supplices les plus honteux ; on y voit en même temps l’amour profane triompher de plusieurs misérables qu’il s’est assujettis, et poursuivre jusqu’à la mort une Sainte Vierge, et un généreux martyr. On y voit le mouvement de la charité chrétienne, qui oblige cet illustre Saint à exposer sa vie pour la défense de la pureté de cette Sainte, tellement obscurci par la ◀passion▶ feinte, que l’auteur met dans ses paroles et dans celles de la Sainte, qu’on ne sait non plus que les Acteurs qu’il introduit sur le Théâtre.
« Si c’est zèle d’amant ou fureur de Chrétien. »
Et quoique le Saint déclare lui-même ensuite qu’il n’a agi dans cette occasion que par un motif de générosité chrétienne, cela paraît mêlé de tant de paroles tendres et passionnées, et de tant de circonstances qui tendent à détourner l’esprit de cet égard, et à le porter vers l’amour profane, que tout ce qui reste dans l’esprit des spectateurs est une haute idée pour la forte ◀passion▶ que cet Amant a eue pour la personne qu’il aimait.
On demeure même d’accord que dans l’endroit, où le zèle pour Dieu, qui occupe l’âme de Théodore, devrait éclater le plus, c’est-à-dire dans sa contestation avec Didyme pour le martyre, on lui a donné si peu de chaleur, que cette Scène, bien que tres courte, ne laisse pas d’être ennuyeuse. Et l’on dit pour s’en justifier qu’à parler sainement une vierge et martyre sur un théâtre n’est autre chose qu’un terme qui n’a ni jambes ni bras, et par conséquent point d’action. Ce qui est reconnaître d’assez bonne foi, qu’une vierge véritable fait un tres méchant personnage sur un théâtre ; qu’il demande plus de galanterie et plus de chaleur, qu’il n’y en a dans une vierge chrétienne ; et que si les autres Scènes de cette pièce ne sont pas si ennuyeuses, c’est qu’en effet Théodore n’y parle ni en vierge, ni en martyre.
Voilà quels sont ces exemples d’innocence, de vertu, et de piété, que l’on vante tant. Mais plutot voilà comme on fait servir dans les comédies la générosité et la charité chrétienne, que les Saints ont fait paraître dans leurs actions, à relever l’éclat de l’amour profane, à en donner de l’estime, et à en exciter les flammes dans le cœur des spectateurs.
Mais, ma Sœur, pour vous faire voir encore plus clairement combien est imaginaire la différence que l’on prétend mettre entre les comédies de ce temps-ci, et les spectacles des Anciens ; et que ce n’est ni le scrupule ni le caprice, mais un véritable zèle, qui les fait blâmer à ceux qui les blâment ; il faut remarquer que les Pères de l’Eglise n’ont presque rien dit contre l’attachement que l’on avait de leur temps aux spectacles, qui ne se puisse appliquer avec beaucoup de justice aux comédies de notre temps.
Tertullien, dans le livre qu’il a fait des spectacles, entreprend de montrer que ces divertissements ne peuvent s’accommoder à l’esprit de la religion que nous professons, et aux devoirs d’un Chrétien : Que ce qui fait qu’ils ont tant de défenseurs, est la crainte que l’homme a qu’on ne diminue le nombre de ses plaisirs : Que c’est en vain qu’on se figure que les Chrétiens ne s’en abstiennent, que parce qu’étant résolus de souffrir la mort pour la foi, ils renoncent à toutes les voluptés de la vie, afin de l’aimer moins, et de n'être point retenus par les plaisirs, qui sont comme les liens qui nous y attachent ; mais qu’ils s’en abstiennent, parce qu’encore que ces divertissements ne soient pas défendus en termes exprès dans l’Ecriture sainte, néanmoins ils ne laissent pas d’y être suffisamment condamnés.
Car il est certain, dit ce savant homme, que la recherche des plaisirs est une des plus violentes ◀passions▶ de l’homme, et qu’entre les plaisirs celui des spectacles est un de ceux qui le transportent davantage.»
Cependant, dit-il, les spectacles au contraire font revivre les ◀passions▶ dans les cœurs les plus mortifiés, ils les y raniment, ils les y fortifient, et après avoir mis ceux qui les regardent comme hors d’eux-mêmes ils excitent en eux des mouvements de haine, d’amour, de joie, de tristesse, qui sont d’autant plus déréglés, qu’on aime bien souvent ce qu’on devrait haïr ou ce qui ne mérite aucune estime, et qu’on hait au contraire ce qu’il n’est pas permis de haïr.»
Car pourquoi dit ce grand homme, serait-il permis à un Chrétien de voir représenter sur un théâtre des choses auxquelles il ne lui est pas seulement permis de penser, et d’entendre parler de ce qui ne doit pas même être nommé devant lui ?»
Qu’y a-t-il, ma Sœur, dans tout ce que ce grand homme allègue contre les spectacles des Anciens, qui ne se puisse dire des comédies d’aujourd’hui ? Les Chrétiens de ce temps-ci sont-ils moins obligés que ceux du temps de Tertullien, à quitter les ◀passions▶ du siècle, et à mortifier en eux les désirs qui les portent à la recherche des plaisirs et des divertissements ?
Sont-ils moins obligés que ceux des premiers siècles à travailler pour atteindre à la perfection de l’Evangile, à affaiblir et à mortifier en eux les ◀passions▶ de la chair, et à éviter les objets qui les excitent, qui les entretiennent, et qui les fortifient ?
Sont-ils moins obligés que ceux des premiers siècles à fuir tout ce qui peut blesser la pureté que Dieu demande d’eux ? Et leurs yeux et leurs oreilles doivent-elles être moins chastes que leurs langues, auxquelles il n’est pas permis de proférer aucune parole vaine et qui ne convienne point, comme dit S. Paul, à leur vocation ?
Quelle est, dit Tertullien, cette corruption qui fait que l’on aime ceux que les lois publiques condamnent ; qu’on approuve ceux qu’elles méprisent ; qu’on relève un art et un emploi, en même temps qu’on note d’infamie ceux qui s’y adonnent ? Quel est le jugement par lequel on couvre de confusion des gens pour une profession qui les rend recommandables ? ou plutôt quel aveu ne fait-on pas par ce jugement de la corruption qui est inséparable de ce divertissement ; puisque quelque agréables que soient ceux qui le donnent, ils ne laissent pas néanmoins de demeurer dans l’infamie dont on les a notés ?»
L’auteur de la vérité, dit Tertullien, n’aime point le mensonge : et tout ce qui tient de la fiction passe devant lui pour une espèce d’adultère.»
Ceux qui renoncent au monde, et qui sont vraiment touchés du désir d’être à Dieu, ne fuient-ils pas les comédies comme des écueils tres-dangereux ? Et ne reconnaît-on pas qu’ils ont changé de vie, et qu’ils sont pour ainsi dire, devenus Chrétiens une seconde fois, en ce qu’ils refusent de se trouver dans ces lieux, qu’ils ne savent que trop leur avoir été funestes ?
Tertullien ne dit donc rien contre les spectacles des anciens, qui ne se puisse appliquer avec justice aux comédies de notre temps. Et c’est ainsi, ma Sœur, que si je ne craignais de m’étendre trop (n’ayant point entrepris d’écrire contre les comédies, mais seulement de vous montrer l’obligation que vous avez d’en détourner vos enfants) je vous ferais voir que tout ce que S. Cyprien, ou l’auteur du traité des spectacles, qui est entre ses ouvrages ; tout ce que Salvien, et tout ce que les autres Pères de l’Eglise ont dit contre les spectacles des anciens, retombe naturellement sur les comédies de notre temps.
Je sais bien que les Pères ont insisté particulièrement sur ce qu’il n’y avait point de spectacle, qui ne fût dédié à quelque fausse divinité, et qui ne tint dans son origine ou dans son exécution, quelque chose de l’idolâtrie.
qu’il y a plusieurs manières différentes de sacrifier aux Anges rebelles» ; et que si les comédies de notre temps ne se représentent pas en l’honneur d’un Mars, d’un Jupiter, et d’un Neptune, elles sont pourtant uniquement consacrées à l’amour profane, au plaisir de ceux qui les regardent, et à l’avarice et à la cupidité de ceux qui les représentent.
De sorte dit Tertullien, qu’en donnant ce titre spécieux à cet ouvrage, qui ne méritait que d’être condamné, il éluda par cette superstition les règlements que les Censeurs eussent pu faire pour le faire abattre.»
parce, dit S. Chrysostome, que ce n’est point à nous à passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices. Ce n’est point à l’esprit de ceux, qui sont appelés à une vie céleste, dont les noms sont déjà écrits dans cette éternelle cité, et qui font profession d’une milice toute spirituelle : mais c’est l’esprit de ceux qui combattent sous les enseignes du démon.
« Oui, mes Frères, ajoute ce Saint, c’est le démon qui a fait un art de ces divertissements et de ces jeux, pour attirer à lui les soldats de Jésus-Christ, et pour relâcher toute la vigueur et comme les nerfs de leur vertu. C’est pour ce sujet qu’il a fait dresser des théâtres dans les places publiques ; et qu’exerçant et formant lui-même ces bouffons, il s’en sert comme d’une peste dont il infecte toute la ville. S. Paul nous a défendu les paroles impertinentes, et celles qui ne tendent qu’à un vain divertissement : mais le démon nous persuade d’aimer les unes et les autres.
« Ce qui est encore plus dangereux est le sujet pour lequel on s’emporte dans ces ris immodérés. Car aussitôt que ces bouffons ridicules ont
proféré quelque blasphème, ou quelque parole déshonnête, on voit que les plus fous sont ravis de joie, et s’emportent dans des éclats de rire. Ils leur applaudissent pour des choses pour lesquelles on les devrait lapider : et ils s’attirent ainsi sur eux-mêmes, par ce détestable plaisir, le supplice d’un feu éternel. Car en les louant de ces folies, on leur persuade de les faire, et on se rend encore plus digne qu’eux de la condamnation qu’ils ont méritée. Si tout le monde s’accordait à ne vouloir point regarder leurs sottises, ils cesseraient bientôt de les faire. Mais lorsqu’ils vous voient tous les jours quitter vos occupations, vos travaux, et l’argent qui vous en revient, en un mot renoncer à tout pour assister à ces spectacles, ils redoublent leur ardeur, et ils s’appliquent bien davantage à ces niaiseries.
»
Vous voyez, ma Sœur, que S. Chrysostome, aussi bien que Tertullien, ne condamne pas seulement les comédies à cause de leur dissolution et de leur impureté, mais encore à cause
qu’il n’est pas permis aux Chrétiens de passer le temps dans les ris, dans les divertissements, et dans les délices qui sont inséparables de ces spectacles ; qu’il les condamne, parce qu’on ne peut s’empêcher d’y donner de l’approbation et de l’applaudissement à des choses pour lesquelles les fidèles doivent avoir une souveraine horreur, et comme il ajoute en suite, « parce que ce sont ceux qui assistent à ces spectacles qui entretiennent la vie libertine de ceux qui les représentent, qui les animent par leurs ravissements, par leurs éclats et par leurs louanges, et qui travaillent en toute manière à embellir et à relever cet ouvrage du démon
».
Car quelle est, dit-il, la première profession que font les Chrétiens dans le baptême ? N’est-ce pas de renoncer au diable, à ses pompes, à ses spectacles, et à ses œuvres ? Donc les spectacles et les pompes sont selon notre propre confession les œuvres du diable. Et comment, ô Chrétien ! peux-tu aller aux spectacles depuis ton baptême, toi qui confesses qu’ils sont l’ouvrage du démon ? Tu as renoncé une fois au diable et à ses spectacles : et par conséquent il est nécessaire, que lors que tu retournes volontairement aux spectacles, tu confesses que tu retournes sous l’obéissance du démon. Et il est si vrai qu’on ne peut aller à la comédie sans s’engager volontairement sous la tyrannie du démon, que Tertullien rapporte, qu’une femme Chrétienne étant allée au théâtre et à la comédie en revint possédée du diable, et que les Exorcistes lui demandant comment il avait osé attaquer une Chrétienne, il répondit qu’il l’avait fait sans crainte, parce qu’il l’avait trouvée dans un lieu qui lui appartenait.»
de prendre part à la joie de ces amants de théâtre, lors que par leurs artifices ils font réussir leurs impudiques désirs, et de se rendre criminel en se laissant toucher d’une compassion folle pour celui qui s’afflige dans la perte qu’il a faite d’une volupté pernicieuse et d’une félicite misérable. Enfin il le faut, parce qu’on ne prend point de plaisir, comme remarque le même Saint, dans les comédies, si l’on n’y est touché de ces aventures poétiques qui y sont représentées, et dont cependant on est d’autant plus touché, que l’on est moins guéri de ses ◀passions.» De sorte que plus vos enfants témoigneront d’ardeur pour les comédies, moins leur devez-vous permettre d’y aller ; parce que cet empressement même est une marque de l’inclination qu’ils ont au luxe, à la pompe, à la sensualité, à la délicatesse, à l’oisiveté, à la mollesse, aux artifices et aux déguisements, qui éclatent sur les théâtres, et que vous devez vous efforcer de bannir de leur cœur.
Je ne doute point qu’ils n’aient des inclinations toutes contraires à ces pratiques. Mais c’est pour cela même que vous devez être ferme, et ne vous point éloigner de cette discipline et de cette crainte du Seigneur, dans laquelle Saint Paul vous ordonne de les élever, de peur qu’ils ne s’engagent insensiblement dans ces désordres, et qu’ils ne viennent enfin à rechercher ces divertissements criminels. Et je puis dire en cette rencontre ce que Saint Augustin a dit à l’égard des prières que l’on présente à Dieu pour obtenir des biens qu’il prévoit devoir être cause de notre perte, et que pour ce sujet-
la il nous refuse : « Qu’ils pleurent tant qu’ils voudront, qu’ils se lamentent tout le long du jour ; vous avez de la bonté pour eux si vous ne les écoutez pas, et vous leur êtes cruelle si vous les exaucez.
»