Lettre
sur les spectacles.
(P. 25.)*
Tantum series juncturaque pollet.
IL est du devoir de tout Chrétien, de tout Citoyen, de déférer au tribunal de la Justice toute manœuvre sourde & secrette, dès que venant à sa connoissance elle lui paroît tendre au détriment de la Religion & de l’Etat. C’est ce devoir que des Magistrats plus Chrétiens encore que Citoyens, ont rempli il y a aujourd’hui trois mois, en dénonçant à la Cour nombre d’Ecrits dangereux, entr’autres le Livre de l’Esprit, & le Dictionnaire Encyclopédique, & en dévoilant à ses yeux une partie du venin caché dans ces ouvrages, qu’on nous annonçoit comme devant servir à éclairer le monde, & qui sont démontrés n’être que l’œuvre du Pere du mensonge & de l’esprit de ténèbres.
Le rapport qu’ils en ont fait d’une manière si digne de la plume des Princes de
l’Eglise, ne peut qu’être un sujet de triomphe pour tous ceux en qui il reste
encore quelque amour pour la Religion dont le flambeau leur a servi de guide :
Mais le dirai-je ? le plaisir extrême que je trouve à sa lecture, depuis six
semaines qu’il m’est tombé entre les mains, n’est si grand pour moi que parce
qu’il m’en promet un autre plus grand cent fois que celui de voir brûler des
Livres, c’est celui de voir dans peu renverser tous nos Théâtres : la cognée me
semble déjà mise à la racine de l’arbre : quel nouveau sujet de triomphe se
prépare pour Nous, François, qui depuis si long-temps… Vous doutez, la chose ne
vous paroît-elle pas croyable ? Me ferois-je donc illusion ? & trouverois-je
mon plus grand
plaisir à ne me repaître que d’un
phantôme ? Quoi ! vous voyez qu’on nous arrache d’entre les mains des Livres qui
nous donnent sourdement des leçons d’irréligion &
d’indépendance, & vous prétendez qu’on nous laissera des spectacles qui nous
donnent publiquement des leçons d’irréligion &
d’indépendance ?
Quirites
(P. 26.)
hoc, puto, non justum est.
Pour fortifier (P. 17.) ma pensée,
entrelaçons la branche au tronc, & donnons au tout cette unité si
favorable à l’établissement de la vérité & à la persuasion, opposons
les notions, saisons contraster les principes, attaquons, ébranlons,
renversons un tas d’opinions ridicules qu’on ose établir
ouvertement
.
Ennemis de toute partialité,
ayons la double
satisfaction
de confirmer & de réfuter…
Par
respect pour un goût national, exposons-le
respectueusement & avec tout son cortège de séduction ; mais
renversons l’édifice de fange, dissipons un vain amas de poussière, en
renvoyant à des sources pures &
irréprochables,
où des principes solides servent de base aux vérités
opposées
à ce goût dépravé.
Cette manière de détromper les hommes opère
très-promptement sur les bons esprits, & elle opère
infailliblement & sans aucune
(P. 18.)
fâcheuse conséquence, secrettement & sans éclat sur tous
les esprits… Si ces renvois de confirmation & de réfutation sont
prévûs de loin & préparés avec adresse, ils donneront
à cette Lettre que j’ai l’honneur de vous adresser,
chers Compatriotes,
le caractère qu’elle doit avoir pour changer la façon commune
de penser…
Elle aura des défauts d’exécution, j’y consens ;
mais le plan & le fonds en seront excellens ;
nous en
déduirons, sinon ouvertement, du moins
tacitement, la conséquence la plus forte
contre
nos théâtres, puisque nous serons forcés de conclure qu’après avoir jetté la
branche au feu, il y faut encore jetter le tronc : Telle est la force des
renvois.
Tantum series juncturaque pollet,Tantum de medio sumptis accedit honoris !Horat. Art. Poet. Vers. 243.
L’esprit de force & de vérité qui étoit hier pour confondre & faire taire
(P. 22.)
des oracles de l’impiété, qui livrés à leur
imagination
, sous le manteau d’Hommes de Lettres,
induisoient en erreur leurs Concitoyens, &
pervertissoient le monde en refusant de subordonner la science des mœurs
à celle de la Religion
, est encore aujourd’hui pour
confondre
& faire taire des Oracles de l’impiété, qui
livrés à leur imagination,
sous le masque d’hommes de
théâtres
, induisent en erreur leurs Concitoyens, &
pervertissent le monde, en refusant de subordonner la science des mœurs à celle
de la Religion : donc ils vont se taire ces anciens oracles de l’impiété, depuis
si longtems confondus ; donc le renversement des théâtres, cet avenir que je ne
vois qu’à la faveur du flambeau qui m’est présenté par Thémis même, ne peut être
ni incertain ni éloigné.
Le principe est vrai,
il est sacré
: (aux Heb. 13. v. 8.) la conséquence est juste ;
deux poids & deux balances
, (Prov. 20. v. 10.)
sont en abomination aux yeux de
la Justice
. Mais ne consultons que la raison ; elle nous
dit qu’en vain d’un bras cette Justice chasseroit du milieu de nous (p. 2.)
une société formée pour soutenir le
Matérialisme, pour détruire la Religion, pour inspirer l’indépendance
& nourrir la corruption des mœurs…
(p. 16.
17.)
des Ecrivains dangereux, des hommes sans
pudeur, ennemis de l’autorité & du Christianisme, dont ils ont
vainement juré la perte
, si de l’autre elle ne chasse du
milieu de nous
une troupe
formée pour
entretenir
le Matérialisme, pour détruire la Religion, pour inspirer
l’indépendance & nourrir la corruption des mœurs… des déclamateurs dangereux ; des hommes sans pudeur, ennemis de l’autorité
& du Christianisme dont ils
n’ont que trop
efficacement
juré la perte.
En effet qu’importe-t-il au Christianisme que la plume de ceux-là ne puisse plus
nous apprendre (p. 13. 14.) que
la maniere
d’adorer le vrai Dieu ne doit jamais s’écarter de la raison, parce que
Dieu est l’auteur de la raison, & qu’il a voulu qu’on s’en servît
même dans les jugemens de ce qu’il convient de faire ou ne pas faire à
son égard ;… langage du Déiste, ennemi de la révélation
:
qu’elle ne puisse plus nous dépeindre (P. 6.) les Ministres de
la Religion, comme des Pedans épris d’une fausse idée de perfection, des
Moralistes déclamateurs & sans esprit, dangereux dans un Etat, des Prêtres
de Moloch… des Fanatiques… qui veulent qu’on tienne les Peuples prosternés
devant les préjugés reçus comme devant les Crocodiles sacrés de Memphis, ni
enfin nous enseigner qu’il
faut d’une main hardie briser le
talisman d’imbécillité auquel est attachée la puissance de ces génies
malfaisans
: Si la bouche de ceux-ci peut s’ouvrir encore
pour traiter par celle
d’Hypermnestre (édition 1759) ces mêmes Ministres
de fourbes dont
la langue au mensonge vendue, veut en prenant sur nous un funeste
ascendant, paroître nous servir en nous intimidant
, &
pour nous dire que
quand un Prêtre a parlé
d’un avenir,
c’est foiblesse de trembler sur sa foi
, à moins qu’on ait
vû sur lui la vérité descendre ?
Un poison étant d’autant plus malin qu’il est plus caché, quelle est la malignité de celui qu’on nous présente ici sous le voile de la fiction ? L’Auteur a-t-il voulu nous faire naître un doute impie sur la certitude de la révélation ? Je n’en sçais rien ; mais l’Actrice ne réussit que trop à le faire passer dans tous ses Spectateurs : les acclamations & les applaudissemens qui l’interrompent, lui sont garands de son succès : Severe ne réussiroit pas mieux, quand il nous diroit encore.
Peut-être qu’après tous ces croyances publiquesNe sont qu’inventions, de sages politiquesPour contenir le Peuple ou bien pour l’émouvoir,Et dessus sa foiblesse affermir leur pouvoir*.
L’Incrédule triomphe également à
l’école d’une femme ou
d’un Payen, à l’ombre de la Fable ou d’un peut-être, quand il peut applaudir
impunément & en public à son incrédulité. Qu’on ne dise pas que ces
applaudissemens se rapportent plus au jeu de notre Melpomène qu’à ses paroles :
les hommes d’aujourd’hui rougiroient de passer pour être moins impies
qu’automates ; ils auroient honte de paroître se laisser plus transporter par
ces cheveux hérissés d’horreur… ces regards égarés,
ces sons de voix plus lents
, par ce jeu de l’Actrice ; en
un mot, que sentir tout le beau de la question, d’où le
sçait-il ? Convenons-en plutôt, à la honte éternelle de nos
déclamateurs ; ce sont là de ces beautés qui pourroient échapper à la lecture,
mais qu’on ne peut s’empêcher de sentir aux théâtres.
Théâtres, écoles publiques d’irréligion, où, si l’on ne regarde pas
l’existence de Dieu
(P. 14.)
comme problématique
, on tourne en ridicule (Festin de Pierre) les preuves qu’on en a.
Où, si
les moralités
de l’Evangile sont
annoncées, c’est d’une manière à les rendre méprisables.
Où, si
le dogme des peines d’une autre vie
,
n’est pas combattu, on se fait un jeu des foudres du Ciel & des feux de
l’enfer.
Où, si l’on ne se met point en peine
de nous prouver la nécessité de travailler aux jours de
Dimanche
, non plus que celle de supprimer nombre de Fêtes, ni
de supputer la perte que fait le commerce par
l’inaction des Ouvriers
, des Ouvriers d’iniquité, semblent
redoubler d’action en ces saints jours pour nous les faire profaner &
assurer par cela seul, autant qu’il est en eux, la perte de nos ames.
Où,
si l’on n’imprime pas
(p. 9.)
la note de méchanceté à ceux qui se consacrent aux devoirs
& aux conseils de la Religion
, on nous met dans une
espéce de nécessité de devenir méchant par celle qu’on nous impose de
transgresser les préceptes.
Où, si l’on ne nous dit pas en termes formels (p. 5.) qu’il n’y
a
point de véritable liberté dans l’homme, & qu’on ne
peut se former aucune idée de ce mot appliqué à la volonté
,
Phédre & Oedipe nous apprennent que
le Ciel punit l’homme des péchés qu’il lui fait commettre.
Où si l’on n’a pas encore prouvé, (p. 7.)
que l’espoir ou la crainte des peines ou des plaisirs temporels, sont
propres à former des hommes vertueux
, l’ancien Venceslas récompensoit le vice & punissoit la vertu : le Moderne
fera-til grace ce vice choquant ?
Où, si de graves Magisters paroissent de temps en temps
sur la Scène, (Athalie)
pénétrés de la
plus grande confiance en celui qui met un frein à la fureur des flots
contre les complots des méchans, soumis avec respect à sa volonté
sainte, craindre Dieu, & ne craindre que lui
; en un
mot, (p. 20.)
respecter quelquefois la
vérité, ce n’est que pour mieux pallier l’iniquité de leur systême,
& peut-être même pour fournir en leur faveur des prétextes à ceux
qui sont assez foibles ou assez téméraires pour oser encore les
justifier
.
Enfin écoles d’irréligion, ou, si l’on ne soutient pas ex professo le matérialisme, c’est que le croyant bien établi, on pense n’avoir qu’à l’entretenir : & voici comment on y réussit.
L’Oracle de la vérité nous apprend, (Luc 12. v. 4. 5.)
à craindre ceux qui peuvent tuer nos ames, & non
ceux qui ne peuvent que nous ôter la vie du corps
.
Pleins de ces salutaires instructions qui doivent nous être toujours présentes, même dans la recherche de nos plaisirs, nous entrons dans une salle de spectacle, qu’y voyons-nous ? nombre de satellites préposés par une sage police pour nous contenir dans l’ordre, la paix & la tranquillité ; au coup de sifflet la toile se lève, paroissent de nouveaux satellites en plus grand nombre encore, préposés par le diable, pour jetter dans nos cœurs le trouble, la confusion & le désordre, suites inévitables des passions qu’ils font naître ou qu’ils fortifient.
Satellites politiques, on vous craint, & vous êtes moins pour menacer nos
vies, que pour nous ménager nos bourses ! Satellites diaboliques, on ne vous
craint pas, & vous ne sçavez que nous frayer cette voie large &
spacieuse qui mène à la mort éternelle ! Ce n’est pas tout : comme pour nous
enhardir à vous voir, à vous entendre sans effroi, un homme à rabat nous épaule
au Parterre, dans les Lôges & jusques sur le Théâtre. Est-ce donc là ce
fourbe que vous venez de nous dépeindre comme nous annonçant un avenir qu’il ne
croit pas ? O, supôt de satan, tout à la fois le scandale des Fidèles &
l’opprobre de l’Eglise, combien d’entre nous qui, n’étant entrés à ce spectacle
qu’à ton exemple, peut être qu’à tes instances, n’en sortiront que pour prêcher
avec toi, (p. 20.)
la Religion naturelle,
le Matérialisme, le Déisme ou l’Athéisme !
& comment ne
pas savoir gré à l’esprit qui à ce coup d’œil imagina (p. 9.)
des vertus de
préjugé… une
corruption religieuse & politique
, de ce qu’au lieu de
nous avoir parlé de vraies vertus, il ne nous a pas dit que
tout meure avec nous.
Religion sainte, si nos Peres vous ont joué sur leurs théâtres, leur simplicité
semble les mettre à l’abri de tout reproche : mais comment nos enfans nous
justifieront-ils des combats que nous vous livrons sur les nôtres dans un siécle
où, sans parler de nos
esprits forts
, (p. 3.)
de nos prétendus
Philosophes
, (p. 20.) ils ne pourront
s’empêcher de reconnoître qu’il y aura eu dans tous les genres (p. 20.)
des génies du premier ordre, la gloire de la Nation,
les restaurateurs de la vraie science, & les bienfaiteurs de
l’humanité
.
J’ajoute écoles d’indépendance : nos Ecrivains nous en donnent-ils des leçons plus fortes que nos déclamateurs ? Voyons les uns, écoutons les autres.
Toute liberté est si précieuse à ceux-là
, que selon eux, (p. 15.)
aucun homme n’a reçu de la Nature le droit de commander aux
autres.. Que si la Nature a établi quelqu’autorité, c’est la puissance
paternelle.
Cela est vrai, malheureusement ils ajoutent
que,
toute autre autorité a pour origine… ou la force &
la violence de celui
qui s’en est emparé, ou
le consentement de ceux qui s’y sont soumis par un contrat fait ou
supposé entr’eux & celui à qui ils ont déféré
l’autorité
. Et voilà ce qui les rend coupables.
Ceux-ci nous disent dans l’Orphelin de la Chine,
Va, le nom de Sujet n’est pas plus grand pour nous,Que ces noms si sacrés & de Pere & d’Epoux.
Cela est vrai, aussi n’est ce pas ce qu’ils veulent nous dire, ces peres du mensonge, mais plutôt :
Va, le nom de Sujet n’est pas si grand pour nousQue ces noms plus sacrés & de Pere & d’Epoux.
Car ils ajoutent aussitôt :
La nature & l’hymen, voilà les loix premieres,Les devoirs, les liens des Nations entieres,Ces loix viennent des Dieux : le reste est des humains.
Mêmes
conséquences
(p. 15.)
se présentent ici d’elles-mêmes : partout
maximes bien différentes
(p. 16.)
de celles de l’Apôtre, qui nous apprend qu’il n’y a point de
puissance qui ne vienne de Dieu, & que c’est lui qui a établi toutes
celles qui sont sur la terre
.
Mais tant que celles-ci seront débitées avec de si
grands applaudissemens, quel fruit les Princes de l’Eglise pourront-ils attendre
de leurs exemples & de leurs instructions ? Ils auront beau regarder les
Rois de la Terre comme les dépositaires de l’autorité de Dieu même, comme des
Divinités sensibles, ils enseigneront en vain
qu’il est donc
nécessaire de s’y soumettre non seulement par la crainte du châtiment,
mais aussi par un devoir de conscience. doctrine seule véritable &
qui affermit le bonheur des Rois & des Peuples
.
Est-ce un esprit de fanatisme ou de révolte qui a placé cette maxime,
le reste est des humains
dans l’Encyclopédie à
l’Article Fanatisme ? Je n’en sçais rien. Quelles impressions
a-t-elle faites sur ceux qui l’y ont vue ? Je n’en sçais rien encore : à en
juger par moi, elle n’a causé qu’un mouvement d’indignation contre celui qui le
premier l’a mise au jour ; mais j’ai été témoin avec un étonnement qui dure
encore, du frénétique enthousiasme qui s’empare de la multitude au débit qui
s’en fait sur le Théâtre. Est-ce donc là une de ces
beautés
(Lettre de M. Rousseau de Genève à M.
de Voltaire, dans le Mercure de
Novembre 1755,
pag. 66.) que nous devions applaudir dans l’Orphelin,
à peine de passer pour grimaud ? Non, non,
justice & vérité ; voilà les premiers devoirs de
l’homme
. (Lettre du même à M. Dalembert sur son
Article Genève, dans l’Encyclopédie, Préface, page
3.)
A tant de battemens & des piés & des mains prodigués à l’erreur & au mensonge, on voit assez triompher le sentiment de cette liberté si précieuse & tant vantée ; mais comment y reconnoître cet amour gravé dans tous nos cœurs pour un Souverain, pour un Pere à qui nous avons donné le titre de Bien-aimé ?
Accès de frénésie qui troublez les théâtres, pourquoi me forcez-vous de rappeller
ici ces accès de rage qui troublent les Etats, qui ébranlent les trônes, &
renouvellent (P. 11.)
tant d’anecdotes scandaleuses capables
de faire frémir tout Citoyen fidèle & tout sujet
soumis
? Que de graces à rendre au Ciel s’ils ne sont pas plus
communs de nos jours, ces monstres, dont les noms serviront à jamais pour
désigner les cœurs pervers ! La justice humaine & ses tortures ne pourroient
rien contre les puissances de l’enfer qui se liguent pour les faire naître, si
le malheureux germe n’en
étoit étouffé par le
Tout-puissant, dont le bras est toujours levé pour défendre ses oingts, jamais
sa protection ne fut plus visiblement marquée ; puisse t-elle n’être pas mise à
de nouvelles épreuves ! Peut être ne faut-il pour cela que le renversement des
théâtres : la Religion & l’Etat ne sont pas les seuls qui le demandent ; la
société le veut encore.
Y auroit-il en effet plus (p. 11.)
d’écarts raison, de
décence, d’amour de la société
à méconnoître les vrais
fondemens de l’amitié, & à substituer en leur place (p. 12.)
des hypothèses chimériques & indécentes
en
nous donnant (p. 11.)
le besoin pour la mesure du
sentiment
, & par une suite toute naturelle,
des amis de plaisirs, d’argent, d’intrigues d’esprit & de
malheurs
, qu’à nous inspirer la haine & la vengeance au
mépris des loix divines & humaines ? Eh ! quoi ! comme si pour nous animer à
répandre le sang, ce n’étoit point assez de nous dire, (le
Cid) dans un langage ordinaire : meurs ou tue. J’entends
une voix meurtrière nous dire encore au son des instrumens, dans l’Opéra de Pyrame & Thysbé,
Qui craint de se venger mérite qu’on l’outrage.
Une autre encore nous en a dit à peu-près autant dans l’acte d’Alphée & d’Aréthuse.
Quelle fureur sur nos théâtres à pervertir les meilleures choses ! Par quel
affreux revers la Musique, ce présent des Dieux accordé aux hommes pour écarter
le triste souvenir de leurs maux, en leur inspirant & la tendresse & la
gaîté, est-elle employée de nos jours à leur faire naître à chaque instant des
sentimens de fureur & de rage, en rendant ineffaçables en eux le souvenir
d’une injure ? Quel besoin est-il donc de leur donner en tant de différentes
manières & sous des formes si séduisantes des leçons de la force, desquelles
ils ne sont déjà que trop instruits (p. 12.)
par l’amour-propre, qui est dans le cœur de tous les
hommes
?
Le bel amusement ! auroit dit le Prince des Orateurs, qui le
premier porta le titre plus glorieux encore de Pere de la Patrie, si ce genre de
plaisir n’eût pas été réservé pour nous.
La belle
Philosophie ! disoit-il, (p. 12.)
retrancher l’amitié de la vie, c’est ôter la lumière du monde.
Oracle du Sénat Romain !
qu’est-ce donc d’y perpétuer
l’inimitié, sinon (p. 7.)
nous montrer la
terre
n’offrant de toutes parts que le
vaste, le dégoutant & l’horrible charnier du
ressentiment
?
Pour nous épargner la vûe d’un tel spectacle, ne suffiroit-il pas
de nous aimer (p. 12.) comme on aime les
troupeaux à proportion du profit qu’on en retire
? Mais de
quelle amitié sont capables des hommes
dont la langue est un
glaive tranchant
(Ps. 56. v. 6.)
dont
le gozier est un sépulcre ouvert
; (Ps. 13. v. 5.) qui…
avec un cœur de bête
(Dan. 4. v. 13.)
dévorent tout un peuple dont ils se font un pain de chaque
jour
, (Ps. 13. v. 8.)
ne sçachant que
s’engraisser de sa substance pour prix de sa grande bonté, qui les tire
du sein de la poussière pour les plonger dans l’abondance & les
délices
. (2. Esdras, 9. v. 5.)
Plus que jamais (p. 4.)
ils déchirent le sein de
l’Eglise
, sans doute pour se venger d’elle de ce qu’elle
les a retranchés du nombre de ses enfans, &
comme si
l’Etat étoit coupable à leurs yeux parce qu’il est
Chrétien
, ou qu’il les souffre,
ils conjurent
la perte de l’une & de l’autre, & cherchent à les sapper par le
fondement
.
Si tant que ce retranchement subsistera, ils n’ont point de pardon à attendre,
qu’ils nous laissent
espérer le nôtre,
(Matt. 6. v. 12.)
selon la mesure de celui que nous accorderons à nos frères…
S’ils ne veulent pas jouir (p. 5.) avec nous des
lumières de la vérité, qu’ils nous laissent en possession de notre
créance ; qu’ils voyent
parmi les ours
à trouver des caractères analogues à leur manière de penser…
& à leurs maximes capables de troubler l’ordre de la
société
. Veulent-ils faire de nous un peuple de gladiateurs,
ces hommes qui ne respirent que le sang & le carnage ? Qu’ils s’entretuent
plutôt eux-mêmes ! Nous nous passerons de leurs maximes, que nous ne pourrions
prendre pour règles de notre conduite, sans manquer à la majesté du trône :
notre religieux Monarque avant que d’y monter, a fait un vœu spécial d’employer
toute sa puissance pour arrêter la fureur des duels, & par-là nous a intimé
ses volontés, ou plutôt celles de Dieu même, qui ne s’est reservé qu’à lui seul
le droit de la vengeance,
mihi vindicta
,
(Rom. 12. v. 19.) Quelle est donc
la mission
de
ces hommes de néant ? (p. 21.)
Quel est
leur caractère, pour s’ériger en réformateurs publics de la Religion
& de l’Etat ? pour oser nous apprendre
(p. 22.)
à nous délivrer du joug de toute autorité
: n’en
connoissent-ils aucune ?
Meurs ou tue ! Grand Dieu !
& que veux-tu faire de la chair de l’occis ? Bête féroce ! la veux-tu
manger ? Tais-toi, voix sépulcrale ; Chrétiens & Citoyens, nous croyons que
le sang ne doit couler que pour la Religion & la Patrie.
Mais ce n’est pas assez : (p. 2.)
O dementiam hominum omnibus lacrimis, gemitibusque
deplorandam ! Peut-on se dissimuler qu’il n’y ait un projet conçu
par cette troupe d’hommes corrompus &
corrupteurs
pour nourrir la corruption des mœurs ?
Et
quand ils supplieroient très-humblement
(p. 30.)
de vouloir bien considérer que leurs excès ont pour principe
l’égarement de leurs esprits plutôt que celui de leurs
cœurs
, c’est tout au plus parmi les Turcs ou les Chinois
matérialistes qu’ils trouveroient des Juges assez indulgens pour leur donner
acte d’une pareille supplication, & y avoir égard.
Qui de nous ne sçait pas qu’il est une école parmi eux où l’art dévance la nature
pour leur apprendre & leur faire apprendre aux autres celui (p. 22.)
de bannir toutes les vertus, &
d’établir le règne des passions
? Par un excès d’indécence
aussi criant que ridicule, ne les
voyons-nous pas
encore exercer cet art damnable, lors même que la nature ne parle plus en eux,
& qu’ils ne sont plus bons que, ce qu’on appelle, pour le conseil ? Ainsi
donc leurs cœurs dépravés passent de l’enfance à la vieillesse & descendent
avec eux dans le tombeau, ayant toujours voulu ce qu’ils ont voulu d’abord :
nourrir la corruption des mœurs
.
Projet infame que les théâtres d’Athênes & de Rome payenne, avec toutes leurs
obscénités, n’ont jamais mieux rempli que les notres avec ce vernis d’honnêteté
dont on prétend qu’ils sont couverts : que la couche en est légére, puisqu’il se
fait si peu sentir ! Où est-il, en effet, ce vernis, qui n’est si vanté que par
ceux qui seroient bien fâchés qu’il y fût ? A quelle sorte de spectacle nous
faut-il aller pour le trouver ? Est-ce à Tragédie, Comédie, Opéra petit ou
grand, Bal ou Ballet ? Par-tout (il n’y a que du plus ou du moins) je vois avec
l’élégant Solitaire de Bretagne, (Mercure d’Août 1758.)
le cinisme de la licence ombrager la tête de la
galanterie de son pennage orgueilleux ; la hardiesse, mere du vice
regner dans des yeux impudens, comme dans ceux des Bacchantes
échevelées, quand un thyrse à la main, elles
fouloient aux pieds les sages loix de la pudeur ; des demi-robes
parsemées des couleurs de la débauche & semblables à celles des
Filles de Sparte, quand presque nuës elles alloient disputer le prix des
exercices gymmiques ; le feu des peintures dangereuses vomi par cent
bouches impures, comme les flammes de l’Etna pour le malheur de ceux qui
l’environnent ; une jeunesse novice portant d’une main la torche ardente
de la passion aveugle, & de l’autre le frêle roseau de
l’inexpérience, aller en foule porter dans le gouffre de la corruption
les tendres fruits de l’éducation, les racines déliées de la vertu &
les fleurs délicates de la santé
.
Quelle touche ! que le pinceau en est délicat ! quel coloris ! que les couleurs
en sont naïves ! Pour ne pas reconnoître l’original de ce portrait dans nos
spectacles, quel aveuglement dans l’esprit faut-il avoir ! quelle corruption
dans le cœur ! Disons mieux, quelle mauvaise foi !
quel
delire
! (p. 22.)
c’est marcher en plein jour comme des aveugles au milieu des
ténèbres
.
A moins que d’être du nombre de ces aveugles volontaires, qui n’y reconnoîtra sur-tout cet inimitable Prothée qui se transforme à nos yeux tantôt comme un sultan généreux au milieu de son serrail qui malgré nous, nous transporte à Constantinople, & tantôt comme un heros avanturier ; (deux Balets Pantomimes du Théâtre Italien.) qui fait paroître au milieu de nous cette isle enchanteresse de Calypso, qu’aucun Géographe ne sçavoit encore où placer.
De quelle trempe es tu ? Mentor, au milieu du brasier de ton Télémaque, tu es froid comme glace, & notre Paradis même est tout en feu.
C’est sous le double point de vuë que nous présentent cette isle & ce serrail, qu’il ne manque rien au tableau ; je me trompe, il est au-dessous de l’original.
Ce seroit trop peu pour cet infame sauteur de nous montrer
le
feu des peintures dangereuses, vomi par cent bouches
impures
, il nous le fait voir étincellant dans deux cens yeux
lascifs. Quel embrasement se prépare sur ses pas forcenés !
Les fleurs délicates de la santé
pourront-elles echapper
aux flammes ?
Quel homme puissant en inquité
!
(Ps. 51 v. 13.) un pas, une œillade de chacune de ses
infames complices, porte une étincelle seule capable d’allumer deux mille
torches ardentes de la passion aveugle pour le
malheur
de tous ses Spectateurs : Qui
pourra donc calculer le nombre de ses forfaits ? Quelle
horreur me saisit ! au milieu de ces sultanes & de ces nymphes, de tant de
beautés molles, de tant de langueurs passionnées, de ces flambeaux ardens, de
ces fléches aiguës, de ces dagues tranchantes, c’est là sans doute un ministre
de Satan vomi par l’enfer, pour nous faire arborer le turban, & introduire
parmi nous (p. 10.)
le culte des temples
de Venus & d’Astarté
. Terre, vous ne vous entrouvrez
pas sous nos pieds ! Ciel, vous ne lancez pas vos foudres sur nos têtes ! Ciel
& terre, suspendez les effets d’un juste courroux ; déja le Philosophe qui
nous a prêché ce culte (p. 11.) comme
un
objet digne de notre adoration & capable de nous consoler du malheur
d’être
, subit la peine de sa témérité ; le pantalon qui
l’exerce & le réalise à nos yeux, échapperoit-il au glaive de la Justice ?
le Ministre trouveroit-il encore un sujet de triomphe dans ce qui couvre
l’Apôtre de confusion & d’opprobre ? Disons plutôt, son sort peut-il être
autre que celui de
ces Auteurs
(p. 23.)
qui pour avoir composé des vers contre l’honneur de Dieu, son
Eglise & l’honnéteté publique, ont été condamnés aux supplices les
plus affreux, comme criminels de lèze Majesté Divine
.
O temps ! ô mœurs !
quelle
fureur
(p. 20.) sur nos théâtres
à enflammer nos desirs
! Qui nous consolera du
malheur d’être dans ces jours malheureux, où
un délire
cynique
met tout en œuvre, Tragique, Comique, Dramatique,
art déclamatoire & Pantomime, pour porter le fer & le feu dans nos
Villes & nos campagnes ? Serons-nous donc forcés, en déplorant notre
condition▶, de desirer d’avoir des pattes ?
Sans avoir
vû
(p. 27.)
dans le Livre de l’Esprit
,
Unde animi constet natura
, ne peut-on pas dire de la
faculté d’aimer, (de cet amour bien entendu dont il est ici question) ce qu’il
n’est pas permis de dire de
la faculté de
penser
? (p. 5.) N’est-ce pas-là
cette puissance passive, cette
sensibilité physique qui nous est commune avec les
animaux
? Pour établir qu’elle a dans nous quelque infériorité, aura-t-on recours
à la difference du
physique
? Dira-t-on :
ceux-ci ont des
pattes, & l’homme a des mains
? Qu’il seroit
ridicule… Le principe de cette infériorité
!
Puis donc que la Nature, par des raisons aussi proportionnées à la sagesse du
Créateur qu’au bonheur de la créature, a mis dans l’individu de chaque
espèce d’animaux, soit à mains soit à pattes, un égal
penchant à s’unir au sexe pour lequel il est fait, à quoi bon vouloir tant nous
l’apprendre, & employer pour cela tant d’art inconnu chez les bêtes ? sinon
pour nous mettre au dessous d’elles en nourrissant parmi nous (p. 9.)
une corruption religieuse, toute espèce de
libertinage
qu’elles ne connoissent pas, &
principalement celui des hommes avec les
femmes
.
Tel est le genre
de services
(p. 10.)
plus importants que ceux des plus sévères Anachorettes… rendus
à la Patrie
par nos héros & héroïnes de théâtre, tous
tachés de cette espèce de corruption de mœurs
qu’ils sçavent
allier
toujours
à la magnanimité, à la grandeur d’ame, à la sagesse, aux
talens, enfin à toutes les qualités qui forment les grands
hommes
parmi eux. Avoueroient-ils bien (p. 9.)
que cette espèce de corruption…… est sans doute criminelle,
puisqu’elle offense Dieu,… qu’elle est sans doute criminelle en France
puisqu’elle blesse les loix du pays
; Ils aimeroient bien
mieux pouvoir nous démontrer
qu’elle n’est point
incompatible avec le bonheur d’une Nation
, eux qui ne se
contentent pas
de nous fournir un moyen absurde
pour nous faire
un jeu de ce crime
, mais qui en
Apologistes infatigables se font sous toutes
sortes de formes un honneur, une étude, un capital de nous en fournir tous les
jours de nouveaux moyens.
Moyens aujourd’hui si multipliés qu’il est surprenant, suivant la pensée d’un
Auteur Comédien, (Louis Riccoboni, dans son Livre de la
Réformation du Théâtre, pag. 34. qui écrivoit en 1740, & dont le témoignage
ne peut manquer d’être ici d’une grande autorité sur tous les esprits). Qu’il
n’arrive pas au Théâtre moderne ce qui arriva au Théâtre d’Athênes, où les
Spectateurs ennuyés d’entendre depuis longtemps des chansons Dyonisiannes,
crierent tous unanimement :
plus de Bacchus, plus de
Bacchus
; & que notre parterre ne se mette pas à
crier : plus d’amour, plus d’amour. En effet n’est-il pas
ridicule qu’en allant au Théâtre on soit forcé d’entendre toujours des Amans
épancher leur cœur en fades expressions de tendresse, ou se lamenter & se
désespérer de ne pouvoir surmonter les obstacles qui les arrêtent ? Y a-t-il
rien de plus ennuyeux que de voir toujours des rivaux de commande pour les
traverser dans leurs passions ? des valets & des
suivantes pour les aider dans leurs extravagances ? toujours même chose ! Eh,
que l’on crie donc à la fin : plus d’amour, plus d’amour !
Pourquoi donc la voix d’un tel homme n’a-t-elle encore pû se faire entendre parmi nous ? Seroit-ce parce qu’il semble avoir adressé la parole aux Russes en dédiant son Livre à leur Impératrice ? Ah ! chers François, plût à Dieu que pour me faire entendre à vous il ne me fallût qu’adresser cette Epître à notre auguste Reine ! De quelle joie son cœur seroit-il transporté à la vûe du nouveau triomphe qu’elle vous verroit préparer à une Religion qu’elle aime tant, & à la quelle elle est si chere !
De quelle joie serois-je transporté moi même dans une circonstance aussi propre à lui faire agréer un hommage public de mon respect, moi qui ai l’honneur d’être attaché à son service ! Mais n’est-ce pas plutôt, comme le dit encore le même Auteur, (p. 106.) parce que sentant toute la grandeur de la maladie, nous craignons qu’en y appliquant les remèdes proportionnés qu’il nous propose, le malade ne périsse dans l’opération ?
Enfans ingrats & rebelles, (pag. 22.) méconnoîtrons-nous toujours
l’Auteur de tous les dons, & semblables à ces
insensés dont parle un Ecrivain sacré
,
dirons-nous toujours :
retirez-vous de nous, nous n’avons
pas besoin de vos lumières ?
O insensés !
s’écrie l’Apôtre, (Gal. 3. v. 1.) qui vous a fasciné le cœur au point de ne pas vous
rendre à la vérité ? Son flambeau en est-il moins lumineux pour être porté par
un homme qui dans sa Préface dit n’être ni sçavant ni homme de Lettres ? ou son
tonnerre n’a-t-il de force qu’autant qu’il part du troisième Ciel ? Ecoutez
donc, (Eph. 5. v. 4. 6.)
Qu’on n’entende
point parmi vous de paroles deshonnêtes ni de folles, ni de bouffonnes,
ce qui ne convient pas à votre vocation… Que personne ne vous séduise
par de vains discours, car c’est pour ces choses que la colere de Dieu
tombe sur les hommes rebelles à la vérité.
Quels coups de
foudre capables d’écraser nos Théâtres sur lesquels (p. 3.)
selon les principes d’une science mondaine, qui n’ont pour fondemens
que la sagesse humaine & les impressions des sens
, le
moindre des crimes est de nous entretenir des choses mêmes qui nous sont ici
défendues !
Qu’ils soient donc déracinés ces arbres maudits qui ne nous présentent qu’un fruit justement défendu, puisque le meilleur n’en vaut rien : oui, quand nous n’aurons plus à verser des larmes sur un faux Joas, nous n’en serons que plus disposés à nous laisser efficacement attendrir sur une infinité de véritables Lazares en faveur desquels de vils animaux semblent nous reprocher une insensibilité qu’ils n’ont pas : quand, à l’ombre de ces arbres de la science du mal, une Précieuse, un Petit-Maître n’apprendront plus à se corriger d’un ridicule, eux & deux mille avec eux, n’y apprendront plus à commettre tous les vices.
Qu’elle tombe
pour ne jamais se relever (Apocal. 18.
v. 2. 3. 4.)
cette grande Babylone, la demeure des démons, la retraite de
tout esprit impur qui fait boire aux Grands de la terre, qui nous fait
boire à tous le vin de sa prostitution ! Entendrons-nous toujours une
voix du Ciel nous dire : Sortez du milieu d’elle, Mon Peuple, de peur
qu’ayant pris part à ses iniquités, vous ne partagiez ses
châtimens ?
Et où irons-nous ? Grand Dieu ! Faut-il nous
expatrier ? Cette hydre à cent têtes occupe cent de nos villes, & son
haleine empestée pullulant à chaque souffle, fait que la France notre mere
n’est qu’une playe depuis la tête jusqu’aux
pieds
. (Job. 2. v. 7.) O France ma patrie, aussi loin de
l’ourse que de la
canicule, à quoi tient-il que tu ne
fois pour nous un Paradis terrestre ? Que dis-je, hélas ! Quand nous n’aurions
pas à combattre tous ces ennemis étrangers, n’aurions-nous pas encore
cet Ange de Satan
(Cor. 12. v. 7.) qui jamais
n’entra dans ce lieu de délices & qui poursuit les Jéromes jusques dans les
déserts ? N’aurions-nous pas encore
ce lion
rugissant
(1. Pier. 5. v. 8.)
qui toujours
rodant autour de nous pour nous dévorer
, fera toujours de
cette terre une vallée de larmes où
nous ne pouvons
(Phil. 2. v. 12.)
opérer notre salut qu’avec crainte &
tremblement
? Est-ce donc pour multiplier nos allarmes &
les trophées du diable, que nous voyons tous les jours se multiplier parmi nous
ces Géans fameux, (Gen. 6. v. 4.)
ces
hommes puissans, qui (p. 6.)
jaloux
d’étendre
la domination
de cet ennemi du genre humain,
veulent abrutir les Peuples pour les tyranniser
,
sous l’empire de leurs passions ?
Sans eux, Paris, en serois-tu moins Paris, le séjour des Muses, le temple des
Arts, la Mere des Sciences ? En aurois-tu moins dans l’enceinte de tes remparts
des lycées des Aréopages ? Centre des plaisirs purs & innocens,
tu ne serois plus Babylone, & peut-être serois-tu bientôt
Jérusalem. Alors,
alors
(p. 5.)
quelle douceur dans les mœurs, quelle cordialité dans le
commerce de la société, quelle règle, quelle honnêteté, quelle justice
dans toutes nos actions !…
Seigneur, (Luc. 10. v. 18.)
ne verriez-vous pas encore tomber
Satan comme un éclair
?
Périsse donc enfin ce malade qu’il faudroit étouffer par pitié pour lui-même, son
mal étant comme incurable ! Mais dès-là qu’il est épidémique, combien plus par
intérêt pour nous-mêmes nous le faut-il exterminer ! Fût-ce là
cet œil
(Matth. 5. v. 18.)
qu’il fallût nous arracher, ce bras qu’il fallût nous
couper ?
Arrachez, coupez, devons-nous nous écrier,
puisqu’il y va de l’intérêt de la Religion, de l’Etat, de la Société, de
l’humanité ! Et quoi ! aurions-nous ici un plus grand sacrifice à faire que
celui que nous avons déja fait ? Plus esclaves de nos plaisirs que jaloux de nos
connoissances, regretterions-nous plus des Histrions faits seulement pour nous
divertir, que des Sçavans qui pour nous instruire
ont
rassemblé
(p. 13.)
une infinité de notions utiles & curieuses sur les Arts
& sur les Sciences ?
Non, non, & puisque les uns
& les autres ont été assez téméraires
pour exposer
à nos yeux (p. 13.)
dans le jour le plus
frappant toutes les absurdités, toutes les impiétés répandues dans tous
les auteurs
; Chrétiens, Sujets, Citoyens, hommes, nous les
réprouvons également :
la Religion
(p. 5.)
toujours tendre pour ses enfans, les verra sans doute avec
douleur s’éloigner d’elle
de plus en plus ;
mais la patrie se réjouira de leur retraite, & croira faire
un gain en ne les comptant plus parmi ses membres
.
Qu’ils sortent du milieu de nous
, ces
Hommes de Lettres & ces Hommes de Théatres également coupables ! Que
dis-je ? également coupables : les poisons de la nature de ceux dont il est ici
question, ne pouvant être mauvais qu’à proportion qu’ils sont apperçus, jugeons
des hommes par le cortege de séduction de leur coupe empoisonnée ; un poison qui
distillé goute à goute, est transmis par des canaux comme imperceptibles avec un
art qui les dérobe aux trois quarts & demi des esprits de ceux qui
l’avalent, peut-il faire autant de ravage que celui qui coulant à grands flots
capables de renverser des cédres, a le secret enchanteur de se faire gouter,
savourer, & d’ennyvrer par le charme des yeux & des oreilles
généralement tous les cœurs de tout âge, de tout sexe, de toute ◀condition▶ ? Des
hommes
qui nous présentent des poisons si différens par
leur vivacité, quoique les mêmes par leur nature, doivent-ils nous paroître
également coupables ? (p. 28.)
Quirites, hoc, puto, non
justum est
: Et
si l’on
mettoit (p. 7.) dans les
deux bassins d’une balance ou d’un trebuchet, pour plus d’exactitude, le mal que les uns
& les autres ont fait
, disons
hardiment sans crainte de nous tromper, que le
mal de ceux-ci l’emporteroit
de vingt-trois carats.
Qui pourroit donc encore les retenir par préférence ?
L’intolérance à leur égard peut-elle être chrétiennement & politiquement un
mal ?
Oui, dit-on, il est également du bien de la Religion & de l’Etat de souffrir de moindres maux pour en empêcher de plus grands.
Que veut-on dire ? qu’il faut souffrir les vols pour empêcher les meurtres ? Combien d’hommes, il faut l’avouer vivroient encore, si ceux qui les ont tués, plus avides de leur argent que de leur sang, avoient sçu pouvoir les voler impunément, sans craindre leur dénonciation !
Mais (p. 10.)
quel affreux principe ! Que
les conséquences en seroient funestes !
Qu’ils paroissent à ma vue, ces
oracles menteurs qui osent les mettre
en crédit, & je les confondrai
avec
les paroles mêmes d’Hypermnestre.
Quel droit ont ils de nous
en imposer & de prendre sur nous un si funeste ascendant,…. ces
fourbes dont la langue est vendue au mensonge
? Avons-nous
vu sur eux la vérité descendre
? S’il
n’y avoit pas de Spectacles, disent-ils, il se commettroit de plus grands maux.
D’où le sçavent-ils ?
puis-je demander
sans craindre de sapper la révélation ?
L’avenir est-il à
eux ?
Ces prophetes de malheurs
créeront-ils l’évenement pour la prédiction
? Dans ce cas
ils ne seront pas, j’en suis sûr,
le plus grand
nombre
; & dès-lors quand (p. 8) nous
n’aurions encore que la morale de l’enfance du
monde
, si on avoit à
la
perfectionner
, on n’auroit point à consulter leur
intérêt
. D’ailleurs, quels sont donc
ces plus grands maux qu’empêchent nos Spectacles ? J’entends une voix qui me dit
(Eph. 5. v. 3.) qu’
il n’est pas permis
de le nommer parmi les Chrétiens
: Grand Dieu ! Vous nous
défendez de les nommer, & l’on nous apprend à les commettre. Qui de nous
alors
est sûr de son cœur
? Hypermnestre nous
dit bien que
vous ne forcez pas notre ame à devenir
coupable….. que la vertu n’est pas un don mal
assuré…..
Mais la notre est-elle
la
vertu de Lyncée ? inébranlable
. Hélas ! Combien de nous qui
tout en venant d’entendre tant de leçons de débauche, de voir tant d’objets de
luxure, pour ne pas
vivre en frémissant dans l’attente du
crime
, courent au devant, ne sachant plus éteindre leur
flamme
qu’en avalant
(Job 15. v. 16.)
l’iniquité comme l’eau
! Convenons,
convenons qu’il y auroit moins de victimes immolées à l’impudicité publique
& particuliere, si les Spectacles n’allumoient pas dans nous le feu qui les
dévore : aussi est-ce pour en suspendre au moins l’activité, qu’ils ont été
interrompus pendant la derniere quinzaine : ou dira-t-on que les plus grands
crimes sont réservés pour les plus saints jours ? Quelle imposture ! Quelle
horreur !
Mais qu’entends-je dans ces jours de relâche au Théatre ? Ce Concert est-il fait
pour réjouir les Anges & les Démons tous ensemble ? Des voix profanes, &
des paroles sacrées ! Sont-ce des prieres ou des blasphêmes ? C’est à vous que
je m’adresse ici, Prédicateur Apostolique, qui vous appuyant sur la Sainte
Ecriture, nous disiez il y a douze jours
que la priere
d’un pécheur qui dans le secret de son cœur conserve quelque attache pour son
péché, est une priere exécrable : Comment donc faut-il appeller ces invitations,
venite justi, exultemus
, qui nous sont
faites de la part de ces pécheurs publics qui s’affichent tout le reste de
l’année pour nous inviter à leurs assemblées criminelles ? Que direz-vous de ces
protestations,
Diligam te, Domine
, faites par
ces cœurs vendus au démon de l’impureté, avec qui ils ont fait une espece de
pacte d’en ravir à Dieu le plus qu’ils peuvent ? Je ne vous avance rien ici qui
ne soit au sçu du Public, & qui ne fasse la matiere des entretiens du
Parterre & des Loges en attendant le coup de sifflet. Que direz-vous de ces
aspirations,
Quam dilecta tabernacula tua
,
faites par ces ames qui, séparées par état de ces sacrés tabernacles, ou en
tiennent éloignés tous leurs partisans multipliés presqu’à l’infini en une
infinité de manieres, ou en font autant de sacrileges profanateurs ? Que
direz-vous….. Hola ! me dites-vous, cela ne peut s’appeller que l’abomination de
la désolation…. Quelle morale ! Révérend Pere ; ces misérables créatures ne
feront-elles un
pas que pour tomber dans un abîme ?
& chaque instant de leur vie sera-t-il marqué par un forfait ?
Nos esprits forts
(p. 28.)
sçauront bien dire :
Hic piscis non est omnium.
Pour moi, je dis :
Que l’Eternel entende nos concerts*.……………………………………………………………Tout l’Univers peint le Seigneur.Qu’il soit l’objet de nos hommages.Jusques dans ses moindres ouvragesCe Dieu fait briller sa grandeur.Quels sons !Par ses bienfaits il nous attire.L’ordre des Cieux, l’éclat du jour,L’air du Printemps que l’on respire,Tout nous annonce son amour.C’est lui qui commande à l’AuroreDe former l’émail de nos fleurs.Nos yeux impriment dans nos cœursLes traits du Dieu que l’on adore.
Par quel art nos oreilles en font-elles autant, cher David, (M. Godard.) aux accens de ta voix, comme aux coups de ton archer, divin Orphée de la Romance, (Air de violon joué par M. Gavinier.) quand l’un & l’autre vous tenez en suspens tous nos esprits ? Qu’avons-nous donc besoin de Spectacles ? Seigneur, ne t’es-tu réservé que cette quinzaine de jours ? ou parce que
Ton tonnerre prêt à partirEst arrêté par ta clémence,
t’outragerons – nous tout le reste de l’année ? Et sans égard pour Fêtes ni
Dimanches, prévaudront-ils toujours contre toi, ces hommes qui (Ps. 73. v. 9.) ont dit tous ensemble au fond de leurs cœurs : faisons
cesser de dessus la terre tous les jours de fêtes consacrés à Dieu… (v. 23.)
Exurge, Deus ; judica causam tuam.
Déploye, s’il le faut, toute la force de ton bras, & qu’elle
retombe dans les enfers l’affreuse tyrannie
de nos
fêtes profanes ! sans ses
fureurs
nous
éprouverions avec Saül
le calme de la vie
,
& nous aurions dans nos concerts les chœurs des Anges.
L’excès des ravissemens qu’ils nous causent à tous, ne peut que rendre plus insoutenable le principe maudit que l’on veut faire servir de base à nos Théatres ; j’y reviens donc, & je demande encore, que veut-il dire ? que pendant les quatre à cinq heures que l’on passe dans une Loge ou au Parterre, on ne fait pas tant de mal que si on étoit ailleurs à faire pis ? Eh bien, soit.
Avec quelle facilité (p. 8.) ne
pourroit-on pas
composer sur ce principe ainsi entendu, un cathéchisme de
probité, dont les maximes simples, vraies, & à la portée de tous les
esprits, apprendroient aux peuples que la vertu invariable dans l’objet
qu’elle se propose, ne l’est pas dans les moyens propres à remplir cet
objet ?
Mais de quel droit, demanderois-je alors,
le Législateur supprimeroit-il
les
mauvais livres ? Ils auront beau être mauvais, on m’accordera sans peine que
dans le tems que je les lis renfermé dans mon cabinet ou couché sur la fougere,
je ne fais pas tant de mal que si j’étois ailleurs à faire pis.
O profondeurs de Satan ! Nature corrompue ! que ne sçais-tu pas dire pour autoriser tes penchans ! J’entendois, il y a cinq jours, un de nos préposés à la Police nous dire en s’applaudissant d’après ce même principe, qu’il lui falloit fermer les yeux pour ne pas voir ces bustes à tête mouvante, ces statues à coude mobile qui s’affichent le jour aux fenêtres & le soir au coin des rues ; que pour empêcher de plus grands maux, il doit les laisser en paisible possession d’arrêter les passans, & que tant qu’on ne crie point au guet, son ministere ne l’oblige à rien.
A rien ! A quoi donc bon tant d’Ordonnances, Arrêts & Réglemens à ce
contraires, dont la manutention lui est confiée ? Est-ce que
(p. 8.)
dès que l’infraction des Loix est générale, dès-lors elles sont
nulles & cessent d’être Loix ?
Ou bien, n’est-ce pas
plutôt
que l’infraction d’un traité
, d’un
serment
qu’il est avantageux de violer, est une clause tacite de tous
les traités
, de tous les sermens ? Quel homme versé dans la
connoissance de l’intérêt public
, pour
savoir ainsi
fixer l’instant où chaque action cesse d’être
vertueuse & devient vicieuse
!
Fermer les yeux ! que ne te les arraches tu plutôt, infame mercenaire, qui ne sçais les ouvrir que pour compter l’argent que te valent des ames rachetées par le sang d’un Dieu, & que tu vends à la brutalité des hommes ? Tu n’aurois pas à compter au grand jour des vengeances, de toutes les infamies qui se commettent dans ton quartier : que peux tu donc imaginer de pis ? Tais-toi… Mon Dieu ! qu’il y auroit peu de Jezabels, s’il n’y avoit point de Balaam !
Tout affreux qu’est ce principe si accrédité, on ne peut s’empêcher d’y
reconnoître du bon, c’est l’aveu implicite que l’on y fait, que les Spectacles
sont des maux. Partons de là pour le battre en ruine par lui-même. Le Paganisme
nous apprend par Platon le Juif : (De Special. Leg.)
Nec est alienus à crimine, cujus consensu, licet non
à se admissum crimen tamen publicè legitur.
Le
Christianisme nous dit par l’Apôtre des Gentils (aux Rom. 1.
v. 32.)
Digni sunt morte non solum qui faciunt ea,
sed etiam qui consentiunt facientibus.
Il nous enseigne
encore au ch. 3. v. 8.
que nous ne devons pas faire des
maux
, quelque petits qu’ils soient,
pour qu’il en arrive des biens
, quelque grands
qu’ils puissent être.
A quelle école ont donc étudié nos oracles ? Dans quelle source ont-ils puisé un
principe si diamétralement opposé à ces maximes, & comment ne voyent-ils pas
qu’en le citant avec tant de confiance, ils rendent comptables de ces moindres
maux & l’Etat & la Religion ? Il est clair que l’esprit qui les inspire
ne parle qu’en leur propre &
privé nom, &
qu’ils ne sont les interprêtes ni d’un Etat ni d’une Religion, qui se réunissent
(voyez ci-après page..) pour ne nous permettre pas même
une parole à double entente. Eh ! quels moindres maux que ceux qui sont les
sources de tous les maux ! Qu’on peut bien dire ici que l’iniquité se trahit
elle-même !
mentita est iniquitas sibi.
Qu’elle se taise donc
cette raison humaine, (p. 4.)
qui livrée à elle-même & méprisant la révélation qui doit
être son guide, devient la source des erreurs qui affligent l’Eglise,
& des opinions extravagantes qui deshonorent l’esprit
humain
! De quel front ose-t elle nous dire cette raison
aliénée, que le Théatre de nos jours sert à corriger les mœurs :
Ridendo castigat mores
?
Voyez
, Chers François,
ces Sçavans d’Athènes assemblés sous les porches fameux des
Stoïciens, ou dans l’académie de Platon, ou dans le lycée d’Aristote.
Après avoir disputé longtems chacun pour fonder son sistême &
renverser celui d’un autre, à peine trouve-t-on qu’ils aient exactement
établi quelque vérité morale…
loin d’avoir pu (p. 21.)
remédier à la corruption de l’homme, ni former le
lien d’une Société fondée sur la justice
. Combien moins le
pourront
cette portion
malheureuse d’incrédules
(p. 22.)
cette
secte de faux sages qui ne font que renouveller sous différentes formes
tous les systêmes (p. 10.)
de prostitution adoptés par les peuples du Paganisme livrés à
la corruption de leurs cœurs
.
Arlequin Sauvage (piece du Théatre Italien,) quoique sans loix & tout au
milieu de ses singeries, pourroit, il est vrai, si nous le prenions pour maître,
supprimer parmi nous bien des abus qui sont autant d’écarts de raison, de
décence & d’amour de la Société ; mais de bonne foi, de quoi peuvent nous
corriger tous ces vrais fous qui, loin de vouloir établir une seule vérité
morale, ont formé une sorte de ligue
pour déprimer,
(p. 10.)
pour détruire toutes les vertus morales…. & pour faire
disparoître du milieu de nous jusqu’à l’ombre même de la
pudeur
.
Beau Sexe, à qui nous avons assigné cette pudeur pour appanage, que venez-vous
faire dans ces lieux où des fronts d’airain foulent aux pieds cette vertu ? Sexe
charmant, à qui la nature a donné sur nous un si grand empire, venez-vous gémir
de le voir s’étendre encore à la faveur de cette manœuvre diabolique ? En voyant
ce luxe qui surpasse
le vôtre, ces rivieres de diamans
qui effacent tout l’éclat de vos parures, apprendrez-vous bien à les mépriser ?
A la vue de ces cercles de Laïs toutes idolatres d’elles-mêmes, apprendrez-vous
bien à vous hair ? Tous les systêmes de coquetterie, tous les rôles amoureux de
nos Thalies & de nos Melpomènes feront-ils pour vous autant de leçons de
vertu ? Venez-vous prendre de l’éloignement pour les bals & la danse à
l’école de nos Terpsychores, de nos Sultanes & de nos Nymphes ?
L’esprit chez vous est donc bien persuadé (p. 10.)
que l’on approche d’autant plus de la perfection & que l’on
mérite d’autant plus le nom de vertueux, qu’il faut pour nous déterminer
à une action malhonnête ou criminelle un motif & des objets
plus capables d’enflammer nos désirs.
Si cela est,
Mesdames, à qui tient-il que le cœur chez vous n’arrive au comble de la
perfection, & que vous ne soyez des prodiges de sainteté ? A vous, François,
vous entends-je nous dire : Eh mais ! que voulez-vous donc que nous soyons ?
Turcs, (p. 7.)
Chinois matérialistes, Sadducéens, qui nient l’immortalité de
l’ame, Gynnophistes toujours accusés d’Athéisme
? Quels exemples inimitables nous citez-vous là !
L’espoir des
plaisirs
temporels sert à les rendre vertueux
, apparemment parce
qu’ils sont tout esprit. Pour nous, pauvres François, tout enveloppés que nous
sommes dans la matière, la jouissance de nos plaisirs théatraux, jointe à votre
ascendant naturel, Dames Françoises, ne servira jamais qu’à faire de nous des
heureux à bonne fortune, que vous croirez vous-mêmes avoir un droit acquis sur
la plus belle portion de votre appanage.
Heu ! male tum mites defendit pampinus uvas.
Aussi combien de vous, pour avoir assisté à nos Bals, à nos Spectacles, pourroient chanter avec l’aimable Cendrillon :
Je ne l’ai pas donné, mais je l’ai laissé prendre !
J’en atteste sa marreine qui, pour la consoler de la perte d’une de ses mules qu’elle a faite au Bal, lui dit :
Que de beautés sortant du balOnt souvent perdu davantage.
Quelles sont donc les notions communes de nos hommes de Théâtres ? Parce qu’ils
nous font la grace de ne plus médire, ils prennent pour devise :
sublato jure nocendi
, comme si la réputation
étoit le seul bien que nous eussions à ménager ; &
comme si la pudeur n’étoit rien, ils ne cessent de s’acharner contr’elle. C’est
trop long-temps nous abuser : Horace de qui ils ont emprunté leur devise, disoit
en parlant de leurs semblables pour la défense de cette vertu :
Sylvis deducti caveant, me judice, fauni !……………………………………………………………………………………………………Offenduntur enim quibus est equus & pater & res.Art. Poet. Vers. 244. 248.
Comment n’en dirons-nous pas autant d’eux ?
Nous lisons
(p. 10.)
dans les ouvrages des Payens, attentifs à consulter les
lumieres de la seule raison, qu’ils ont toujours respecté cette vertu,
qu’ils punissoient avec sévérité ce qui l’offensoit
; &
nous verrions encore impunis parmi nous des hommes
qui osent
donner publiquement des leçons de débauche, qui prononcent
hardiment
en mille manieres
que la
morale n’est qu’une science frivole…. que la pudeur est une invention de
l’amour & de la volupté rafinée, qui proposent d’en débarrasser le
sexe
, & qui l’en débarrassent ? Non, non,
le contraste (p. 11.)
seroit d’autant plus frappant qu’il nous
mettroit en opposition avec les sages Philosophes de
Rome payenne
.
O préjugé barbare (Encyclopédie, au
mot : Geneve.)
contre la profession des Comédiens
, que tu es
légitime ! mais que tu serois
vertueux
, (p. 9.) & pourrois seul
contribuer au
bonheur public
, si nous étions moins inconséquens ! On ne
nous verroit pas courir en foule à leurs farces & nous battre à qui les
verra ;
on ne les verroit pas (au
mot : Geneve.)
d’un côté pensionnés par le Gouvernement, & de l’autre un
objet d’anathême.
Prodige dont je demanderois l’explication
à tous les Sçavans, si je n’étois forcé de croire que bientôt nous ne le verrons
plus.
Déja nous avons
vu (Discours en tête
du 3 vol. de la Collection Academ.)
des Philosophes trop hardis, qui ayant à peine jetté un coup
d’œil rapide sur les choses, ont pris tout à coup leur essor dans la
région des idées, pour y bâtir sur des nuages legers des hypothèses
chancelantes
; nous les avons vus, dis-je, arrêtés,
confondus au milieu de leur course, l’histoire toute récente de leur défaite se
lit encore à nos portes ; à côté de cet arc de triomphe élevé à la Religion,
nous ne
verrons plus quatre affiches se renouveller
tous les jours pour lui disputer ses lauriers ; & ne voyant plus autel
contre autel, le libertin & l’impie n’auront plus à nous insulter en nous
disant : (Ps. 54. v. 9.)
Vidi iniquitatem
& contradictionem in civitate.
Non, le contraste ne peut subsister, le bras de nos Magistrats Chrétiens n’est
pas raccourci : Combien de fois, sans égard pour des têtes respectables
d’ailleurs qui sembloient demander grace, ne s’est-il pas appésanti déja sur ces
hommes audacieux qui (Arrêt de 1541.)
mêlent ordinairement à leurs jeux des farces & comédies dérisoires,
qui sont choses défendues par les Saints Canons, dont les assemblées
donnent lieu à des parties ou assignations d’adultère & de
fornication, & qui font dépenser de l’argent mal-à-propos aux
Bourgeois & aux Artisans de la Ville
.
Dans tous les tems (p. 2.)
Défenseurs des Loix &
Protecteurs de la Religion, ils ont pris le glaive en main, & frappé
sans distinction ces sacrileges & ces séditieux que la Religion
condamne & que
le bien de
la patrie désavoue.
Quand vers le milieu du dernier
siécle, à la
sollicitation d’un Ministre que la Pourpre Romaine n’empêchoit pas d’aimer le
Théatre, fut levé le voile d’infamie qui l’avoit couvert jusqu’alors, ce fut
sous la ◀condition▶ expresse
qu’il ne s’y passeroit rien qui
pût blesser l’honnêté publique, & qu’on n’y diroit pas même une
parole à double entente
. Ce sont les termes de la
Déclaration du 16 Avril 1641, enregistrée le 24. Termes dictés par l’Apôtre au
Roi, qui par sa docilité à la voix de la Religion, a mérité le surnom de Juste :
C’est sous la même ◀condition▶ qu’au commencement du quatorzieme siecle un autre
Cardinal acheta l’Hôtel de Bourgogne pour les Comédiens. Etant de notoriété
publique que la ◀condition▶ si recommandée n’a jamais été remplie, on peut croire
raisonnablement que jamais elle ne le sera : nos grands hommes
en seront-ils quittes pour rester toujours infames comme ils l’ont toujours
été ? Vraiment ils y consentiront volontiers, leur grandeur
d’ame va jusques-là ; mais heureusement pour eux & pour nous la
Déclaration va plus loin, puisqu’elle
enjoint aux Juges,
chacun dans son district, de tenir la main à ce que la volonté du Prince
soit religieusement exécutée, &
d’interdire le Théatre aux contrevenans, pour procéder contr’eux par
telles voyes que de droit
.
Si depuis plus d’un siecle le glaive n’a paru que suspendu,
la modération (p. 23.)
dont ils ont cru devoir user dans cette occasion, a dû annoncer
à ceux qui ont eu la témérité de se rendre coupables des mêmes
excès, déja proscrits en 1541,
qu’ils éprouveroient toute la rigueur des
loix
.
Ils vont donc frapper enfin dans
toute la sévérité de la
puissance que le Prince leur confie, ainsi
que
le bien de la Religion l’exige de l’attachement de tous les
Magistrats à ses dogmes & à sa morale
. Un dernier coup
ne peut être qu’un coup de grace & de faveur, dont les heureux effets seront
bientôt sensibles.
Ici pourtant, je l’avoue, je me trouve en suspens ; je vois bien le bras levé,
mais je ne vois pas si le dernier coup qu’il va porter ira jusqu’à la racine, ou
s’il ne fera qu’élaguer le tronc. J’ai d’abord condamné le tout au feu, il en
est digne ; cela est prouvé il y a beau jour : donc il faut l’y jetter ;
c’est-là cette conséquence la plus forte, que (d’après le plan & le fond de
cette Lettre, bien ou mal exécutée, n’importe.)
ne
peuvent s’empêcher de déduire ouvertement ou tacitement tous esprits bons ou
mauvais. Mais qui suis-je ? Qui sommes nous tous, François, pour prononcer ici ?
Après tout, qu’importe-t-il à la Religion, à l’Etat, que nous allions au
Théatre, pourvu qu’on ne nous y donne pas des leçons d’irréligion,
d’indépendance, de barbarie, de mauvaises mœurs ? Il est donc réservé à la
Justice de juger s’il n’est pas plus expédient de châtier simplement cet enfant
qui nous est si cher, que de l’écraser tout-à-fait. Son jugement ne peut que
nous être le plus avantageux : quant à l’exécution, l’un ou l’autre lui est
également facile ; point d’obstacle qui ne soit un ombre, un phantôme ; pour le
dissiper, il ne sera pas nécessaire d’employer le fer, & l’on ne dira pas :
(p. 28.)
Ferro diverberat umbras.
Que j’aime à voir l’Auteur Comédien que j’ai déja cité, mais que je ne citerai
jamais assez,
désavouer de lui-même (p. 23.)
sans équivoque ni restriction tout ce que le Théatre
a de repréhensible
!
Il
déclare dans la préface de son livre (p. 15,
17.)
de la manière la plus précise & la plus autentique….. que
pendant quarante ans
qu’il a exercé la
profession de Comédien…. il a toujours senti dans toute son étendue le
grand bien que produiroit la suppression entiere du Théatre…. &
qu’il n’a jamais cessé de désirer l’occasion de pouvoir le
quitter.
Son ame (p. 4.)
naturellement Chrétienne, a donc déposé toujours malgré lui en
faveur de la vérité.
Combien d’autres de sa profession en
déposeroient encore autant ! Que dis-je ? Tous ont des ames naturellement
chrétiennes, & par conséquent ne peuvent s’empêcher au moins de penser de
même.
Je te le demande, ame encore chere à ton Dieu, quand tu lui disois hier :
Usquequo, Domine*, oblivisceris me in finem ? Usquequo avertes
faciem tuam à me ?.. Usquequo exaltabitur inimicus meus super me ?
Respice & exaudi me Domine Deus meus, exultabit cor meum, in
salutari tuo : cantabo Domino qui bona tribuit mihi & psallam nomini
Domini altissimi.
Ton cœur n’étoit-il pas d’accord avec ta
bouche ? Oui, & c’est cet accord parfait que nous y trouvions
tous qui, autant que ta voix angélique, enlevoit nos
applaudissemens.
Jusqu’à quand donc, Seigneur,
détournerez-vous votre visage de dessus cette ame infortunée ?
L’oublierez-vous jusqu’à la fin ?
Le démon de l’Opéra,
ce vrai ennemi
de son salut & du
nôtre,
s’applaudira-t-il toujours de la compter parmi ses
suppôts ? plutôt, Seigneur mon Dieu, que sa priere perce les
cieux
, comme elle a percé nos cœurs !
puisse-t-elle n’avoir plus qu’à se réjouir dans son Sauveur & à
chanter ses bienfaits
, comme elle nous a paru le désirer !
Que ne puis-je me dissimuler qu’Arethuse (dans l’Opéra de
Proserpine) vendredi prochain, elle nous chantera encore ses amours
avec Alphée, & que pour conclusion de l’enlevement de Proserpine, nous
chantant le triomphe de l’amour profane, cette Calliope toujours victorieuse
nous enlevera, comme hier, nos applaudissemens !
Toi de Saül
la fille la plus tendre & qui nous est
si chere
, quand hier, aussi implorant le ciel pour
ton pere, tu disois :
Seigneur exauce
ma
priere, avois tu pour nous plus ou moins de charmes que jorsqu’un moment
auparavant tu nous chantois :
Bonum est confiteri Domino
* & psallere nomini tuo, altissime, ad
annuntiandum mane misericordiam tuam… in decachordo psalterio cum
cantico in citharâ ?
Non, toujours les mêmes, les accens de ta voix plus qu’humaine, nous ravissoient
toujours : mais le charme de nos oreilles ne nous empêchoit pas d’appercevoir en
toi les traits d’une ame naturellement Chrétienne,
qui
voudroit n’avoir plus qu’à publier les miséricordes du
Très-haut
.
Par quel prestige se fait-il donc qu’hier Michol, tu seras demain Collette ? (dans l’Opéra du Devin du Village.) Et par quel enchantement se
fait-il, charmante Erato, que nous t’applaudirons encore ? Ne diroit-on pas que
tous tant que nous sommes, nous voyons du même œil & le Ciel & l’Enfer ?
Hier Michol, de concert avec David, nous approchoit autant des Cieux, que demain
Collette, d’intelligence avec Colin, nous approchera des Enfers : mais &
David & Michol, & Collette & Colin sont également sûrs de nos
suffrages ;
tous nous sont bons, tous nous enchantent,
& nous applaudissons jusqu’à Bastienne notre Thalie, quand elle chante :
Fac me vere tecum flere
*. O abîme
incompréhensible du cœur humain, pour qui est une même chose & le profane
& le sacré !
Nous l’avouons pourtant, Seigneur, vous voulez que ce cœur se retrouve toujours
au milieu de ce chaos immense :
la lumiere de votre
visage
(p. 4.)
est gravée sur nous, & portant nous mêmes les caractères
ineffaçables de votre divinité
. Acteurs & Spectateurs,
à la fin du spectacle le plus bruyant, nous rentrons dans un vuide affreux ;
& toutes nos ames naturellement Chrétiennes, sont forcées de dire avec S.
Augustin
que les larmes des pénitens doivent avoir pour eux
plus de douceurs que les joyes des Théatres n’en ont pour les
mondains
. Il n’est pas même jusqu’aux Auteurs qui,
travaillant pour le Théatre, ne désavouent leur propre ouvrage, j’en atteste le
grand Racine qui interrompoit le sien pour s’écrier :
« Hélas ! en guerre avec moi-mêmeOù pourrai-je trouver la paix ?Je veux & n’accomplis jamais ;Je veux, mais ô misere extrême !Je ne fais pas le bien que j’aimeEt je fais le mal que je hais. »
J’en appelle encore à témoin ce héros citoyen, qui semble ne vivre parmi nous que
pour s’élever en témoignage contre nous. Quelle forte Egide fabriqua l’an passé
ta Minerve, docte Enfant de Genève, pour parer les coups que l’on vouloit porter
sur ta Mere ! Mais en même tems quel désaveu solemnel & de ta fille Collette
& de ta petite fille Bastienne ! Pourquoi donc, pere tendre, quand tu leur
donnas la naissance, ne mis tu pas en elles ce germe de
justice & de vérité
, que tu sçais si bien être (Lettre de M. Rousseau de Genève à M. d’Alembert)
les premiers devoirs de l’homme
? J’ai beau ne le
pas vouloir, je n’y vois presque que des affections
secondaires & déréglées de l’humanité de ma patrie : & pour un pere qu’elles perdent en toi, je vois mes
concitoyens par milliers comme autant d’adorateurs, leur encens….. mais en
t’appellant
en témoignage, me sied-t-il de te citer à
mon tribunal ? Qui suis-je pour te reprocher les péchés de ta jeunesse ? Pardon,
Génie heureux & bienfaisant,
si la crainte (pag. 264.)
d’un malheur imaginaire qui menaçoit ta patrie…… a pu causer
tes allarmes
, (p. x.) ensemble t’avoir fait
naître ce reproche ; combien plus la vue des maux réels qui dévastent la mienne,
a-t-elle pu me le dicter !
Aveugles que nous sommes au
milieu de tant de lumieres
que tu répands sur nous (p. 40.) du fond de ta cabane obscure !
victimes de nos applaudissemens insensés ! m’écrirai-je bien volontiers avec toi,
n’apprendrons-nous jamais combien mérite de mépris & de
haine tout homme qui abuse pour le malheur du genre humain, du génie
& des talens que lui donna la nature ?
Ami de toute Religion paisible (pag. 4, 5.) où l’on sert l’Etre éternel selon la
raison qu’il nous a donnée
, que
faut-il (p. 6.) pour que
nous brisions contre l’Egide que tu nous
présentes à l’aide de cette seule raison, le talisman
d’imbécillité auquel est attachée la puissance de ces génies
malfaisans
, nous ennemis déclarés de toute autre Religion
que de la nôtre, laquelle est précisément celle qui ordonne de
réduire en poudre ce talisman ? Que faut-il enfin pour
qu’Auteurs, Acteurs & Spectateurs nous cessions d’être les victimes
infortunées d’un gout si universellement désavoué par nous tous ? Une
Ordonnance, un Jugement suffit, soit pour la suppression, soit pour la
réformation du Théatre, sans qu’il y ait à craindre la moindre opposition :
C’est la remarque de notre Auteur Comédien, qui l’appuye (pag. 79.) sur des exemples dont il n’avoit pas besoin pour se faire
croire.
La vérité qu’il n’a pu retenir captive dans
l’injustice
, (Rom. 1. V. 18.) a parlé par sa bouche en
cette occasion, comme quand il a dit (p. 96.)
que le Théatre, pour mériter la protection du Souverain &
des Magistrats, doit être tel que les honnêtes gens & les Chrétiens
puissent y assister sans avoir rien à se reprocher
.
Ici a murmuré un certain préjugé de Cour ; mais que ne peut-il être exterminé du milieu de nous, ce plus grand ennemi des Rois & de tout le genre humain ! Pourquoi donc la pure vérité se tairoit-elle sous le regne d’un Prince autant l’Ami de la vérité que le Pere de son peuple, & sous des Magistrats également défenseurs de l’une & de l’autre ? Que tout est bon dans vos mains, Grand Dieu, qui avez choisi l’organe d’un homme de Théatre pour nous donner la décision d’un Docteur de Sorbonne !
D’un côté l’étude de nos obligations lui a appris que le Chrétien, soit homme,
soit Philosophe, doit
terminer
ses plaisirs comme
ses spéculations
(p. 22.)
par des accroissemens de sainteté & d’amour envers l’Etre
Suprême
; & de l’autre la connoissance du cœur humain,
jointe à la pratique du Théatre, l’a convaincu qu’on y porte & qu’on y
rapporte le remord, qu’on n’en sort & qu’on n’en peut sortir qu’
avec un accroissement de présomption (p. 23.) & d’ignorance….. que plus vain, plus
superbe & plus aveugle qu’on ne l’étoit
en y
entrant.
C’est pour nous mettre d’accord avec nous-mêmes que ce véritable ami des hommes a
dressé son plan de réformation du Théatre : si jusqu’ici l’exécution n’en a pas
été tentée, c’est que peut-être ce plan ne remplit son objet que trop peu. Mais
comme c’est au Conseil dont il demande l’établissement, qu’il appartient d’en
décider & de remplir ce même objet dans toute son étendue :
pourquoi, Chers François, ne croirons nous pas que ce Conseil
plus important mille fois que toutes nos Académies, va enfin être établi ?
Puisse l’illustre Genevois n’avoir plus à nous dire : (Lettre de M.
Rousseau à M. d’Alembert, p. 40.)
telles sont les
mœurs d’un siecle instruit : le sçavoir, l’esprit, le courage ont seuls
notre admiration ; & toi, douce & modeste vertu, tu restes
toujours sans honneur !
A la voix de ces deux Aristarques,
c’est la patrie (Journal de Trévoux, premier vol. Avril 1759.) qui venge les bonnes mœurs sacrifiées aux licences de la
Scène ; c’est la Philosophie austère de Sparte qui emprunte la
Littérature d’Athènes pour foudroyer Sophocle, Euripide Aristophane,
& tous leurs descendans : ce coup est formidable, il ressemble à
l’attaque brusque & impétueuse de ces guerriers d’Homère, qui
terrassoient quiconque osoit paroître sur le champ de
bataille
.
Qu’opposes-tu,
siecle fécond en ressources, bonnes ou
mauvaises, réelles & prétendues
; qu’opposes-tu
à ces vrais armés des traits de
l’eloquence
? Beaucoup
d’art, de subtilité,
d’attention, de finesse dans le raisonnement, d’industrie dans la
manière
d’éluder des coups redoutables, de
sagacité à saisir des défauts apparens…
En armant ainsi l’erreur & la passion
de mille ingénieux sophismes,
prétends-tu nous empêcher de
reconnoître ce qu’il faut croire, tenir, décider,
pratiquer ?
Penses-tu bonnement que la vérité ne perce pas à
travers ces foibles nuages ? Il faudroit que son Soleil n’eût jamais lui pour
toi ; quoiqu’il en soit,
vaine ressource (p. 20.) toujours impuissante au
jugement de la raison, & qui ne peut en imposer aux yeux perçans de
la justice
, mais seulement lui apprendre que la cause de
nos Spectacles ne peut pas être rendue bonne, puisque vainement en sa faveur
tout l’art est épuisé…… Que dis-je ? lui apprendre ; a-t-elle jamais pu en
ignorer ? Ecoutons-la (p. 3.)
Un esprit véritablement fort, est un esprit éclairé par la lumière supérieure, & qui connoît la vérité par des principes certains. Soutenu au dehors par des témoignages qu’on ne peut recuser, jamais le déréglement des passions ne l’affecte, ni n’influe sur ses connoissances & sur ses jugemens. Le fidèle seul posséde cette force d’esprit ; l’erreur & l’aveuglement sont le partage de l’incrédule, guidé par son sens particulier & par sa foible raison.
Hélas ! tout méchant que je suis, quelle seroit
l’étendue de mes lumières s’il ne me falloit que voir la profondeur des playes
qui excitent encore aujourd’hui (p. 1. 2.)
les plaintes de
la société, de l’Etat & de la Religion… leurs droits sont violés ;
leurs loix sont méconnues ; l’impiété qui marche le front levé, paroît
en les offensant promettre l’impunité à la licence qui s’accrédite de
jour en jour
.
L’humanité frémit, le Citoyen est allarmé ; on entend de tous
côtés les Ministres de l’Eglise gémir à la vûe de tant d’excès qu’on ne peut affecter de
multiplier que pour ébranler s’il étoit possible les fondemens de notre
Religion.
En vain ces Pasteurs charitables nous crient sans
cesse :
Gardez vous de ces faux Prophêtes (Matt. 7. v. 15.) qui viennent à vous
couverts de la peau de brebis, & qui au dedans sont des loups
ravissans.
En vain cette tendre mere, pour sauver le reste
du troupeau, les a-t-elle chassés du bercail : en vain toutes les Loix
ecclésiastiques & civiles les déclarent infames ; tout odieux qu’ils sont
sous l’anathême & l’infamie, nous avons le courage d’aimer
ces hommes (p. 21.) ; disons mieux, c’est foiblesse,
puisqu’encore enfans dans
la morale, nous n’avons pas
la prudence de les fuïr
.
O (p. 10.) que de
tous les dons que le Ciel peut verser sur une nation, le don de tous, le
plus céleste seroit bien la prudence, si
le Ciel la rendoit commune à tous les Citoyens
! Que ne
sommes-nous tous autant d’Ulysses ! Les théâtres de nos jours ne seroient plus
pour nous ces rochers harmonieux habités par des monstres charmans, contre
lesquels, voyageurs flottans sur une mer orageuse, au gré de nos passions, nous
allons échouer sans regret & expirer dans l’enchantement au milieu des
plaisirs :
Dulce malum pelago siren.
Que d’écueils ! que de naufrages ! on n’y voit que des morts ou des mourans ;
& Rama (Jer. 31.
v. 15.) au milieu des gémissemens & des cris,
demeure inconsolable de la perte de ses enfans…
Sans que personne (Thren. 1.
v. 9.) se mette en peine de la
consoler….
Il me semble entendre un de ces morts s’écrier du fond de son tombeau : quelle est la mission de ce Jérémie, de ce Job ? Quel est son caractère pour s’ériger en réformateur public de nos amusemens qu’une tradition plus que centenaire nous a transmis, pour attaquer… détruire un sentiment que la Nature a gravé dans nos cœurs, & que le théâtre d’aujourd’hui ne fait que développer & perfectionner ? Que n’ajoute-t-il & sanctifier ?
Ce pauvre défunt n’eût pas
été desiré (p. 19.) pour Auteur
Encyclopediste
. Il peut bien n’être
d’aucun Pays, d’aucune secte, d’aucun état
: il peut
encore être
ferme, instruit, honnête
à sa
manière ; mais sûrement il lui manque une des qualités requises, celle d’être
véridique : me tromperois-je ? & ne désavoue-t-il pas
intérieurement les plaisirs du théâtre d’aujourd’hui ? Quel est donc ce prodige
à forme humaine, qui n’est ni homme ni démon, puisqu’il n’a le ver rongeur ni de
l’un ni de l’autre ? En bonne conscience on ne dira jamais de lui ce qu’Horace disoit à Virgile sur la mort de Quintilien leur ami commun :
Cui pudor & justitiæ soror,Incorrupta fides nudaque veritasQuando ullum inveniet parem ?
Et que veux-tu faire, Monstre, avec le développement de ta nature ? Ma mission !
Apprends qu’
il suffiroit d’être homme
& Citoyen pour être sensible à tous les maux
(p. 2.)
que nous cause ton théâtre d’aujourd’hui, & par conséquent pour desirer d’en
voir la fin : que seroit-ce si on les envisageoit des yeux de la foi ? A lueur
de son flambeau, Guerre, Peste & la Famine réunies ensemble, le charnier de
vos corps morts n’auroit rien de si horrible.
A la seule idée d’un si touchant spectacle, qui n’est que trop réel, nous
permettrez-vous de nous plaindre, Ecrivains prophanes, dont les plumes trempées
dans le filtre préparé par Sagane & par Veïa, servent d’étais à nos théâtres contre les coups de nos béliers ?
Permis ou non, chiens du quartier de Subure ameutés par la magicienne Canidie,
tous vos hurlemens n’étoufferont pas nos clameurs, &
les
pierres crieront
avec nous (Luc 19. v.
40.) si ce n’est pas assez pour vous d’hurler, déchirez-nous à pleines
dents, victimes pour la Patrie, nous trouverons un gain dans la mort même,
heureux de ne pas emporter le regret d’avoir été pour vous des chiens muets,
canes muti non valentes latrare
. (Isaïe
56. v. 10.)
Quel nouveau spectacle s’offre à ma vue ? Consolez-vous, Rama, il est encore sept mille de vos enfans qui ne fléchissent pas le genou devant Baal.
N’est-ce pas pour vous dérober à ce déluge de maux, habitans des Cloîtres, que vous vous tenez cachés dans le secret du Tabernacle ?
O (p. 9.) caracteres propres à vous priver de nos plaisirs, que nous ne vous voyons pas partager avec nous, & à saisir sans nous les pratiques austères de la dévotion
, que vous
êtes heureux ! & que vous êtes bons,
si
l’homme n’est méchant qu’à proportion qu’il est malheureux
!
Placés sur le haut de la montagne sainte, de quel œil voyez-vous les assauts
téméraires que le théâtre, ce fort armé, livre journellement à la Religion ?
Hélas ! comptant ses victoires par ses attaques, vous voudriez avoir des larmes
de sang à opposer au torrent d’iniquités qu’il fait couler de toutes parts,
& je vois vos mains toujours élevées vers le Ciel pour arrêter la foudre
toujours prête à partir. Comment donc a-t-on pu nommer
vos
vertus des vertus de préjugé dont l’observation exacte ne contribue en
rien au bonheur public
?
Pour faire taire ce langage de l’homme
sans foi trop
commun parmi nous, puissiez vous, portion chérie du troupeau de Jesus Christ,
par un renouvellement de serveur, de concert avec (p. 10.)
nos plus austères anachorettes
& toutes nos chastes
colombes, faire une sainte violence au Ciel, & nous mériter de voir tarir
jusques dans sa source ce débordement de vices ! Quels
plus
importans services
auroient jamais
été rendus à la Patrie
, à l’Eglise !
Les playes de l’une & de l’autre sont également profondes, & les remèdes
propres à les guérir ne peuvent se prendre que dans
les Loix
de la Religion, (p. 21.) l’ouvrage de l’Etre suprême, qui seul a droit d’en imposer à l’homme,
parce que lui seul l’a formé, & peut lui proposer pour le terme de
son bonheur un objet digne de lui
.
Sera-ce donc
en vain
(p. 21.) que tant de
sources sacrées couleront autour de nous, que tant de vives lumières brilleront
à nos yeux ? Oui portion privilégiée de l’Univers Chrétien,
Enfans chéris du Fils aîné de l’Eglise,
envain pour nous tant de millions de Martyrs de tout âge, de tout sexe, de toutes
◀conditions auront scellé de leur sang les vérités
que nous croyons, si nous ne pratiquons celles que
nous enseignent tant d’Orateurs fameux, tant
d’Ecrivains célèbres, tant de génies du premier ordre respectables par leurs
talens & par leurs mœurs
, quand ils nous disent :
rendez droites les voies du Seigneur…
(Jean 1.
v. 23.)..
Otez la pierre.
(1. v. 39.) Que dis-je ?
en vain : nos Villes trop semblables à Bethsaïde & à
Corrozaïn, mériteront leurs anathêmes, & ce sera pour notre plus grande
condamnation que
la vérité (p. 21.) nous aura
ouvert son sanctuaire
, si la pratique ne nous y fait entrer. Mais
comment y entrerons-nous, si (Isaïe 57. v. 14.)
ces pierres
d’achoppement & de scandale nous en ferment l’entrée…
Et si (Luc 17. v. 2.)
pour rendre leur sort moins à
plaindre, elles ne sont jettées à la mer
? Plutôt, Seigneur
mon Dieu, puissent-elles devenir des pierres vivantes, & puissions-nous tous
entrer avec elles dans l’édifice de la céleste Sion !
Vérité, guide de la Justice, Justice, appui de la vérité, votre concours nous fut-il jamais & peut-il jamais nous être plus nécessaire ? Non sans doute : aussi déjà, Vérité sainte, vous me semblez avoir dit qu’il ne faut que polir ces pierres brutes, & déjà je crois voir le cizeau sacré de la Religion dans la main de la Justice.
Justice, qu’allez-vous faire ? Nous donner la paix ? Dans quels transports
dirons-nous donc :
la Justice & la paix se sont
embrassées
. (Ps. 84. v. 11.)
« Que l’Eternel entende nos concerts.*Il a devant nos pas fait voler la victoire.L’Amalécite ennemi de sa gloireEst effacé de l’Univers. »
Doutez vous encore, François, pardon, Peuple Chrétien, c’est vous demander si vous doutez que l’esprit de force & de vérité qui étoit hier, soi encore aujourd’hui. Vous voilà donc enfin aussi persuadés que moi de la défaite du théâtre de nos jours, ce vrai Amalécite ennemi de la gloire de notre Dieu… Pardon, Génie François, avez-vous pû ne le pas être ainsi que moi dès l’instant que vous avez vu confondus nos Bayles, nos Spinosas, nos Epicures ? Cette époque toute glorieuse qu’elle est, ne peut être pour nous tous que l’aurore d’un jour prochain où nous verrons foudroyés nos Aristophanes, nos Euripides, nos Sophocles. En voyant donc un si beau jour dans un avenir si marqué, nous devons bien plus songer à nous réjouir par avance du renouvellement universel qu’il opérera parmi nous, que prétendre à la qualité de Prophétes.
Pour moi j’y renonce : tant au sujet de ce que j’ai dit, que de ce qui me reste à
dire, je le déclare avec Pierre de Blois :
Nihil de spiritu
meo propheto, sed colligo micas quæ ceciderunt de mensâ dominorum
meorum.
Quelle seroit ma surprise si pour avoir ramassé ces miettes tombées de la table
de mes maîtres, j’avois le malheur de paroître coupable à leurs yeux ! Quelle
seroit ma sincérité en les priant de reconnoître que la faute, s’il y en a,
est (p. 23.) plutôt une erreur de mon esprit que de mon cœur
!
Et que n’aurois je pas à attendre de leur indulgence en leur disant avec Saint
Augustin :
Reconnoissez ce qui est de vous, & pardonnez
à ce qui est de moi !
Mais nous défendre (p. 29.)
d’écrire, sous quelque
dénomination que ce soit, contre la Religion, l’Etat & les bonnes
mœurs
, ce n’est pas nous ôter
la liberté de penser
(p. 15.) que la justice travaille à nous donner
un moyen d’accorder
nos plaisirs publics avec
le respect que nous devons à notre croyance & à notre
culte
: moyen qui est si fort à souhaiter, puisqu’il est
unique
pour la découverte
& le triomphe
de la vérité, & pour la tranquillité publique, sans laquelle il n’y a point de
bonheur ni pour le Philosophe, ni pour le Peuple
: moyen
qui est tellement du ressort de cette justice, que nous ne pouvons le tenir que
de sa main, (quelque soit le Tribunal à qui il appartient d’en connoître ; ceci
soit dit, Chers François, pour vous fournir de quoi fermer la bouche à tout
iroquois qui se donnera la liberté de dire en votre présence que je fais ici
quelqu’attribution de Juridiction.) Pourrois-je donc paroître repréhensible pour
n’avoir fait que mettre par écrit en langue vulgaire une
pensée que les circonstances présentes nous font naître si naturellement, moi
qui aurois pû écrire en langue sçavante, bien sûr que mes
Traducteurs n’auroient jamais été poursuivis. Il est écrit au
Ps. 121 :
parce qu’il y a ici des trônes de la justice pour
le bien de la Maison de David, demandez
la paix
de Jérusalem
: c’est pourquoi, terre des François,
à cause que tes habitans sont mes freres & mes
amis, j’ai parlé pour ton bonheur ; & parce que la Maison du
Seigneur notre Dieu est dans ton enceinte, j’ai demandé ton bien ;
quæsivi bona tibi
.
Loin de moi donc des réflexions aussi accablantes pour mon cœur, qu’injurieuses à
mes Dieux !
Rempli pour eux du plus profond respect
(p. 24.)
& de la soumission
la plus grande pour toutes
les vérités (p. 23.) qui appartenant à la politique, à la morale
& à la Religion Catholique, ont toujours été, sont & seront
toujours l’objet de ma persuasion & de ma croyance
, que
n’ai-je pu écrire de mon sang les paroles que j’ai empruntées d’eux, & qui
comme autant de traits de feu,
me pénètrent (p. 24.) plus que jamais de ces mêmes
vérités qui ont excité leur zèle
!
Placés que je les vois les uns sur les degrés du Temple de la Justice, les autres au fond du Sanctuaire, tous pour entendre les cris des malheureux & essuyer leurs larmes, avec quel empressement n’irois-je pas de tribunaux en tribunaux l’Evangile d’une main, leur présenter de l’autre ce tableau de nos malheurs, s’ils pouvoient leur être inconnus, & si la manœuvre qui en est la source, étoit sourde & secrette ! mon zèle alors n’écouteroit que mon devoir : Mais montrez-moi, Chrétiens, dans quelque endroit de la Loi, l’obligation de dénoncer ce qui a tous les caractères de la publicité.
Qu’ai-je dit qui ne soit prêché sur les toits ? Justice & vérité. Quel est
mon cri qui ne soit le cri général des consciences ? O temps ! ô mœurs ! Quels
sont mes vœux enfin pour Paris & le Royaume Chrétien dont il est la
Capitale, qui ne soient ceux de nos Sçavans mêmes pour Geneve & sa
République Socinienne ?
Des Spectacles & des
mœurs.
(Encyclopédie, au mot Geneve.)
Sans donc autre dénonciation que celle de la voix publique, (en peut-il être une
plus forte ?) avec quelle confiance ne devons-nous pas nous attendre à voir
encore dans peu (Ps. 84. v. 11.)
la
miséricorde & la vérité se rencontrer
par le ministère
de la Justice, comme nous l’avons vû il y a trois mois pour une cause qui duroit
à peine depuis six ans ? Celle qui se présente
aujourd’hui dure depuis cent dix-huit ans & sept jours ; aussi jamais
procès ne fut mieux instruit & plus en état d’être jugé.
Innombrable
nombre de personnes (p. 24.) dont les lumières, l’exactitude,
l’attachement & la fidélité aux principes de la Religion, aux
maximes de sa morale & au bien de l’Etat, sont à l’abri de tout soupçon & d’une autorité irréfragable, en ont
fait un examen aussi attentif que solide… leur avis a été
communiqué
en mille manières, de vive voix & par
écrit : il n’y a donc plus qu’à
prendre telles
conclusions…. (Au mot Geneve)
des loix séveres & bien exécutées sur la conduite des
Comédiens
comme sur leur morale, sur leurs actions comme
sur leurs paroles, aux termes de la Déclaration du 16 Avril 1641.
Par ce moyen
, Religion sainte, ces enfans infortunés qui sont
nos freres, & dont la cause nous est commune à tant d’égards, cesseront
d’être
un objet d’anathéme
à vos yeux, & vous les
remettrez dans votre sein avec autant de joie que vous les en avez arrachés avec
douleur.
Prêtres, qui les excommuniez
(Encyclopédie, au mot Geneve) de bouche & qui les
dévorez des yeux, nous vous verrons sans scandale venir
former votre goût à leurs représentations
, y prendre
une finesse de tact, une délicatesse de sentiment
très-difficiles d’acquérir sans leur secours
, bien entendu
cette finesse, cette délicatesse qui consistent à bien tourner & retourner
les feuillets d’un Livre : que je serois émerveillé si vous m’assuriez de
bonnefoi que c’est là tout ce que vous avez appris jusqu’à présent dans nos
écôles. De quelle trempe êtes-vous donc ? vous demanderois-je, comme à
Mentor ?
Nos Magisters n’ayant plus, selon toute apparence, tant de dépense à faire, sage Gouvernement, vous diminuerez leurs pensions.
Et vous,
Bourgeois, vous perdrez l’habitude de regarder avec mépris
des hommes doublement respectables… Contenus d’abord par des Réglemens
sages, protégés ensuite & même considérés dès qu’ils en seront dignes,
enfin absolument placés sur la même ligne que les autres Citoyens
, nos
Villes
auront bientôt l’avantage de posséder ce qu’on croit si
rare, & qu’il ne l’est que par notre faute : une troupe de Comédiens
estimables…
Que sçai-je si
ne
craignant plus de vous deshonorer parmi nous, en vous livrant au
théâtre
, il ne vous prendra pas à tous envie d’y monter, d’y endosser
un habit à la Romaine, (Encyclopédie, au mot Genève,)
& d’y cultiver non seulement sans honte, mais même avec estime,
le talent si agréable & si peu commun
de nous divertir ? Au moins
est-il certain que nos Cités qui gémissent sous la tyrannie de nos fêtes
prophanes,
deviendront alors le séjour des plaisirs honnêtes…
& que
les étrangers ne seront plus surpris de voir que dans
un
Royaume où l’on fait profession de la morale évangelique, & où
l’on se pique
de finesse de tact & de délicatesse de sentimens,
on permette des spectacles
indécens & irréguliers,
des
farces grossières & sans esprit, aussi contraires au bon goût qu’aux
bonnes mœurs. Ce n’est pas tout : l’exemple des Comédiens François, la
régularité de leur conduite, & la considération dont nous les ferons
jouir, serviront de modèle aux Comédiens des autres nations
.
Quelle
gloire pour toi
, ô France ma Patrie d’avoir
reformé l’Europe sur un point plus important peut-être qu’on ne pense
!
Comment peut-être ! En peut-il être un plus important ?
Ces enfans ainsi châtiés, comme ils le méritent, ne
seront plus les Peres de cette race corrompue, de cette engeance vermineuse qui
de leurs foyers se répand dans nos maisons, & fourmille jusques dans les
Palais des Grands : ils ne seront plus ces oracles de l’impiété, qui jusqu’ici
en ont engendré tant d’autres, (p. 3.)
tous ces
faux Sçavans du siècle… tous ces prétendus Philosophes, qui pour dégrader
l’humanité, imaginent le projet insensé de détruire les premières vérités
gravées dans nos cœurs par la main du Créateur, d’abolir son culte & ses
Ministres, d’établir enfin le Déisme & le Matérialisme
.
O temps heureux, où ne faisant plus de nous ni les uns ni les autres, un peuple
de prévaricateurs, nous dirons : qu’ils restent au milieu de nous ces hommes de
Lettres & ces hommes de Théâtres, les uns
si propres (p. 13.) à faire honneur au génie de la nation
par l’étendue
de leurs connoissances, & si capables de servir la Patrie par la
multiplicité de leurs découvertes, comme par
une infinité de
notions utiles sur les arts & sur les sciences
: les autres (au mot Geneve :)
si nécessaires au progrès &
au soutien des arts
par le soulagement
dont ils seront pour les esprits occupés, & plus nécessaires encore par
l’occupation décente qu’ils procureront aux desœuvrés.
Alors, alors, chers Concitoyens, sans cesser d’être Auteurs ou Lecteurs, Acteurs
ou Spectateurs, puissions-nous (p. 7.)
donner à la vertu des
fondemens sur lesquels
, tous Chrétiens, nous bâtissions
également en l’édifiant sur la base de l’intérêt personnel
pour le
temps & pour l’Éternité. Amen.
Cum Approbatione Doctorum & indoctorum utriusque sexûs, cum voto proborum & improborum conditionis omnimodæ explicito vel implicito omnium denique pace. Nono Calendas Maii M. DCC. LIX.
Postscriptum.
J’Ai trop cité l’Article Geneve de l’Encyclopédie pour pouvoir me dissimuler de l’avoir lû dans son entier : encore moins puis-je m’empêcher de désavouer un trait d’autant plus deshonorant pour la Nation, qu’il part d’une main qui d’ailleurs l’honore davantage : le voici. » Le Traitant qui insulte à l’indigence publique & qui s’en nourrit, le Courtisan qui rampe & qui ne paye point ses dettes ; voilà l’espéce d’hommes que nous honorons le plus.
O
préjugé barbare pour la profession de
Comédien
! En voulant nous reprocher une injustice prétendue,
falloit-il nous faire le plus sanglant outrage à la face de toutes les nations ?
Quoi donc ! faisons-nous profession de croire (p. 8.)
que les conquêtes injustes deshonorent plus une
nation, que les vols n’avilissent un particulier
? Non, non, toute
injustice nous est également odieuse. Ecoutez, Nations entières, puissiez-vous
m’entendre & m’en croire ! Je parle encore ici au nom de tous mes
Concitoyens, je n’en excepte que ceux qui composant cette espèce d’hommes, ne
méritent pas d’être comptés parmi nous ; mais je leur déclare en même-temps que
(p. 6.)
le sentiment de l’amour d’eux-mêmes,
leur intérét personnel, & le desir de jetter dans
eux tous, les fondemens d’une morale utile, servent de base
aux
vœux sincères qu’il me
reste à faire pour aucuns d’eux.
« Se peut-il volerie aussi haute ?De l’or & des honneurs je ne demande pas,Juste Ciel, seulement fais qu’avant mon trépasJe puisse de mes yeux voir trois de ces CorsairesOrnant superbement trois bois patibulaires,Pour prix de leurs larcins en Public élevés,Danser la sarabande à deux pieds des pavés.Regnard.
Je n’ai plus qu’un mot à vous dire, Nations entieres : Quand vous lisez en tête
du cinquiéme volume de l’Encyclopédie dans l’éloge de M. de Montesquieu qu’il
renonça à une premiere Place de Magistrature,
parce qu’il sentoit
qu’il y avoit des objets plus dignes d’occuper ses talens
, ne croyez
pas que le Panégyriste ait voulu parler ici à la louange de son héros : il n’est
personne d’entre nous qui ne regarde cette pensée du Démocrite
François comme une tache pour sa mémoire ; sans doute il a voulu
qu’elle demeurât toujours cachée ; peut-être même ne l’a-t-il jamais
communiquée ; mais il n’en a pas moins fallu la mettre au grand jour, & pour
la mettre à la portée du plus grand nombre, qui n’est
pas celui des Souscripteurs de l’Encyclopédie, notre Mercure de Nov. 1755 lui
a donné place parmi ses galanteries. Tel est sur nous l’empire des vérités ;
tout affligeantes qu’elles sont pour nous, toutes flétrissantes qu’elles sont
pour nos héros, nous ne pouvons les taire.
Tantum series juncturaque pollet ?Tantum de medio sumptis accedit honoris.
FIN.