De la nature, nécessité, et utilité des ébats, jeux, et semblables divertissements.
Article Premier.
J’ai deux choses à montrer, en cet article, en deux paragraphes.
La première, Que la vie Chrétienne et dévote, a et doit avoir ses récréations, et être d’une vie joyeuse.
La seconde, Qu’elle a ses récréations corporelles et extérieures, outre les spirituelles et intérieures.
Comme l’âme Chrétienne doit avoir ses récréations, et vivre avec joie sans mélancolie.
§. I.
Cette ruse est semblable à celle dont se servit le même Satan, pour décourager le peuple d’Israël, du voyage vers la terre promise ; il porta les espions (que Moïse avait envoyé pour la considérer, et pour en apporter des nouvelles) à persuader au peuple, « Que l’air était fort mauvais en ce pays-là, qu’on n’y pouvait pas vivre longuement, que les habitants étaient des géants si prodigieux, qu’ils mangeaient les autres hommes comme des locustes.
»2
Ces discours eurent telle force, que ce peuple trop crédule eût quitté l’entreprise commencée, si Josué, qui était allé visiter la même terre, aussi bien que les autres, n’eût dit tout le contraire, et n’eût fait voir la facilité de conquérir tout ce pays-là, la douceur de vie, les commodités des fruits, et d’autres choses nécessaires à la vie qui s’y rencontraient.
Pour donc contrecarrer cette mauvaise impression que Satan met dans les esprits, qu’on défend de jouer et de se recréer, à tous ceux qui entreprennent la vie dévote et vertueuse, et qui renonçant au Diabolique parti du monde, suivent celui de Dieu. Je fais voir en ce paragraphe, que tant s’en faut que cela soit, qu’au contraire on veut, et on y commande de chasser la mélancolie, de se recréer, et se débander l’esprit, et vivre toujours en joie.
Eloignez bien loin de vous toute tristesse, laquelle cause la mort à plusieurs, et n’apporte aucun profit» :4 Et non seulement n’apporte aucun profit, mais cause beaucoup de maux. Car 1. de là commence le dégoût, et le dédain des choses spirituelles : de façon que l’âme mélancolique s’assoupit, et s’endort en la pratique d’icelles ; et dit avec David, «
Mon âme s’est endormie à raison du dégoût qu’elle avait»,6 ou comme porte la version des Septante, Mon âme a distillé comme l’eau qui distille d’un alambic, ou comme la cire qui se fond goutte à goutte auprès du feu, et se perd. 2. Lorsque par la tristesse la personne se voit dégoûtée, elle tâche de dégoûter, et décourager les autres, afin de se faire beaucoup de semblables, et de diminuer le parti de Dieu et de la vérité, et retourner à celui du vice, qu’elle pense être plus gai. 3. L’homme triste est sec, âpre, et colère aux autres ; ce qui a fait dire à saint Grégoire, «
que le triste est tout proche de la colère» :7 Car comme le bois vert ne se brûle pas si facilement, parce qu’il n’a que les dispositions éloignées, et le sec les a prochaines, et pour cela est incontinent allumé : De même l’homme qui est joyeux et gai, difficilement se mettra-t-il en colère ; la tristesse étant une des prochaines dispositions à la colère, et l’homme triste soudain se colérera.
4. La tristesse apporte des soupçons, des jugements téméraires, des humeurs hypocondriaques qui approchent parfois de la folie, et ôtent le jugement : « Il n’y a point de sens, ni de jugement, où il y a de l’amertume, et de la tristesse
»,8 dit le saint Esprit.
5. Elle rend une homme inhabile et inutile à tout ; « Ce qu’est la teigne à la robe, et le ver au bois ; le même est la tristesse au cœur de l’homme
», dit le sage Salomon : la robe rongée par la teigne ne sert plus à rien, et le bois vermoulu ne peut plus servir à aucun bâtiment, il n’est bon que pour le feu.9
6. Il faut croire au saint Esprit, qui a dit par la bouche du fils de Sirach ; « Que la plus grande plaie, et un amas de toutes les plaies qui peuvent arriver à un homme, est la tristesse du cœur
» :10 Et saint Augustin expliquant ces paroles, que Jacob dit à ses enfants, lors qu’ils le pressaient de leur permettre de mener Benjamin en Egypte, « Vous serez cause qu’en ma vieillesse je m’en irai en Enfer
»,11 dit, que Jacob craignait que l'éloignement de Benjamin lui causât une si grande tristesse, qu’à raison d’icelle il fût en danger de se damner, tant il jugeait la tristesse dangereuse.
une victorieuse délectation» :13 Et ailleurs il dit, que «
la grâce de Dieu consiste à faire connaître ce qu’était caché ; et à rendre doux et agréable, ce qui ne nous plaisait pas».14 A cette suavité et douceur, la tristesse est opposée, et par conséquent au moyen nécessaire du salut : c’est pourquoi il a été bien nécessaire, que le saint Esprit, qui a inspiré ce qui est écrit en l'Ecriture sainte, nous exhortât tant de fois à ne bailler en nos cœurs aucune entrée à la tristesse ; que si parfois elle y entre, de la mettre incontinent dehors.
« Que les justes se réjouissent en la présence de Dieu, et tressaillent de joie.
»16
« Réjouissez-vous en notre Seigneur continuellement, derechef, je vous le dis, réjouissez-vous.
»17
« Réjouissez-vous en Dieu, ô justes,
»18
« et que le cœur de ceux qui cherchent Dieu, soit toujours en liesse.
»19
« Dans les maisons des justes il n’y a que des paroles de joie, mais d’une joie salutaire :
»20
« ne vous donnez pas à Dieu avec tristesse, regret, ou contrainte ; car Dieu se plaît à celui qui avec joie se donne à lui.
»21
La raison de ceci se prend :
« Pensez-vous disait-il, que vos Dieux se plaisent d’être ainsi servis, il ne veulent point des sacrifices offerts à regret.
»23 Il est vrai que Dieu est fort honoré par la façon gaie et volontaire, avec laquelle on le sert ; car par là on fait voir à tous combien il est digne d’être servi, puisqu’il n’y a rien pour pénible et difficile qu’il se rencontre en son service, qui empêche ses vrais serviteurs de lui rendre leur devoir, et le rendre avec joie.
La Conversation qu’on a avec elle est exempte d’amertume, de dédain, et de dégoût, vivre avec elle est être en joie continuelle.»25
Je ne veux pas m’arrêter davantage à la preuve de cette vérité ; car en la sixième Partie de ce premier Tome, j’en parlerai plus amplement, lors que je combattrai les six prétextes desquels les hommes se servent pour ne s’occuper pas à bon escient aux affaires de leur salut, un desquels est celui de la mélancolie, qu’on s’imagine être en cette occupation.
Comme la joie et les récréations de l’âme Chrétienne ne sont pas seulement intérieures, mais aussi extérieures, et corporelles.
§. II.
En deux manières pouvons-nous dire, que l’âme vraiment Chrétienne, est en une continuelle joie.
Que la plus grande peine du péché est d’avoir péché.»29
Et saint Augustin loue Dieu, de ce « qu’il a si bien ordonné de tout, qu’il a fait, que l’âme déréglée qui s’émancipe du saint Ordre des Lois de Dieu, est une peine à soi-même
».30 Et saint Paul a assuré, « que le pécheur qui fait mal
n’a que peine et angoisse, l’homme vertueux gloire, honneur, paix, joie et repos en son âme
» .31
Différant à parler de la première joie, qui est intérieure, et qui accompagne toujours celui qui vit bien, de laquelle je traiterai en la sixième Partie de ce premier Tome ; je ne m’arrête ici qu’à la seconde, et prouve en ce paragraphe, que tant s’en faut qu’on défende aux âmes vertueuses ces honnêtes récréations corporelles, que plutôt on les leur conseille, et on se plaint si elles les refusent, et se bandent trop l’esprit.
Aristote parle amplement de cette vertu en ses Morales35.
Sénèque dit à son ami Lucile, « Tu mêleras les choses sérieuses de quelque joyeuseté, mais avec tempérance, il faut donner quelque relâche à l’esprit, de peur qu’il ne vienne à se dissoudre, ou à se fondre dans l’empressement des affaires, il le faut médiocrement relâcher pour être puis après plus vigoureux, et comme tout renouvelé pour pratiquer la vertu.
»36
L’Orateur Romain n’a pas manqué de donner cet avis à son fils, lorsqu’il lui donne des bons préceptes pour la vertu, au livre premier de ses Offices, « Il est loisible de jouer, et de rire, mais modérément, comme avec médiocrité on se sert du sommeil, et des autres intermissions ou relâches, lorsqu’on a satisfait aux affaires importants et sérieux.
»37
Saint Clément en son Pédagogue, ordonne, qu’on donne aux jeunes gens un lieu député pour exercer le corps, de peur qu’ils ne tombent malades, et aussi pour leur récréation, de peur que leur esprit ne se bande trop.
Saint Jérôme expliquant ces paroles de l’Ecclésiaste ; « Il y a des temps destinés pour les embrassements, et il y en a d’autres èsquels il s’en faut retirer
»38, dit que le temps destiné pour les embrassements, est celui auquel l’Ame Chrétienne s’occupe à l’acquisition de la sagesse, traitant et conversant avec elle, et que le temps destiné pour s’en retirer, est celui auquel on jette son esprit sur quelque autre objet, afin de l’égayer un peu, et de le débander.
Les Anges, qui sont de purs esprits, hors du mélange d’un corps, n’ont pas besoin de tels jeux, et récréations, étant incapables d’altération, ou de diminution de leurs forces, et puissances spirituelles : l’esprit de l’homme est comparé à un arc, si vous le bandez toujours en fin il se rompra.
Cassian40 raconte, qu’un chasseur trouva un jour Saint Jean l'Evangéliste tenant une perdrix sur le poing, et la caressant par récréation, étonné de cela il lui demanda, comment se pouvait-il faire qu’un homme d’un si grand esprit s’occupât, et se recreât en une chose si basse ; auquel Saint Jean répartit, pourquoi ne portez-vous pas toujours votre arc bandé ? de peur, dit-il, de le rompre ; car demeurant ainsi courbé, il a plus de force pour s’étendre : et moi, ajouta le Saint, j’en fais de même, je me recrée avec cet oiseau, afin qu’avec plus de vigueur, de corps et d’esprit, je m’emploie puis après aux affaires sérieux de ma charge.
Les animaux que vit Ezéchiel,41 avaient des ailes, et des pieds ; avec les ailes ils volaient en haut, avec les pieds ils marchaient sur la terre : voilà la figure des deux sortes de récréations, que j'ai mis au commencement de ce paragraphe ; l’intérieure que l’âme reçoit volant vers Dieu, s’occupant en la connaissance, et amour des choses Divines.
L’extérieure et corporelle qu’on prend en quelque chose de la terre.
Les oiseaux de Paradis, sont presque toujours en l’air, sinon quand pour se soulager un peu du battement de leurs ailes, qui est presque continuel, ils s’accrochent aux arbres avec de petits filets qu’ils ont au lieu des pieds.
Saint Jean l'Evangéliste, avec une perdrix ; S. François, avec des petits agneaux ; S. Gilles, avec une biche ; S. Onufre, avec les oiseaux ; Saint Louis ne voulait pas que soudain après le repas, on parlât d’affaires, ou on allégât des choses doctes, et spéculatives ; mais bien qu’on dise avec toute honnêteté quelques joyeusetés pour recréer les esprits.
S. Charles Borromée, quoique au reste fort sévère aux récréations excessives, néanmoins condescendait par charité avec les Suisses, en certaines libertés de leur pays, qu’il pouvait accorder sans offense de Dieu.
Sainte Elisabeth Reine de Hongrie, jouait et se recréait ès assemblées qui se faisaient pour passe-temps. Saint François Xavier, par ses joyeusetés et gaillardises en conversation, et même par le jeu, a gagné beaucoup d’âmes à Dieu.
Saint Ignace de Loyola43 visitant un jour un Citoyen de Rome, le trouva jouant au billard, invité à jouer avec lui, l’accorda ; mais avec une sainte condition, que celui qui perdrait, ferait l’espace de trente jours la volonté de celui qui gagnerait ; Dieu bénit tellement ce jeu, que le Saint, qui n'avait jamais manié ni bille, ni billard, gagnait à chaque coup, et la partie finie, le vaincu se mit entre les bras de ce Saint, obligé par sa promesse, de faire l’espace de trente jours, tout ce qu’il voudrait : le Saint lui conseilla une retraite durant ces 30. jours, pour vaquer aux exercices spirituels ; le fruit desquels il ressentit tout le reste de sa vie.
Jésus-Christ même, si sérieux en toutes choses, se recréait avec les petits enfants, disant ; « Laissez venir à moi les petits enfants, et ne les empêchez pas de s’approcher de moi, il les caressait, et leur mettait ses sacrées mains sur la tête
: » 44 parfois voyant ses disciples lassés des travaux de la prédication, il les menait en quelque lieu champêtre, et là les faisait reposer quelque temps ; et comme il est fort probable, leur commandait de débander un peu leur esprit par quelque honnête récréation : ce que je collige de ces paroles de l'Evangile de Saint Marc ; « Les Apôtres s’assemblèrent à l’entour de Jésus, et lui racontèrent tout ce qu’ils avaient fait et enseigné ; lors Jésus leur dit, venez, retirons-nous à l’écart en un lieu désert, et là reposez-vous un peu de temps.
»45
La pratique que l’Ame Chrétienne doit garder en ses récréations, jeux et autres divertissements, pour en iceux mériter l’Eternité.
Article Second.
Comment il se faut comporter aux récréations des paroles, pour par icelles gagner l’Eternité.
§. I.
Le premier, Que vous n’alliez jamais en ces récréations, sans avoir élevé votre cœur à Dieu, et sans renouveler votre intention, qui ne doit être autre, que de lui plaire, et de lui obéir en cette action, aussi bien qu’aux autres ; puisque, comme j'ai dit en l’article précédent, il a été si bon, que de vous obliger à prendre quelque divertissement et récréation ; comme il a été si bon que d’ordonner en la loi de Moïse quelque repos, et rafraîchissement pour les bêtes, ayant commandé, « qu’on baille du repos au bœuf, et à l’âne, un jour la semaine
» :54 allez-y aussi pour obéir à ceux qui ont pouvoir de vous commander, et pour conserver la charité, laquelle est entretenue en ces conversations, ou récréations ; offrez à Dieu cette action à votre ordinaire, vous mettant en sa sainte présence, demandant sa bénédiction, et l’unissant avec la semblable que Jésus-Christ faisait étant avec ses Apôtes.
L’Orateur Romain, au premier livre de ses Offices, distingue deux genres de discours joyeux et récréatifs, l’un qu’il appelle, « illibéral, sans civilité, sans respect, accompagné de pétulance, et de vice ; l’autre courtois, ingénieux, facétieux
» :56 celui-ci est louable, celui-là blâmable ; car telle récréation est une dissolution ; et est une chose infâme, que le valet ne puisse se donner du passe-temps, sans offenser son maître, qui est Dieu, et sans lui causer de l’ennui, tandis que lui ne fait que rire.
Que la plus grande volupté est d’avoir surmonté, et quitté la volupté» :59 aussi je vous dis, que la plus belle récréation est, d’avoir quitté telles récréations, on dit que l’herbe Sardonique fait mourir en riant ; les plaisirs pris en telles assemblées, vous chatouillent, et vous font rire, mais en riant ils vous tuent. C’est cette tasse que tenait en sa main cette femme vue par Saint Jean en son Apocalypse, «
dorée par dehors, mais au dedans pleine d’abominations» :60 C’est le vin que le Sage dit, «
devoir enfin mordre comme la couleuvre» ; c’est le scorpion qui adoucit avec sa bouche, mais pique, et empoisonne avec sa queue ;61 «
c’est ce chemin qui semble bon et beau, mais enfin aboutit à la mort»,62 non tant du corps, que de l’âme.
Combien de fois vous est-il arrivé, qu’étant fort attentive à penser à quelque chose, ou à l’écouter, vous n’avez pas pris garde ni au bruit qui se faisait, ni à voir ceux qui passaient devant vous, ni à entendre ce que les autres disaient : Le même ne vous peut-il pas arriver, si en telles récréations vous êtes attentive à Dieu, votre vue le voit, et votre cœur lui parle, aussi bien peut-être comme en une Eglise, car tout le monde étant rempli de Dieu, vous doit servir d’Eglise.
Le diable a eu tant de pouvoir sur une Damoiselle, que sa mère voulait retirer de vanités du monde, (èsquelles elle ne se plongeait que trop) et pour cela la menait avec soi au sermon d’un Prédicateur, par la bouche duquel Dieu touchait les cœurs, pour être tout à fait à lui sans aucune réserve : Satan, dis-je, fit tant qu’il lui persuada de se mettre du coton dans les oreilles, avant que le sermon commençât, pour n’entendre aucun mot, qui peut la porter au bien. La pensée et l’amour de Dieu, le désir de lui plaire, l’affection à votre salut, la crainte d’être tant soit peu désagréable aux yeux divins, ne pourront-ils pas vous servir d’un coton qui estoupe vos oreilles, pour n’entendre les infamies qui se disent en telles récréations ? Cette Damoiselle sortait du Sermon toute joyeuse de n’avoir pas eu sujet d’être touchée de la voix du Prédicateur, pour quitter ses vanités ; et ainsi se moquait de sa mère en son cœur, et s’en riait avec ses compagnes : ne vous sera-t-il pas une grande joie, et une récréation toute divine, d’avoir si bien trompé le monde, et Satan qui en est le prince, que vous aurez été comme la rose entre les épines, ou comme les Iles Chélidoines, lesquelles ont une eau très douce, quoique entourée de tous côtés de l’eau salée de la mer : ou comme les mères perles qui dans la mer n’ouvrent jamais leurs coquilles, pour recevoir une goutte de son eau, mais bien de celle de la rosée du Ciel ; c’est triompher du monde, du Diable, et de la chair, que d’en faire ainsi. Vous imiterez les bons Anges qui portent toujours leur Paradis, et leur béatitude avec eux, et quoiqu’ils soient dans cette misérable terre, parmi tant de pécheurs, ils ne perdent néanmoins jamais Dieu de vue, et ne sont point endommagés par eux. Vous serez comme les trois enfants jetés dans la fournaise ardente en Babylone, un seul cheveu de leur tête n’en fut point brûlé, ni leur robes aussi ; ains cette fournaise leur servit de rafraîchissement, comme une douce rosée ; une mauvaise pensée représentée par les cheveux, le dérèglement en votre corps, qui est comme la robe de l’âme, ne se trouveront point en vous : ains (ce qui est plus admirable, et qu’est arrivé à quelques bonnes âmes que je ne puis nommer, parce qu’elles vivent encore) vous sortirez de ces lieux-là, avec la douce rosée de la dévotion, et de l’union avec Dieu, comme si vous sortiez d’une Prédication, ou d’une Méditation ; ceci semblera étrange à ceux qui ne connaissent pas, comme Dieu traite les âmes qui lui sont fidèles en tout et partout ; ce que j'écris est néanmoins véritable.
Bref, en sortant de là, vous chanterez à Dieu un Cantique de louange ; disant avec cette sainte ; « Je vous louerai mon Dieu, mon Sauveur, parce que étant au milieu des flammes, je n’ai point été brûlée
» ;64 Et avec David, « O mon Dieu je vous rendrai les vœux que je vous avais fait avant que de venir ici ; car je n’ai pas oublié que je vous avais promis de vous louer, et de vous remercier : je le fais parce que vous avez délivré mon âme de la mort, qui en a tué tant d’autres en ce lieu ; et avez préservé mes pieds de la chute : O que cela m’oblige de vous plaire durant le temps que je suis en cette vie, éclairée de la lumière de la Foi, qui donne la vie à une âme.
»65
Le Prince parlera en Prince, et selon la dignité du Prince»,67 disait le Prophète : Ainsi le Religieux, le Prêtre, celui qui fait profession de la vertu et de la dévotion, doit parler selon sa qualité, car la récréation ne lui ôte pas son honorable qualité, il la faut garder, et la témoigner en cette action aussi bien qu’aux autres.
Qu’elle avait tout rangé et disposé avec Dieu, et puis qu’elle se recréait jouant en ce monde en sa présence.»69
Qu’aucune mauvaise parole ne sorte de votre bouche, mais celle qui édifie, qui rend plus agréables à Dieu ceux qui l’écoutent ; et ne contristes pas le saint Esprit» :72 Et en la même Epître il défend «
les paroles qui ressentent, ou l’impureté, ou la bouffonnerie»,73 lesquelles contristent le saint Esprit qui est là présent, ou bien les personnes vertueuses, dans lesquelles est le saint Esprit.
J'ai vu des bonnes âmes en leurs récréations, faire des jolies conférences spirituelles sur une fleur, sur un fruit d’un arbre, sur un astre du Ciel, et choses semblables ; et sans s’y être préparées, dire de si belles choses, et si récréatives, qu’on sortait de telles récréations enflammé en Dieu, comme d’une Prédication, ou d’une Méditation ; et néanmoins avec tant de joie et de gaieté d’esprit, que tous ceux qui en offensant Dieu se recréent dans le monde, n’en pourraient jamais avoir une pareille.
Comme il se faut comporter ès récréations qui se font par des jeux.
§. II.
1. La personne qui joue. 2. L’intention avec laquelle on joue. 3. Le temps qu’on met à jouer. 4. La somme qu’on joue. 5. La façon de jouer.
La beauté de la vie demande, dit saint Ambroise, de donner à un chacun ce qui est convenable à son sexe, et à sa condition» :77 Car quoique le jeu de soi ne soit pas une mauvaise action, mais plutôt indifférente : néanmoins il peut être mauvais et indécent, plutôt à une sorte de personnes, qu’à une autre. Autre jeu est pour les femmes, autre pour les hommes, autre pour les Ecclésiastiques, autre pour les laïques, autre pour les réguliers, autre pour les séculiers, autre pour les enfants, autre pour les hommes faits : comme être vêtu de soie, ou être traité de viandes exquises et délicates ou converser avec les femmes n’est pas précisément péché ; mais à un qui fait vœu de pauvreté, et qui par sa profession est retiré du monde, ce n’est pas sans péché où il n’y a point de nécessité.
Je n’improuve pas qu’on joue pour le plaisir, et pour le lucre, mais j'improuve qu’un homme, et un Chrétien ait cela pour la première, la principale, et l’unique fin du jeu ; et pour le seul motif de le commencer, et de le continuer.
qu’on mange et boive, pour l’honorer et glorifier» ; car la modestie et autres bonnes conditions qu’on garde en jouant, glorifient Dieu, qui ayant établi les travaux, sans lesquels aucun ne passe sa vie, il a voulu aussi qu’on les interrompît par quelque honnête récréation, en laquelle l’homme ne se relâchât en rien de sa dignité d’homme : la passion ne l’emportant point, mais la raison le gouvernant, qui est en l’âme, la plus belle marque de l’image de Dieu. 3. Elles jouent, pour avec plus de vigueur du corps et de l’esprit, s’occuper puis après au service de Dieu, et au devoir de leurs charges, ayant réparé par le repos, et par ces divertissements, les forces que le travail avait diminué ou épuisé : et c’est à cette intention, où se rapporte la présence de Dieu, tant de fois recommandée en l'Ecriture sainte, à ceux qui jouent et se recréent ; «
Que les justes se réjouissent, et se recréent en la présence de Dieu.»80 «
Je jouais devant lui sur le rond de la terre»,81 dit la Sagesse divine, nous apprenant, que nos jeux récréatifs doivent être faits devant Dieu, en quatre manières : 1. comme devant l’objet principal de nos récréations, «
recréez-vous en Dieu, et il vous accordera ce que vous demandez»,83 disait David : Dans le Ciel, vos récréations seront en lui, et avec lui ; çà-bas en terre, il vous a permis les jeux récréatifs s’accommodant à notre infirmité ; et est recréé en iceux, quand il voit la bonne intention que nous avons en les faisant, et les bonnes circonstances, desquelles nous les accompagnons.
2. Comme devant la fin d’icelles, puisque nous devons procurer de recréer Dieu, et de lui donner du plaisir en nos récréations ; et c’est en ce sens que j’explique les paroles de David, « servez à Dieu en la joie
» ;84 c’est-à-dire, faites que votre joie, et votre récréation soit un service à Dieu, aussi bien que votre Oraison ; et que Dieu se réjouisse en elle, comme les courtisans jouent devant le Roi pour le recréer.
3. Comme devant la règle et l’exemplaire des récréations ; car Dieu après avoir travaillé six jours à bâtir, et à orner ce monde, se reposa : et s’il faut ainsi parler, se recréa au septième jour, « lequel il sanctifia
»,85 comme parle l'Ecriture, et par la sanctification qu’il donne au jour de son repos, et de sa récréation, il nous sert de règle pour sanctifier les nôtres, à ce qu’en icelles il ne se fasse rien contre la sainteté.
4. Comme devant l’Auteur des récréations, lesquelles il a voulu, et ordonné pour le bien de l’homme.
Vous voyez combien beau, récréatif, et profitable sera un tel jeu à une âme, laquelle y va avec une si sainte intention, qui sanctifie cette action, quoique de soi elle semble bien basse.
un cheveu est fort peu de chose, et néanmoins en la teste, ou au col de l'Epouse de Dieu,86 laquelle ne regarde qu’à lui plaire, et à le contenter, aussi bien ès petites choses comme ès grandes, il a telle force qu’il navre et emporte le cœur du même Dieu.
Procurez donc, âme Chrétienne, cette intention en votre jeu, vous y mériterez beaucoup ; ne jouez pas par le seul motif de la nature, et du sentiment (les bêtes jouent ainsi à leur mode,) ni même par le seul mouvement de la raison, car un Philosophe Païen le peut ainsi faire ; mais relevez votre jeu à un motif plus haut, qui est la volonté, et le bon plaisir de Dieu. « Ceux qui sont mûs et portés par l’Esprit de Dieu, sont ses enfants
»,87 dit saint Paul, « et là où l’esprit de Dieu portait les quatre animaux
», attelez au
chariot de la gloire de Dieu, « là ils marchaient
», dit Ezéchiel.
2. D’induire quelqu’un au mal, par le moyen du jeu ; ainsi souvent arrive que les femmes soient excitées au mal par les hommes, et les hommes par les femmes, sous prétexte du jeu.
1. Lors qu’on joue en un temps destiné et ordonné pour une autre occupation, par exemple, le matin avant que d’avoir prié Dieu, ou au temps qu’il faut ouïr la Messe : lorsqu’un Juge doit aller écouter les parties, et faire justice à ceux qui l’en requièrent ; ou qu’un Conseiller doit se trouver au Parlement, avec ses Collègues ; le soir quand il faut faire son examen, ou autres prières : Bref, quand le jeu empêche une occupation plus nécessaire, soit pour nous, soit pour notre prochain ; et certes s’il est loisible de quitter l’Oraison et la Messe, pour une œuvre de charité, qui ne peut être différée ; combien plus sera on obligé de quitter le jeu.
2. Lors qu’on emploie trop de temps au jeu, vous en verrez qui ne font que jouer dès le matin jusques au soir, d’autres qui emploient à cela les meilleures heures de la journée, et ne peuvent se retirer du jeu : c’est d’eux
qu’on peut entendre ces paroles ; « ils ont estimé la vie n’être qu’un jeu, ou bien que le jeu était leur vie
»,90 tous les deux sont blâmables ; voici la raison.
2. Jouant si souvent, et si longtemps, l’esprit s’accoutume à une fainéantise, se rend inhabile aux affaires sérieux, ne parle que du jeu, ne pense qu’au jeu. Les Médecins oublient leurs malades, et les laissent mourir par faute de les visiter ; l'Avocat n'étudie pas bien le procès qui doit plaider ; le Juge renvoie à tout propos les parties, èsquelles il devait donner audience ; les Ecclésiastiques laissent à dire leur Bréviaire, ou le diffèrent si tard qu’ils s’endormiront en le disant ; et par leurs jeux renverseront le bel ordre que l’Eglise a institué pour le réciter ; les femmes n’auront point le soin de leurs familles, ni les maris aussi, etc.
3. Ces joueurs font contre la fin du jeu, qui est se divertir, et se recréer après le travail : or ceux-ci, ou ils ne travaillent point, ne s’occupant qu’à jouer, ou au lieu de se recréer, ils se lassent, ils fatiguent l’esprit, harassent le corps, et ont besoin de repos, après avoir fait semblant de se servir du jeu par manière de repos ; être cinq ou six heures à jouer aux échecs, ou aux cartes, ou à la paume, n’est pas à mon avis un divertissement de l’esprit, ni un repos pour le corps.
1. Le Carême, destiné pour la pénitence de tous les péchés de la vie, auquel l’Eglise, au saint Office Divin, nous dicte tous les jours, « retranchons quelque chose du boire, et du manger, du dormir, du parler, du jouer, soyons plus exacts à prendre garde à nous
» ;93 mais surtout gardez ceci en la semaine Sainte : j’en ai vu jouer le Vendredi Saint, avec horreur de mon cœur, et je crois que Jésus crucifié l’avait aussi.
2. Les jours de Communion, pour avoir plus de loisir pour bien entretenir le Saint Hôte que vous avez reçu.
3. La veille de la Communion, principalement de celles qui vous sont plus importantes, comme celles du premier Dimanche des mois, et des fêtes de Notre Seigneur, et de la Vierge ; faites cela pour une préparation à votre Confession, et pour une meilleure disposition à la Communion ; plusieurs jeûnent, ou font quelque abstinence en ce jour-là ; le retranchement du jeu sera pour vous au lieu du jeûne.
2. Ce qui est d’obligation doit précéder ce qui ne l’est pas ; payer ses dettes, entretenir sa famille, oblige la conscience d’un chacun, ce qui ne se peut faire, parlant pour l’ordinaire, en jouant ces sommes excessives, lesquelles sont cause qu’au lieu de payer ce que l’on doit, on fait de nouvelles dettes, soit pour jouer, soit pour entretenir sa maison.
3. Les pauvres sont frustrés de leur part et portion, puisque les riches doivent soulager les pauvres de ce qui leur est superflu, et par ainsi ils jouent la substance et la vie du pauvre, qui subsisterait et se conserverait en vie, si l'excès de la somme du jeu lui était appliquée.
4. L’aveuglement de ces joueurs, va jusques à ce point, que l’aumône étant une des œuvres satisfactoires pour le péché, si le Confesseur à l’exemple de Daniel leur dit, « Rachetez vos péchés par aumônes
»,96 et si par conséquent il leur en impose quelqu’une, quoique fort médiocre, ils disent qu’ils ne la peuvent pas faire, qu’ils n’ont pas de quoi pour payer leurs serviteurs, et pour élever leur famille, et néanmoins en un coup de dés ils joueront cinquante, ou cent pistoles.
N’imitez pas ces personnes ici, Ame Chrétienne, jouez selon vos moyens, et plutôt moins que trop, soyez l'avocat des pauvres, et pactisez avec ceux avec qui vous jouez en faveur des pauvres, afin qu’ils participent à quelque chose qu’on aura gagné au jeu.
1. Jouant à des jeux illicites par les lois ou Divines, ou humaines ; comme sont les jeux qui sont purement de hasard.
2. Jouant avec trop d’affection, car pour honnête que soit une récréation, c’est vice d’y mettre son cœur, et son affection ; c’est dire, la désirer trop, s’y amuser, et s’en empresser ; il y a d’autres objets à affectionner bien plus relevés que celui-là : ce n’est pas qu’il ne faille prendre plaisir à jouer pendant que l’on joue, car autrement on ne se recréerait pas ; mais il ne faut pas y mettre son affection excessive.
3. Trompant en jouant, ou jouant avec ceux qui jouent ce qui ne leur appartient pas, et qui ne peuvent pas aliéner, comme sont les fils de famille, les Religieux, les femmes, et autres qui dépendent d’un supérieur ; ou contraignent les autres à jouer par menaces et injures, par ainsi les gagnent ; ou faisant contre les lois du jeu ; ou lorsque quelqu’un est fort expert au jeu pour gagner un autre, qu’il connaît n’y entendre que bien peu, et fait semblant de ne savoir pas jouer : en tous ces cas, suivant la plus commune opinion, celui qui gagne, est obligé à la restitution, et péché contre la justice et l’équité.
Comment il se faut comporter ès récréations qui se font par les bals, et les danses.
§. III.
1. En même temps que vous étiez au bal, plusieurs âmes brûlaient en enfer, pour les péchés commis en la danse.
2. Plusieurs Religieux en même temps étaient saintement occupés à chanter les louanges de Dieu.
3. Notre Seigneur, la Vierge, les Anges, et les Saints, vous ont vu au bal, vous leur avez fait grande pitié, voyant votre cœur amusé à une si grande niaiserie, et attentif à cette fadaise.
4. Tandis que vous étiez là, le temps s’est passé, la mort s’est approchée, pour vous faire danser d’une autre danse, par laquelle on passe du temps à l’Eternité, ou glorieuse, ou malheureuse.
5. Tandis que vous dansiez, plusieurs personnes étaient en l’agonie, les autres enduraient de cruelles douleurs et tourments en leurs lits, ou de fièvre, ou de la goutte, ou de la pierre, etc. Vous n’en avez point eu de compassion, vous pourriez être un jour comme elles ; les autres danseront, et ne vous porteront point de compassion.