(1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PLAN. DU THEATRE. et autres Règlements, Qui sont la suite de ce qu’on a déjà vu, page 106 de l’Ouvrage. » pp. 329-337
/ 231
(1743) De la réformation du théâtre « De la réformation du théâtre — PLAN. DU THEATRE. et autres Règlements, Qui sont la suite de ce qu’on a déjà vu, page 106 de l’Ouvrage. » pp. 329-337

PLAN
DU THEATRE
et autres Règlements,
Qui sont la suite de ce qu’on a déjà vu, page 106 de l’Ouvrage.

Il faudrait construire un Théâtre nouveau aux dépens de la Ville, mais qui pût contenir pour le moins le double de Spectateurs de ce que les Théâtres de Paris contiennent ; on pourra prendre pour modèle, si on le trouve bon, le Théâtre qu’on voit à Florence où le Cardinal de Médicis, qui l’a fait bâtir, a voulu que les Spectateurs des deux sexes fussent placés séparément les uns des autres17. Ce Théâtre aurait cinq rangs de Loges : le premier, le second, le troisième et le quatrième à l’ordinaire des grands Théâtres ; pour le cinquième, qu’on nomme à Venise le Rez de chaussée, parce qu’il est au-dessous du premier rang de Loges, il ferait comme dans les Théâtres d’Italie le tour du Parterre, et le renfermerait en entier : le premier rang serait destiné à la Noblesse, le second à la Bourgeoisie, le troisième et le quatrième seraient pour le peuple, et pour ceux qui autrefois se plaçaient au Parterre. On tirerait deux avantages d’une pareille disposition, l’un que les honnêtes gens, qui sont si souvent incommodés des caprices du Parterre, en seraient plus éloignés : l’autre qu’on arrêterait les mutins plus aisément et sans scandale. On ne placerait jamais ni bancs, ni chaises sur le Théâtre : personne ne pourrait s’y tenir debout, parce que ce sont là autant d’inconvenients pour la représentation. Les Spectateurs n’auraient jamais entrée dans l’Orchestre où les Symphonistes seuls seraient reçus. Le Parterre, qui serait élevé en Amphithéâtre depuis l’Orchestre jusqu’au fond de la Salle, deviendrait une place très commode et la meilleure de toutes : aussi bien que le rang des Loges du Rez de chaussée, et bientôt les Dames et les Seigneurs les préféreraient aux premières Loges ; malgré les cinq rangs de Loges l’élévation du Théâtre n’excéderait pas la hauteur des Théâtres d’à présent.

Ce Théâtre ferait partie d’un Bâtiment capable de loger commodément, non seulement les Acteurs et les Actrices de la Troupe, mais encore les Comédiens qui auraient eu permission de se retirer. Ce Bâtiment contiendrait de plus une Salle pour le Conseil : enfin tous les lieux nécessaires pour le service du Théâtre et des Acteurs : des Cours avec des Boutiques, qui jouiraient d’exemption, etc…

En établissant le Théâtre de la Réforme, il serait injuste de ne pas pourvoir à l’entretien honnête des Actrices de l’ancien Théâtre qui se retireraient de leur bon gré, ou qui seraient congédiées ; on aurait donc soin de les placer dans des Communautés, et par préférence dans celles qu’elles choisiraient, avec des pensions suffisantes pour leur subsistance. Les Acteurs de même seraient aussi placés ou pensionnés ; et quand aux fonds nécessaires pour ces pensions passagères, et même pour l’entretien du Bâtiment et les réparations du Théâtre dans la suite des temps, on les trouverait ou dans une Loterie, ou dans telle autre sorte d’imposition que les Magistrats jugeraient moins à charge au Peuple, ou plus aisée à lever.

Les Acteurs et les Actrices du Théâtre de la Réforme seraient logées, comme nous avons déjà dit, et jouiraient chacun d’une pension proportionnée à leurs services : ils conserveraient leur pension et leur logement même en se retirant ; bien entendu cependant que dans le temps qu’ils exerceraient, la pension serait plus forte, et qu’en quittant elle serait moindre : de même si par accident ou par maladie quelqu’un des Acteurs devenait hors d’état de travailler, on lui donnerait la pension et le logement comme s’il avait servi le temps prescrit.

Un an après l’ouverture du Théâtre de la Réforme, les Comédiens de Province seront obligés de se soumettre à la même Réforme ; ceux qui voudront suivre la Profession auront soin de se conformer en tout au Théâtre de la Capitale, qui leur fournira des Copies de toutes les Pièces ou anciennes ou nouvelles qu’il aura adopté, à mesure qu’il en aura fait usage.

Afin que le Théâtre ne puisse jamais manquer de Sujets, outre les Comédiens de Province, sur lesquels il faut peu compter ainsi que sur les enfants de la Capitale, je crois qu’il serait de la prudence d’élever et d’instruire pour le Théâtre une demie douzaine de garçons, et autant de filles ; une ancienne Comédienne, et un ancien Comédien auraient le soin de les former dans des logements séparés ; on leur donnerait en même temps des principes de religion et de piété, et on leur ferait apprendre un métier pour leur préparer une ressource, si par hasard à un certain âge on ne leur trouvait pas les talents nécessaires pour le Théâtre, ou s’il leur survenait quelque défaut qui ne leur permit pas d’y jouer : dans ces deux cas la bonne éducation qu’ils auraient reçus, jointe aux secours qu’on leur procurerait, les mettrait en état de trouver un autre établissement que celui du Théâtre.

Il me paraît d’une nécessité indispensable que le Souverain ou le Sénat mette un fonds considérable dans la Caisse du nouveau Théâtre, ce fonds servira à acheter des anciens Comédiens tout ce qui pourra être utile à leur successeur, Décorations, Magasin, Ustensils, etc.… d’un autre côté la Ville achetera le fonds de l’ancien Théâtre, et des deniers de la Caisse on payera les habits des particuliers, étant juste que tout ce qu’on achetera de l’ancienne Troupe soit payé argent comptant : d’autant plus que les Comédiens qui se retireront, de même que ceux qui prendront leur place, n’en auront plus besoin et trouveront dans le nouveau Magasin tout ce qui leur sera nécessaire.

Il est inutile, je pense, d’entrer dans un plus grand détail de tous les arrangements qui peuvent être pris pour l’établissement et le bon ordre du nouveau Théâtre, et qui n’échapperaient pas aux lumières du Conseil, si le Plan en était agréé par le Souverain.